La réduction de la durée légale du travail : une fausse solution à un vrai problème

Dossier : Emploi et temps de travailMagazine N°532 Février 1998
Par Jacques LESOURNE (48)
Par Antoine-Tristan MOCILNIKAR (86)

S’il est bien acquis que le chô­mage est le pro­blème le plus grave que connaît la socié­té fran­çaise, un pro­blème qui jus­ti­fie l’effort de tous, une réduc­tion auto­ri­taire de la durée du temps de tra­vail est un ins­tru­ment inadap­té pour réa­li­ser un tel objec­tif. On peut alors se deman­der d’où vient l’emballement de cer­tains qui pro­posent cette solu­tion aux pro­blèmes de l’emploi.
À l’examen de leurs argu­men­taires, on s’aperçoit qu’ils s’appuient plus ou moins sur deux contre­sens : que la demande de biens et de ser­vices, donc in fine d’heures de tra­vail dans l’économie, est fixe et que le tra­vail peut se par­ta­ger sans pro­blème car il est homo­gène, fluide, frac­tion­nable en autant de por­tions qu’on le souhaite.
Dans un tel contexte, la réduc­tion du temps de tra­vail crée méca­ni­que­ment une hausse d’emploi.

C’est en fait en tra­vaillant plus que l’on peut espé­rer bais­ser le niveau du chô­mage. Lorsque l’on com­pare la situa­tion de la France à celle d’autre pays, on constate que la France cumule un taux de chô­mage éle­vé et un nombre d’heures de tra­vail annuel faible. Plus pré­ci­sé­ment, le nombre total d’heures tra­vaillées annuel­le­ment (rame­né à la popu­la­tion en âge de tra­vailler) est en France infé­rieur de 13 % à celui de la Suède, de 33 % à celui de l’Aus­tra­lie, de plus de 40 % à ceux du Japon et des États-Unis, des pays repré­sen­tant dif­fé­rents modèles sociaux et dans les­quels le chô­mage est infé­rieur à 8 %.

Ce que per­sonne n’ose dire c’est que la réduc­tion serait par­ti­cu­liè­re­ment défa­vo­rable pour les per­sonnes les plus fra­giles, les plus tou­chées par le chô­mage, à savoir les peu qua­li­fiés et les peu diplô­més. En effet, quel que soit le dis­po­si­tif rete­nu, il serait hors de ques­tion de dimi­nuer les salaires nets des moins qua­li­fiés qui sont au demeu­rant dans la norme inter­na­tio­nale. En consé­quence, le coût horaire du tra­vail peu qua­li­fié, c’est-à-dire la somme de ces salaires nets et des charges, aug­men­te­rait méca­ni­que­ment et les plus faibles, non capables de jus­ti­fier un tel coût du tra­vail seraient exclus.

Il n’en reste pas moins que, dans une entre­prise don­née, la direc­tion peut envi­sa­ger, avec l’ac­cord des sala­riés, une réduc­tion de la durée effec­tive de tra­vail afin d’embaucher, de réor­ga­ni­ser et de rendre plus effi­cace l’en­tre­prise. De telles ini­tia­tives dépen­dant pro­fon­dé­ment de la situa­tion des entre­prises font quelles ne sont pas géné­ra­li­sables à l’en­semble de la France. Des dis­po­si­tifs peuvent être utiles ponc­tuel­le­ment, comme ceux pré­vus par la loi Robien. Lors­qu’ils sont appli­qués à des sec­teurs entiers, ils deviennent inopérants.

Le cas néer­lan­dais est aus­si sou­vent évo­qué pour jus­ti­fier les mesures de baisse de durée légale du tra­vail. Une ana­lyse rigou­reuse de ce qui s’est pas­sé montre au contraire que c’est un ensemble de mesures qui a per­mis à ce pays de reve­nir au plein emploi. Aux Pays-Bas, en 1982, à la suite du marasme des années 1970, une concer­ta­tion entre gou­ver­ne­ment, patro­nat et syn­di­cats a été enga­gée. Patro­nat et syn­di­cats se sont concer­tés, sans la pré­sence de l’É­tat, et ont signé un accord dans lequel les syn­di­cats accep­taient un gel des salaires pour dix ans, tan­dis que le patro­nat s’en­ga­geait à déve­lop­per l’emploi, sans aide de l’État.

Les négo­cia­tions ont été décen­tra­li­sées dans les entre­prises. En même temps, le gou­ver­ne­ment a maî­tri­sé les dépenses publiques, notam­ment en taillant dans les bud­gets sociaux, ce qui lui a per­mis de bais­ser les pré­lè­ve­ments. Il a adop­té une poli­tique de déré­gle­men­ta­tion, a sup­pri­mé les horaires de fer­me­ture obli­ga­toire pour les maga­sins et a bais­sé le salaire mini­mum pour les jeunes. La réduc­tion du temps de tra­vail de deux heures n’est qu’un des aspects de la réus­site néer­lan­daise. D’ailleurs, au début de la décen­nie, le mou­ve­ment de réduc­tion col­lec­tive du temps de tra­vail s’est essouf­flé. Les sala­riés doré­na­vant pré­fèrent les hausses de salaires à la baisse du temps de travail.

La réduc­tion de la durée légale du temps du tra­vail s’a­vère une fausse solu­tion à un vrai pro­blème. Elle aggra­ve­rait même la situa­tion des per­sonnes les plus tou­chées par le chô­mage. Elle pro­cède de concep­tions erro­nées et d’une géné­ra­li­sa­tion abu­sive tirée de cas par­ti­cu­liers. Au niveau de l’en­tre­prise, il est pos­sible d’en­tre­prendre une réduc­tion de la durée du tra­vail lors­qu’elle est asso­ciée à une moder­ni­sa­tion de l’or­ga­ni­sa­tion du tra­vail. Un pro­ces­sus de négo­cia­tion décen­tra­li­sée peut être inté­res­sant. Mais, il serait néfaste que, pour lut­ter contre le chô­mage, l’on fixe comme taquet les 35 heures à une date donnée.

Les modèles qui décrivent pré­ci­sé­ment le mar­ché du tra­vail abou­tissent à des conclu­sions défa­vo­rables quant à la réduc­tion de la durée légale du temps de travail.

Une simple « règle de trois » montre, qu’à volume don­né d’heures de tra­vail dans l’en­semble de l’é­co­no­mie, une réduc­tion du temps de tra­vail induit un accrois­se­ment de l’emploi. Dans cette pers­pec­tive, réduire le temps de tra­vail est un moyen de par­ta­ger le tra­vail. Mal­heu­reu­se­ment, la « règle de trois » est un ins­tru­ment ana­ly­tique beau­coup trop fruste pour éva­luer l’im­pact de la réduc­tion du temps de tra­vail. Il y a de bonnes rai­sons de pen­ser que le volume d’heures de tra­vail dési­ré par les entre­prises n’est pas indé­pen­dant de la durée du tra­vail qui au contraire entraîne des réac­tions des agents impli­qués dans le pro­ces­sus de pro­duc­tion. Les consé­quences d’une réduc­tion du temps de tra­vail sur l’emploi dépendent fon­da­men­ta­le­ment, in fine, de la manière dont les entre­prises et les tra­vailleurs réagissent aux mesures qui per­mettent de la mettre en œuvre.

Si l’on veut exa­mi­ner l’ef­fet d’une réduc­tion du temps de tra­vail sur le taux de chô­mage cette mesure doit être ana­ly­sée dans un sché­ma où le chô­mage est modé­li­sé et appa­raît même en régime per­ma­nent. De tels modèles sont récents, la richesse qu’ils apportent à la science éco­no­mique n’a pas encore été inté­grée à la macro-éco­no­mé­trie qui consi­dère le chô­mage encore comme un solde per­met­tant d’é­ga­li­ser les emplois et les ressources.

Dans la réa­li­té, le coût du tra­vail d’é­qui­libre et sa com­po­sante le salaire résultent d’un pro­ces­sus de for­ma­tion des salaires rela­ti­ve­ment com­plexe qui com­prend en par­ti­cu­lier des négo­cia­tions sala­riales. Les variables clefs, qui condi­tionnent l’ef­fi­ca­ci­té d’une réduc­tion du temps de tra­vail, sont alors la durée d’u­ti­li­sa­tion des équi­pe­ments, la pro­duc­ti­vi­té du tra­vail, le coût du tra­vail et la réponse des salaires. Ce sont évi­dem­ment les par­te­naires sociaux qui contrôlent ces variables. La régle­men­ta­tion des horaires n’a donc pas d’ef­fets pure­ment méca­niques, qui peuvent s’ap­pré­hen­der en fai­sant abs­trac­tion des comportements.

Ain­si, c’est de ces com­por­te­ments qu’il faut rendre compte pour éva­luer l’im­pact d’une modi­fi­ca­tion de la régle­men­ta­tion de la durée du tra­vail. Il existe plu­sieurs méca­nismes à tra­vers les­quels la sta­bi­li­té des salaires tend à ne pas être pérenne et à tra­vers les­quels une réduc­tion du temps de tra­vail tend en fait à ne pas réa­li­ser l’ef­fet pré­vu par la « règle de trois » :

  • par l’aug­men­ta­tion du salaire horaire deman­dé par les syn­di­cats, afin de pro­té­ger le niveau de consom­ma­tion de leurs membres sala­riés qui dépend du salaire mensuel ;
  • par l’aug­men­ta­tion du salaire horaire offert par les entre­prises, afin de main­te­nir constant le niveau d’in­ci­ta­tion vis-à-vis des sala­riés, ce qui per­met de gar­der le niveau de qua­li­té du tra­vail, la loyau­té et la motivation ;
  • par une éven­tuelle dimi­nu­tion du nombre de deman­deurs d’emploi dans des caté­go­ries moins tou­chées par le chô­mage ce qui ren­for­ce­rait le pou­voir des sala­riés en place. Les entre­prises ren­con­tre­ront donc plus de dif­fi­cul­té pour trou­ver des can­di­dats. Il y aura alors une pous­sée à la hausse des salaires. En outre, l’ap­pa­rie­ment entre offre et demande d’emploi sur le mar­ché du tra­vail dimi­nue­ra, tra­dui­sant des ten­sions sur le mar­ché du tra­vail accrues. Le coût de recherche d’un actif s’ac­croî­tra, ce qui implique en plus de la hausse des salaires une aug­men­ta­tion des coûts non sala­riaux du travail ;
  • par l’aug­men­ta­tion des coûts uni­taires de pro­duc­tion, qui est due à l’exis­tence de coûts fixes. Ces coûts fixes cor­res­pondent à une sur­face de bureau, par­ti­cu­liè­re­ment oné­reuse dans les grandes villes ou au temps néces­saire à la for­ma­tion des nou­veaux sala­riés, à des coûts admi­nis­tra­tifs, des coûts de sélec­tion du per­son­nel ou des coûts d’ac­cès à une cantine ;
  • par la baisse de la pro­duc­ti­vi­té horaire du tra­vail, car la pro­por­tion de temps de tra­vail impro­duc­tif (temps de mise en route, pauses…) aug­mente lorsque le temps de tra­vail diminue ;
  • par la baisse de la pro­duc­ti­vi­té du capi­tal, car la durée d’u­ti­li­sa­tion des équi­pe­ments, en l’ab­sence de réor­ga­ni­sa­tions mas­sives, est une fonc­tion crois­sante de la durée du travail ;
  • par l’in­ci­ta­tion à sub­sti­tuer à l’emploi des heures sup­plé­men­taires, compte tenu du chan­ge­ment de leur coût relatif ;
  • par l’in­ci­ta­tion à sub­sti­tuer à l’emploi du temps sup­plé­men­taire d’u­ti­li­sa­tion des équipements.

Ces effets contre­carrent l’ef­fet arith­mé­tique qui résulte du par­tage d’un volume d’heures de tra­vail don­né. Plus pré­ci­sé­ment, la réduc­tion du temps de tra­vail, en modi­fiant les salaires horaires, les coûts des fac­teurs de la pro­duc­tion agit aus­si sur le niveau de pro­duc­tion choi­si par les entre­prises ; par consé­quent, le volume d’heures de tra­vail deman­dé dans l’en­semble de l’é­co­no­mie ne demeure pas constant.

Quelques ordres de gran­deurs per­mettent de juger de l’im­por­tance de ces consi­dé­ra­tions et expliquent la dif­fi­cul­té de mise en place d’une réduc­tion auto­ri­taire de la durée du tra­vail. Un son­dage récent de la CEGOS éva­lue à 10 000 F par an la dépense par employé de la fonc­tion des res­sources humaines (recru­te­ment, for­ma­tion, méde­cine du tra­vail, paie). Si on ajoute un loyer de 1 200 F par mois pour le bureau et 10 000 F par an pour les autres coûts fixes (enca­dre­ment, CE…), le coût fixe atteint 35 000 F l’an, ce qui repré­sente 30 % du coût sala­rial d’un Smi­card (105 000 F l’an).

Deux Smi­cards à mi-temps, qui ne par­tagent pas le même bureau, coûtent 175 000 F, tan­dis qu’un Smi­card à plein temps coûte 140 000 F. À volume de tra­vail iden­tique et à salaire horaire constant, le coût est aug­men­té de 35 000 F soit de 25 %. Même pour des qua­li­fi­ca­tions modestes les coûts fixes sont impor­tants. La plu­part des bou­tiques pro­curent des tickets res­tau­rants à leurs ven­deurs et contri­buent en par­tie à leurs frais de trans­port, ce qui revient à près de 8 000 F par an. Une secré­taire induit des frais de l’ordre de 12 000 F par an et un ouvrier de l’in­dus­trie auto­mo­bile de l’ordre de 30 000 à 40 000 F par an. On com­prend alors que pour une entre­prise, il soit plus effi­cace de redis­tri­buer les reve­nus que de redis­tri­buer le tra­vail par une réduc­tion de la durée du travail.

Une réduc­tion de la durée légale, ou maxi­male, du tra­vail accroît donc géné­ra­le­ment le coût de pro­duc­tion d’un bien et par­fois le coût horaire du tra­vail. L’ef­fet de la réduc­tion de la durée du tra­vail en termes d’emplois est faible, légè­re­ment posi­tif ou néga­tif sui­vant les modèles. En revanche, dans tous les cas l’ef­fet sur la pro­duc­tion est néga­tif. La crois­sance est net­te­ment ralen­tie entraî­nant une aggra­va­tion de la situa­tion des finances publiques.

Ces modèles montrent que deux autres idées sur la réduc­tion du temps de tra­vail pro­cèdent d’un rai­son­ne­ment erro­né : le par­tage des gains de pro­duc­ti­vi­té et le finan­ce­ment par l’É­tat. Si une par­tie du coût lié à la réduc­tion auto­ri­taire d’ho­raires peut être com­pen­sée par les gains de pro­duc­ti­vi­té, le fait même d’at­tri­buer la tota­li­té de ces gains aux sala­riés affai­blit l’en­tre­prise, enga­gée dans une guerre des prix qui l’o­blige à réser­ver une grande par­tie des gains de pro­duc­ti­vi­té aux clients pour res­ter dans le mar­ché. De même, croire que la dimi­nu­tion consta­tée de la part des salaires dans la valeur ajou­tée des entre­prises est de nature à leur per­mettre de sup­por­ter des hausses de coûts sala­riaux est une erreur, aus­si long­temps que les entre­prises fran­çaises n’au­ront pas réta­bli une ren­ta­bi­li­té égale à celle de leurs par­te­naires étran­gers (ce qui est loin d’être le cas comme le montre le rap­port réa­li­sé pour le minis­tère de l’In­dus­trie France Indus­trie 2000).

L’exa­men de la rela­tion entre durée du tra­vail et emploi dans dif­fé­rents cadres sug­gère donc qu’au­cun argu­ment théo­rique robuste ne jus­ti­fie l’ef­fi­ca­ci­té de la réduc­tion du temps de tra­vail pour accroître l’emploi.

Lors d’un pas­sage effec­tif de la semaine à 35 heures, si la com­pen­sa­tion sala­riale est totale, pour com­pen­ser l’ac­crois­se­ment de charges et lais­ser inchan­gé le coût du tra­vail glo­bal, l’aide de l’É­tat devrait repré­sen­ter plu­sieurs cen­taines de mil­liards de francs par an. Si la com­pen­sa­tion n’est que par­tielle, l’aide cor­res­pon­drait à une frac­tion de ce mon­tant qui pour­rait cepen­dant dépas­ser le point de PIB. Le sub­ven­tion­ne­ment de la réduc­tion obli­ga­toire du temps de tra­vail abou­ti­rait à finan­cer une par­tie de la masse sala­riale du sec­teur pri­vé sans qu’il y ait eu dans l’é­co­no­mie de réor­ga­ni­sa­tion. Afin de ne pas accroître les défi­cits, il fau­drait aug­men­ter les pré­lè­ve­ments obli­ga­toires. L’ef­fet néga­tif sur l’emploi, qui est rare­ment pris en compte, serait du même ordre que les éven­tuels effets béné­fiques de la mesure. Pour un tel finan­ce­ment on peut mettre en place des mesures plus effi­caces comme une baisse des charges très ciblée sur les peu qualifiés.

Les mesures autoritaires sont particulièrement défavorables aux peu qualifiés

La force de tra­vail est répar­tie en une mul­ti­pli­ci­té de qua­li­fi­ca­tions. Elles ne font pas face à un risque iden­tique de chô­mage. L’a­na­lyse de la struc­ture du chô­mage par qua­li­fi­ca­tion le confirme : en France, depuis 1968, alors que le taux de chô­mage des très qua­li­fiés s’est main­te­nu en des­sous de 7 %, le taux de chô­mage des non- qua­li­fiés a aug­men­té conti­nû­ment jus­qu’en 1984 et se main­tient depuis à un niveau voi­sin de 18 %.

Le coût rela­tif pour l’employeur de chaque qua­li­fi­ca­tion déter­mine le volume de tra­vail offert par qua­li­fi­ca­tion pour un cer­tain niveau d’ac­ti­vi­té éco­no­mique. En cas de réduc­tion auto­ri­taire et géné­rale de la durée du tra­vail, si la rému­né­ra­tion des tra­vailleurs est main­te­nue, le coût uni­taire du tra­vail va aug­men­ter pour les employeurs. Comme il y a des coûts fixes, le coût rela­tif des emplois les moins qua­li­fiés va aug­men­ter. Les employeurs vont donc sub­sti­tuer alors d’autres fac­teurs de pro­duc­tion au tra­vail de com­pé­tence faible.

Si la réduc­tion du temps de tra­vail s’ac­com­pagne d’une baisse pro­por­tion­nelle de la rému­né­ra­tion des tra­vailleurs, on peut pen­ser que la durée réel­le­ment effec­tuée va aus­si bais­ser. On peut, en par­ti­cu­lier, pen­ser que les cadres qui ver­raient leurs salaires bais­ser exi­ge­raient des com­pen­sa­tions en termes de baisse effec­tive de la durée du tra­vail, même si pour eux cette durée n’est pas contractuelle.

Ces ensei­gne­ments doivent inci­ter à la pru­dence. Le chô­mage concerne en prio­ri­té les tra­vailleurs les moins qua­li­fiés, pour les­quels les pro­blèmes de coûts du tra­vail sont les plus saillants. La dimi­nu­tion du temps de tra­vail, risque, au lieu de favo­ri­ser un par­tage du tra­vail plus équi­table, d’ac­croître les inéga­li­tés en dépla­çant la demande de tra­vail vers des emplois plus qualifiés.

Si le chiffre d’af­faires d’une entre­prise dépend du tra­vail de com­mer­çants expé­ri­men­tés et longs à for­mer ou de l’exis­tence de tech­ni­ciens confir­més assu­rant le ser­vice après-vente, la baisse du temps de tra­vail de ces caté­go­ries va réduire l’ac­ti­vi­té de l’en­tre­prise et la contrain­dra à dimi­nuer ses effec­tifs peu qua­li­fiés. La baisse de la durée du tra­vail, qui réduit la durée du temps de tra­vail des per­sonnes por­teuses de com­pé­tences rares, a une influence néga­tive sur le volume de la pro­duc­tion. Le volume total des emplois pro­po­sés aux tra­vailleurs peu qua­li­fiés va dimi­nuer et leur niveau de chô­mage va s’accroître.

Ain­si, la réduc­tion auto­ri­taire de la durée de tra­vail n’au­rait d’ef­fet béné­fique sur les peu qua­li­fiés que si elle se limi­tait à eux avec une baisse des rému­né­ra­tions des tra­vailleurs légè­re­ment plus grande que celle de leur durée de tra­vail du fait de l’exis­tence des coûts fixes. Ces condi­tions sont socia­le­ment inac­cep­tables et elles sont bien sûr à reje­ter. Par ailleurs, dans le pas­sé, la réduc­tion s’est tou­jours faite à salaire glo­bal égal.

Les dif­fé­rents élé­ments empi­riques dont on dis­pose sont défa­vo­rables aux mesures de réduc­tion auto­ri­taire du temps de travail

Les ensei­gne­ments que les études empi­riques apportent sur les expé­riences récentes peuvent éclai­rer le débat. L’or­don­nance du 16 jan­vier 1982 a rame­né de 40 à 39 heures la durée heb­do­ma­daire du temps de tra­vail. Puis, a été accor­dée la cin­quième semaine de congés payés. Les éva­lua­tions, qui ont pu être faites, de l’im­pact de cette mesure sont mul­tiples. Elles per­mettent de mesu­rer l’am­pleur des emplois créés ou pré­ser­vés du fait de cette mesure. Une enquête de l’IN­SEE conclut que le nombre d’embauches induites se situe entre 14 000 et 38 000.

Par com­bi­nai­son de dif­fé­rentes sources, le minis­tère du Tra­vail a conclu en 1984 que l’emploi créé était de l’ordre de 35 000, un chiffre voi­sin donc. Gil­bert Cette a pro­duit une étude rétros­pec­tive à par­tir d’un modèle macroé­co­no­mé­trique. L’i­dée était de retrou­ver le nombre d’emplois créés don­né par les études, en uti­li­sant un modèle avec le plus de don­nées pos­sibles. L’ef­fet emploi est éva­lué à envi­ron 145 000, un chiffre lar­ge­ment supé­rieur à la réa­li­té constatée.

Si l’on reprend pour­tant cette éva­lua­tion très favo­rable, un peu moins de 150 000 emplois auraient été créés, ce qui cor­res­pond à une hausse de l’emploi de 0,7 %, alors que la baisse effec­tive du temps de tra­vail a été de 5 % si l’on se réfère à une base annuelle (pas­sage pour les sala­riés, en 1981, de 1 641 heures , à 1 559 heures, en 1983). Une étude de l” U.I.M.M. trouve une telle rela­tion entre les deux chiffres. Selon cette étude, basée sur des simu­la­tions de mise en place de la semaine de 32 heures, on obser­ve­rait un accrois­se­ment de l’emploi de l’ordre de 2 %, lors du pas­sage à la semaine de 32 heures (soit une baisse du temps de tra­vail de l’ordre de 15 %).

Les entre­prises concer­nées seraient en outre mises en dif­fi­cul­té, notam­ment à cause de l’aug­men­ta­tion des coûts. Lors­qu’on uti­lise cette rela­tion dou­ble­ment vali­dée, on est alors très loin des pré­vi­sions don­nées par les pro­mo­teurs de la réduc­tion du temps de tra­vail. Cer­tains par­ti­sans des 32 heures sug­gèrent une hausse de 10 % (et non 2 %) lors du pas­sage à la semaine de quatre jours. L’OFCE sug­gère une hausse de l’emploi de l’ordre de 5 à 7 % (et non 1,5 %) lors du pas­sage à la semaine de 35 heures.

Les pré­vi­sions les plus opti­mistes de créa­tion d’emplois sont donc non seule­ment en contra­dic­tion abso­lue avec les résul­tats issus de modèles décri­vant fine­ment le mar­ché du tra­vail mais aus­si avec les élé­ments que l’on peut observer.

Fina­le­ment, les don­nées empi­riques semblent mon­trer qu’ac­tuel­le­ment les sala­riés pri­vi­lé­gient la crois­sance du reve­nu men­suel à la baisse effec­tive de la durée du tra­vail. C’est ce que montre l’é­vo­lu­tion du par­tage des gains de pro­duc­ti­vi­té. Ceux-ci sont pas­sés de 4 % en 1970 à 2 % en 1995. En début de période il était donc pos­sible de réduire de 2% le temps de tra­vail par an et d’aug­men­ter le pou­voir d’a­chat par tête de 2 %.

Actuel­le­ment, on observe une stag­na­tion de la durée de tra­vail annuelle effec­tive et donc un gain par tête de 2 % l’an, tra­dui­sant le fait que dans une période où la pro­duc­ti­vi­té horaire donc les gains de rému­né­ra­tion du tra­vail baissent, le pou­voir d’a­chat est pré­fé­ré aux loi­sirs. Les deux tiers des sala­riés pri­vi­lé­gient encore le pou­voir d’a­chat au temps libre, comme le montre une étude du CREDOC. Et ils boy­cottent les accords qui amputent signi­fi­ca­ti­ve­ment leurs reve­nus. Certes, lorsque la sur­vie de l’en­tre­prise est en jeu, ils peuvent accep­ter de bais­ser leur trai­te­ment en même temps que le temps de tra­vail. Mais il s’a­git alors de chô­mage par­tiel dégui­sé. De même, les heures sup­plé­men­taires sont plé­bis­ci­tées. En 1994, elles ont repré­sen­té entre 90 000 et 270 000 emplois sup­plé­men­taires. D’ailleurs aux États-Unis, où les gains sala­riaux stag­nent, la durée du tra­vail augmente.

Les modèles macro-éco­no­miques de court terme sont rela­ti­ve­ment favo­rables aux mesures de réduc­tion auto­ri­taire du temps de tra­vail. Cepen­dant, intrin­sè­que­ment ils ne peuvent pas être uti­li­sés pour éva­luer l’im­pact d’une mesure de réduc­tion du temps de travail.

À défaut de pou­voir les expé­ri­men­ter, les par­ti­sans du par­tage du temps de tra­vail ont cher­ché une vali­da­tion éco­no­mé­trique de leurs pro­po­si­tions. Les simu­la­tions effec­tuées par l’OFCE à par­tir du modèle Mosaïque font état d’une dimi­nu­tion du chiffre du chô­mage de 1 mil­lion, sur trois années, en cas de pas­sage pro­gres­sif aux 35 heures. Cer­tains ont vou­lu voir dans ces exer­cices éco­no­mé­triques la confir­ma­tion de l’ef­fi­ca­ci­té d’une réduc­tion de la durée du tra­vail comme moyen de lutte contre le chô­mage. À s’en tenir pré­ci­sé­ment aux chiffres avan­cés par l’OFCE, on pour­rait pen­ser qu’ils ont rai­son. Ce serait oublier les com­men­taires qui accom­pagnent la pré­sen­ta­tion des dif­fé­rentes simu­la­tions. Selon l’OFCE, pour que le pas­sage à 35 heures de la durée heb­do­ma­daire du tra­vail se tra­duise par une créa­tion mas­sive d’emplois, plu­sieurs condi­tions doivent être réunies : baisse pro­por­tion­nelle des salaires supé­rieurs à 1,5 fois le SMIC, aug­men­ta­tion de 10 % de la durée d’u­ti­li­sa­tion des équi­pe­ments par le déve­lop­pe­ment du tra­vail en conti­nu, baisse de 4 points du taux de coti­sa­tions sociales des employeurs.

Ces condi­tions sup­posent aus­si l’ac­cord des sala­riés pour une baisse de leurs reve­nus, y com­pris ceux qui, comme les cadres, ne béné­fi­cie­ront pas d’une réduc­tion effec­tive de leur durée du tra­vail. Il faut en outre tabler sur une aug­men­ta­tion de la pro­duc­ti­vi­té du tra­vail et sur une aug­men­ta­tion de la pro­duc­ti­vi­té du capi­tal. Dans le pre­mier cas, cela implique une dimi­nu­tion de cer­tains temps de pause, de repas ou de pas­sa­tion de consignes. Le tra­vail sera plus pénible pour le sala­rié. Dans le second cas, on observe une réor­ga­ni­sa­tion qui per­met l’al­lon­ge­ment de la durée d’u­ti­li­sa­tion des équi­pe­ments. Le sala­rié tra­vaille­ra de façon plus fré­quente la nuit ou le week-end ou avec des horaires déca­lés dont on connaît les effets sur la san­té et la qua­li­té de la vie. Jean-Paul Fitous­si, pré­sident de l’OFCE, en conclut logi­que­ment que ces condi­tions sont « si nom­breuses, et cer­taines si peu pro­bables, qu’on doute qu’elles puissent être effec­ti­ve­ment réunies ».

Les modèles éco­no­mé­triques sup­posent que les entre­prises embauchent auto­ma­ti­que­ment si la durée du tra­vail est réduite. Ils éva­luent non pas la pos­si­bi­li­té a prio­ri de ces embauches mais les condi­tions néces­saires à leur réa­li­sa­tion et leurs consé­quences : ten­sions infla­tion­nistes, coûts de pro­duc­tion, compétitivité.

Cer­taines ques­tions ne sont pas trai­tées, en par­ti­cu­lier celle, déci­sive, de l’hé­té­ro­gé­néi­té de la force de tra­vail qui risque de se tra­duire par une ten­sion pour cer­tains emplois et la per­sis­tance du chô­mage pour cer­tains autres. Par construc­tion, ce type de modèle rai­sonne comme s’il y avait une masse de tra­vail dont la répar­ti­tion entre un plus grand nombre ne posait aucune dif­fi­cul­té a prio­ri.

L’i­dée d’une quan­ti­té de tra­vail pré­exis­tant à sa répar­ti­tion est une pure abs­trac­tion, com­mode pour les cal­culs éco­no­miques mais trom­peuse puis­qu’il n’y a pas une masse de tra­vail homo­gène, mais une somme d’emplois hété­ro­gènes qui s’a­grègent loca­le­ment dans des éta­blis­se­ments selon des com­bi­nai­sons spé­ci­fiques. Les modèles macroé­co­no­mé­triques ignorent aus­si l’im­pact sur l’emploi d’une baisse de ren­ta­bi­li­té que connaî­traient les entre­prises sou­mises à cette poli­tique. Ils font l’im­passe sur le com­por­te­ment des acteurs sociaux.

Ils ne peuvent évi­dem­ment savoir com­ment les entre­prises réagi­raient en cas de réduc­tion de la durée du tra­vail : sur­mon­te­raient-elles leur aver­sion actuelle pour l’embauche et trou­ve­raient-elles sur le mar­ché du tra­vail les qua­li­fi­ca­tions qu’elles recherchent. Ils ne peuvent pas plus s’a­van­cer sur l’at­ti­tude des sala­riés face à une baisse ou un ralen­tis­se­ment de la crois­sance de leurs reve­nus. Les entre­prises pensent emplois et charges affé­rentes avant de pen­ser quan­ti­tés de tra­vail, pré­fé­rant par­fois limi­ter leur pro­duc­tion pour ne pas avoir à aug­men­ter leurs effec­tifs. L’ac­crois­se­ment des effec­tifs dans une entre­prise pose un grand nombre de pro­blèmes que ces modèles ne peuvent prendre en compte.

Cette cri­tique ne s’a­dresse pas aux modé­li­sa­teurs mais à une cer­taine lec­ture des simu­la­tions éco­no­mé­triques ten­dant à voir dans ces exer­cices la preuve défi­ni­tive de l’ef­fi­ca­ci­té d’une poli­tique de réduc­tion de la durée du tra­vail. On sait, grâce aux modèles éco­no­mé­triques, que la réduc­tion de la durée du tra­vail pour être créa­trice d’emplois doit impé­ra­ti­ve­ment s’ac­com­pa­gner d’une exten­sion de la durée d’u­ti­li­sa­tion des équi­pe­ments et être sans effet sur le salaire horaire. Mais ces condi­tions indis­pen­sables, déjà dif­fi­ciles à réa­li­ser, ne sont pas suf­fi­santes et ne garan­tissent pas la décrue du chômage.

Les Français travaillent déjà relativement peu et de plus en plus différemment

Les par­ti­sans du par­tage du tra­vail déve­loppent un autre argu­ment fort en faveur de leur thèse : l’ob­ser­va­tion de la ten­dance sécu­laire à la baisse du temps de tra­vail. Mais rien ne garan­tit que cette ten­dance se pour­sui­vra indé­fi­ni­ment. Il n’y a plus aujourd’­hui, sauf pour cer­taines caté­go­ries, de néces­si­té vitale à une réduc­tion du temps de tra­vail. La baisse s’est d’ailleurs enrayée dans la plu­part des pays occi­den­taux, notam­ment aux États-Unis où la durée heb­do­ma­daire moyenne demeure sen­si­ble­ment plus éle­vée qu’en Europe.

Le cas néerlandais
Avant de connaître leur réus­site actuelle, les Pays-Bas ont frô­lé la qua­si-faillite à la fin des années 70. Alors que les finances publiques n’é­taient plus sous contrôle, que la ren­ta­bi­li­té des entre­prises s’é­ro­dait au point de voir dis­pa­raître l’in­ves­tis­se­ment et que le chô­mage frô­lait la barre des 12 % de la popu­la­tion active, une concer­ta­tion entre gou­ver­ne­ment, patro­nat et syn­di­cats a per­mis de mettre sur pied un trai­te­ment de fond. En 1982, patro­nat et syn­di­cats se concertent, sans la pré­sence de l’É­tat, et signent l’ac­cord de Was­se­naar. Les syn­di­cats acceptent un gel des salaires pour dix ans, tan­dis que le patro­nat s’en­gage à déve­lop­per l’emploi, sans aide de l’É­tat. Les négo­cia­tions, dans les années sui­vantes, ont été décen­tra­li­sées tou­jours plus, dans les branches pro­fes­sion­nelles, puis dans les entre­prises. En même temps, le gou­ver­ne­ment s’est enga­gé à maî­tri­ser les dépenses publiques, notam­ment en taillant dans les bud­gets sociaux, ce qui per­met­tra de bais­ser les pré­lè­ve­ments par la suite. Il déré­gle­mente, sup­prime les horaires de fer­me­ture obli­ga­toire pour les maga­sins et abaisse le salaire mini­mum pour les jeunes.
Une telle atti­tude s’ex­plique par un consen­sus social et poli­tique qui voit patro­nat et syn­di­cats dis­cu­ter de tout en per­ma­nence. Cette atti­tude coopé­ra­tive a per­mis de faire accep­ter le sacri­fice d’in­té­rêts finan­ciers immé­diats au pro­fit de ceux des chô­meurs et des sala­riés futurs. Les effec­tifs des syn­di­cats n’ont en rien dimi­nué. Au contraire, ils ont même aug­men­té de 25 % au cours des huit ou neuf der­nières années. Dans toute cette évo­lu­tion, l’É­tat n’a joué aucun rôle moteur, se conten­tant d’ac­com­pa­gner les par­te­naires sociaux sans sub­ven­tion­ner les accords conclus.
Le mou­ve­ment amor­cé à Was­se­naar s’est donc tra­duit par une baisse du temps de tra­vail, de 40 heures en 1982 à 38 heures envi­ron au début des années 90. Simul­ta­né­ment, les entre­prises ont gagné en flexi­bi­li­té de l’or­ga­ni­sa­tion du tra­vail, et donc en com­pé­ti­ti­vi­té, et le tra­vail à temps par­tiel a connu un déve­lop­pe­ment impres­sion­nant : il concerne aujourd’­hui 36 % des sala­riés dont 15 % des hommes et 66 % des femmes. Au début de la décen­nie, le mou­ve­ment de réduc­tion col­lec­tive du temps de tra­vail s’est essouf­flé. Les sala­riés doré­na­vant pré­fèrent les hausses de salaires à la baisse du temps de travail.
Les entre­prises, n’ayant pas sacri­fié leur ren­ta­bi­li­té à la réduc­tion du temps de tra­vail, ont pu créer de l’emploi. Les salaires ont pro­gres­sé d’un demi-point par an au lieu de 3 ou 4 % s’il n’y avait pas eu cet accord. Les Pays-Bas ont fait mieux que com­bler l’é­cart de com­pé­ti­ti­vi­té avec les pays voi­sins (aujourd’­hui, les salaires alle­mands sont 20 % plus éle­vés). L’emploi a pu dès lors aug­men­ter de 22 % (depuis 1982).
La réduc­tion du temps de tra­vail et le déve­lop­pe­ment des temps par­tiels ont accé­lé­ré l’en­trée des femmes dans la vie active. Si bien que la qua­si-stag­na­tion des reve­nus indi­vi­duels a été sou­vent com­pen­sée, pour les familles, par l’a­jout du salaire de la conjointe. La poli­tique de réduc­tion des dépenses publiques menée depuis quinze ans a per­mis à l’É­tat de dimi­nuer ses pré­lè­ve­ments, si bien que le pou­voir d’a­chat dis­po­nible a conti­nué à aug­men­ter par ce biais.

Il est vrai que la baisse du temps de tra­vail est une ten­dance longue et conti­nue depuis 1841, année de la loi sur la réduc­tion du temps de tra­vail pour les enfants. Encore de nos jours, le temps de tra­vail n’a ces­sé de dimi­nuer en France. Entre 1975 et 1995, la durée annuelle moyenne est pas­sée de 1 865 à 1 631 heures, soit une baisse de 12,5 %. Le chiffre tombe à 1 520 heures pour la seule caté­go­rie des sala­riés, du fait de l’al­lon­ge­ment des congés payés et du déve­lop­pe­ment du temps par­tiel. Les com­pa­rai­sons inter­na­tio­nales montrent éga­le­ment que notre temps de tra­vail est l’un des plus faibles après l’Al­le­magne (1 559 heures). À l’op­po­sé, le nombre d’heures est de 1 735 au Royaume-Uni, 1 898 au Japon et 1 952 aux États-Unis.

En la matière, il n’y a donc pas un « retard » natio­nal à rat­tra­per, au contraire. D’ailleurs, la baisse du temps de tra­vail n’est pas iné­luc­table. En France, il y a eu éga­le­ment des contre-ten­dances, avec aug­men­ta­tion du temps de tra­vail, de 1938 jus­qu’à la fin des années 50, à cause du réar­me­ment, de la recons­truc­tion et de la croissance.

Pour d’autres rai­sons, le phé­no­mène est aujourd’­hui iden­tique aux États-Unis, où le temps de tra­vail dans l’in­dus­trie remonte depuis 1980. Il faut rap­pe­ler l’ab­sence qua­si totale dans ce pays de légis­la­tion sur les heures sup­plé­men­taires. En consé­quence, les États-Unis consti­tuent un labo­ra­toire gran­deur nature dans lequel les employeurs et les sala­riés déter­minent la durée de tra­vail heb­do­ma­daire qu’ils jugent pré­fé­rable. Et cette durée sou­hai­tée est supé­rieure à la durée fran­çaise, tend à aug­men­ter et est com­pa­tible avec un taux de chô­mage actuel­le­ment de moins de 5 %. Inver­se­ment en Europe la baisse de la durée heb­do­ma­daire s’est faite sous la pres­sion des pou­voirs publics.

Le nombre glo­bal d’heures tra­vaillées en France a aus­si beau­coup bais­sé. Ce nombre a chu­té de 8 % en France, contre 5,5 % au Royaume-Uni. En revanche, il s’est accru de 11 % au Japon, de 16 % en Alle­magne et de 50 % aux États-Unis. Enfin, le nombre moyen d’heures tra­vaillées par per­sonne en âge de tra­vailler était en France en 1996 de 967 heures soit une baisse de 20,3 % depuis 1975. Ce nombre est de 969 en Alle­magne, 1 179 au Royaume-Uni, 1 468 au Japon et 1 420 aux États-Unis. Pour ce der­nier pays, cela cor­res­pond à une hausse de 28 % depuis 1975.

Cette très faible quan­ti­té d’heures tra­vaillées par per­sonne en âge de tra­vailler pro­vient de la pré­fé­rence fran­çaise pour la divi­sion du tra­vail par géné­ra­tion. Les jeunes pro­longent leurs études, les quin­qua­gé­naires partent en pré­re­traite, ce qui écarte au total 40 % des per­sonnes en âge de tra­vailler. Le modèle fran­çais se carac­té­rise donc par une réduc­tion de la car­rière. Une dimi­nu­tion auto­ri­taire du temps de tra­vail, parce qu’elle occulte le pro­blème des coûts et celui de l’hé­té­ro­gé­néi­té de l’offre de tra­vail est une fausse solu­tion dans la lutte contre le chô­mage. Elle ne chan­ge­ra pas le sort des jeunes jugés inem­ployables par manque d’ex­pé­rience ou des sala­riés vieillis­sants reje­tés du mar­ché à cause de leur coût consi­dé­ré comme trop éle­vé par rap­port à leur productivité.

Les expé­riences de réduc­tion du temps de tra­vail en Alle­magne sont rela­ti­ve­ment décevantes
L’Al­le­magne fait office de pion­nier en la matière. Dès 1977, le puis­sant syn­di­cat IG Metall récla­mait la semaine de 35 heures sans perte de salaire. Il s’a­gis­sait de créer par là de nou­veaux emplois, mais aus­si de réfor­mer la socié­té en don­nant plus de temps libre aux tra­vailleurs. Le syn­di­cat arra­che­ra en 1984 cette réduc­tion du temps de tra­vail au patro­nat après la plus grande grève de l’a­près-guerre. Les syn­di­cats ont, en échange, accep­té plus de flexibilité.
Depuis, ils ont même admis le prin­cipe d’une réduc­tion du temps de tra­vail avec perte de salaire si les entre­prises s’en­gagent à ne pas licen­cier, voire à embau­cher. L’exemple phare de cette évo­lu­tion est bien sûr Volks­wa­gen, où l’IG Metall a accep­té en 1993, pour évi­ter la sup­pres­sion de 30 000 emplois, une dimi­nu­tion du temps de tra­vail de 20 % à 29 heures par semaine, assor­tie d’une perte de salaire allant de 11 à 15 %. Les accords contiennent de plus en plus d’ho­raires glis­sants, de temps par­tiel ou de compte-épargne temps. Dans le bâti­ment, où la conjonc­ture est morose, il est même cou­rant que des ouvriers tra­vaillent jus­qu’à 60 heures l’é­té pour prendre leurs vacances l’hi­ver. Même chose dans l’au­to­mo­bile pour faire face aux fluc­tua­tions sai­son­nières des com­mandes. Chez Opel à Rusel­sheim, les sala­riés tra­vaillent entre 30 et 38,5 heures, quatre ou cinq jours par semaine pour une moyenne heb­do­ma­daire de 35 heures sur l’an­née. On assiste même à l’al­lon­ge­ment de la durée du temps de tra­vail. Comme chez le fabri­cant d’ap­pa­reils de chauf­fage Viess­mann où les 6700 sala­riés, pour évi­ter les licen­cie­ments, tra­vaillent, depuis mai 1996, 38 heures payées 35 heures.
Mal­gré ces mesures, la per­for­mance de la métal­lur­gie alle­mande n’est pas bonne. Entre 1987 et 1996, elle a per­du 15,8 % de ses effec­tifs en dépit d’une réduc­tion de l’ho­raire heb­do­ma­daire de 38,5 à 35 heures. Dans le même temps la métal­lur­gie fran­çaise, qui a main­te­nu l’ho­raire à 38,5 heures, a vu ses effec­tifs dimi­nuer de seule­ment 11,7 %.

Sur le cycle de vie, les Fran­çais tra­vaillent aus­si rela­ti­ve­ment peu. Il appa­raît que les hommes ont une durée de tra­vail par­ti­cu­liè­re­ment faible en France rela­ti­ve­ment aux autres pays, 60 635 heures contre 65 098 pour l’en­semble de l’Eu­rope des 12, 64 578 en Alle­magne, 73 904 au Royaume-Uni. Seuls les Belges tra­vaillent moins que les Fran­çais en Europe. Lorsque l’on consi­dère les deux sexes, les Fran­çais ne tra­vaillent plus que 49 507 heures. Dans l’Eu­rope des 12, on tra­vaille 2 % de plus ; au Royaume-Uni, 15 % ; aux États-Unis, 24 % et au Japon 44 %.

Fina­le­ment, la baisse de la durée légale du temps de tra­vail semble être une concep­tion archaïque à la vue des déve­lop­pe­ments du mar­ché du tra­vail. Depuis 1982, la durée du tra­vail est sou­vent négo­ciée au niveau de l’en­tre­prise, voire même indi­vi­dua­li­sée. Temps par­tiel, horaires aty­piques (la nuit, le week-end et heures sup­plé­men­taires indi­vi­duelles se sont déve­lop­pés, déro­geant à la norme col­lec­tive. Cette diver­si­fi­ca­tion semble être un phé­no­mène géné­ral. Si la durée légale reste la norme de réfé­rence, les dépas­se­ments de la durée légale heb­do­ma­daire appa­raissent de plus en plus fré­quents : en France près de 5 % des sala­riés de l’in­dus­trie à temps com­plet déclarent tra­vailler 46 heures ou plus par semaine en 1990.

Selon l’IN­SEE, 23 % des cadres tra­vaillent aujourd’­hui 46 à 50 heures par semaine, et 26 % de 51 à 60 heures. Dans la plu­part des pays euro­péens, ces pro­por­tions aug­mentent. À l’op­po­sé, le tra­vail à durée très réduite se pro­page éga­le­ment. Le tra­vail à temps par­tiel se déve­loppe et par­mi les sala­riés à temps par­tiel dans les ser­vices, la pro­por­tion de ceux qui tra­vaillent habi­tuel­le­ment au plus 10 heures croît significativement.

Du point de vue du droit, il semble plus opportun de chercher à simplifier la législation de la durée du travail plutôt que de changer la durée légale.

C’est cer­tai­ne­ment dans le domaine de la durée du tra­vail que la flexi­bi­li­té a le plus pro­gres­sé depuis une quin­zaine d’an­nées, sous l’in­fluence de la négo­cia­tion col­lec­tive qui a su faire preuve de vita­li­té et d’in­no­va­tion à ce niveau, et d’une légis­la­tion de plus en plus souple. La loi a en effet sti­mu­lé et accom­pa­gné cette évo­lu­tion, en relâ­chant pro­gres­si­ve­ment les contraintes impo­sées par le régime légal de la durée du travail.

Cette évo­lu­tion s’est pour­sui­vie avec la loi quin­quen­nale du 20 décembre 1993 qui crée notam­ment le tra­vail à temps par­tiel annua­li­sé et la modu­la­tion-réduc­tion de la durée du tra­vail sur une base annuelle. Ain­si, dans le cadre juri­dique actuel, le carac­tère col­lec­tif et rigide de la durée heb­do­ma­daire du tra­vail s’es­tompe au pro­fit de l’in­di­vi­dua­li­sa­tion et de la modu­la­tion des horaires et le recours aux heures sup­plé­men­taires est facilité.

Une ges­tion plus souple et indi­vi­dua­li­sée du temps de tra­vail semble d’ailleurs recueillir l’adhé­sion crois­sante des par­te­naires sociaux, comme en témoigne la pro­gres­sion des accords col­lec­tifs sur le thème de la durée du tra­vail qui a sui­vi l’ac­cord inter­pro­fes­sion­nel sur l’emploi signé le 31 octobre 1995. Les trois orga­ni­sa­tions patro­nales et les quatre orga­ni­sa­tions syn­di­cales signa­taires ont enten­du faire pré­va­loir la concep­tion « d’a­mé­lio­ra­tion de la com­pé­ti­ti­vi­té des entre­prises au béné­fice de l’emploi ».

C’est cette concep­tion que tra­duit la tren­taine d’ac­cords, cou­vrant plus de 4 mil­lions de sala­riés, conclus dans le cadre de ces négo­cia­tions de branche et que concré­tisent les 4 000 accords sur le temps de tra­vail signés dans les entre­prises en 1996, année où pour la pre­mière fois le temps de tra­vail devient sans conteste le pre­mier thème de négo­cia­tion dans les entreprises.

Mais cet assou­plis­se­ment n’a pu être acquis qu’au prix d’une grande com­plexi­té de la réglementation.

Cette com­plexi­té est liée au fait que le légis­la­teur a vou­lu tra­duire dans des règles le double objec­tif de la flexi­bi­li­té du temps de tra­vail : ser­vir les nou­velles aspi­ra­tions des sala­riés en matière de ges­tion de leur temps de tra­vail et satis­faire aux nou­velles condi­tions de la pro­duc­tion. Elle pro­vient aus­si du fait qu’il n’a pas tran­ché entre l’im­pé­ra­tif de flexi­bi­li­té et la pro­tec­tion des droits des sala­riés, incluant ain­si les moda­li­tés de l’as­sou­plis­se­ment de la durée du tra­vail dans un cadre encore contrai­gnant (comme, par exemple, le main­tien d’une défi­ni­tion de la durée légale du tra­vail sur une base hebdomadaire).

Dans ces condi­tions, la recherche des moyens de rendre la légis­la­tion de la durée du tra­vail mieux adap­tée aux nou­velles don­nées éco­no­miques et sociales demande une sim­pli­fi­ca­tion et une cla­ri­fi­ca­tion des règles afin de les rendre plus opé­ra­tion­nelles plu­tôt qu’une modi­fi­ca­tion de la durée légale.

Ain­si, au niveau des heures sup­plé­men­taires : quand on com­bine les contin­gents et les modes de com­pen­sa­tion, on abou­tit au moins à 4 types d’heures sup­plé­men­taires. L’in­tro­duc­tion de la modu­la­tion des horaires ne sim­pli­fie pas les choses de ce point de vue puisque avec la modu­la­tion, de nou­velles com­pen­sa­tions peuvent appa­raître (for­ma­tion, créa­tion d’emplois, etc.) ain­si que des régimes déro­ga­toires. En outre, il existe depuis la loi quin­quen­nale 4 types de modu­la­tion de la durée du tra­vail sur des périodes de réfé­rence variées, avec leur propre régime d’heures supplémentaires.

La réduc­tion impo­sée du temps de tra­vail a des effets défa­vo­rables, mais la durée du tra­vail demeure un élé­ment clé de la négo­cia­tion sala­riale : que faire alors ?

Si l’on exclut une réduc­tion auto­ri­taire de la durée du tra­vail par trop périlleuse et contrai­gnante, d’au­tant qu’il n’y a pas chez les sala­riés d’as­pi­ra­tion nette en ce sens, il reste à ten­ter de relan­cer l’i­ni­tia­tive des acteurs sociaux dans ce domaine. En ne consi­dé­rant le temps de tra­vail qu’en rela­tion avec l’emploi on a aban­don­né l’es­sen­tiel, c’est-à-dire la réflexion sur les formes sou­hai­tables d’a­mé­na­ge­ment du temps. Ain­si, on est pas­sé à côté de la prin­ci­pale aspi­ra­tion actuelle dans ce domaine : le temps choi­si c’est-à-dire non pas la réduc­tion géné­ra­li­sée de la durée du tra­vail mais une meilleure maî­trise du temps en général.

L’employé doit pou­voir choi­sir la façon de tra­vailler qui soit com­pa­tible avec sa vie pri­vée : temps com­plet ou temps par­tiel (mère de famille, étu­diants, per­sonnes proches de la retraite…) ; per­ma­nent ou sai­son­nier ; alter­nance tra­vail-for­ma­tion (adap­ta­tion aux tech­niques nou­velles) ; horaires mobiles. Pour la qua­li­té de la vie quo­ti­dienne il faut sans doute aus­si pen­ser à amé­na­ger les horaires des écoles. De son côté, l’employeur doit pou­voir orga­ni­ser le tra­vail selon le carac­tère sai­son­nier de l’ac­ti­vi­té, comme dans l’hô­tel­le­rie. Il importe que le lieu de négo­cia­tion soit celui de l’entreprise.

Par ailleurs, il faut amé­na­ger le temps de tra­vail sur les dif­fé­rents cycles (jour, semaine, année et vie). Comme la durée de tra­vail sur le cycle de vie est, en France, peu éle­vée, du fait d’une entrée plus tar­dive dans la vie pro­fes­sion­nelle (allon­ge­ment de la durée des études, chô­mage des jeunes) et par des sor­ties plus pré­coces (déve­lop­pe­ment de l’u­sage des pré­re­traites, avan­ce­ment de l’âge de la retraite1, on pour­rait réflé­chir à l’al­lon­ge­ment de la durée d’ac­ti­vi­té qui per­met­trait de mieux répar­tir la durée de tra­vail sur le cycle de vie.

Par ailleurs, lorsque l’É­tat finance en par­tie un accord, il est impé­ra­tif d’ex­clure toute dis­po­si­tion engen­drant un finan­ce­ment public défi­ni­tif qui n’en­gen­dre­rait pas les recettes équi­va­lentes. Il faut conce­voir des accords per­met­tant à court terme de créer de l’emploi et à long terme d’ac­croître la flexi­bi­li­sa­tion de l’é­co­no­mie. Sub­ven­tion­ner une réduc­tion de la durée du tra­vail ne peut être qu’un élé­ment mar­gi­nal. Mieux vau­drait revoir pro­gres­si­ve­ment toute l’as­siette des charges sociales.

Entre bonnes et mau­vaises for­mules de tra­vail à temps réduit, la voie est étroite. Dans tous les cas, ce n’est pas en déve­lop­pant l’illu­sion que l’on peut venir à bout du chô­mage par la magie d’une réduc­tion auto­ri­taire du temps de tra­vail que l’on avan­ce­ra. Au contraire, il faut encou­ra­ger l’i­ni­tia­tive et la réflexion des acteurs sociaux. Plu­sieurs condi­tions nous paraissent décisives :

  • que les sala­riés soient libres indi­vi­duel­le­ment d’op­ter pour la réduc­tion de leur durée du tra­vail avec adap­ta­tion pro­por­tion­nelle de leurs salaires ;
  • que les accords de branche et d’en­tre­prise déjà conclus soient respectés ;
  • que les négo­cia­tions soient décen­tra­li­sées, le plus pos­sible au niveau de l’entreprise ;
  • que, en plus des aspi­ra­tions des sala­riés, le choix de la durée du tra­vail prenne en compte les contraintes des entreprises ;
  • que les règles légales d’ap­pré­cia­tion de la durée du tra­vail soient adap­tées aux formes d’or­ga­ni­sa­tion du tra­vail de sala­riés qui, tels les cadres, ne sont pas embau­chés pour accom­plir un cer­tain nombre d’heures de tra­vail mais pour l’ac­com­plis­se­ment d’une tâche. Cette exi­gence est d’au­tant plus urgente à satis­faire que, compte tenu des évo­lu­tions tech­no­lo­giques, le nombre de sala­riés dont le temps de tra­vail n’est pas objec­ti­ve­ment mesu­rable ne cesse d’augmenter.

La loi de Robien : un dispositif coûteux qui a tout de même permis la relance des négociations collectives

La loi de Robien votée le 11 juin 1996 par le Par­le­ment fran­çais per­met aux entre­prises inté­res­sées par la signa­ture d’une conven­tion avec l’É­tat dans laquelle l’en­tre­prise s’en­gage à réduire la durée col­lec­tive du temps de tra­vail et à pro­cé­der à des embauches sup­plé­men­taires en contre­par­tie d’une réduc­tion des charges patro­nales de Sécu­ri­té sociale. Cette conven­tion, limi­tée au plus à sept années, est subor­don­née à un accord préa­lable entre les par­te­naires sociaux. La loi auto­rise aus­si l’ap­pli­ca­tion d’une conven­tion simi­laire per­met­tant d’é­vi­ter les licen­cie­ments éco­no­miques lorsque ceux-ci sont pré­vus dans le cadre d’un plan. Dans ce cas, en échange du main­tien des effec­tifs et de la réduc­tion de la durée col­lec­tive du temps de tra­vail, l’en­tre­prise béné­fi­cie éga­le­ment de réduc­tions de coti­sa­tions sociales.

Plus de 700 accords d’en­tre­prise ont déjà été signés. Plus de 17 000 emplois ont été créés ou sau­vés. Par­mi les accords conclus, les 23 relèvent de la pre­mière dis­po­si­tion et ont per­mis de créer 6 500 emplois. Plus de la moi­tié des accords com­porte une clause d’an­nua­li­sa­tion (en contre­par­tie à la réduc­tion du temps de tra­vail). Le coût pour les finances publiques de cette mesure est très signi­fi­ca­tif puisque le niveau d’al­lé­ge­ments des coti­sa­tions sociales sui­vant les cas va de 30 à 50 %.

Cepen­dant, les pou­voirs publics, en aidant au chan­ge­ment, peuvent per­mettre la mise en œuvre de solu­tions ori­gi­nales qui ne pou­vaient être obte­nues dans le cadre de rela­tions sociales figées. C’est d’ailleurs ce que sou­ligne Jacques Freys­si­net, direc­teur de l’IRES (Ins­ti­tut de recherches éco­no­miques et sociales). Pour lui, dans le champ de la légis­la­tion sociale la loi de Robien est sans doute l’in­no­va­tion la plus per­tur­ba­trice depuis 1981. Cette loi fait entrer dans les esprits l’i­dée qu’il faut com­men­cer par réduire le temps de tra­vail dans les entre­prises avant de licencier.

Cet accord a per­mis, au niveau le plus décen­tra­li­sé, de mettre autour de la table de négo­cia­tion les par­te­naires sociaux. La logique qui sous-tend cette démarche est très posi­tive puisque les signa­taires se fixent pour objec­tif de conci­lier accrois­se­ment de la com­pé­ti­ti­vi­té des entre­prises et option en faveur des modes d’or­ga­ni­sa­tion du tra­vail les plus créa­teurs d’emplois. Fina­le­ment, on doit por­ter à son cré­dit le réa­lisme de la démarche qu’il amorce : ne pré­ten­dant pas avoir trou­vé les termes de cette conci­lia­tion, il ouvre des pers­pec­tives en sus­ci­tant des négo­cia­tions de branche puis d’entreprises.

L’ex­pé­rience fran­çaise est trop récente pour pou­voir déjà en tirer toutes les conclu­sions. Deux élé­ments sont tou­te­fois déjà appa­rents. Le dis­po­si­tif per­met réel­le­ment d’in­no­ver dans les rela­tions sociales de l’en­tre­prise. Il accé­lère sans doute le mou­ve­ment de réor­ga­ni­sa­tion dans les entre­prises. D’un autre coté, il faut bien recon­naître que mal­gré un niveau de sub­ven­tion très éle­vé, les entre­pre­neurs et les sala­riés ne se pré­ci­pitent pas pour réduire le temps de travail.

Une réduction du temps de travail doit aller de pair avec une réorganisation de l’entreprise

Actuel­le­ment, la durée du tra­vail s’ap­pré­cie dans un cadre heb­do­ma­daire. La norme est la semaine de 39 heures. Entre­prises et sala­riés s’ac­com­modent des varia­tions d’ac­ti­vi­té : en cas de sur­chauffe, les heures sup­plé­men­taires, le recours aux CDD et à l’in­té­rim ; en période basse, le chô­mage par­tiel, voire, en toute der­nière extré­mi­té, le licenciement.

Ce sys­tème pour­rait être rem­pla­cé par un sys­tème plus effi­cace pour tous : l’annualisation com­plète du temps de tra­vail. C’est l’élé­ment clé de toute réor­ga­ni­sa­tion. Cette notion sup­prime la régle­men­ta­tion heb­do­ma­daire du temps de tra­vail. Les horaires sont cal­cu­lés sur l’en­semble de l’an­née et l’am­pleur des jours et des semaines varie en fonc­tion des besoins de l’entreprise.

Dans la mesure où un accord est trou­vé au niveau de l’entreprise, on peut ima­gi­ner la mise en place de nou­veaux types de contrats de tra­vail. Le contrat de tra­vail pré­ci­se­rait le volume horaire de base pour lequel le sala­rié est enga­gé. Ce volume est à appré­cier sur une période de réfé­rence conve­nue d’un com­mun accord entre les par­ties. Ces périodes (semaines, mois, année…) seraient men­tion­nées dans le contrat qui pour­rait être un contrat type par branche négo­cié et valable pour un grand nombre de sala­riés. Il serait pos­sible de cou­pler ce sys­tème de décompte du temps de tra­vail avec une réduc­tion du temps de tra­vail.

Tou­te­fois, on ne répé­te­ra jamais assez qu’une baisse signi­fi­ca­tive du chô­mage implique que le coût du tra­vail par com­pé­tence s’adapte en fonc­tion de l’offre et de la demande d’emplois pour cette com­pé­tence, une dis­tri­bu­tion accep­table des reve­nus étant obte­nue par d’autres dis­po­si­tions, comme celle d’un reve­nu mini­mum garan­ti à tous.

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1. Des phé­no­mènes qui sont aus­si ren­for­cés par le coût du tra­vail de faible compétence

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