La réforme de l’État
Regardons la France comme si c’était une très grande société anonyme car les méthodes éprouvées dans le monde de l’entreprise, et qui permettent aux entreprises de prospérer, apparaissent comme transposables à la France, l’État et son administration. Le mouvement pour « la réforme de l’État » apparaît ainsi pour la France comme un projet stratégique pour une entreprise.
Durant ces dernières années, plusieurs actions gouvernementales ont été menées au titre de la réforme de l’État. Nous citerons ainsi, depuis 2002 :
- les lois d’habilitation du gouvernement à simplifier le droit, depuis juillet 2003 ;
- la Loi organique relative aux lois de finances, LOLF, mise en œuvre en cette année 2006, qui introduit l’exigence de performance et d’utilisation optimale des deniers publics pour l’action de l’État ;
- la réforme des services territoriaux de l’État ;
- le programme Adele d’administration électronique ;
- la création début 2006, au sein du ministère de l’Économie et des Finances, de la DGME, direction générale de la modernisation de l’État, par regroupement de structures existantes liées à la réforme de l’État ;
- le lancement d’audits de modernisation de l’État ;
- la réforme de la formation professionnelle (DIF) engagée depuis 2004…
Ces actions sont autant d’efforts pour rénover notre Administration, pour l’adapter aux évolutions rapides de la société des vingt dernières années. Mais un consensus se dégage cependant : elles ne constituent que le début d’un mouvement qui doit se renforcer pour installer la transparence et l’efficacité de l’action publique.
La réforme de l’État est donc devenue un thème récurrent de réflexions pour divers groupements ou revues. Sont régulièrement abordés la simplification des structures administratives, la maîtrise du nombre de fonctionnaires, la modernisation de la gestion des ressources humaines et le développement d’une culture d’évaluation et de performance au sein de l’Administration.
X‑Sursaut, pour sa part, a choisi de se rapporter à un livre publié en janvier 2002 par l’un de nos camarades, Yann Duchesne (77), et qui reste d’une étonnante actualité. Ce livre, France S.A., résultait pour l’auteur d’un profond sentiment de déception face aux politiques conservatrices sans envergure et d’une interrogation fondamentale : pourquoi certaines entreprises françaises parviennent à un leadership mondial alors que l’État français est décrié de toute part ?
Nos échanges sur la base de ce livre et de son diagnostic de la situation de la France ont mis en évidence des propositions originales que nous avons rapprochées des recommandations provenant d’autres analyses concernant le Pays.
Regardons la France comme si c’était une très grande société anonyme ! En utilisant une équivalence dûment justifiée entre l’État-nation et l’entreprise, quant à leurs modes respectifs de gouvernance, nous pouvons alors concevoir une approche systémique pour « la réforme de l’État » :
- d’une part les méthodes éprouvées dans le monde de l’entreprise, et qui permettent aux entreprises de prospérer, apparaissent comme transposables à la France, l’État et son administration ;
- d’autre part le mouvement pour « la réforme de l’État » apparaît pour la France tel un projet stratégique pour une entreprise.
Nous décrivons brièvement ci-après les quatre fondements de cette approche systémique.De même que le succès d’un projet d’entreprise repose sur l’existence d’une vision stratégique, l’État est fondé à mener le projet « réforme de l’État » à partir d’une ambition pour la France. La devise nationale « Liberté, Égalité, Fraternité » n’exprime plus actuellement une ambition suffisamment clairement définie pour les Français et de nouvelles expressions pourraient permettre d’insuffler une véritable dynamique
Les quatre fonctions de l’État
De même que chaque entreprise se dote d’un état-major de type « holding financière », ou « opérateur », ou « contrôleur », ou encore « architecte », selon les variantes possibles du management d’entreprise, l’État qui a défini son ambition pour la France peut analyser comment porter le projet « réforme de l’État ».
Car un État de type « holding financière » signifie : gestion financière d’un portefeuille d’actifs (budgets, trésorerie, profits) ; pas de réflexions particulières sur les savoir-faire, les transferts ou synergies possibles ; pas de réflexions sur les questions de qualité de certains biens d’utilité publique.
Un État « opérateur » : intervention directe dans la gestion des activités et projets sur des objectifs définis, pour les allocations de ressources correspondantes ; efficacité sur des objectifs « nouvelles industries-technologies » ; pas d’objectifs concernant le quotidien des citoyens.
Un État « contrôleur » : rôle prépondérant pour les allocations de ressources et les règles de gestion ; devient centralisateur et coûteux.
Un État « architecte » : rôles d’entraîneur et de régulateur ; développement de prospective, règles, contrôle de leur application, examen des résultats ; développement des réflexions coûts-usage.
En résultat de cette analyse, un « État architecte » apparaîtrait sans doute aujourd’hui comme la voie la plus moderne pour porter le projet de réforme de l’État.
Les quatre modes de réforme
De même que chaque entreprise adopte une méthode pour conduire le changement vers une vision stratégique, l’État est fondé à choisir des modalités de réforme. Dans le monde de l’entreprise, quatre modes de réforme sont généralement distingués et leurs résultats identifiés :
- les modalités révolutionnaires s’avèrent souvent douloureuses et coûteuses ;
- les modalités invoquant la « contrainte externe » permettent des réformes en profondeur, mais peuvent engendrer quelques désagréments du fait qu’elles sont réalisées par respect forcé ;
- les modalités technocratiques sont souvent non pérennes car elles dépendent trop du leader du moment ;
- les modalités cherchant le consentement restent in fine les plus efficaces.
C’est ainsi qu’une réforme de l’État selon le « mode consenti » semble la plus appropriée dans la mesure où, par définition :
- elle serait conduite par un pouvoir politique représentatif sorti des urnes et apportant une nouvelle génération de responsables ;
- elle articulerait court et moyen-long termes pour gérer au mieux l’impatience de l’opinion publique face au décalage entre temps politique (échéances électorales) et temps économique (délais nécessaires aux réformes pour porter leurs fruits) ;
- elle rencontrerait la confiance de l’opinion publique parce qu’elle lui aurait été soumise par avance, par exemple dans le débat électoral précédant une échéance électorale majeure…
Trois étapes pour le succès
Globalement enfin, et comme pour la conduite du changement en entreprise, la réussite du projet de « la réforme de l’État » résiderait dans le respect de trois étapes indispensables au succès :
a) le partage de l’ambition, de la vision stratégique pour la France
- auprès de l’administration et des fonctionnaires, qui doivent œuvrer pour le changement au lieu de préférer le statu quo,
- auprès de l’opinion publique, qui ne doit plus confondre les notions d’intérêt général et de service public,
- en respectant certains engagements des contrats antérieurs,
- en affichant la synthèse des améliorations à mettre en œuvre et à suivre en benchmarking ;
b) la détermination avec précision et selon un calendrier réaliste des objectifs spécifiques qui concrétisent la vision stratégique
- même si c’est difficile pour un service public,
- en utilisant des indicateurs qui peuvent être redéfinis et complétés au fur et à mesure de leur suivi ;
c) la mise en œuvre d’un pilotage du changement adapté pour chaque objectif spécifique
c’est-à-dire soit instantané, soit à cliquets, soit en progrès continu.Nous soulignons ici l’importance de cette troisième étape : combien de « changements » n’ont pas abouti du fait de son escamotage ?
Les cinq objectifs d’une réforme
Regardons à présent, pour une approche opérationnelle du projet « réforme de l’État », quels sont les objectifs spécifiques qui sont susceptibles de dynamiser notre pays !
Le « diagnostic des forces et faiblesses » de la France en ce début de XXIe siècle dressé dans France S.A., et assez largement corroboré actuellement par des think tank comme l’Institut de l’Entreprise, ainsi que l’application de démarches éprouvées dans le domaine du management des meilleures entreprises françaises ont conduit à sélectionner cinq objectifs spécifiques pour soutenir ce projet :
- améliorer les performances de l’Administration,
- libérer les énergies dans les entreprises,
- motiver et utiliser les talents,
- développer la gestion de la connaissance,
- reconsidérer les citoyens.
L’objectif « améliorer les performances de l’Administration » comprend deux propositions pour une évaluation basique de ces performances :
A) mettre en regard les dépenses en pourcentage du PIB face aux résultats obtenus, ministère par ministère ;
B) repréciser le contenu du « service » apporté par chaque ministère ou administration.
Suivent trois propositions méthodologiques pour stimuler les performances :
C) sélectionner les dépenses publiques (procédure en deux étapes : un projet donné relève-t-il ou non de l’État ? Si oui, rechercher des cofinancements privés ; cette procédure contribue finalement aussi à gérer la R & D) ;
D) mettre en regard crédits engagés face à l’objectif fixé, suivre les effets des décisions prises ;
E) introduire des critères de performance opérationnels pour les objectifs fixés.
Quatre propositions précisent des évolutions profondes pour la gestion financière de l’État, dans le souci de concilier impératifs économiques et démocratiques :
F) introduire au sein de l’Administration la tenue de comptes (bilan, compte d’exploitation, tableau de financement), pour arriver à préciser le capital de l’État et à gérer ce capital, c’est-à-dire classiquement en créant une dynamique de création de valeur et une contrainte de rentabilité ;
G) adopter les règles comptables privées, et notamment pour les dépenses publiques, distinguer les dépenses d’investissement et de fonctionnement ; obtenir le coût des services rendus par l’État ;
H) apporter au citoyen la vision du mode de dépense des impôts et cotisations ;
I) évaluer les impacts économiques des dépenses d’investissement, a priori et a posteriori.
Deux améliorations de la gestion budgétaire sont présentées comme incontournables et, de fait, sont maintenant intégrées dans la LOLF :
J) voter l’ensemble des crédits et pas seulement les crédits pour des actions nouvelles ;
K) supprimer les comportements visant à « tout dépenser » des crédits votés.
Trois propositions enfin se rapportent à l’organisation managériale de l’Administration :
L) identifier et supprimer les doublons entre ministères ;
M) introduire des pratiques managériales pour la motivation et l’intérêt au travail, pour le développement professionnel et la promotion, pour la rémunération ;
N) résoudre le problème de la lenteur du processus de décision-action liée aux strates hiérarchiques.
Les quatre autres objectifs spécifiques s’appliquent aux entreprises et aux citoyens.
« Libérer les énergies dans les entreprises »
repose sur cinq propositions en faveur de l’entreprise :
- rationaliser le dispositif des aides à la création d’entreprises ;
- simplifier l’environnement réglementaire des entreprises (numerus clausus, horaires…) ;
- développer les fonds de pension pour stimuler le financement des entreprises et pour équilibrer leur financement par endettement par du financement en fonds propres ;
- réformer la fiscalité des entreprises (la simplifier, l’alléger (transmissions), la stabiliser) ;
- organiser des compétitions de création d’entreprises.
« Motiver et utiliser les talents » est un objectif pour lequel il s’agit de définir une politique de « promotion des talents » pour le plein-emploi et tenant compte des réalités sociologiques des individus au travail. Sur le principe que promotion et rémunération doivent être établies sur la réelle contribution des individus apportée par leur travail, l’ensemble des mesures qui rendent les rémunérations flexibles sont à cultiver :
- mesures de partage des profits entre actionnaires et salariés comme intéressement et participation ;
- mesures encourageant l’actionnariat des salariés, comme le PEE ;
- mesures pour l’actionnariat des cadres dirigeants (options).
« Développer la gestion de la connaissance » s’applique à la formation individuelle, dans un monde éducatif en liaison avec le monde professionnel, selon des principes comme :
- favoriser progrès et transmission du savoir ;
- détecter autant l’intelligence académique que l’intelligence émotionnelle ;
- intégrer les évolutions des environnements sociaux et professionnels (exemple : outils informatiques des entreprises, méthodes d’apprentissage des langues, travail en équipe) ;
- équilibrer formation initiale et formation continue.
« Reconsidérer les citoyens » recouvre des propositions sur la fiscalité individuelle. Il s’agirait essentiellement de viser l’allégement de la charge fiscale – ce qui peut d’ailleurs aboutir à l’accroissement des recettes fiscales de l’État -, et de repenser la fiscalité en tant que mode de financement des activités publiques, et non comme un mode d’égalisation ou de nivellement des revenus et situations. Concernant l’impôt sur le revenu, la retenue à la source et la suppression des régimes particuliers et niches fiscales sont préconisées. Plus largement, il faudrait évoluer vers un système fiscal simplifié qui fasse converger les taux d’imposition sur les revenus du capital et du travail.Rapprochons maintenant ces propositions des recommandations provenant d’autres analyses ! Nous avons retenu d’une part le récent rapport Pébereau, Rompre avec la facilité de la dette publique, qui fait l’objet d’un article de son auteur dans le numéro de novembre 2006, d’autre part le rapport public du Conseil d’État sur les perspectives pour la fonction publique, publié en 2003.
Deux autres analyses
Le rapport Pébereau
développe la nécessité de consacrer les cinq prochaines années à la remise en ordre des finances publiques et pose trois principes essentiels à la maîtrise des dépenses publiques :
- le partage de l’effort de leur réduction entre l’État, les régimes sociaux et les collectivités territoriales,
- le réexamen intégral de leur efficacité,
- le maintien du niveau global des prélèvements obligatoires, le temps du retour à l’équilibre dépenses-recettes publiques.
Force est de constater que les 20 mesures préconisées par ce rapport, qui sont le fruit d’une commission pluraliste mue par l’intérêt de tous les Français, se classent sans difficulté dans l’objectif spécifique « Améliorer les performances de l’Administration ».
On constate ainsi que les mesures 1, 2, 3, 4 pour l’État :
1) revenir à l’équilibre en cinq ans au maximum en stabilisant les dépenses en euros courants ;
2) ne pas diminuer le niveau global des prélèvements obligatoires pendant cette période ;
3) affecter intégralement les recettes exceptionnelles au désendettement ;
4) utiliser ensuite les finances publiques pour réguler le cycle économique,
comme les mesures 5 et 6 pour les collectivités territoriales :
5) stabiliser les dotations de l’État en euros courants, tout en assurant la neutralité des transferts ;
6) leur assurer une plus grande maîtrise de leurs ressources et de leurs dépenses ;
peuvent être rapprochées des propositions F et G d’évolutions pour la tenue des Comptes de l’État.
Les mesures 7, 8, 9, 10, 13 précisent des cibles pour le suivi des dépenses des régimes sociaux :
7) poursuivre la réforme des retraites en 2008 ;
8) garantir le retour à l’équilibre de l’assurance maladie en 2009 ;
9) garantir ensuite l’absence d’endettement ;
10) garantir l’équilibre de l’assurance chômage ;
13) réorienter dans les trois ans toutes les dépenses de l’État et de la Sécurité sociale ;
et constituent une application particulière des trois propositions méthodologiques globales C, D et E, énoncées pour stimuler les performances, comme de la proposition H (vision du mode de dépense des impôts et cotisations).
Les mesures 11 et 12 sur les dépenses de l’État en général :
11) donner la priorité à la réduction des dépenses inefficaces ;
12) gager toute nouvelle dépense sur la suppression de dépenses équivalentes ;
corroborent les propositions A et B d’évaluation basique des performances.
La mesure 14 :
14) consacrer plus de temps au Parlement à l’analyse des résultats qu’au vote du budget ; simplifier l’organisation administrative et faire disparaître toutes les structures redondantes ;
correspond aux propositions J pour la gestion budgétaire et L pour l’organisation de l’Administration.
Les trois mesures qui concernent la gestion des ressources humaines de la fonction publique :
15) utiliser dès aujourd’hui au maximum l’opportunité des départs à la retraite pour supprimer les sureffectifs ;
16) lever tous les obstacles à la mobilité des agents ;
17) fixer une part significative de la rémunération des gestionnaires en fonction de la qualité de leur gestion et du respect de leurs objectifs ;
explicitent la proposition M relative à l’organisation de l’Administration.
Les mesures 18, 19 et 20 pour le changement de logique des politiques de croissance, d’emploi et de cohésion sociale :
18) évaluer l’efficacité des réglementations publiques ;
19) ne pas disperser les moyens publics notamment en matière d’emploi, enseignement supérieur et recherche ;
20) faire vraiment le choix de la cohésion sociale ;
correspondent là encore à des expressions ciblées des trois propositions méthodologiques globales C, D et E, énoncées pour stimuler les performances.
Le rapport du Conseil d’État sur les perspectives pour la fonction publique, pour sa part, met en avant trois enjeux qui appellent une évolution en profondeur de la fonction publique :
- la nécessité pour la fonction publique de faire preuve d’une efficacité accrue ; cet enjeu rejoint la proposition B d’évaluation des performances, ou encore les propositions D et E pour stimuler les performances de l’Administration ;
- la nécessité pour la fonction publique d’adapter ses règles de gestion aux exigences de la gestion des ressources humaines ;
- la nécessité de concilier le droit de la fonction publique avec d’autres branches du droit.
Pour contribuer à la définition de cette évolution, ce rapport privilégie une ligne directrice : « Obtenir une plus grande adaptabilité de la fonction publique à ses missions, tant il est vrai qu’il appartient à la fonction publique de s’adapter à l’évolution des besoins de la puissance publique et de l’usager et non l’inverse. En d’autres termes, il faut moins de rigidités et de frontières, plus de souplesse et plus de fluidité, dans le respect bien sûr des valeurs fondatrices de la fonction publique, celles en particulier qui garantissent l’impartialité, l’intégrité et le professionnalisme. »
Cinq éléments fondamentaux sont ensuite détaillés. Trois d’entre eux se rattachent directement à la proposition M d’organisation managériale de l’Administration :
- quelle structure de gestion de la fonction publique de l’État ?
- quel pilotage de la fonction publique ?
- quel dialogue social dans la fonction publique ?
Les deux autres élargissent aux questions du droit le champ des propositions issues de France S.A. concernant cette organisation managériale :
- quelle particularité du régime applicable aux agents publics par rapport au droit commun du travail ?
- quelle place pour le contrat dans le droit de la fonction publique ?