La restructuration du transporteur historique est-elle achevée ?
Les difficultés rencontrées sur l’activité de fret sont bien antérieures à la fin du monopole de la SNCF en transport ferroviaire de marchandises, intervenue en mars 2006.
Si une bonne logistique est un atout pour l’industrie, une industrie florissante soutient directement l’activité des transporteurs, et notamment ceux faits pour mouvoir de gros volumes que sont le ferroviaire, la barge ou le maritime.
REPÈRES
Le transport ferroviaire de marchandises est passé de 55,4 milliards de tonnes-kilomètres en 2000 à 32 milliards en 2013, toutes entreprises ferroviaires confondues. L’activité industrielle, soutien traditionnel de l’activité des transporteurs, est grosso modo trois fois plus faible en France qu’en Allemagne, qu’il s’agisse de la métallurgie ou de la production automobile.
Surtout, là où l’Allemagne a quasi retrouvé et parfois dépassé les niveaux de production d’avant la crise, la France, dans tous les secteurs, reste en deçà des niveaux de 2008 et est très loin de ce qu’elle produisait en 2000.
Des flux difficiles à maîtriser
Il a fallu attendre la création d’un ministère du Redressement productif pour que la désindustrialisation du pays France soit reconnue.
On objectera que moins de production sur place peut se traduire par plus d’importations et donc autant de transports. C’est sans doute vrai, mais avec deux inconvénients pour les transporteurs nationaux et le mode ferroviaire.
“ Une industrie florissante soutient directement l’activité des transporteurs ”
Tout d’abord, venant de l’extérieur, ces flux sont plus facilement maîtrisables commercialement par l’extérieur. Ensuite, ces envois s’effectuent souvent par plus petits lots, ce qui est moins favorable au ferroviaire.
L’anémie relative des ports français par rapport à leurs grands concurrents européens n’a dans le même temps pas constitué pour le ferroviaire français un élément de développement.
La route en concurrence avec le fer
Les impacts de la désindustrialisation, de l’anémie portuaire et de la généralisation du juste-à- temps ont été d’autant plus importants que, comme dans d’autres pays, le mode routier a durant la même période gagné en compétitivité.
JUSTE-À-TEMPS
Le développement du « juste-à-temps » s’est généralisé du milieu des années 1980 jusqu’au début de ce siècle. Cette organisation, tirée par l’aval, se traduit par un besoin d’expéditions plus fréquent, mais de petits lots. En remontant vers l’amont, elle se caractérise par de moindres stocks aux différents stades, et donc là aussi, plus de fréquences mais de petits lots. Ce n’est pas favorable au transport de masse qu’est le ferroviaire.
D’abord, par un travail intrinsèque : équipement de tous les tracteurs en GPS, système d’information intégré permettant notamment de renvoyer un camion une fois déchargé sur le point le plus proche de chargement, information du client en temps réel sur l’état de son envoi ou l’heure de livraison.
Ensuite, en tirant partie de l’élargissement de l’Europe et de la possibilité d’employer des conducteurs venus des pays de l’Est. La concurrence de la route avec le fer porte sur la longue distance et non la courte ou moyenne distance qui concerne la distribution.
“ La rémunération des chauffeurs étrangers n’atteint pas la moitié du salaire français ”
Autant cette dernière est assurée majoritairement par des chauffeurs français, autant la longue distance l’est par des non-nationaux, dont la rémunération se situe aux alentours de la moitié du salaire minimum en vigueur en France.
Ces évolutions du mode routier expliquent largement les difficultés qu’ont connues ou connaissent encore tous les opérateurs historiques sur le wagon isolé, qui n’a tiré aucun parti du développement des petits lots mais a souvent été submergé par les nouveaux atouts de la route.
Un prix à la tonne
La SNCF, au tournant du siècle, est encore organisée pour traiter des volumes importants circulant sur des origines et destinations relativement stables. Le directeur du fret à l’époque n’a pas la main sur les locomotives ou les conducteurs de l’activité.
Les roulements sont mixtes, c’est-à-dire communs avec les activités voyageurs. On les anticipe – et on les optimise – entre dix-huit mois et un an à l’avance.
“ Offrir une solution que le marché puisse acheter ”
Quant aux grands triages, la division extrême des tâches qui les caractérise est typique d’une organisation industrielle devant traiter de gros volumes. La politique tarifaire est sous-tendue par la même réalité passée : on y vend encore largement à la tonne transportée, laissant ainsi au transporteur tout le risque – devenu, entre-temps, réel – sur le remplissage du train, sur lequel il n’a pourtant pas la main.
Les conséquences de ces éléments sont sans appel : le transport ferroviaire de marchandises diminue d’un quart tandis que les pertes sont multipliées par cinq. Cette double crise, financière et de trafic, a conduit à engager une réflexion de fond sur l’activité, son environnement et les leviers pour la rétablir.
Une restructuration d’ensemble
AU-DELÀ DES FRONTIÈRES
L’accent est mis sur une réforme profonde de la manière d’exploiter le wagon isolé ; sur le développement des transports combinés et des autoroutes ferroviaires. Le marché est appréhendé au-delà des frontières ; une plus grande efficacité interne, nécessaire, est recherchée, notamment par un rapprochement entre commerce et production sur refonte de processus et par une organisation beaucoup moins centralisée.
Il faudra attendre 2007 pour que les moyens et ressources nécessaires à la production des trains de fret soient directement rattachés à l’activité. Celle-ci, à fin 2008, avait enfin les leviers pour adapter son système de production aux besoins des chargeurs.
Une restructuration d’ensemble, faisant le lien entre besoins captables, actuels et prévisibles, des chargeurs ; produits trains susceptibles d’y répondre, et manière de les produire de manière efficace, devenait possible.
Dans le même temps, la crise financière mondiale faisait sentir ses effets à partir du second semestre 2008. En un an, les volumes baissaient de 26 %. La route étant également très touchée, les prix routiers diminuaient fortement. Les chargements remis au système du wagon isolé s’effondraient, passant de 524 000 wagons chargés en 2008 à 258 000 en 2009. En 2009, les pertes atteignaient 464 millions d’euros.
Un schéma directeur
En septembre de la même année 2009, le conseil d’administration de SNCF adoptait un schéma directeur pour un nouveau transport écologique de marchandises, s’inscrivant dans cette réalité et retenant l’hypothèse d’une économie postcrise durable.
La crise financière avait servi de révélateur, permettant de partager quelques réalités. La visibilité des industriels sur leur production n’est plus à un an et parfois plus, mais bien à trois ou quatre mois.
L’orientation fondamentale votée par le conseil est de mettre l’énergie et les moyens là où le ferroviaire a quelque chance d’être pertinent, c’est-à-dire capable d’offrir une solution achetable par le marché.
À la fin de 2013, pour un chiffre d’affaires en baisse de 24 % par rapport à 2009, les moyens engagés ont diminué de 37 % à 45 %, permettant de diminuer sensiblement les pertes. Cette recherche de plus grande efficacité se poursuit activement sur 2014 et doit continuer jusqu’à la fin de 2015.
Rechercher l’efficacité
Plusieurs voies sont retenues. Une nouvelle manière de produire du wagon isolé, destinée à assurer une meilleure fiabilité des délais tout en étant plus économe en coûts fixes, fait appel à une concentration des opérations de dégroupage- groupage sur quelques grands hubs et un pilotage des liens entre desserte initiale, trains d’axe et desserte terminale.
UNE VISION DES TERRITOIRES
Fret SNCF s’appuie sur ses atouts d’opérateur historique – sa capacité à mutualiser des ressources sur les flux de plusieurs clients –, mais l’entreprise le fait sur la base d’un dialogue structuré entre commerciaux et producteurs, gage d’un service adapté et de qualité pour les clients.
Cette manière de travailler conduit à une autre segmentation de la clientèle, non plus tant par secteurs d’activité que par caractéristiques des flux. Elle doit permettre une vision différenciée des territoires, le tout devant faciliter le placement de nouvelles offres ferroviaires sur le marché, allant un peu au-delà des quelques rares reprises de flux à la route ou au maritime que Fret SNCF comme les nouveaux entrants font à ce jour.
Préparée sur le second semestre 2009 et toute l’année 2010, la mise en œuvre s’est faite sur 2011. Après trois premiers mois difficiles, elle est entrée dans une phase de qualité croissante.
De nombreux rapprochements d’unités de production permettent de réduire les frais d’encadrement (nombre d’unités divisé par deux depuis 2010).
Une remise à plat de toutes les fonctions d’appui visant à ne garder que celles qui apportent une réelle valeur aux clients ou à l’entreprise diminue également les frais de structure. Ces actions se sont traduites, par exemple, par une très nette amélioration de la qualité de la facturation tout en divisant par trois les effectifs nécessaires à cette fonction.
Une reconfiguration profonde de la manière de produire des trains est enfin largement engagée. Il s’est agi tout à la fois de prendre en compte la moindre visibilité des chargeurs et le caractère fluctuant de leurs besoins, tout en visant des plans de transport industrialisés, gage d’une meilleure utilisation des moyens.
Marathon, essai de train de 1 500 m le 12 avril 2014, entre Sibelin et Nîmes. © SNCF
Le problème social
La restructuration de Fret SNCF est-elle donc en passe de s’achever ? Au regard des objectifs fixés en 2009, on peut dire que leur obtention dépasse les 60 % et que le gros tiers restant est à portée de main.
Mais deux problématiques restent à traiter. La première concerne la définition d’un cadre social commun à tout le secteur ferroviaire. Il faut faire converger deux systèmes, notamment de durée et d’aménagement du temps de travail, dont un, celui de la SNCF, est plus généreux en congés et encadrement des repos hebdomadaires.
Que ce soit sur le nombre de jours de congés, l’encadrement des repos, les amplitudes, le travail de nuit, il y a suffisamment d’exemples de travail posté ou à fortes contraintes dans d’autres secteurs pour qu’on essaie, au sein des organisations patronales comme avec les syndicats de salariés, de trouver les bons curseurs.
Le coût des péages
Un autre sujet, beaucoup plus menaçant pour l’ensemble des entreprises de fret ferroviaire, est celui du coût des péages et de l’entretien des lignes capillaires.
“ Définir un cadre social commun à tout le secteur ferroviaire ”
Grâce à une compensation de l’État auprès de Réseau ferré de France (dont le versement est suspendu depuis 2013), la France se situe dans la moyenne européenne de la tarification des sillons.
Dans la fourchette basse de cette moyenne, certes, mais c’est à mettre en regard d’une exception française : la qualité très dégradée des sillons fret depuis la fin 2009, du fait notamment de l’importance des travaux en cours sur le réseau. Cette qualité dégradée entraîne souvent une surconsommation de ressources pour les entreprises de fret ferroviaire et empêche même le développement de nouvelles offres.
En tout état de cause, doubler le prix-sillon mettrait la France hors moyenne et équivaudrait à accroître les coûts du mode ferroviaire entre 12 % et 16 %. L’arrêt de tout entretien des lignes capillaires signifie, lui, l’impossibilité progressive de desservir l’essentiel des silos à grains et carrières du pays, ainsi que certains sites industriels.
L’impact direct peut être évalué à 25 % des trafics.
Sortir du déni de réalité, rentrer dans les possibles et s’en saisir : Fret SNCF a montré qu’il en était capable. Reste à le faire avec tous les acteurs qui interviennent dans le système ferroviaire.