La réforme du droit des contrats, un événement majeur dans la vie des affaires

Dossier : Dossier FFEMagazine N°726 Juin 2017
Par Brigitte DAILLE-DUCLOS

Quelles sont les modifications importantes intervenues dans votre domaine d’activités ?

Le droit des contrats a subi des modi­fi­ca­tions très impor­tantes avec l’entrée en vigueur le 1er octobre 2016 de l’ordonnance du 10 février 2016 et qui a été codi­fiée dans le Code civil. 

Ces modi­fi­ca­tions concernent à la fois les rédac­teurs de contrats et les pra­ti­ciens char­gés des conten­tieux contractuels. 

Ces modifications révolutionnent-elles le droit des contrats ?

De manière géné­rale, il s’agit plu­tôt d’une évo­lu­tion des textes, notam­ment pour tenir compte de la juris­pru­dence inter­ve­nue en la matière. 

Cer­tains prin­cipes, comme la liber­té contrac­tuelle, sont réaf­fir­més. En revanche, elle est cadrée expres­sé­ment par les limites fixées par la loi et par les règles d’ordre public, « impé­ra­tives », et « essen­tielles », qui doivent être res­pec­tées stric­te­ment, à peine de nullité. 

Le prin­cipe de bonne foi, qui était exi­gé dans l’ancien code au regard de l’exécution des contrats est élargi. 

Dans quelles mesures les négociations contractuelles sont-elles impactées ?

Selon le nou­veau texte, « les contrats doivent être négo­ciés, for­més et exé­cu­tés de bonne foi », contrai­re­ment à l’ancien code civil qui ne visait la bonne foi que dans l’exécution du contrat. Cette dis­po­si­tion est d’ordre public. 

Dans les négo­cia­tions pré­con­trac­tuelles, les par­ties devront s’informer. Si l’une des par­ties connaît une infor­ma­tion dont l’importance est déter­mi­nante pour le consen­te­ment de l’autre, elle doit l’en informer. 

Mais il ne fau­dra four­nir une infor­ma­tion à l’autre par­tie que si celle-ci avait des rai­sons légi­times de ne pas la connaître ou si elle fai­sait « confiance à son cocontractant ». 

Un point inté­res­sant est que l’obligation d’information ne porte pas sur l’estimation de la valeur de la pres­ta­tion. Il avait d’ailleurs été jugé que l’acquéreur d’un bien n’est pas tenu d’informer le ven­deur de la valeur réelle du bien. 

Que faut-il comprendre par informations déterminantes ?

Elles sont défi­nies comme celles qui ont un lien direct et néces­saire avec le conte­nu du contrat ou la qua­li­té des parties. 

Cette défi­ni­tion est très large, et il est pré­ci­sé qu’elle est d’ordre public. Autre­ment dit, on ne peut pas y déro­ger ou en limi­ter la portée. 

En l’absence de cri­tères pré­cis défi­nis par ces textes, il appar­tien­dra aux tri­bu­naux de les déter­mi­ner. Ce qui peut paraître contraire à l’objectif de sécu­ri­té juri­dique visé par l’ordonnance.

Existe-t-il de nouvelles dispositions protectrices du cocontractant ?

La réforme a intro­duit la notion d’abus de dépen­dance. Ce terme est plus res­tric­tif que l’état de fai­blesse. Si le contrac­tant abuse de l’état de dépen­dance de l’autre contrac­tant pour obte­nir que ce der­nier s’engage – alors qu’il ne l’aurait pas fait autre­ment – et en tire un avan­tage exces­sif, cela pour­ra entraî­ner la nul­li­té du contrat. 

Par ailleurs, dans un contrat d’adhésion, toute clause qui crée un dés­équi­libre signi­fi­ca­tif entre les droits et obli­ga­tions des par­ties au contrat est répu­tée non écrite. Mais ce n’est pas réel­le­ment une nou­veau­té, dans la mesure où le dés­équi­libre signi­fi­ca­tif est déjà sanc­tion­né par les dis­po­si­tions du code de la consom­ma­tion et par l’article L.442–6‑I-2° du code de commerce. 

Les contractants ont-ils de nouvelles initiatives à leur disposition ?

Comme dans l’ancien sys­tème, la nul­li­té du contrat doit, en prin­cipe, être pro­non­cée par le juge. Mais la nou­veau­té est que les par­ties peuvent la consta­ter elles-mêmes à condi­tion que ce soit d’un com­mun accord. 

« LA RÉFORME VA OBLIGER À MODIFIER CERTAINES PRATIQUES DE RÉDACTION DES CONTRATS. MÊME SI ELLE VISE À ASSURER UNE MEILLEURE SÉCURITÉ JURIDIQUE, DANS LA RÉALITÉ, UN CERTAIN NOMBRE DE NOTIONS DEVRONT ÊTRE CLARIFIÉES ET INTERPRÉTÉES PAR LES TRIBUNAUX », EXPLIQUE MAÎTRE BRIGITTE DAILLE-DUCLOS.

Une autre nou­veau­té est qu’une par­tie peut deman­der par écrit à celle qui pour­rait se pré­va­loir de la nul­li­té soit de confir­mer le contrat, soit d’agir en nul­li­té, dans un délai de six mois à peine de for­clu­sion. À défaut d’action en nul­li­té exer­cée avant l’expiration du délai de six mois, le contrat serait alors répu­té confirmé. 

Néan­moins, on peut se deman­der si une par­tie a inté­rêt à atti­rer l’attention de l’autre par­tie sur une nul­li­té envisageable. 

Le créan­cier peut désor­mais, à ses risques et périls, et en cas de « gra­vi­té » de l’inexécution résoudre un contrat par simple noti­fi­ca­tion après avoir mis en demeure son débi­teur. Mais le débi­teur pour­ra sai­sir le juge pour contes­ter cette résolution. 

De même, lorsqu’une obli­ga­tion n’est pas res­pec­tée, le créan­cier béné­fi­ciaire de cette obli­ga­tion peut, après mise en demeure, en pour­suivre l’exécution en nature. 

Cette pos­si­bi­li­té est écar­tée si l’exécution est impos­sible, par exemple si le débi­teur s’était enga­gé à faire des tra­vaux sur un immeuble et que celui-ci a été détruit. Elle est éga­le­ment écar­tée s’il existe une dis­pro­por­tion mani­feste entre le coût de l’exécution pour le débi­teur et son inté­rêt pour le créan­cier. Cette dis­po­si­tion nou­velle devra être inter­pré­tée par les tribunaux. 

Le créan­cier pour­ra aus­si « dans un délai et à un coût rai­son­nable », faire exé­cu­ter lui-même l’obligation (et non plus comme aupa­ra­vant après auto­ri­sa­tion du juge). En revanche, ce n’est que sur auto­ri­sa­tion préa­lable du juge, qu’il pour­ra faire détruire ce qui a été fait en vio­la­tion de l’obligation du débi­teur (comme c’était déjà le cas). 

Quelles sont les autres dispositions phares ?

Il est dif­fi­cile de don­ner une vue exhaus­tive de toutes les dis­po­si­tions impor­tantes de la réforme. 

On peut noter un chan­ge­ment impor­tant en ce qui concerne la révi­sion des contrats. Si un chan­ge­ment de cir­cons­tances, impré­vi­sible lors de la conclu­sion d’un contrat, rend l’exécution du contrat exces­si­ve­ment oné­reuse pour une par­tie qui n’avait pas accep­té d’en assu­mer le risque, celle-ci peut deman­der une rené­go­cia­tion du contrat à son cocontractant. 

Ce qui est vrai­ment nou­veau c’est qu’en cas de refus ou d’échec de la rené­go­cia­tion, les par­ties peuvent conve­nir de la réso­lu­tion du contrat, à la date et aux condi­tions qu’elles déter­minent. Sur­tout, inno­va­tion consi­dé­rable : le juge peut désor­mais s’immiscer dans les condi­tions du contrat puisque les par­ties peuvent lui deman­der d’un com­mun accord de pro­cé­der à son adaptation. 

Et même, si les par­ties ne sont pas par­ve­nues à un accord dans un délai « rai­son­nable », le juge pour­ra, à la demande d’une par­tie, révi­ser le contrat ou y mettre fin, à la date et aux condi­tions qu’il fixe. 

D’autres inno­va­tions méritent d’être citées : notam­ment, la consé­cra­tion dans les textes de la ces­sion de dette, les modi­fi­ca­tions en matière d’opposabilité de la ces­sion de créances, les dis­po­si­tions nou­vel­le­ment insé­rées en matière de pro­messes uni­la­té­rales de contrat et de pactes de préférence… 

Quelles sont les conséquences de la réforme des contrats ?

Elles sont impor­tantes. Elles vont obli­ger à pro­cé­der à des modi­fi­ca­tions dans la rédac­tion des contrats et vont évi­dem­ment impac­ter l’argumentation dans les conten­tieux rela­tifs aux contrats conclus après le 1er octobre 2016. 

La réforme donne désor­mais plus d’initiative aux contrac­tants. Elle ren­force l’obligation de bonne foi. 

Un cer­tain nombre de notions devront être inter­pré­tées par les tri­bu­naux. Il n’est donc pas cer­tain que l’objectif de sécu­ri­té juri­dique visé soit atteint.

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