La réinsertion des jeunes délinquants
Lorsque l’amiral Brac de La Perrière a fondé l’association Jeunes en équipes de travail (JET) il y a maintenant plus de onze ans, il partait du constat suivant : lorsque des jeunes délinquants primaires sont condamnés à purger une peine mineure, ils se trouvent au contact de délinquants multirécidivistes. Il fallait les sortir le plus tôt possible d’une telle influence.
Deux centres ont été créés : l’un près de Clermont-de-l’Oise, l’autre près de Grenoble. De capacité réduite (30 à 40 places), ils accueillent des jeunes stagiaires qui, âgés de 19 à 25 ans, ont déjà purgé la moitié de leur peine. En assurant un complément d’instruction à ces jeunes et en leur proposant des travaux en groupe, l’association contribue à leur réinsertion.
Lorsque j’ai été confronté à cette population, j’ai eu l’impression d’une masse homogène qui avait été formatée par la prison. La discipline imposée par l’encadrement militaire accentuait cette impression, et il est de fait que jamais je ne suis arrivé à repérer des individualités.
Ayant côtoyé ces groupes vingt-quatre heures sur vingt-quatre pendant plusieurs mois, j’en ai découvert les façons de vivre. Tout d’abord, un profond désir d’affirmation de soi qui m’a choqué, tant leur orgueil zélé les poussait parfois à accomplir des actes apparemment dénués de sens et leur portant préjudice.
À l’issue du stage JET, les stagiaires se voient attribuer un travail – un simple contrat CES le plus souvent -, un logement et… la liberté, qui peut être définitive ou conditionnelle. L’association permet aussi à ses stagiaires de passer leur permis de conduire.
Tout cela apparaît rationnel, mais tous les intéressés ne le vivent pas toujours comme tel. Je me souviens d’un jeune qui, deux jours avant la fin de son séjour, n’a plus accepté l’autorité du chef de stage, car il avait l’impression de se sentir rabaissé aux yeux du groupe. Sa conduite entraîna son exclusion. Entre deux jours à attendre pour sa liberté et une révolte pour affirmer sa fierté, il avait choisi la fierté.
Cela me conduit à évoquer une autre caractéristique, que j’ai trouvée bouleversante, il s’agit de leur incapacité à se projeter dans l’avenir. Il ne restait à ce jeune que deux jours, alors qu’il s’était spontanément investi tout au long du stage pendant trois mois, et sur un coup de tête, il abandonnait la chance de réinsertion qui lui avait été donnée.
Beaucoup semblaient ainsi vivre au jour le jour, saisissant une opportunité un jour pour ensuite la laisser s’envoler…
Ceci ne doit pas faire douter cependant de la capacité de ces jeunes à s’investir dans un projet et à le mener à bien.
Les nombreux chantiers que nous avons menés prouvent la vaillance des stagiaires, quand ils sont bien encadrés. Je vois une autre preuve de leur acharnement à s’en sortir dans le souvenir de ce jeune qui ne savait pas lire. Ils étaient nombreux dans son cas quand ils arrivaient à JET. Lui, issu du milieu forain, connaissait à peine l’alphabet.
Contrairement à certains de ces camarades qui s’en souciaient peu, il manifestait un vif intérêt pour l’apprentissage de la lecture. Après deux semaines de travail intensif, il parvenait à lire des phrases simples. Nul ne peut se figurer mon émotion lorsqu’un soir ce jeune de mon âge est venu me retrouver, les larmes aux yeux, pour me présenter SA première lettre. Pour la première fois, il écrivait quelque chose de compréhensible !…
J’ai retiré de cette année la conviction que, bien encadrés et plongés dans un univers différent du leur, ces jeunes pouvaient se réinsérer.