La science et l’avenir de l’homme
Marcel Germon nous propose un grand-angle sur l’avenir particulièrement réussi avec quatre tables rondes sur le thème de la science. De quels avenirs s’agit-il ? Celui de la société, celui de l’espèce humaine, celui de la planète, avec en prime celui de notre bonheur collectif. Ce dossier a été élaboré sous la direction de Dominique Lecourt, avec le concours de chercheurs, philosophes, industriels et responsables politiques, au total une vingtaine de participants de grande qualité, parmi lesquels Philippe Kourilsky (62), Federico Mayor, Dominique Schnapper, Bernard Kouchner et Raymond Barre.
J’y ai trouvé surtout une contribution à la lutte contre la désespérance actuelle et la peur de l’incertain, à la défense de la science à une époque où elle est dénoncée souvent avec virulence par les esprits les plus cultivés, à un retour à la vie qui ne peut s’opérer sans prise de risque, à la relance d’une aide au Tiers-monde, à la recherche de nouveaux projets pour la France et l’Europe.
Danièle Hervieu-Léger rappelle que les traditions religieuses peuvent alimenter deux discours opposés : celui d’une vision catastrophiste de la science, celui d’une croyance en la toute-puissance de la science. Elle estime par ailleurs que le vieux combat entre science et religion n’est pas terminé : aujourd’hui encore, certains systèmes religieux instrumentalisent la science pour conforter leurs théories.
Quelques participants ne cachent pas leur inquiétude face à cet avenir incertain et choisissent clairement le camp de la précaution.
Pascal Picq ne souhaite pas que l’idée d’évolution soit synonyme de progrès, et ne souhaite pas que l’homme continue de se poser en “maître et possesseur de la nature”.
Pierre-Henri Gouyon s’oppose à l’introduction des biotechnologies dans l’alimentation et dans l’agriculture (notamment parce que Monsanto y trouve son profit), et va jusqu’à dire que les arracheurs de champs d’OGM ne sont peut-être pas les personnes les plus frileuses.
Dominique Bourg, qui craint les effets dommageables des technologies nouvelles sur l’environnement et la santé, voudrait limiter le “ pouvoir du scientifique ”. Dominique Bourg avait fait l’éloge de la technique il y a dix ans dans un livre que j’avais beaucoup aimé, L’homme artifice, dans lequel il rappelait que c’est grâce aux outils et autres artefacts qu’il a lui-même confectionnés que l’homme est parvenu à s’arracher à l’animalité. Il m’a semblé que son auteur est devenu bien prudent avec le temps, et j’ai un peu la nostalgie du Dominique Bourg des années quatrevingt- dix, anthropocentrique, et audacieux.
Les autres, pour la plupart, sachant parfaitement que l’on ne peut vivre sans risques, choisissent le camp de l’audace.
Étienne Klein refuse de mettre en doute les idéaux fondateurs de notre civilisation et définit notre société comme une société du risque.
Philippe Kourilsky estime que le monde politique est beaucoup trop ignorant des problèmes de la science, et pas assez convaincu de ses approches innovantes ; pour lui, la source du développement se trouve dans la connaissance, il regrette que nous vivions dans le monde du “temps court ” alors que le développement et les vraies réformes supposent un “ temps long ”. Il considère que l’abus du principe de précaution constitue une réaction d’esquive.
Pierre Léna milite pour une meilleure éducation susceptible de faire comprendre l’intérêt de la science et l’utilité de la technique, et rappelle que Galilée distribua sa fameuse “ lunette ” aux Florentins, pour qu’ils puissent “ juger par eux-mêmes ” ; il fait l’éloge de l’initiative de Georges Charpak “ La main à la pâte ”.
Alain Prochiantz qui admire la vitalité intellectuelle de la science anglo-saxonne se fait le porte-parole d’une relance de la recherche scientifique en Europe.
Je proposerai trois conclusions empruntées à Nicolas Baverez, Bernard Kouchner et Raymond Barre.
• La révolution technologique a été et demeure une source duale de progrès et de risques majeurs, mais à face à cela, l’Europe continentale se définit par cinq vides : un vide démographique, un vide stratégique, un vide démocratique, un vide économique et social, un vide scientifique, le tout assorti d’une aversion pour le risque et l’innovation… Il est grand temps de réagir.
• Il faut aider les pays du Tiers-monde qui font partie intégrante de notre avenir : l’éradication de la variole à l’échelle de la planète a été un éclatant succès de la mondialisation (et de la science).
• Le bonheur collectif suppose que l’on réalise ensemble des projets : quels que soient ses défauts, la IVe République en a réalisé beaucoup, sous la Ve nous avons fait face aux chocs pétroliers en construisant des centrales nucléaires. La France du XXIe siècle manquerait-elle de projets ?