La retraite par capitalisation : quel avenir ?
Il est d’abord utile de rappeler les principes de la retraite par répartition, sa construction progressive en France, avant d’esquisser ce que pourrait être son avenir et la place que la capitalisation pourrait tenir.
Aujourd’hui, quelle est la situation de la retraite par répartition ?
Le principe du système de retraite par répartition est de distribuer, parmi les retraités, les sommes payées par les actifs et les entreprises sous forme de cotisations obligatoires. L’essentiel des régimes de retraite du secteur privé s’est constitué depuis 1945.
Un régime général (Sécurité sociale) a été complété par des régimes complémentaires mis en place entre 1945 et la fin des années 1970.
La première caractéristique du système est une mutualisation immédiate et totale. À de rares exceptions près, les régimes de retraite par répartition français constituent peu de réserves.
Le niveau des prestations de retraites que peuvent servir les régimes par répartition dépend :
- du nombre de retraités : donc de la démographie,
- de l’assiette des cotisations : donc de la masse salariale,
- de la revalorisation des prestations aux retraités,
- du coût d’acquisition des prestations futures par les actifs.
Comment ces facteurs vont-ils évoluer dans les années à venir ?
Le vieillissement de la population est constant et régulier
L’espérance de vie à la naissance augmente d’un trimestre par an. À titre d’illustration, soulignons qu’une fille sur deux qui naît en ce moment sera centenaire.
La proportion de la population française‚ âgée de plus de 60 ans atteindra 25 % à partir de 2015 ; le ratio + 60 ans/20 à 59 ans atteindra alors 48 %.
La masse salariale dépend du niveau d’activité économique
Dans les vingt dernières années, les contributions respectives du travail et du capital à la production ont beaucoup évolué.
La proportion du coût salarial dans le coût de la production a décru. Pour cette raison, on évoque aujourd’hui un changement d’assiette de calcul des cotisations sociales patronales, de façon à moins pénaliser les entreprises qui emploient beaucoup de main-d’œuvre dans la constitution de leur valeur ajoutée.
La revalorisation des prestations
C’est un aspect qui dépend réellement des décisions prises par les régimes de retraite eux-mêmes.
Chaque année, les régimes décident de la progression des prestations versées aux retraités. Dans cette décision, ils peuvent évidemment tenir compte des projections démographiques et financières à moyen et long terme.
Cependant, ils ont le plus souvent procédé à des revalorisations importantes durant les années où ils en avaient la possibilité, sans toujours tenir compte des prévisions.
Le coût d’acquisition des prestations
Les droits futurs à la retraite sont acquis par les actifs qui versent les cotisations. Ces droits futurs ne sont cependant pas constants dans le temps. Ils évoluent de deux façons :
- pour le régime général : les conditions d’accès aux prestations de retraite peuvent être changées. Par exemple, le durée totale de cotisation nécessaire pour obtenir une retraite à taux plein passe de 37,5 à 40 ans ;
- pour les régimes complémentaires, c’est bien le coût d’acquisition qui varie. Le prix du point de retraite « à l’achat » pour les actifs est fixé chaque année par les régimes, comme la valeur du point de retraite payé aux retraités.
Les évolutions récentes des régimes de retraite du secteur privé ont été dictées par un souci de simplification et de rationalisation, afin de réduire les coûts de gestion, notamment ceux des régimes complémentaires.
Tableau I – Les taux de remplacement | |||
Âge actuel Dernier salaire KF * |
30 ans | 40 ans | 50 ans |
150 | 60 | 64 | 66 |
300 | 50 | 54 | 57 |
600 | 40 | 45 | 48 |
1 000 | 30 | 33 | 36 |
* Il s’agit du salaire de fin carrière annuel brut (en francs constants). |
On assiste depuis plusieurs années à des fusions entre caisses de retraite complémentaires. Depuis peu, la valeur du point de retraite (à l’acquisition et à la restitution) est unique pour toutes les caisses de retraite des non-cadres.
Les grandes catégories d’actifs gardent cependant des régimes de retraites très différents avec notamment :
- les fonctionnaires dont le régime de retraite relève du budget de l’État et n’est donc pas isolé dans une caisse,
- les régimes dits spéciaux (par exemple : SNCF, EDF-GDF…),
- des régimes agricoles (pour les salariés et les exploitants),
- des régimes pour les professions indépendantes (professions libérales, artisans, commerçants…),
- un régime général et des régimes complémentaires pour les 14 millions de salariés du secteur privé.
Pour les salariés du secteur privé, les prévisions sur l’évolution des retraites des régimes obligatoires montrent les tendances suivantes (voir tableau I) :
- le vieillissement de la population explique une baisse progressive du taux de remplacement1,
- d’ores et déjà, le taux de remplacement pour les salaires élevés apparaît comme faible, nécessitant de prévoir un complément de revenu constitué par ailleurs,
- pour les salariés actuellement les plus jeunes, il sera nécessaire, à partir d’un salaire brut annuel de fin de carrière de 500 KF, de constituer un complément de revenus.
Tableau I – Les taux de remplacements
Âge actuel
Dernier salaire KF (*) 30 ans 40 ans 50 ans 150 60 64 66 300 50 54 57 600 40 45 48 1000 30 33 36
(*) Il s’agit du salaire de fin de carrière, annuel brut (en francs constants).
À l’avenir, quelle place pour la capitalisation ?
Hormis les salariés du secteur privé, la plupart des autres catégories d’actifs disposent déjà de fonds de pension.
Par ailleurs, ils bénéficient d’avantages fiscaux sur les versements effectués à ces fonds de pension :
- Préfon ou Cref par les fonctionnaires,
- contrats loi Madelin pour les professions indépendantes,
- COREVA pour les exploitants agricoles.
Pour les salariés du secteur privé, en partant des constats ci-dessus, et dans la mesure où ces tendances sont connues depuis longtemps, le débat autour des fonds de pension existe en France depuis plus de dix ans.
Dans ce débat, plusieurs objectifs contradictoires se sont souvent télescopés :
- objectif de performance à long terme et crainte de fluctuations importantes à court terme,
- lobbies professionnels, oppositions entre assureurs et banquiers,
- souci de construire un système pérenne et volonté d’en laisser la maîtrise au niveau de l’entreprise ou du salarié,
- mutualisation des risques et épargne individuelle.
Par ailleurs, il apparaissait nécessaire de consolider l’avenir des régimes de retraite par répartition avant de mettre en place la retraite par capitalisation.
Après les accords AGIRC ARRCO du printemps 1996, des propositions de fonds de pension ont donc été présentées au Parlement, aboutissant en janvier 1997, à la loi dite « loi Thomas », créant les Fonds d’Épargne Retraite.
Dans cette loi, l’épargne retraite relevait d’une initiative individuelle du salarié, assortie d’un avantage fiscal. Cette épargne n’était cependant possible que dans le cadre de l’entreprise, celle-ci devant prendre l’initiative de mettre un Fonds d’Épargne Retraite à la disposition des salariés.
Enfin, caractéristiques très importantes, les Fonds d’Épargne Retraite étaient des compagnies d’assurance vie et la sortie de la phase d’épargne se faisait obligatoirement en rente viagère, sans qu’un mécanisme de sortie soit prévu en cas de décès avant l’âge de la retraite.
Les mécanismes prudentiels de l’assurance vie étaient des freins au placement en actions ; la sortie obligatoire en rente viagère, sans possibilité de récupérer le capital en cas de décès, était un frein majeur pour les salariés.
La loi Thomas n’a jamais eu de décrets d’application et les Fonds d’Épargne Retraite n’ont donc jamais vu le jour.
Aujourd’hui, sans cadre légal spécifique, la retraite par capitalisation est peu développée en France. Il est évidemment possible, dans des contrats d’assurance vie ou dans les plans d’épargne d’entreprise d’inclure des produits ayant un objectif à long terme.
Il est également possible pour les entreprises de prendre l’initiative de créer un régime par capitalisation propre.
Aujourd’hui cependant l’encours de ces produits est faible par rapport à l’épargne globale des salariés mais, surtout, très faible par rapport aux montants qui seraient nécessaires pour compenser la baisse future des prestations.
Quelles conditions pour le succès de la capitalisation ?
Si l’on doit aujourd’hui se construire un complément de revenus à l’horizon du départ en retraite, que faut-il privilégier ?
Tableau II – Structure par âge de la population française (%) | |||||
1990 | 1995 | 2005 | 2015 | 2040 | |
0 –19 ans | 27,8 | 26,3 | 25,0 | 23,4 | 21,1 |
20–59 ans | 53,2 | 53,7 | 54,2 | 51,7 | 46,5 |
60–64 ans | 5,1 | 5,1 | 4,3 | 6,2 | 5,4 |
65 ans et plus | 35,8 | 37,2 | 38,4 | 48,3 | 70,1 |
ratio + 60 ans / 20–59 ans | 35,8 | 37,2 | 38,4 | 48,3 | 70,1 |
ratio + 65 ans / 20–64 ans | 23,9 | 25,4 | 28,2 | 32,4 | 52,3 |
Source : DINH (1995), scénario central. |
Avant de le déterminer, soulignons plusieurs éléments qui différencient les objectifs l’épargne retraite des objectifs habituels de l’épargne.
L’horizon : d’autant plus long que l’on commence à constituer cette épargne tôt ; or, on a vu qu’il est nécessaire, si on a aujourd’hui 30 ou 40 ans, de s’en préoccuper.
L’horizon de l’épargne retraite est donc de dix à trente ans. Pour constituer un capital ou un revenu significatif, cette durée est d’ailleurs nécessaire à la fois en raison de l’effet capitalisation et en raison de la nécessité d’étaler l’effort d’épargne. À titre d’exemple, à taux de placement constant (5 %), une épargne de 1 000 francs par mois donne un capital de :
- 155 000 F au bout de dix ans,
- 407 500 F au bout de vingt ans,
- 818 700 F au bout de trente ans.
La référence de performance : sur l’horizon considéré, et avec l’objectif de garder intact ou d’améliorer le pouvoir d’achat de l’épargne, la référence est forcément l’inflation. Il s’agit sur l’horizon de dix à trente ans, de battre l’inflation. Aujourd’hui, cet objectif paraît très facile à atteindre. Il faut se rappeler qu’il était quasiment impossible d’y parvenir dans les années 1970. Il est donc nécessaire d’avoir une allocation d’actifs qui tienne compte des performances corrigées de l’inflation sur longue période. Ceci implique de retenir des classes d’actifs autres que les actions et les obligations, par exemple l’immobilier. Par ailleurs, il faut privilégier la performance à long terme, et donc être capable de supporter des fluctuations importantes à court terme.
Enfin, l’allocation d’actifs tiendra compte des conditions macroéconomiques essentiellement pour se prémunir des effets de l’inflation.
Le niveau de performance moyenne, par l’effet de la capitalisation sur longue période, a un impact élevé sur le résultat final.
Tableau II – Structure par âge de la population française (%)
1990 1995 2005
2015 2040 0 – 19 ans 27,8 26,3 25,0 23,4 21,1 20 – 59
53,2 53,7 54,2
51,7 46,4 60 – 64
5,1 5,1 4,3 6,2 5,4 65 ans et plus
13,9 14,9 16,5 18,7 27,1 + 60 ans / 20 – 59 ans (ratio)
35,8 37,2 38,4 48,3 70,1 + 65 ans / 20 – 64 ans (ratio)
23,9 25,4 28,2 32,4 52,3
En reprenant l’exemple d’un salarié qui épargne 1 000 F par mois sur dix, vingt ou trente ans, si la performance annuelle moyenne n’est plus 5 % mais de 6 %, le capital accumulé est de :
- 163 300 F (soit 5.4 % de plus qu’à 5 %) au bout de dix ans,
- 455 600 F (soit 11.8 % de plus qu’à 5 %) au bout de vingt ans,
- 979 300 F (soit 19.6 % de plus qu’à 5 %) au bout de trente ans.
Complétons enfin l’approche par quelques considérations macroéconomiques :
- comment évoluent les prestations globales servies par un régime par répartition : comme la masse salariale (ou comme la valeur ajoutée), donc selon un rythme proche de celui de la croissance économique du pays ;
- quelle est la performance d’un placement en capitalisation : le rendement des actions évolue à long terme comme la croissance économique du pays. Celui des obligations est inférieur de 2 à 3 % à celui des actions sur longue période tandis que le rendement de l’immobilier en est proche.
Enfin, il est primordial de ménager le souci des salariés de maîtriser leur épargne.
À répartition constante des rémunérations du capital et du travail dans le pays et à coûts de gestion égaux, on a donc des rendements équivalents entre répartition et capitalisation.
Cette conclusion n’est cependant pertinente qu’en univers fermé, dans un pays donné.
Or, le système par répartition est contenu dans les limites de l’économie nationale, alors que le système par capitalisation peut diversifier ses placements sur l’ensemble des économies mondiales.
L’objectif est évidemment de capter les rendements d’économies en croissance plus forte que celle de l’économie française.
Le rendement peut alors être sensiblement supérieur, tant sur les actions que sur les obligations.
La diversification des placements sur d’autres zones géographiques a un autre effet bénéfique majeur : les risques peuvent être mieux répartis, entre des classes d’actifs ou des zones géographiques peu corrélées entre elles.
Avec cette diversification, c’est donc le couple rendement/risque global de l’épargne retraite qui s’améliore.
Ce souci s’estompe évidemment dans un cadre collectif et mutualisé.
En revanche, dans un cadre individuel, il devient prépondérant. Il est indispensable alors de laisser le salarié maître, lors de son départ en retraite, de la transformation de son épargne en rente ou de sa conservation sous forme de capital. Il faut également que le capital soit facilement récupérable par ses descendants, en cas de décès pendant la phase d’épargne.
Les annonces récentes de création d’un fonds de réserve pour les retraites ne remettent pas en question la nécessité de se constituer une épargne en vue de la retraite, dès lors que l’on anticipe un salaire de fin de carrière supérieur à 400 KF et que l’on a aujourd’hui moins de 50 ans.
Ce fonds pourrait en effet compenser une partie de la dégradation du taux de remplacement. Il ne pourra évidemment faire progresser les taux de remplacement faibles pour les salaires élevés.
Cette épargne en vue de la retraite ne pourra se constituer que lentement, puisqu’elle ne bénéficiera pas, dans l’immédiat, de cadre légal spécifique ni d’avantage fiscal. Diversification, horizon à long terme et gains de pouvoir d’achat sont aujourd’hui les priorités des salariés qui souhaitent entamer un effort d’épargne pour compléter leur retraite.
C’est probablement en intégrant des fonds adaptés dans les plans d’épargne d’entreprise qu’ils pourraient y parvenir dans les meilleures conditions
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1. Le taux de remplacement est le pourcentage représenté de la retraite brute (avant impôts, prélèvements et cotisations) versée par les régimes obligatoires par rapport au dernier salaire annuel brut.
Ces chiffres concernent des profils de carrière moyens des salariés du secteur fixe. Un profil de carrière plus stable donne des taux de remplacement plus élevés ; un profil de carrière à progression importante donne des taux plus faibles.