La réorganisation d’une filière économique
L’histoire du retournement d’une filère complète, où nombre d’entreprises ont subi des difficultés majeures, celle de la volaille de chair en Bretagne. Des managers habitués aux situations de crise ont pris les commandes et ont pu convaincre les parties prenantes de leur méthodes en jouant sur le soutien des créanciers, la solidarité des acteurs, une réduction des volumes et des mesures d’ordre opérationnel.
En ces temps difficiles pour l’élevage français de porcs et de bovins, il est utile de revenir sur la restructuration d’une autre activité d’élevage, commencée plus tôt, dans la volaille de chair.À partir de 2006, la situation de la filière s’est peu à peu dégradée par l’effet combiné d’investissements malheureux, de hausse du prix des aliments et de concurrence des autres pays européens, parfois d’erreurs de gestion.
En 2012, une entreprise importante du secteur, Doux, dépose son bilan.
La principale coopérative d’élevage de volaille en Bretagne, UKL-Arrée, ne choisit pas cette solution, et ne peut bénéficier de la trésorerie apportée par le gel des dettes, ce qui l’amène à s’engager dans une restructuration longue et douloureuse.
Dans le même temps, une part importante des autres entreprises produisant de la volaille destinée à l’exportation connaît des difficultés majeures.
REPÈRES
Le secteur de la volaille de chair s’est fortement développé en France, et particulièrement en Bretagne, entre les années 1970 et 1990.
En 2000, il employait directement près de cent mille personnes pour une production de 2,3 millions de tonnes de viande. Dix ans plus tard, la production avait baissé de 20 % et le nombre d’emplois s’était réduit à 60 000.
2012, Année de crise
En 2012, l’ensemble de la filière est donc en grande difficulté en commençant par les éleveurs qui non seulement ont vu leur rémunération baisser, mais risquent de ne pas toucher leur dû, gelé dans le dépôt de bilan de Doux ou dans la crise de trésorerie d’UKL-Arrée.
“ Une part importante des entreprises du secteur connaît des difficultés majeures ”
Les transformateurs préparant des plats élaborés livrés à la grande distribution ou à la restauration hors foyer, les couvoirs, les organisations de production et les abattoirs voient leur rentabilité remise en cause et leur trésorerie s’assécher.
Très endetté et fortement déficitaire, le groupe Doux change de management. Arnaud Marion, manager habitué aux situations de crise, est nommé président du directoire. Il réorganise l’entreprise en s’appuyant sur les éleveurs et les fournisseurs de volaille.
Dans le même temps, il restructure la dette en faisant entrer au capital un investisseur spécialisé dans le retournement d’entreprise.
En novembre 2014, Arnaud Marion fait approuver le plan de continuation offrant aux créanciers le choix entre un paiement immédiat d’une partie seulement de leurs créances ou le paiement sur dix ans de la totalité de celles-ci. Le plan est accepté.
En 2015, le groupe, porté de plus par une conjoncture favorable, et malgré la disparition des subventions européennes à l’exportation, devait redevenir bénéficiaire.
La modernisation des élevages est à poursuivre.
LES DÉBOIRES D’UNE COOPÉRATIVE
Le redressement d’UKL-Arrée a été long, s’étalant sur plus de trois années. Le statut coopératif est en effet peu adapté pour mettre en œuvre une restructuration qui doit être acceptée par un conseil d’administration composé d’éleveurs ayant la double qualité d’actionnaires et de prestataires.
Après s’être déchiré au sein de ses organes de direction, avoir changé de président deux fois en deux ans, après avoir fait partir son directeur général sans pouvoir se mettre d’accord sur le choix d’un successeur, UKL m’a appelé au printemps 2014 pour réorganiser la coopérative et la ramener à l’équilibre d’exploitation.
Les retards dans la mise en œuvre du plan ont coûté près de 15 millions d’euros sur trois années et ont obligé la coopérative à trouver un adossement, en cours de mise en place.
Une crise longue et douloureuse
En aval, dans les autres entreprises de la filière, la restructuration a eu lieu en concentrant les outils de production et en introduisant de nouveaux managers aptes à piloter des outils industriels. Cela a pris beaucoup de temps et ne s’est pas fait sans dégâts.
Tilly Sabco, le second exportateur de poulets entiers congelés, après Doux, a déposé son bilan et peine à redémarrer : bien que l’annonce en ait été faite plusieurs années auparavant par les autorités de Bruxelles, il ne s’était pas préparé à l’arrêt progressif des subventions à l’exportation versées par l’Europe.
Leur disparition totale à la fin 2013 a représenté un manque à gagner de 400 euros par tonne, soit environ 20 % du prix de vente.
De même, des entreprises comme Beldis, dans la transformation des dindes, ont dû être liquidées. Certains abattoirs ont été fermés.
Depuis le début 2015, la situation est en grande partie assainie, et les volumes repartent à la hausse. La restructuration de la filière a été réalisée par la conjonction de quatre types de facteurs :
- le soutien des principaux créanciers tout d’abord,
- la solidarité entre les principaux acteurs de la filière ensuite,
- la réduction des volumes afin de limiter les besoins en trésorerie,
- et la mise en œuvre de mesures d’ordre opérationnel enfin.
Une restructuration complexe
Les banques et les principaux fournisseurs d’aliments ont maintenu leurs concours, parfois en y étant contraints par le redressement judiciaire de l’entreprise, mais aussi de façon volontaire dans d’autres cas.
“ Depuis le début 2015, la situation est en grande partie assainie ”
C’est ainsi que les 13 millions d’euros de crédits à court terme accordés à UKL par quatre banques ont été régulièrement prorogés.
De même, Doux a pu, dès 2012, obtenir de la banque prêteuse et du principal client du groupe un soutien financier de 30 millions d’euros. Cela a notamment permis aux deux entités de conserver le soutien de leurs éleveurs, pour UKL au moins pendant les dix-huit premiers mois.
La solidarité entre les principaux acteurs de la filière s’est manifestée notamment entre UKL et Doux, le premier étant un important fournisseur du second.
Doux a remis en place une ligne de crédit de près de 5 millions d’euros dès le début de l’année 2013.
UKL a, pour sa part, accepté que son principal client en dindes bénéficie d’un délai de trois ans pour apurer sa dette de plus de 3 millions d’euros.
Réduction des volumes
Cependant, les pertes étant importantes, et l’activité étant fortement consommatrice de trésorerie, il n’aurait pas été possible d’assurer la poursuite de l’exploitation sans réduction sensible des volumes.
Le groupe Doux s’est défait de son pôle « frais », ainsi que de ses filiales brésiliennes. Son chiffre d’affaires est passé de 1,7 milliard d’euros en 2008 à moins de 0,5 milliard en 2013 et le groupe s’est recentré presque exclusivement sur le poulet surgelé vendu au Moyen-Orient.
UKL fortement a réduit son activité de dinde de chair en se séparant de la reproduction sur cette catégorie de volaille. Le chiffre d’affaires a été ramené de 250 millions d’euros en 2011 à 120 actuellement, ce qui a permis de réduire le besoin de financement nécessaire de plus de 15 millions d’euros.
Se doter d’outils de pilotage
Chez UKL, alors que la marge brute globale était de moins de 2 % pour 250 millions d’euros de chiffre d’affaires, la coopérative ne produisait pas d’arrêté comptable mensuel ni de comptes détaillés en fin d’année. Les marges par activité étaient inconnues.
“ Moderniser les élevages pour maintenir une position concurrentielle favorable ”
À la suite d’un important travail analytique permettant d’identifier et de suivre le détail des coûts à chacune des étapes de la production, un plan de restructuration a été proposé dès le début 2013.
Compte tenu des dissensions et atermoiements au sein d’UKL, mais aussi de la longueur des procédures judiciaires amiables concomitantes, le plan n’a pu véritablement être mis en œuvre qu’à partir du mois de septembre 2014.
Un plan en quatre volets
Le plan de restructuration d’UKL comprenait quatre types d’actions : une réorganisation tout d’abord, afin de clarifier le partage des responsabilités entre les services et de donner ainsi à chacun des objectifs quantifiés et précis.
Le renforcement des appuis techniques aux éleveurs ensuite, afin de leur permettre d’améliorer leur efficacité et donc leur rémunération.
Le troisième axe a porté sur une meilleure gestion du couvoir, en réduisant le nombre de races de poules et en permettant un meilleur contrôle technique de l’accouvage.
Enfin, le plan comptait un volet « maîtrise de la consommation d’aliment » pour optimiser la croissance des volailles en qualité et en poids. Cela a permis, en neuf mois, de doubler la marge brute et de ramener la coopérative à l’équilibre.
La nécessité d’une coordination d’ensemble
Au total, la restructuration du secteur de la volaille dans son ensemble est particulièrement instructive en illustrant la nécessité d’utiliser conjointement plusieurs types d’outils, financiers et opérationnels, de faire appel à des compétences spécialisées de diverses natures – juristes, administrateurs judiciaires, managers –, et enfin de coordonner les actions menées sur les différentes entreprises de la filière.
UN TRAVAIL EN PROFONDEUR
La restructuration opérationnelle du secteur a été profonde. En 2010, il vivait encore sur les modes de fonctionnement des années 1990, période pendant laquelle les marges étaient importantes.
Chez Doux, dès son arrivée, Arnaud Marion a lancé des groupes de travail en vue d’augmenter la productivité des élevages : amélioration de la performance des aliments, homogénéité des poids, qualité des volailles livrées, etc.
Les mesures mises en œuvre par la suite ont permis d’améliorer sensiblement la productivité.
Dans ce cas précis, ce rôle a été assuré par les représentants locaux de l’État qui ont veillé, en particulier, à ce que les entreprises se parlent et à ce que les tribunaux de commerce aient une vision globale des différents dossiers.
Le rétablissement a été obtenu. Il reste un volet à mettre en œuvre pour assurer à la volaille bretonne un avenir à moyen terme : la modernisation des élevages, indispensable pour la poursuite de l’amélioration de la qualité et de la productivité.
Cette modernisation permettra de maintenir une position concurrentielle favorable, par rapport notamment aux grands concurrents des pays émergents.