La reprise d’entreprises par les banques se développe
Le sauvetage d’une entreprise peut se faire par une intervention des créanciers qui transforment leur dette en capital. Mais cela implique de suivre la société reprise. Une société en difficulté a besoin d’un actionnaire actif.
Les banques, longtemps réticentes à ce type de solution, sont de plus en plus amenées à les envisager. Cela a été le cas pour de nombreux LBO au business plan optimiste qui n’ont pas résisté à la crise de 2009.
Dans la pratique, la prise de contrôle par les créanciers est envisagée lorsque le principal souci d’une entreprise est d’ordre financier : un bilan devenu inadapté avec un endettement trop lourd et un actionnaire ne voulant ou ne pouvant pas y remédier.
Bien que cette situation ne soit jamais indépendante de difficultés opérationnelles, les enjeux du retournement sont alors spécifiques.
REPÈRES
La reprise d’une entreprise en difficulté par ses créanciers est une situation encore peu fréquente en France, mais la donne a significativement changé et le rythme s’est accéléré.
La fin de l’année 2014 a notamment vu une restructuration record dans laquelle le groupe Vivarte (2,5 milliards d’euros de chiffre d’affaires) a été repris par ses créanciers, en échange d’une réduction de 2 milliards d’euros de sa dette et de l’apport de 500 millions d’euros de liquidités.
Des LBO fragilisés
Les dernières années ont vu une augmentation de ce nombre de situations, liées en particulier à des opérations de LBO (leveraged buyout, ou acquisition avec effet de levier).
“ Au premier ralentissement d’activité, le montant de la dette devient insoutenable ”
Cette pratique, née aux États-Unis dans les années 1970, voit un fonds d’investissement racheter une entreprise avec un fort recours à l’endettement – souvent plus de 50 % et parfois jusqu’à 80 % du prix.
En France, un grand nombre de ces transactions ont été réalisées depuis les années 2000.
Dès lors, au premier ralentissement d’activité, le montant de la dette, calibré au plus juste lors de l’acquisition sur la base d’un business plan optimiste, devient insoutenable pour la société.
Un grand nombre de sociétés en LBO ont fait face à cette situation depuis la crise de 2009 et, de plus en plus souvent, ont vu une prise de contrôle par leurs créanciers : Autodistribution, SGD, CPI, RLD, Saur, Frans Bonhomme, Terreal, Winoa, Vivarte, Alma Consulting, etc.
De plus en plus de sociétés en LBO, comme Terreal, spécialiste des matériaux de construction en terre cuite, ont vu une prise de contrôle par leurs créanciers.
© AGENCE WELLCOM / TERREAL
Abandonner des créances ou recapitaliser
En premier lieu, lorsqu’il est nécessaire de recapitaliser la société et de restructurer son bilan, les actionnaires sont censés apporter de l’argent frais, en échange de concessions de la part des créanciers (rééchelonnement de la dette, abandon d’une partie de la dette restante, etc.).
Mais que faire si l’actionnaire refuse ou n’est pas en mesure de le faire, ce qui est justement le cas de certains LBO ?
Quelle que soit la raison de la « défaillance » de l’actionnaire, les prêteurs peuvent envisager la conversion d’une partie de leur dette en capital, le plus souvent associée à une prise de contrôle de la société.
Bien que ce soit l’esprit qui prévaut lors des montages LBO (les banquiers prennent moult sûretés sur les actions des sociétés concernées), ce type de transaction a historiquement été moins courant en France qu’ailleurs en Europe.
Les banques semblaient jusqu’à présent préférer des abandons de créances, souvent lourds, afin d’aider un actionnaire (historique ou nouveau) à recapitaliser la société à leur place.
Des réticences historiques
Pourquoi cet arbitrage parfois surprenant ? Au-delà de la spécificité des situations, les raisons dépendent des pratiques ou des spécificités de tel ou tel établissement de crédit. La réticence des banques est d’abord psychologique : ce n’est pas une démarche anodine, et généralement pas de « première intention ».
“ Beaucoup de banques ne souhaitent pas être associées à la gestion de ces situations ”
De fait, lors des premières difficultés, c’est plutôt un rééchelonnement de la dette qui est favorisé (amend & extend). D’autre part, en matière de droit des faillites, le cadre français a longtemps été considéré comme favorable aux actionnaires, au détriment des créanciers. C’est de moins en moins le cas.
La troisième réticence touche à la dimension « réputation/ politique » : les dossiers d’entreprises en difficulté sont toujours complexes et souvent visibles. Ils peuvent notamment s’accompagner de plans sociaux.
Beaucoup d’établissements bancaires ne souhaitent pas être associés à la gestion de ces situations. S’y ajoutent les risques juridiques : gestion de fait, soutien abusif, coemploi, etc. Autant d’enjeux qui, à tort ou à raison, inquiètent certains créanciers.
Des problèmes comptables, humains et financiers
La conversion d’une dette en capital a des effets négatifs sur le bilan des banques. De plus, si une banque se retrouve actionnaire majoritaire, se posent des problématiques de consolidation de la société au sein des comptes de la banque.
De façon plus ou moins consciente, certains banquiers ne veulent pas matérialiser des pertes sur leurs créances. Ajoutons que peu de prêteurs disposent d’équipes dimensionnées pour suivre, en tant qu’actionnaire de contrôle, une société en difficulté.
Au-delà du renforcement du bilan, il faut le plus souvent apporter des liquidités (new money) pour financer, par exemple, un plan de restructuration opérationnelle ou de relance de l’activité.
Les syndicats bancaires sont très dispersés. Dans de nombreux cas, ils ne sont pas constitués d’un ou deux créanciers, mais peuvent compter des dizaines de prêteurs, aux horizons et aux enjeux très divers. Il est alors difficile au syndicat des prêteurs, en l’absence d’un chef de file naturel, de se structurer de façon forte.
Un contexte en forte évolution
Pour autant, beaucoup de ces problèmes ont évolué, au point que, en France, les prêteurs sont maintenant de plus en plus à même, le cas échéant, de prendre en main la destinée de l’entreprise.
Récemment, par exemple, le principal prêteur obligataire de Courtepaille, le fonds ICG, en a pris « brusquement » le contrôle, au détriment de son actionnaire précédent, le fonds Fondations Capital.
Cet exemple reste particulier par sa rapidité, en raison d’une structure juridique spécifique. Néanmoins, des changements de fond ont eu lieu.
Des procédures préventives plus efficaces
PORTAGE ACTIONNARIAL
Une innovation a été tentée récemment sur certains dossiers et l’avenir indiquera s’il s’agit d’une exception ou d’une solution pérenne : la mise en gestion de la société par les banques auprès d’une société de gestion spécialisée (« portage actionnarial »).
Cette dernière devient actionnaire de la société, et lui apporte le soutien actif nécessaire à sa relance.
Mais un accord avec les créanciers leur permet de récupérer tout ou partie de leur exposition lors de la vente de la société.
Le contexte juridique du droit des faillites a significativement évolué. Une innovation importante est venue de la création de la procédure de sauvegarde (introduite il y a dix ans), suivie d’évolutions successives (par exemple l’introduction de la sauvegarde financière accélérée en 2010, puis de la sauvegarde accélérée en 2014).
De façon générale, les textes ont facilité le recours aux procédures préventives (mandat ad hoc et conciliation), celles-ci permettant d’éviter la survenance de l’état de cessation des paiements à partir duquel le traitement des difficultés devient plus lourd et plus complexe. Elles ont aussi mis l’accent sur la facilitation de solutions entre créanciers et actionnaires.
Et la tendance continue, comme en témoigne l’article 238 de la loi Macron de 2015, qui donne le droit au tribunal saisi d’une procédure de redressement judiciaire d’ordonner une augmentation de capital ou une cession de leurs parts par les actionnaires opposés au plan de redressement.
Une disposition très symbolique, puisqu’elle touche au droit de propriété. Ainsi, le droit français des faillites n’est plus le principal frein à une éventuelle éviction par les créanciers d’actionnaires historiques défaillants.
Une évolution des esprits
D’autres freins, tels que les conséquences comptables ou de réputation, ainsi que le besoin d’apporter de nouvelles liquidités à la société, s’effacent lentement mais sûrement. Les cas pratiques de prise de contrôle par les créanciers ouvrent la voie et permettent de trouver des solutions – ou font tout simplement évoluer les esprits.
Le fait que la plupart des dossiers de conversion de dette en capital aient été menés par des fonds d’investissement spécialisés ayant racheté de la dette sur le marché secondaire, à un prix très décoté, plutôt que par les banques d’origine, illustre aussi qu’un frein provient d’une certaine frilosité des acteurs historiques.
Enfin, l’effort associé à une prise de contrôle par les créanciers paraît d’autant plus faible que le coût de l’inaction s’est révélé important sur de nombreux dossiers.
Assurer le suivi de la société reprise
S’il semble que la prise de contrôle par les créanciers soit aujourd’hui une piste concrètement ouverte en France, les banques commencent tout juste à aborder la question suivante, à savoir le suivi même de la société ainsi reprise.
Une prise de contrôle par les créanciers n’est pas un gage automatique de succès, comme le montre la restructuration de l’imprimeur CPI, dont les banques ont pris le contrôle en 2009, pour finalement essuyer la perte de la majeure partie de leur exposition en 2013 lors d’une nouvelle restructuration – alors même que la société se porte de façon satisfaisante.
“Une société en difficulté a besoin d’un actionnaire actif”
Une société en difficulté a besoin d’un actionnaire actif qui lui apporte le soutien nécessaire à son succès. Ce constat est d’autant plus vrai pour une PME dont les équipes de direction, même les plus compétentes, peuvent vite se retrouver débordées par la multiplicité des enjeux.
Ce besoin d’un activisme fort, associé à une grande flexibilité et à une capacité financière, est rarement compatible avec le mode de gouvernance des banques.
Dans la plupart des cas passés, ces dernières ont préféré prendre au plus vite leurs distances avec la société et en confier la gouvernance à un conseil de surveillance constitué d’administrateurs indépendants, certes compétents mais finalement sans pouvoir de décision fort – sauf lorsque, parmi les prêteurs, un fonds d’investissement spécialisé s’était entre-temps invité à la table et en avait profité pour prendre les rênes de l’entreprise, par exemple Oaktree pour SGD (flaconnage verre), ICG pour Via Location (location de camions et véhicules utilitaires), KKR pour Winoa (traitement du métal).
La prise de contrôle d’une société est un enjeu important pour les créanciers dans les années à venir. Malgré les progrès d’ores et déjà réalisés, les mécanismes de conversion de la dette en capital et l’efficacité du suivi et du soutien de l’entreprise à relancer impliquent des défis qui restent à résoudre.
Cet enjeu est d’autant plus important que les conditions de crédit actuellement favorables, notamment pour les montages LBO, ouvrent la porte à toujours plus de situations de ce type.