La santé publique ou comment gérer notre santé collective !
Encore un » french paradox » ? Si le système de santé français a été classé en 2000 par l’Organisation mondiale de la santé comme le meilleur parmi 191, c’est plus un effet de la construction d’un indicateur composite qu’en raison de son excellence dans chacun des domaines examinés.
En fait, bien que la santé publique soit un thème mis sous les feux de la rampe, la politique en ce domaine est le parent pauvre de l’organisation de l’ensemble de notre système sanitaire et social. Les raisons en sont multiples : courte vue, mauvaise gouvernance du système de santé, lobbying forcené des acteurs principaux (syndicats de médecins et leurs représentants au niveau politique, industrie pharmaceutique, syndicats…), décalage entre les attentes, les missions et les moyens.
Les faits sont cependant graves, nous dépensons plus de 10 % de notre PIB dans notre système de santé là où le Japon en dépense 7,8 % avec des résultats globaux bien meilleurs, les pays scandinaves font à peu près aussi bien et la Grande-Bretagne avec 7 % également n’offre certes pas le » confort » de la liberté totale française mais obtient des résultats globaux assez comparables aux nôtres.
La diversité des définitions
Il est intéressant de poser le problème de la santé à travers ses définitions. Au fait, qu’est-ce que la santé ? et la santé d’une nation ? Peut-on prendre en compte la définition traditionnelle ou historique des médecins (« absence de maladies diagnostiquées ») qui a l’inconvénient majeur d’ignorer les états latents et donc d’exclure les démarches de prévention ?
Les définitions de l’OMS 1946 (« un état de complet bien-être physique, mental et social ») puis celle de 1986 (« ressource de la vie quotidienne qui donne à la personne le pouvoir d’identifier et de réaliser ses ambitions, satisfaire ses besoins et évoluer avec son milieu ou s’y adapter ») sont tellement extrêmes notamment par leur caractère étendu et utopiste que seul un système du type français peut effectivement permettre de s’en approcher. Mais la demande individuelle paraît infinie et le problème éthique de la limite des soins (dont l’acharnement thérapeutique) mérite une réflexion amont fondamentale (voir celle sur les soins palliatifs par exemple).
On ne peut à la fois affirmer, à juste titre, que la santé d’une population est une richesse et en donner une définition très individualiste et sans aucune contrainte économique. Par exemple, si les modalités de définition des prises en charge ou des remboursements des soins attirent toutes les activités humaines possibles, sans effort de définition et de fixation d’un cadre clair nous ne pourrons rapidement plus financer les solutions aux vrais problèmes de santé publique, faute de moyens.
Il semble donc impératif de fixer les cadres de la santé publique et du social en s’appuyant sur l’utilité sociale des moyens engagés. Il faut veiller d’une part à ce qu’un sujet qualifié de » question de santé publique » ne reflète pas uniquement l’intérêt (notamment économique) de certains acteurs seulement, et d’autre part à ce que l’approche du problème soulevé ne se limite à une analyse superficielle et à un traitement cosmétique des conséquences, au détriment d’une réflexion systémique tenant compte des facteurs sanitaires, sociaux et environnementaux.
Les problèmes majeurs de santé publique
Les véritables questions de santé publique sont bien connues : la mortalité avant 65 ans, en France, est la plus mauvaise d’Europe, or sur un plan purement moral et économique c’est la plus coûteuse pour notre société.
Les inégalités sociales et régionales sont très importantes en termes de résultats globaux de santé publique.
Le cancer, les accidents de la route et le suicide devraient être des causes nationales depuis des décennies et autrement mieux financées par notre système de protection sociale car d’un rendement évident !
La lutte contre l’alcoolisme devrait mobiliser l’ensemble de la nation.
Et qui planifie les solutions aux problèmes du futur ?
Le diabète, l’obésité, l’insuffisance cardiaque, l’asthme et surtout le vieillissement de la population sont des problèmes identifiés. Mais où sont les plans d’action de prévention, de recherche, de formation et d’adaptation des systèmes de prise en charge qui en découlent ?
La loi du 9 août 2004 » relative à la politique de santé publique » (dite » Mattei ») qui vient d’être votée comprend 100 objectifs hétéroclites et d’importance variable (dont les deux tiers ne sont pas quantifiés), ce qui montre l’incapacité de nos décideurs politiques à hiérarchiser et choisir les priorités et à bâtir des plans d’action généraux crédibles qui seraient pourtant fondamentaux pour guider les décideurs décentralisés dans des domaines comme ceux de l’éducation de nos enfants, de l’information de nos concitoyens, du financement de la recherche fondamentale et appliquée, de l’organisation de notre système de soins, des grands choix en termes d’environnement et de transport…
Nous sommes face à un vrai problème politique que la nation refuse d’aborder de front. Pour quelles raisons ?
Certains prétendent que les médecins représentent une force redoutable d’influence politique de la population et ne doivent donc pas être pris de front, d’autres que la puissance d’influence de l’industrie pharmaceutique est considérable, d’autres que notre système paritaire laisse aux partenaires sociaux le soin de poser ce genre de problèmes.
Ce qui est sûr c’est que l’absence de débats, en dehors de quelques cercles trop restreints, est flagrante, et que ceux qui ont eu lieu n’ont pas eu la traduction en actes que mérite la situation, alors que seuls les élus de la nation et les usagers du système pourraient se réapproprier ce débat fondamental.
Le dilemme tient, peut-être, en la formation classique des médecins qui raisonnent uniquement en termes de relation individuelle thérapeute patient. Or cette relation essentielle permet rarement d’appréhender les problématiques générales à l’échelle d’une population et surtout d’anticiper les tendances de fond de nos sociétés en termes de démographie et de mode de vie.
Il est donc important, en paraphrasant Clemenceau, de ne pas laisser la politique de santé publique seulement aux mains des médecins mais bien à l’ensemble de la nation et en particulier à ses représentants politiques et associatifs, pour autant qu’ils s’affranchissent des frilosités des intérêts catégoriels immédiats pour se projeter dans l’avenir, et s’appuient sur des faits scientifiquement établis et non sur des ressentis.
Comment agir ?
Il faut d’abord mieux utiliser les ressources existantes, notamment humaines et en particulier celles des véritables spécialistes en santé publique, médecins et non-médecins, dont l’existence et les compétences sont trop souvent méconnues et sous-utilisées. Cela passe sans doute aussi par une certaine réorganisation, pour une efficience et une réactivité meilleures, des structures nationales en charge des questions de santé publique. L’exemple de la canicule de l’été 2003 est à cet égard révélateur : le problème n’avait pas été imaginé, les indicateurs d’alerte manquaient, ceux qui s’étaient exprimés tôt n’ont été ni entendus ni compris, la prise en compte d’un phénomène mal décrit à l’origine et la réponse immédiate de l’État se sont faites à un rythme et selon des procédures inadaptés au problème. Mais pour autant, le dispositif mis en œuvre en 2004 à grand renfort médiatique est peut-être surdimensionné et mal adapté.
Avant d’agir, il faut décider. Pour cela, il faut savoir ; mais il convient aussi d’évaluer pour évoluer. Il est donc nécessaire de développer les systèmes et les compétences en matière de veille et d’intervention en santé publique. Et, en particulier, de bâtir et financer un programme de recherche en santé publique vigoureux, centré sur quelques objectifs, adapté à la France et largement médiatisé. Ces objectifs doivent être clairs et partagés par la Nation, et non définis ni par quelques spécialistes isolés, ni par quelques politiques sous influence.
En la matière, les exemples récents de la réduction des accidents de la route et de la lutte contre le tabagisme montrent que des résultats rapides sont possibles et finalement appréciés de nos concitoyens. Mais il ne faut pas craindre d’être passagèrement impopulaire… ou se limiter au domaine sanitaire, a fortiori curatif, pour agir.
La loi de santé publique présente heureusement de nombreux aspects intéressants ; en particulier, la création d’une École des hautes études en santé publique est potentiellement un atout, s’il s’agit véritablement de fédérer et d’améliorer l’existant et non de rajouter une couche à un mille-feuilles dont la fragmentation actuelle est une des faiblesses.
De façon générale, il faut développer l’évaluation des politiques publiques, et celle de la politique de santé publique en particulier, en trouvant la balance entre la parole des spécialistes et celle des citoyens.
Pour être pragmatique, il faut agir vis-à-vis tant des professionnels que des citoyens. Il convient de diffuser rapidement les résultats des recherches en santé publique, et de les intégrer dans la formation médicale continue des médecins, désormais obligatoire et contrôlée. Il faut réhabiliter et renforcer la médecine du travail dont le rôle fut déterminant pour le monde ouvrier. Elle doit être repensée pour notre ère des services et des nouvelles technologies.
Il faut éduquer pour prévenir et rendre responsables nos enfants et nos concitoyens : la médecine scolaire devrait être une priorité de tout gouvernement car à travers les enfants on peut influencer les adultes, les spécialistes du marketing le savent depuis longtemps.
Il ne faut pas hésiter à promulguer des lois strictes pour limiter l’influence des médias dans la promotion de conduites à risques (type loi Évin).
Il faut parler vrai au citoyen sur ses comportements et trouver des méthodes efficaces de responsabilisation de ses actes vis-à-vis de la communauté : stages de sensibilisation, cures gratuites, pénalités financières, au besoin, sur les remboursements en cas de persistance grave.
Conclusion
Nous autres citoyens devons nous réapproprier un de nos biens les plus précieux, notre santé collective. Cela nécessite la volonté de s’y intéresser et de s’y engager.
Nous y consacrons déjà 10 % de notre richesse commune, soit trois fois plus que pour notre défense, deux fois plus que pour l’éducation de nos enfants et cinq fois plus que pour ce qui conditionne notre avenir, la Recherche ! Nous devons impérativement donner un sens à cet outil fabuleux qui n’a pas de pilote et nous entraîne dans les fossés des déficits abyssaux sans se poser la question de sa finalité.
Penser l’organisation du système de santé, qui est un domaine complexe, nécessite une pluralité d’acteurs multidisciplinaires, dotés d’outils qui sont malheureusement encore insuffisamment développés. Il est impératif de reconnaître la noblesse potentielle de ce secteur, méconnu et pourtant tellement important, et d’y investir à bon escient. Les polytechniciens devraient s’impliquer davantage pour aider à la mise en œuvre d’une nouvelle politique de santé publique :
- en créant des programmes de recherche adaptés à ces problématiques en mathématique, physique, économie, gestion, biologie…,
- mais également en participant à la définition et à la mise en œuvre de cette politique qui intéressera de plus en plus notre tissu économique, ne serait-ce que par le poids croissant de la santé sur les prélèvements sociaux.
En ce domaine aussi, la rationalité s’impose : rejoignez X‑Santé pour vous faire entendre !