La retraite : enjeux stratégiques et nouvelle donne
La problématique de la retraite est beaucoup plus vaste et large qu’une simple équation de comptabilité publique à équilibrer ; c’est le signe d’une évolution particulière de notre société. C’est un sujet de préoccupation permanent de l’ensemble des Français et des gouvernements depuis 40 ans, avec un souci permanent de l’équilibre des comptes, en utilisant les variables classiques de l’âge du départ à la retraite, du niveau des cotisations, des régimes spéciaux (même si ceux-ci accueillent les réformes avec prudence et circonspection). L’évolution de la population et de la pyramide des âges représente une contrainte supplémentaire en constante évolution.
“Se constituer un complément de retraite individuelle par capitalisation, avec l’aide de l’employeur.”
Le gouvernement a partiellement avancé sur le sujet au travers de la loi Pacte de 2019 et de la loi sur le partage de la valeur en 2023. En effet les dispositifs proposés, notamment les différents PER (plan d’épargne retraite) proposés à l’ensemble des salariés français leur permettent de se constituer un complément de retraite individuelle par capitalisation, avec l’aide de l’employeur. Cette évolution qui intègre la constitution d’une partie de leur pension de retraite par capitalisation individuelle est inévitable.
C’est le modèle anglo-saxon qui fonctionne depuis de nombreuses années. Cependant ces solutions ne pourront pas remplacer les régimes par répartition, qui devront impérativement être revus.
Le départ à la retraite et ses conséquences financières monopolisent les gouvernements successifs et la classe politique depuis de nombreuses années. En effet, du point de vue de la structure de la pyramide des âges, les classes les plus nombreuses nées après-guerre (appelées communément les boomers) prennent progressivement leur retraite. De nombreuses lois se sont succédé pour trouver une solution aux équilibres démographiques et financiers, ce qui est un véritable défi dans les mois et les années à venir. Compte tenu de la démographie, le système par répartition ne pourra absorber seul les changements démographiques majeurs en cours. D’autres options viendront en complément de la répartition pour éviter l’explosion de ce système social historique.
Un état des lieux alarmant
La stratégie dominante des politiques menées depuis 40 ans vise à maintenir le modèle social français tel qu’il a été conçu après la Deuxième Guerre mondiale. Après avoir connu le taux de couverture d’un retraité au niveau de trois cotisants en 1970, celui-ci s’est progressivement réduit pour atteindre le seuil alarmant de deux cotisants pour un retraité en 2000, 1,7 cotisant pour un retraité en 2023, avec une projection de 1,4 cotisant pour un retraité à l’horizon 2030.
La France comptait 5 millions de retraités en 1981 et 18 millions de retraités en 2021 (en tenant compte des pensions de réversion). Dans le même temps, après une stabilisation du taux de fécondité des femmes françaises à 2 enfants par femme jusqu’en 2014, ce taux s’est établi à 1,8 enfant par femme en 2022, ce qui n’était pas arrivé depuis 1990. L’âge moyen de la première maternité était de 31 ans en 2022.
“Se constituer un complément de retraite individuelle par capitalisation, avec l’aide de l’employeur.”
D’un autre côté, l’espérance de vie s’établit à 85,3 ans pour les femmes et 79,3 ans pour les hommes, avec un nombre de centenaires qui dépasse les 30 000, soit 30 fois plus qu’en 1970 (source Insee). Enfin, en 2022 les dépenses de retraite représentaient 13,7 % du produit intérieur brut, soit 360,7 milliards d’euros.
La part des dépenses pour financer les retraites de la fonction publique va vers une diminution. Les résultats du dernier rapport du Conseil d’orientation des retraites de septembre 2022 montrent que cette part (régime de la FPE, fonction publique d’État, CNRACL, Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales, et Ircantec, Institution de retraite complémentaire des agents non titulaires de l’État et des collectivités publiques) dans le produit intérieur brut serait en diminution à l’horizon de la projection, après une période de stabilité : partant de 3,3 % entre 2015 et 2030, elle varierait entre 2,3 % (scénario de productivité de 1,6 %) et 2,8 % (scénario 0,7 %) en 2070.
Les retraites versées par ces régimes représenteraient également une part de moins en moins élevée de l’ensemble des dépenses de retraite : la baisse serait assez importante jusqu’en 2055, date à laquelle la part des dépenses des régimes de la fonction publique dans l’ensemble des dépenses atteindrait environ 20 % selon les scénarios, contre 24 % en 2020. Elle diminuerait ensuite de manière moins marquée, pour atteindre 19 % en 2070.
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La nouvelle donne
Pour compléter et renforcer le régime général, un certain nombre de dispositifs ont été créés afin de générer un complément de revenus lors d’un départ à la retraite, sous la forme d’une épargne constituée au long d’une carrière. Nous proposons ici de décrire les dispositifs mis en place depuis de nombreuses années.
L’organisation du système de retraite français s’articule autour d’un système obligatoire par répartition avec un régime de base obligatoire Caisse nationale d’assurance vieillesse (Cnav Sécurité sociale) et un régime complémentaire obligatoire Agirc Arrco, et d’un système facultatif par capitalisation formant l’épargne retraite, avec un régime supplémentaire collectif (plan d’épargne retraite d’entreprise, PERO, Perecol, indemnité de fin de carrière, article 39 du Code général des impôts, CGI, etc.) et des régimes supplémentaires individuels comme le plan d’épargne retraite individuel (PERin), les assurances vie, l’épargne individuelle.
« L’organisation du système de retraite français s’articule autour d’un système obligatoire par répartition avec un régime de base obligatoire et un régime complémentaire obligatoire, et d’un système facultatif par capitalisation formant l’épargne retraite. »
Nous nous intéressons maintenant aux régimes de systèmes facultatifs, et particulièrement aux régimes collectifs, régis notamment par l’article L. 141–1 du Code des assurances. Il existe un régime à double possibilité. D’une part à cotisations définies : le plan d’épargne retraite et l’article 83 du Code général des impôts sont des dispositifs dont les cotisations sont définies, dont l’adhésion des salariés est obligatoire et qui ont un système par capitalisation – constitution d’un capital retraite pour soi-même – contrairement au régime général par répartition (la commercialisation de ce dispositif n’est plus possible depuis le 1er octobre 2020).
On notera que les droits sont individualisés et définitivement acquis, on notera aussi la non-substitution à un élément de rémunération. D’autre part à prestations définies : l’article 39 du CGI, quant à lui, prévoit que l’employeur s’engage, lors de la mise en place du régime, sur le montant qui sera versé au salarié. Ce sont des contrats alimentés exclusivement par des cotisations versées par l’entreprise. Ils sont le plus souvent réservés à une catégorie spécifique de salariés (en général des cadres dirigeants).
L’épargne retraite en France
PERin : plan d’épargne retraite individuel
PERE : plan d’épargne retraite d’entreprise
PERO : plan d’épargne retraite obligatoire
Perecol : plan d’épargne retraite d’entreprise collectif
PERU : plan d’épargne retraite unique
La loi Pacte
La loi Pacte (plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises) a été votée le 22 mai 2019 (loi n° 2019–486) avec une entrée en vigueur le 1er octobre 2019 et a réformé l’épargne retraite dans le but de la simplifier, en créant un seul plan : le PER qui se décline en PERin pour la retraite individuelle et en PERE pour la retraite collective en entreprise. Le PERE se décline lui-même en trois produits d’épargne : le PERO (plutôt distribué par les assureurs) ; le Perecol (plutôt distribué par les banques) ; et le PERU (plutôt distribué par les banques).
La loi du 29 novembre 2023
La loi du 29 novembre 2023, portant transposition de l’accord national interprofessionnel relatif au partage de la valeur au sein de l’entreprise, transpose l’accord national interprofessionnel (ANI) sur le partage de la valeur en entreprise, conclu en février 2023 entre les syndicats et le patronat. Cet accord vise à mieux associer les salariés aux performances des entreprises, notamment dans les PME. La loi a été promulguée le 29 novembre 2023. Elle a été publiée au Journal officiel du 30 novembre 2023.
La loi transpose, de manière fidèle, les mesures de niveau législatif de l’accord national interprofessionnel qui a été signé, le 10 février 2023, entre le Medef, la CPME, Confédération des petites et moyennes entreprises, l’U2P, Union des entreprises de proximité, la CFDT, FO, la CFE-CGC et la CFTC. Cet accord a pour objectif de dynamiser le partage de la valeur en entreprise, tout en rappelant le principe de non-substitution, en vertu duquel les sommes versées au titre du partage de la valeur ne doivent pas se substituer aux salaires. La loi s’articule autour de quatre axes : renforcer le dialogue social sur les classifications des emplois ; faciliter la généralisation des dispositifs de partage de la valeur ; simplifier la mise en place de dispositifs de partage ; et développer l’actionnariat salarié.
Développer le partage de la valeur dans les PME
Deux mesures visent à généraliser les dispositifs de partage de la valeur. Les entreprises de moins de 50 salariés pourront mettre en place à titre volontaire un dispositif de participation de branche ou d’entreprise pouvant être moins favorable que la formule légale. D’ici le 30 juin 2024, les branches professionnelles devront ouvrir une négociation en ce sens. Actuellement, les accords de participation dérogatoires doivent garantir des avantages au moins équivalents à la formule légale.
À partir du 1er janvier 2025, les entreprises de 11 à 49 salariés devront mettre en place au moins un dispositif de partage de la valeur dès lors qu’elles sont profitables (bénéfice net fiscal d’au moins 1 % de leur chiffre d’affaires pendant trois exercices consécutifs). Il pourra s’agir d’un dispositif de participation ou d’intéressement ou d’un plan d’épargne salariale, notamment un plan d’épargne retraite d’entreprise collectif (Perecol interentreprises) ou d’une prime de partage de la valeur (PPV).
Les entreprises déjà couvertes par un dispositif de partage, les entreprises individuelles et les sociétés anonymes à participation ouvrière (SAPO) sous certaines conditions ne sont pas concernées. Les députés ont étendu cette obligation aux entreprises de l’économie sociale et solidaire (associations, mutuelles, coopératives). Ces dispositions sont mises en place à titre expérimental pour cinq ans. Un bilan et un suivi annuel de ces expérimentations seront réalisés par le gouvernement.
Bénéfices exceptionnels, prime Macron
La loi instaure une nouvelle obligation de négocier sur les bénéfices exceptionnels. Cette obligation concernera les entreprises de 50 salariés et plus qui disposent d’un ou plusieurs délégués syndicaux, lorsqu’elles ouvrent une négociation sur un dispositif de participation ou d’intéressement. La prise en compte des bénéfices pourra conduire à un supplément d’intéressement ou de participation ou à une nouvelle discussion sur un dispositif de partage.
Les entreprises déjà couvertes par un accord d’intéressement ou de participation, au moment de la publication de la loi, devront engager une négociation d’ici le 30 juin 2024 sur la définition de leur bénéfice exceptionnel et comment il sera partagé avec les salariés. À l’initiative des députés, la définition d’une augmentation exceptionnelle du bénéfice que pourront retenir les partenaires sociaux a été encadrée. Elle devra prendre en compte des critères tels que la taille de l’entreprise, le secteur d’activité, la survenance d’une ou plusieurs opérations de rachat d’actions de l’entreprise…
Le texte facilite aussi le versement de la prime de partage de la valeur (PPV). Cette prime (ex-prime Macron) pourra être attribuée deux fois par an dans la limite des plafonds totaux d’exonération (3 000 euros ou 6 000 euros) et pourra être placée sur un plan d’épargne salariale. Dans les entreprises de moins de 50 salariés, la prime restera, pour les salariés dont la rémunération est inférieure à trois Smic, exonérée de cotisations fiscales et sociales ainsi que d’impôt sur le revenu jusqu’au 31 décembre 2026.
Mesures accessoires
Un nouveau dispositif facultatif dénommé « plan de partage de la valorisation de l’entreprise » est en outre instauré. Ce plan pourra être mis en place pour trois ans par accord et devra bénéficier à tous les salariés ayant au moins un an d’ancienneté, sauf accord d’entreprise plus favorable. En cas de hausse de la valeur de l’entreprise lors des trois années de durée du plan, les salariés pourront bénéficier d’une « prime de partage de la valorisation de l’entreprise ». Cette prime pourra être placée sur un plan d’épargne salariale. Une ouverture plus grande de portion du capital aux salariés actionnaires est rendue possible. Les plafonds d’attribution des actions gratuites sont rehaussés. Des dispositions pour promouvoir une épargne verte, solidaire et responsable complètent le texte.
Les règlements des plans d’épargne d’entreprise (PEE) et des plans d’épargne retraite (PER) devront proposer un fonds satisfaisant à des critères de financement de la transition énergétique et écologique ou d’investissement socialement responsable, en complément du fonds solidaire qui doit déjà être proposé dans ces plans. Les épargnants salariés pourront ainsi choisir d’affecter par exemple leur prime de participation ou d’intéressement à des fonds labellisés ISR, Greenfin ou CIES. À noter : aucune mesure de partage avec les salariés des « superprofits » réalisés par certaines grandes entreprises qui rachètent leurs propres actions, mesure évoquée par le Président de la République le 22 mars 2023, ne figure dans la loi.
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Les régimes Art 39 à prestations définies ont été placés en extinction du fait de la restriction qu’ils opéraient en matière de liberté de mouvement et leur mise en oeuvre fait l’objet de restrictions.