La réforme de la haute fonction publique, condition et vecteur de la transformation de l’action publique
La réforme de la haute fonction publique de l’État a pour objectif de la rendre plus efficace, innovante et représentative de la société. Il s’agit donc de transformer la politique de ressources humaines et le statut des administrateurs de l’État, de fluidifier les relations interministérielles, de promouvoir la diversité et de renforcer la culture scientifique au sein des corps techniques de l’État.
La réforme de la haute fonction publique mise en œuvre par le gouvernement et notamment par la ministre de la Transformation et de la Fonction publiques est issue de la volonté du Président de la République de faire évoluer l’encadrement supérieur et dirigeant de l’État pour accompagner la transformation de l’action publique. L’évolution de l’action publique passe bien sûr par des réformes dans l’organisation et le fonctionnement de l’administration : la déconcentration des décisions au plus près du terrain, la reconnaissance par la loi du droit à l’erreur, la possibilité donnée aux préfets de déroger à la réglementation pour tenir compte des réalités locales, le réarmement des services publics dans les territoires après des années d’attrition des effectifs, les démarches d’association des citoyens à la conception des politiques publiques, la mise en place d’un baromètre des résultats permettant de rendre compte publiquement des réformes, tout cela contribue à créer un cadre facilitateur et à orienter l’action des services de l’État.
Repenser la politique des ressources humaines
Mais la mise en œuvre de ces principes passe aussi, et peut-être surtout, par une attention particulière portée à ceux qui sont au service de l’action publique. Elle conduit de ce fait à repenser la politique de ressources humaines, en commençant par les recrutements, les parcours et la formation des responsables et décideurs. La stratégie de pilotage des ressources humaines en matière d’encadrement supérieur, énoncée dans le cadre de lignes directrices de gestion interministérielle, repose sur plusieurs principes fondateurs : le partage d’une culture et de valeurs communes au service de l’intérêt général, au-delà des silos ministériels, et le souci de l’exemplarité des cadres dans l’alignement de leurs compétences et de leurs comportements sur ces valeurs ; l’anticipation des besoins des employeurs, et la mise en place de démarches de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences à l’échelle interministérielle ; l’ouverture des recrutements à davantage de diversité, à la fois par l’ouverture de nouvelles voies d’accès à la fonction publique, mais aussi par la recherche de profils expérimentés issus d’autres environnements ; la transparence des nominations, par une meilleure anticipation et une plus grande visibilité des emplois à pourvoir ; la promotion de parcours diversifiés, qui permettent d’enrichir progressivement ses connaissances et ses compétences en matière de savoir-être ; le souci de développer les compétences des cadres par la formation continue ; la culture de l’évaluation et la reconnaissance des mérites de chacun ; l’accompagnement personnalisé de chaque cadre dans l’élaboration de son projet professionnel et le développement de ses compétences ; et la promotion de la diversité et de l’égalité entre les femmes et les hommes.
REPÈRES
C’est dans son intervention du 8 avril 2021, à l’occasion de la Convention managériale de l’État qui rassemble l’ensemble des cadres de direction, que le Président de la République a posé les fondations d’une haute fonction publique rénovée autour des attentes des Français. Tout en rappelant les valeurs cardinales et historiques de la fonction publique, de loyauté, de neutralité, d’engagement, de défense de l’intérêt général, il a pointé les enjeux qui impactent la société et donc les politiques publiques : la transformation numérique, et tout particulièrement le changement de regard sur l’action publique qu’elle permet et qui nous oblige, en matière de transparence et de réactivité dans les décisions ; et la défiance, dans un monde en transformation profonde, vis-à-vis de l’efficacité de l’action publique. Enfin il a défini les grands principes qui doivent guider la transformation : la proximité, la bienveillance, la responsabilité, l’efficacité, la transparence, la simplicité, l’innovation.
Un grand chantier réglementaire
L’année 2021 a été en grande partie consacrée au chantier réglementaire, socle indispensable à la mise en œuvre de ces principes : la création d’un statut unique des administrateurs de l’État, et la mise en extinction des corps préfectoral, diplomatique et d’inspections générales, ont vocation à faciliter les mobilités et à ouvrir les recrutements sur des postes jusqu’alors réservés à certains corps, les possibilités existantes de détachement restant de fait peu utilisées et pouvant constituer des freins psychologiques à la mobilité. Dans la même logique, l’harmonisation des rémunérations, aujourd’hui différentes d’un ministère à l’autre, est nécessaire pour favoriser des parcours plus diversifiés et permettre aux employeurs d’ouvrir leurs portes à des profils extérieurs ; mis en œuvre dès le début de cette année s’agissant de la rémunération indemnitaire des administrateurs civils devenus administrateurs de l’État, ce chantier qui se poursuit en 2022 et qui doit être étendu aux autres corps d’encadrement que les administrateurs de l’État.
Une ENA rénovée et renommée
La suppression de l’École nationale d’administration (ENA) et la création de l’Institut national de service public (INSP) ne sont pas qu’un changement cosmétique. Les voies d’accès à l’INSP, la nature des épreuves des concours, le contenu de la scolarité, l’offre de formation continue, la stratégie de recherche, l’ouverture à l’international doivent être repensés pour ouvrir l’Institut à des élèves venant d’horizons plus divers et renforcer leur professionnalisation. En 2021, l’INSP a par ailleurs mis en place, en liaison avec quinze écoles de service public, un tronc commun de plusieurs modules permettant à tous les élèves se préparant à une carrière dans la fonction publique de partager une culture commune et de mettre en pratique leurs connaissances dans des exercices en commun. Ce tronc commun a vocation à être pérennisé et affiné dans les années qui viennent.
La Délégation interministérielle à l’encadrement supérieur de l’État
C’est la capacité à rendre cette réforme opérationnelle, et à décliner concrètement les principes qui la guident, qui en fera le succès. La Diese, Délégation interministérielle à l’encadrement supérieur de l’État, créée par décret fin décembre 2021, est chargée de mettre en musique ces orientations. Sa feuille de route prévoit de renforcer la détection et l’accompagnement des talents, qui avaient été mis en place depuis quelques années en vue des nominations aux emplois à la décision du gouvernement. Des revues de cadres devront être systématisées dans les ministères, pour repérer ceux qui ont le potentiel pour accéder à des postes de niveau supérieur et leur proposer des programmes de développement de compétences adaptés à cet objectif.
“Renforcer la détection et l’accompagnement des talents.”
Cette démarche, déjà largement pratiquée dans le secteur privé, s’étend donc à l’encadrement supérieur et dirigeant de l’État dans son ensemble, pour favoriser l’émergence des dirigeants publics de demain ; elle n’est d’ailleurs pas réservée aux seuls talents de la fonction publique d’État et doit permettre d’identifier des profils venant des autres versants de la fonction publique, ou même d’autres environnements, y compris le secteur privé. En complément, des plans de succession seront mis en place pour les emplois à plus forts enjeux, pour identifier en amont les cadres susceptibles d’être nommés, et rechercher grâce à cette meilleure anticipation des profils les plus divers possibles.
Des parcours davantage diversifiés pour les cadres
Cette approche volontairement ouverte va de pair avec la recherche pour les cadres de parcours davantage diversifiés. La logique qui sous-tend cette volonté de diversification est celle du développement des compétences, que ce soit pour des profils plus généralistes capables de manager des équipes pluridisciplinaires et de faire le lien entre plusieurs politiques publiques, ou pour des profils plus experts qui exercent tour à tour dans des administrations centrales pour l’élaboration des politiques, dans les services déconcentrés ou dans les établissements publics pour leur mise en œuvre. Ce souci du contact avec le terrain et de la confrontation avec la réalité des faits se retrouve également dans la volonté très claire d’envoyer davantage de jeunes hauts fonctionnaires en début de parcours sur des postes dits opérationnels, plutôt que dans des juridictions ou des inspections. Le développement des compétences passe bien sûr également par la formation continue, qui fera désormais partie des critères de promotion des cadres.
“La formation continue fera désormais partie des critères de promotion des cadres.”
Fluidifier les relations entre cadres et employeurs
À cet effet, la Diese doit être une plateforme destinée à la fois aux cadres et aux employeurs, et un acteur qui s’attache à fluidifier les relations interministérielles pour faciliter les passerelles. Un des premiers leviers est de donner aux cadres eux-mêmes les outils pour préparer leur projet professionnel : une cartographie des postes d’encadrement au sein de l’État, qui n’existe pas aujourd’hui, et une animation de réseau pour mettre en relation cadres et employeurs autour de portes ouvertes ou de rencontres informelles sont nécessaires pour faciliter l’accès à d’autres environnements professionnels et bâtir un parcours varié. L’animation du réseau des employeurs est également essentielle, pour mettre en place les conditions d’un partage transparent et en confiance des postes à pourvoir et des cadres en recherche de mobilité. Par ailleurs, chaque cadre bénéficiera d’un accompagnement individualisé régulier, ainsi que d’évaluations approfondies au moins une fois tous les six ans, lui permettant de faire le point sur son parcours et de se projeter sur les prochaines étapes.
L’égalité entre femmes et hommes
Enfin, la promotion de la diversité et de l’égalité entre les femmes et les hommes se poursuit ; après deux années consécutives d’atteinte des objectifs de la loi Sauvadet, avec plus de 40 % de femmes nommées pour la première fois sur un emploi de direction de l’État, il s’agit de passer progressivement d’une logique de flux à une logique de stock et de s’assurer de la parité dans l’occupation des emplois de l’État à tous les niveaux, mais aussi de renforcer cette parité dans des secteurs ou des métiers où les femmes sont moins présentes. Et, au-delà de la question de la parité, le souci d’une meilleure représentativité et d’une plus grande diversité au sein de la haute fonction publique de l’État est aussi lié à son attractivité ; si le service de l’intérêt général est un facteur d’attraction très fort, les parcours et métiers de la fonction publique sont souvent mal connus. L’incarnation de ces métiers par ceux qui les occupent, qui ne va pas de soi alors que le devoir de réserve impose aux fonctionnaires une forme de discrétion, et leur promotion auprès des jeunes générations font partie des chantiers à mener dans les mois et les années à venir.
Et les corps techniques de l’État
Pour les corps techniques, le rapport remis au Premier ministre par Marion Guillou (X73), Frédéric Lavenir et Vincent Berger réaffirme avec force le besoin de l’État employeur en ingénieurs de haut niveau au sein de la haute fonction publique, sur des emplois à caractère plus technique, mais aussi pour leur culture scientifique dont l’importance est cruciale dans une société où l’action publique est souvent mise en cause. Le rapport insiste sur l’importance de maintenir une approche par domaines de compétences, comme c’est le cas aujourd’hui à travers les différents corps, et recommande notamment le renforcement de l’accompagnement des parcours et l’ouverture des recrutements à la diversité. La concertation est en cours sous l’égide de la Diese pour la mise en œuvre de ces recommandations.
Un objectif central
La disparition de l’ENA et la mise en extinction des grands corps qui en étaient issus tels que préfets, ambassadeurs ou inspecteurs généraux ont suscité certaines réactions d’inquiétude voire d’opposition ; ces réactions ne doivent pas faire oublier l’objectif central de la réforme, celle d’une haute fonction publique d’excellence plus diversifiée, plus représentative de la société, davantage ancrée dans le réel et les préoccupations quotidiennes des Français, capable de transformer, d’innover, de simplifier. Le chemin est ambitieux, le besoin est immense.