La réforme du droit des contrats, un événement majeur dans la vie des affaires
Quelles sont les modifications importantes intervenues dans votre domaine d’activités ?
Le droit des contrats a subi des modifications très importantes avec l’entrée en vigueur le 1er octobre 2016 de l’ordonnance du 10 février 2016 et qui a été codifiée dans le Code civil.
Ces modifications concernent à la fois les rédacteurs de contrats et les praticiens chargés des contentieux contractuels.
Ces modifications révolutionnent-elles le droit des contrats ?
De manière générale, il s’agit plutôt d’une évolution des textes, notamment pour tenir compte de la jurisprudence intervenue en la matière.
Certains principes, comme la liberté contractuelle, sont réaffirmés. En revanche, elle est cadrée expressément par les limites fixées par la loi et par les règles d’ordre public, « impératives », et « essentielles », qui doivent être respectées strictement, à peine de nullité.
Le principe de bonne foi, qui était exigé dans l’ancien code au regard de l’exécution des contrats est élargi.
Dans quelles mesures les négociations contractuelles sont-elles impactées ?
Selon le nouveau texte, « les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi », contrairement à l’ancien code civil qui ne visait la bonne foi que dans l’exécution du contrat. Cette disposition est d’ordre public.
Dans les négociations précontractuelles, les parties devront s’informer. Si l’une des parties connaît une information dont l’importance est déterminante pour le consentement de l’autre, elle doit l’en informer.
Mais il ne faudra fournir une information à l’autre partie que si celle-ci avait des raisons légitimes de ne pas la connaître ou si elle faisait « confiance à son cocontractant ».
Un point intéressant est que l’obligation d’information ne porte pas sur l’estimation de la valeur de la prestation. Il avait d’ailleurs été jugé que l’acquéreur d’un bien n’est pas tenu d’informer le vendeur de la valeur réelle du bien.
Que faut-il comprendre par informations déterminantes ?
Elles sont définies comme celles qui ont un lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat ou la qualité des parties.
Cette définition est très large, et il est précisé qu’elle est d’ordre public. Autrement dit, on ne peut pas y déroger ou en limiter la portée.
En l’absence de critères précis définis par ces textes, il appartiendra aux tribunaux de les déterminer. Ce qui peut paraître contraire à l’objectif de sécurité juridique visé par l’ordonnance.
Existe-t-il de nouvelles dispositions protectrices du cocontractant ?
La réforme a introduit la notion d’abus de dépendance. Ce terme est plus restrictif que l’état de faiblesse. Si le contractant abuse de l’état de dépendance de l’autre contractant pour obtenir que ce dernier s’engage – alors qu’il ne l’aurait pas fait autrement – et en tire un avantage excessif, cela pourra entraîner la nullité du contrat.
Par ailleurs, dans un contrat d’adhésion, toute clause qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat est réputée non écrite. Mais ce n’est pas réellement une nouveauté, dans la mesure où le déséquilibre significatif est déjà sanctionné par les dispositions du code de la consommation et par l’article L.442–6‑I-2° du code de commerce.
Les contractants ont-ils de nouvelles initiatives à leur disposition ?
Comme dans l’ancien système, la nullité du contrat doit, en principe, être prononcée par le juge. Mais la nouveauté est que les parties peuvent la constater elles-mêmes à condition que ce soit d’un commun accord.
« LA RÉFORME VA OBLIGER À MODIFIER CERTAINES PRATIQUES DE RÉDACTION DES CONTRATS. MÊME SI ELLE VISE À ASSURER UNE MEILLEURE SÉCURITÉ JURIDIQUE, DANS LA RÉALITÉ, UN CERTAIN NOMBRE DE NOTIONS DEVRONT ÊTRE CLARIFIÉES ET INTERPRÉTÉES PAR LES TRIBUNAUX », EXPLIQUE MAÎTRE BRIGITTE DAILLE-DUCLOS.
Une autre nouveauté est qu’une partie peut demander par écrit à celle qui pourrait se prévaloir de la nullité soit de confirmer le contrat, soit d’agir en nullité, dans un délai de six mois à peine de forclusion. À défaut d’action en nullité exercée avant l’expiration du délai de six mois, le contrat serait alors réputé confirmé.
Néanmoins, on peut se demander si une partie a intérêt à attirer l’attention de l’autre partie sur une nullité envisageable.
Le créancier peut désormais, à ses risques et périls, et en cas de « gravité » de l’inexécution résoudre un contrat par simple notification après avoir mis en demeure son débiteur. Mais le débiteur pourra saisir le juge pour contester cette résolution.
De même, lorsqu’une obligation n’est pas respectée, le créancier bénéficiaire de cette obligation peut, après mise en demeure, en poursuivre l’exécution en nature.
Cette possibilité est écartée si l’exécution est impossible, par exemple si le débiteur s’était engagé à faire des travaux sur un immeuble et que celui-ci a été détruit. Elle est également écartée s’il existe une disproportion manifeste entre le coût de l’exécution pour le débiteur et son intérêt pour le créancier. Cette disposition nouvelle devra être interprétée par les tribunaux.
Le créancier pourra aussi « dans un délai et à un coût raisonnable », faire exécuter lui-même l’obligation (et non plus comme auparavant après autorisation du juge). En revanche, ce n’est que sur autorisation préalable du juge, qu’il pourra faire détruire ce qui a été fait en violation de l’obligation du débiteur (comme c’était déjà le cas).
Quelles sont les autres dispositions phares ?
Il est difficile de donner une vue exhaustive de toutes les dispositions importantes de la réforme.
On peut noter un changement important en ce qui concerne la révision des contrats. Si un changement de circonstances, imprévisible lors de la conclusion d’un contrat, rend l’exécution du contrat excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant.
Ce qui est vraiment nouveau c’est qu’en cas de refus ou d’échec de la renégociation, les parties peuvent convenir de la résolution du contrat, à la date et aux conditions qu’elles déterminent. Surtout, innovation considérable : le juge peut désormais s’immiscer dans les conditions du contrat puisque les parties peuvent lui demander d’un commun accord de procéder à son adaptation.
Et même, si les parties ne sont pas parvenues à un accord dans un délai « raisonnable », le juge pourra, à la demande d’une partie, réviser le contrat ou y mettre fin, à la date et aux conditions qu’il fixe.
D’autres innovations méritent d’être citées : notamment, la consécration dans les textes de la cession de dette, les modifications en matière d’opposabilité de la cession de créances, les dispositions nouvellement insérées en matière de promesses unilatérales de contrat et de pactes de préférence…
Quelles sont les conséquences de la réforme des contrats ?
Elles sont importantes. Elles vont obliger à procéder à des modifications dans la rédaction des contrats et vont évidemment impacter l’argumentation dans les contentieux relatifs aux contrats conclus après le 1er octobre 2016.
La réforme donne désormais plus d’initiative aux contractants. Elle renforce l’obligation de bonne foi.
Un certain nombre de notions devront être interprétées par les tribunaux. Il n’est donc pas certain que l’objectif de sécurité juridique visé soit atteint.