La révolution qualité dans l’administration : une responsabilité politique et une question de méthode

Dossier : La réforme de l'ÉtatMagazine N°593 Mars 2004
Par Henri PLAGNOL

La révo­lu­tion qua­li­té est la fina­li­té de tout ce que fait le gou­ver­ne­ment pour moder­ni­ser l’ad­mi­nis­tra­tion. De la même manière que les tech­niques les plus sophis­ti­quées de la ges­tion des entre­prises n’ont pas de sens si in fine elles ne per­mettent pas à celles-ci de vendre leurs pres­ta­tions, de la même manière la culture de la per­for­mance qui est pro­gres­si­ve­ment intro­duite dans les ser­vices publics ne serait qu’un for­ma­lisme si ces ser­vices n’ob­te­naient pas une plus grande satis­fac­tion des usa­gers-citoyens. On a par­fois ten­dance à cen­trer le débat de la ges­tion publique sur les pro­ces­sus internes.
Il faut rap­pe­ler fer­me­ment que cette ques­tion n’est pas affaire de tech­no­crate, mais qu’elle res­sor­tit bien à l’ac­tion poli­tique à par­tir du moment où le citoyen est en jeu.

L’ac­tuel gou­ver­ne­ment a beau­coup fait en dix-huit mois : la réforme des retraites, la loi sur la sécu­ri­té inté­rieure, la loi de pro­gram­ma­tion sur la jus­tice, les mesures en faveur des entre­prises et de l’emploi, la cla­ri­fi­ca­tion des niveaux de SMIC, la loi consti­tu­tion­nelle de mai 2003 lan­çant l’acte II de la décen­tra­li­sa­tion, sont autant de signes forts du chan­ge­ment en cours. Dans le droit fil des orien­ta­tions tra­cées dans son dis­cours des vœux pour 2003 par le Pré­sident de la Répu­blique, le gou­ver­ne­ment a enga­gé réso­lu­ment sous l’au­to­ri­té du Pre­mier ministre une série d’ac­tions qui forment un ensemble cohé­rent. Il importe que chaque ministre mène sa propre poli­tique de moder­ni­sa­tion avec la même cohé­rence. La méthode est fon­da­men­tale pour déve­lop­per la révo­lu­tion qualité.

Les » stratégies ministérielles de réforme » sont un instrument dont le rôle est déterminant pour l’avenir de la modernisation des administrations

Nous pen­sons qu’il revient aux ministres d’être les pre­miers acteurs de la réforme en s’im­pli­quant dans la ges­tion de leurs dépar­te­ments minis­té­riels et en les enga­geant sur la voie du chan­ge­ment. C’est pour­quoi j’ai pro­po­sé au Pre­mier ministre que cha­cun des ministres éla­bore une stra­té­gie de réforme (SMR) ser­vant de cadre aux trans­for­ma­tions de son minis­tère sur une base plu­ri­an­nuelle. Il s’a­git d’un ins­tru­ment syn­thé­tique, glo­bal et s’ins­cri­vant dans la durée.

Les SMR se tra­duisent par plu­sieurs inno­va­tions impor­tantes. Leur prin­cipe repose sur un exa­men cri­tique préa­lable et exhaus­tif des mis­sions minis­té­rielles. C’est pour­quoi le choix a été fait de cou­pler l’exer­cice des SMR avec la pré­pa­ra­tion du bud­get 2004, mais aus­si avec la mise en œuvre de la ges­tion pré­vi­sion­nelle des emplois, des effec­tifs et des com­pé­tences. C’est la pre­mière fois qu’il est deman­dé aux ministres, avec les SMR, de four­nir des enga­ge­ments pré­cis, concrets, mesu­rables sur plu­sieurs années. Cette volon­té du Pre­mier ministre de mener un dia­logue appro­fon­di avec ses ministres s’est tra­duite, en par­ti­cu­lier, par les entre­tiens bila­té­raux qu’il a eus avec chaque ministre sur le thème de la réforme de l’É­tat, durant les­quels les grandes orien­ta­tions pour l’é­ta­blis­se­ment de cha­cune des SMR ont pu être fixées. Cet exer­cice s’or­ga­nise autour de trois thèmes structurants :

  • les réformes de struc­tures qui sont pro­po­sées en tenant compte de l’é­vo­lu­tion des missions ;
  • une réflexion pros­pec­tive sur la prise en compte de la qua­li­té de ser­vice par les administrations ;
  • les évo­lu­tions des modes de ges­tion des res­sources humaines, en par­ti­cu­lier par la décon­cen­tra­tion, la réduc­tion du nombre des corps, la mise en place d’une recon­nais­sance du mérite et la ges­tion pré­vi­sion­nelle des effec­tifs, des emplois et des compétences.

Ces sujets ont voca­tion à être com­plé­tés année après année. Les SMR n’ont en effet de sens que si elles font l’ob­jet d’un sui­vi et d’une actua­li­sa­tion annuels pre­nant en compte la modi­fi­ca­tion du contexte de l’ac­tion admi­nis­tra­tive et l’é­vo­lu­tion des besoins.

Enfin, der­nière et sans doute prin­ci­pale inno­va­tion majeure, c’est la pre­mière fois qu’un tra­vail pros­pec­tif concer­nant les struc­tures et le fonc­tion­ne­ment de l’exé­cu­tif dans une pers­pec­tive plu­ri­an­nuelle est sou­mis à l’exa­men cri­tique du Par­le­ment. C’est la signi­fi­ca­tion du débat qui a eu lieu en novembre der­nier à l’As­sem­blée natio­nale. Après plu­sieurs mois de pré­pa­ra­tion, les SMR ont été pré­sen­tées devant les dif­fé­rents comi­tés tech­niques pari­taires minis­té­riels puis elles ont été trans­mises en sep­tembre au Pre­mier ministre. Elles ont été ensuite adres­sées aux deux assem­blées par­le­men­taires, dont les Com­mis­sions des finances ont pro­cé­dé à l’au­di­tion d’une dizaine de ministres en tout.

Quel bilan peut-on tirer de ce premier exercice des SMR qui s’est tenu dans des délais tendus mais qui ont été pourtant respectés par l’ensemble des ministères ?

Les audi­tions effec­tuées par les Com­mis­sions des finances se sont révé­lées par­ti­cu­liè­re­ment pro­pices à un débat de fond sur les objec­tifs et la stra­té­gie de moder­ni­sa­tion de cha­cune de ces admi­nis­tra­tions entre ministre et par­le­men­taires. On pour­ra peut-être regret­ter que ce pre­mier exer­cice de pla­ni­fi­ca­tion stra­té­gique de la réforme ne se soit pas tou­jours tra­duit par des résul­tats aus­si ambi­tieux que ceux que l’on aurait pu attendre d’un pro­ces­sus à ce point nova­teur. L’ad­mi­nis­tra­tion fran­çaise éprouve encore quelques dif­fi­cul­tés à sor­tir des vieux réflexes qui consistent à stra­ti­fier les orga­ni­sa­tions en tenant compte insuf­fi­sam­ment de l’é­vo­lu­tion du contexte de l’ac­tion admi­nis­tra­tive et des mis­sions. C’est pour­quoi il a été deman­dé aux minis­tères d’in­té­grer d’emblée dans leurs SMR des pro­po­si­tions qui tiennent compte de la nou­velle confi­gu­ra­tion liée à la deuxième vague de décen­tra­li­sa­tion, afin d’a­dap­ter leurs struc­tures aux trans­ferts de compétences.

Au-delà de ces quelques réserves, il ne faut pas perdre de vue la por­tée consi­dé­rable de cet exer­cice tota­le­ment nou­veau dans son approche et dans ses ambi­tions. Une méca­nique s’est enclen­chée, une dyna­mique est à l’œuvre et elle ne s’ar­rê­te­ra pas. Un cer­tain nombre d’en­ga­ge­ments pré­cis ont été pris par les minis­tères, enga­ge­ments qui ont été rele­vés par les Com­mis­sions des finances. En par­ti­cu­lier, je relè­ve­rai les pro­jets d’ex­ter­na­li­sa­tion de cer­taines fonc­tions de type logis­tique qui ne sont pas au cœur des com­pé­tences de l’É­tat, ou bien encore de la mutua­li­sa­tion des moyens des ser­vices à l’é­che­lon ter­ri­to­rial. Ces efforts doivent évi­dem­ment être pour­sui­vis, ampli­fiés, notam­ment à l’é­che­lon des admi­nis­tra­tions centrales.

C’est pour­quoi j’œuvre pour que l’ac­tuel exer­cice SMR pour 2004 s’ac­com­pagne d’un audit des mis­sions mais aus­si des moyens et de l’or­ga­ni­sa­tion des ser­vices. Une éva­lua­tion des SMR 2003 sera éga­le­ment réa­li­sée au prin­temps 2004 et per­met­tra ain­si de mesu­rer la por­tée des enga­ge­ments pris, au moment où les minis­tères devront remettre au Pre­mier ministre la deuxième ver­sion de leurs SMR, actua­li­sées, avant trans­mis­sion aux assem­blées en sep­tembre 2004 en même temps que le PLF 2005. Le pilo­tage de la réforme est essen­tiel si l’on veut s’as­su­rer de son suc­cès et de son adhé­sion auprès des agents qui sont les véri­tables acteurs de celle-ci. Les SMR ont fait l’ob­jet d’un dia­logue social préa­lable qui devra néan­moins aller plus loin en 2004 compte tenu des délais qui seront moins serrés.

Dans le cadre des stratégies ministérielles de réforme, la qualité du service rendu peut prendre tout son développement

La sim­pli­fi­ca­tion des démarches et des pro­cé­dures est la prin­ci­pale attente des citoyens. Une pre­mière loi por­tant sim­pli­fi­ca­tion du droit, que j’ai pré­sen­tée au Par­le­ment, a été pro­mul­guée le 2 juillet 2003 et donne lieu à une qua­ran­taine d’or­don­nances. Cer­taines ont déjà été prises, les deux tiers des mesures qu’elles contiennent ont été publiés avant la fin du mois de jan­vier 2004. De très nom­breuses mesures inté­res­sant direc­te­ment la vie des Fran­çais et des élus locaux y figurent.

Un second pro­jet de loi est en cours de fina­li­sa­tion, autour des thèmes de l’at­trac­ti­vi­té du ter­ri­toire et de la sta­bi­li­té de la règle de droit. Il contient plus de 160 mesures, dont cer­taines très signi­fi­ca­tives comme la sim­pli­fi­ca­tion du per­mis de construire, le res­crit social ou l’u­ni­for­mi­sa­tion des divers régimes de sanc­tions fiscales.

Le numé­ro d’ap­pel unique est en cours d’ex­pé­ri­men­ta­tion dans la région Rhône-Alpes. Ce numé­ro d’ap­pel faci­le­ment mémo­ri­sable, le 3939, a voca­tion à répondre aux ques­tions admi­nis­tra­tives des usa­gers, tout en leur sim­pli­fiant la vie. Sans se dépla­cer à un gui­chet, le citoyen pour­ra désor­mais obte­nir une réponse de base en moins de trois minutes, sur des thèmes aus­si divers que les for­ma­li­tés et pro­cé­dures, la consom­ma­tion, le loge­ment, la san­té, le tra­vail, l’a­gri­cul­ture, les douanes, l’é­du­ca­tion nationale…

Ce ser­vice est acces­sible dans la région d’ex­pé­ri­men­ta­tion, du lun­di au ven­dre­di de 8 heures à 19 heures et le same­di de 9 heures à 14 heures sur simple appel télé­pho­nique. Le coût d’une com­mu­ni­ca­tion est de 0,12 cen­times par minute. Le site Inter­net » www.service-public.fr « , qui vient de fêter ses trois années de suc­cès avec une aug­men­ta­tion consi­dé­rable de ses visi­teurs, et sur lequel s’ap­puie le 3939, reste consul­table à toute heure. Le bilan qua­li­ta­tif et quan­ti­ta­tif de cette opé­ra­tion per­met­tra de déci­der de son exten­sion à l’en­semble du ter­ri­toire national.

La qua­li­té est aujourd’­hui une exi­gence incon­tour­nable pour nos conci­toyens mais aus­si pour une large majo­ri­té de fonc­tion­naires. Les Tro­phées de la Qua­li­té, récom­pen­sant les meilleures ini­tia­tives de moder­ni­sa­tion de l’ad­mi­nis­tra­tion, que j’ai créés, ont per­mis de mesu­rer le for­mi­dable poten­tiel de volon­té de chan­ge­ment de l’ad­mi­nis­tra­tion, gui­dée par des démarches qua­li­té. Le 15 novembre, j’ai lan­cé la mise en place des chartes d’ac­cueil dans les ser­vices décon­cen­trés. Ces chartes, à qui nous avons don­né le beau nom de » Chartes Marianne « , visent un double objec­tif : une charte de l’ac­cueil consti­tue d’une part un élé­ment immé­dia­te­ment visible pour les citoyens de la démarche d’a­mé­lio­ra­tion de la qua­li­té des ser­vices publics enga­gée par le gou­ver­ne­ment ; elle repré­sente d’autre part un outil de mana­ge­ment et de moder­ni­sa­tion de l’administration.

Les pro­grès sont d’au­tant plus urgents que ce sont les publics » fra­giles » (per­sonnes en dif­fi­cul­té sociale, per­sonnes en situa­tion de han­di­cap, etc.) qui pâtissent le plus des défaillances de notre accueil. La charte Marianne a la forme d’un cadre com­mun de rubriques d’en­ga­ge­ments et de conseils métho­do­lo­giques de mise en œuvre. Une décli­nai­son de la charte par minis­tère d’a­bord, par ser­vice ensuite, sera néces­saire pour que les enga­ge­ments soient adap­tés d’une part à la varié­té des mis­sions, pres­ta­tions et publics de cha­cun, et d’autre part à l’hé­té­ro­gé­néi­té des condi­tions d’ac­cueil exis­tantes. Le lan­ce­ment de la géné­ra­li­sa­tion de la charte Marianne advien­dra cou­rant 2004, l’ob­jec­tif étant son affi­chage dans tous les ser­vices le 1er jan­vier 2005. D’i­ci là, une expé­ri­men­ta­tion est enga­gée dans six dépar­te­ments pilotes (l’Ain, la Cha­rente, l’Eure-et-Loir, les Hautes-Pyré­nées, le Loi­ret et la Moselle).

Le déve­lop­pe­ment de l’ad­mi­nis­tra­tion élec­tro­nique est la troi­sième prio­ri­té de cette poli­tique de l’ac­cueil. Ce que l’on appelle » l’e-admi­nis­tra­tion » cor­res­pond à une demande crois­sante des Fran­çais qui lui font de plus en plus confiance ain­si qu’en témoignent des enquêtes convergentes.

L’offre d’administration électronique se renforce considérablement

On compte aujourd’­hui 5 500 sites publics, soit une aug­men­ta­tion de 20 % en un an. De plus en plus de démarches peuvent être accom­plies entiè­re­ment sous forme déma­té­ria­li­sée. Les pro­grès récents de notre pays sont d’ailleurs recon­nus au niveau inter­na­tio­nal : la France vient de se his­ser à la 7e place mon­diale dans un clas­se­ment que vient de publier l’O­NU sur le déve­lop­pe­ment de l’e-administration.

Des orien­ta­tions stra­té­giques pour les quatre années à venir ont été fixées dans le plan stra­té­gique pour le déve­lop­pe­ment de l’ad­mi­nis­tra­tion élec­tro­nique (ADELE) pré­sen­té par le Pre­mier ministre à Lyon le 9 février der­nier. De nom­breux pro­jets sont d’ores et déjà lan­cés selon les prin­cipes qui guident notre action : la mutua­li­sa­tion des grands pro­jets et ser­vices, par le biais de plates-formes tech­niques d’in­te­ro­pé­ra­bi­li­té, qui per­mettent des gains de pro­duc­ti­vi­té et finan­ciers consi­dé­rables. À titre d’exemple : le ser­vice de chan­ge­ment d’a­dresse, les 13 pro­jets de cartes de vie quo­ti­dienne, la déma­té­ria­li­sa­tion d’un dos­sier unique de demande de sub­ven­tion et de son instruction.

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En menant ces réformes, nous visons trois objectifs :

  • un État plus réac­tif et plus par­te­naire en allé­geant et en cla­ri­fiant ses structures ;
  • un État plus effi­cace et moins pesant sur la fis­ca­li­té en moder­ni­sant ses ser­vices admi­nis­tra­tifs et en rédui­sant ses coûts de fonctionnement ;
  • un État moderne res­pec­tueux du contri­buable et de l’u­sa­ger : pour ce faire, nous vou­lons chan­ger la culture de l’ad­mi­nis­tra­tion et, tout en main­te­nant et en res­pec­tant la tra­di­tion fran­çaise du ser­vice public, nous vou­lons intro­duire dans la fonc­tion publique la notion de per­for­mance et de résultat.

Aucun sec­teur, aucun minis­tère n’est à l’é­cart de cet effort qui doit nous redon­ner rapi­de­ment les marges indis­pen­sables pour inves­tir, pour sti­mu­ler la recherche, pour recréer de la richesse. Osons le dire dès main­te­nant : l’ob­jec­tif du gou­ver­ne­ment, à tra­vers les poli­tiques qui concourent à la réforme de l’É­tat, est de déga­ger des gains de pro­duc­ti­vi­té sub­stan­tiels dans les administrations.

Nous ne visons pas cet objec­tif pour satis­faire une pré­oc­cu­pa­tion idéo­lo­gique, mais parce que nous avons une vision pré­cise de ce que doit être l’ac­tion publique dans les années à venir. Cette vision est fon­dée sur la croyance que, dans une socié­té moderne, le ser­vice public et le sec­teur pri­vé doivent fonc­tion­ner en har­mo­nie dans le res­pect mutuel et en se sou­te­nant au lieu de se com­battre. Un pays comme la France a besoin d’un ser­vice public effi­cace et per­for­mant au ser­vice d’une éco­no­mie per­for­mante et de poli­tiques sociales qui marchent.

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