La sécurité ferroviaire, un enjeu international et européen
Contrairement aux autres modes majeurs de transport collectif (aérien ou maritime), le secteur ferroviaire a, depuis ses débuts il y a près de 200 ans, été associé à une dimension essentiellement nationale.
Cette situation s’explique essentiellement par la nature des trajets assurés, dont la grande majorité, en particulier pour le transport de voyageurs, s’effectue au niveau national.
REPÈRES
Longtemps associée à une vision nationale, la sécurité ferroviaire a acquis depuis le début des années 2000 une dimension européenne qui dépasse le champ des opérateurs historiques ferroviaires. La performance en matière de sécurité du système ferroviaire a, depuis la deuxième moitié du XXe siècle, connu une nette amélioration.
Néanmoins, l’abaissement du seuil d’acceptabilité, par la société civile, vis-à-vis des conséquences des accidents graves impliquant des trains fait de la sécurité un enjeu d’avenir. Sur la base de la présentation des particularités et caractéristiques de la sécurité ferroviaire, cet article présente les enjeux nouveaux pour la sécurité qui viendront s’ajouter à l’innovation technologique et à la culture de partage d’expérience qui ont d’ores et déjà permis au système ferroviaire de figurer parmi les moyens de transport les plus sûrs.
Une dimension nationale
En France, après une longue période marquée par l’existence de compagnies régionales intégrées issues des concessions d’origine délivrées par l’État, la SNCF, créée en 1938, a été, pendant près de soixante-dix ans, l’opérateur unique du réseau ferré national, tant pour les services de transport que pour l’infrastructure.
“ La SNCF a été, pendant près de soixante-dix ans, l’opérateur unique du réseau ferré national ”
Du reste, étymologiquement, le « chemin de fer » désigne l’infrastructure alors que, dès l’origine, ce vocable était employé dans le langage courant pour désigner le moyen de transport : on voit donc bien que ce système de transport est né sous une forme complètement intégrée.
Un système intégré
La réforme du système ferroviaire en 1997, avec la création de RFF (le propriétaire du réseau), ne lui a ôté aucune responsabilité en matière de sécurité du fait de sa qualité de gestionnaire de l’infrastructure délégué. Et l’étroitesse technique de l’imbrication mobile-sol est telle que le système normatif s’est développé également de façon intégrée partout dans le monde.
La notion de concurrence intermodale ne s’est appuyée sur une séparation formelle entre la gestion de l’infrastructure et l’exploitation des services de transport que récemment (il y a une vingtaine d’années).
L’évolution de la sécurité ferroviaire
Les données françaises ou européennes sur les conséquences des circulations ferroviaires donnent en proportion les mêmes résultats et permettent de mieux comprendre les particularités des événements qui rentrent dans le champ de la sécurité ferroviaire.
“ La société accepte de moins en moins les conséquences des accidents collectifs de voyageurs ”
Le premier élément marquant concerne la plus grande cause de mortalité liée aux circulations ferroviaires, à savoir les suicides avec 80 % de l’ensemble des tués sur le réseau ferré.
Cette particularité, qui rend la sécurité ferroviaire largement influencée par une cause exogène à la maîtrise des risques induits par la circulation des trains, est à l’origine de la précision sur les statistiques d’accidents ferroviaires et de leurs conséquences qui exclut assez généralement directement les suicides.
Les passages à niveau
Autre spécificité, une large part d’accidents concerne des collisions aux passages à niveau. Ces événements sont la cause d’un tiers des décès de personnes (hors suicides), soit 29 tués en 2013 pour 85 décès au total hors suicides. L’interface physique avec le mode de transport routier influence donc largement la sécurité ferroviaire.
“ L’interface physique avec le mode de transport routier influence largement la sécurité ferroviaire ”
Les difficultés d’actions des acteurs du système ferroviaire sur ces problématiques de passages à niveau sont bien présentes, même si l’effort porté sur la sensibilisation des usagers de la route et le traitement des configurations de passages à niveau à risque sont au coeur des actions intégrant l’ensemble des acteurs (ferroviaires, pouvoirs publics ou collectivités territoriales).
Dernier facteur exogène au système ferroviaire, le cas des personnes « autres » que l’on retrouve dans le graphique d’évolution des personnes tuées ou blessées gravement depuis 1954.
Cette catégorie, si l’on en exclut les usagers de passages à niveau, concerne les personnes non autorisées à pénétrer dans les emprises ferroviaires et qui, sans que le caractère volontaire d’un acte suicidaire n’ait pu être prouvé, se font heurter par un train. Le nombre de décès induits est également très important (45 en 2013).
Évolution de la mortalité sur les réseaux ferrés, de 1954 à 2014.
Une vraie sécurité intrinsèque
Le graphique le montre, ce n’est que depuis les années 1990 que la dernière catégorie de conséquences d’accidents (les conséquences d’accidents sur les voyageurs ou les personnels des trains) est plus faible que les autres précitées.
DES ACCIDENTS MARQUANTS
Des accidents graves comme le heurt d’un car scolaire en 2008 au niveau de la commune d’Allinges (74) provoquant le décès de 7 personnes et des blessures à 33 autres (dont 3 blessés gravement) ont marqué l’opinion publique.
Il s’agit essentiellement de la sécurité intrinsèque de la circulation des trains, c’est-à-dire des accidents de transports ferroviaires auxquels on pense spontanément : collision (Flaujac en 1985) ou déraillement (Brétigny en 2013).
La baisse de ce type d’accident est à mettre au crédit à la fois de l’amélioration des caractéristiques techniques du matériel roulant ou de la voie mais aussi, plus précisément, du retour d’expérience sur des accidents majeurs qui ont vu le déploiement de boucles de rattrapage aux actions humaines (implantation du contrôle de vitesse par balise – KVB en France), progrès intervenu à cette époque.
Il est donc clair que la sécurité ferroviaire, tout en s’améliorant également au fil du temps pour toutes les catégories de personnes tuées ou blessées gravement, a augmenté très fortement pour les voyageurs qui empruntent ce mode de transport.
Pour autant, a contrario, la société accepte de moins en moins les conséquences des accidents collectifs de voyageurs et perçoit de plus en plus fortement les enjeux de sécurité de ce mode de transport.
Contruire l’Europe de la sécurité ferroviaire
Une large part d’accidents concerne des collisions aux passages à niveau
L’introduction de l’Europe dans les réflexions sur la sécurité ferroviaire est allée de pair avec le débat sur la concurrence entre exploitants ferroviaires, et est donc récente.
Or, une caractéristique forte du système ferroviaire européen réside à la fois dans l’interface forte entre le mobile (transportant les voyageurs ou les marchandises) et son infrastructure, et dans des choix techniques différents d’un pays à l’autre, héritant des particularités ou choix technologiques des acteurs historiques nationaux.
Cette situation ainsi que la volonté de dynamiser le secteur ferroviaire par l’ouverture à la concurrence des marchés de transport de voyageurs et de marchandises ont conduit à traiter la sécurité de manière d’emblée étroitement liée avec l’interopérabilité.
Harmoniser les règles
Ainsi, historiquement à l’origine d’avancées majeures en termes de gain de sécurité, l’investissement dans les infrastructures s’inscrit également comme une nécessité pour continuer le travail de l’interopérabilité des réseaux.
SIX SYSTÈMES D’ÉLECTRIFICATION
Il existe six systèmes d’électrification standardisés différents au niveau européen afin d’assurer l’alimentation des moteurs de tractions des locomotives ou encore une douzaine de systèmes sécurité pour la protection de trains (par contrôle de vitesse par exemple) présents sur les différents réseaux.
Pour autant, le coût de ces opérations ne va pas sans créer certaines difficultés résidant notamment dans la capacité d’investissement des États membres.
En France, des projets de partenariats public-privé tentent de trouver ponctuellement une réponse, sur le créneau particulier des lignes à grande vitesse (projets des lignes Tours- Bordeaux, Le Mans-Rennes ainsi que le contournement de Nîmes-Montpellier). Le chemin est toutefois encore long avant d’arriver à des règles européennes harmonisées dans le domaine des infrastructures.
Le modèle aérien
Le modèle d’une sécurité ferroviaire « externalisée des acteurs » s’est inspiré, du fait de sa jeunesse, de modèles plus anciens, en particulier du modèle aérien. La création de l’agence ferroviaire européenne (ERA) en 2004 ou l’apparition d’une autorité nationale de sécurité indépendante des opérateurs historiques nationaux, à partir de 2006, ont permis de faire apparaître une forme externe de surveillance des activités ferroviaires.
L’inspiration en provenance du domaine aérien a concrètement été à l’origine des exigences de licence, certificat ou agrément de sécurité basé sur un système de gestion de la sécurité, ou encore du concept de moyen acceptable de conformité.
Il faut souligner, à ce sujet, la remarquable adaptabilité du secteur ferroviaire, qui a su chercher et accepter dans un temps somme toute court des concepts et modes de pensée nouveaux.
Pour autant, force est de constater que l’acquisition de ces concepts s’est effectuée très rapidement et que l’appropriation de ces éléments n’est pas mûre. Un travail important reste également à faire dans le domaine du retour d’expérience et du partage des informations ou données de sécurité, pour faire bénéficier l’ensemble du secteur, et notamment les petites structures, d’analyse des risques principaux.
Des compétences rares
Cette difficulté se double pour les nouveaux acteurs (par exemple les PPP précités, ou encore près de trente sociétés exploitantes de fret ferroviaire, de tailles variées) au problème du transfert des compétences techniques présentes à l’origine uniquement chez l’opérateur historique.
En France, le sujet majeur est la mise en place de la réforme ferroviaire du groupe SNCF
Cette question de la rareté des compétences en dehors des opérateurs historiques, conjuguée avec l’insuffisance d’une réglementation communément admise qui pourrait servir de référence pour la ou les autorités chargées d’instruire des autorisations, a conduit l’Europe à construire un système assez complexe qui fait largement appel à des entités (qualifiées, d’évaluation, notifiées, ou encore désignées, suivant les règlements) qui sont, ou non, accréditées suivant des référentiels de normalisation et par des organismes de normalisation déclarés.
Enfin, un projet de quatrième paquet ferroviaire transfère à l’ERA, dans un délai de cinq ans, une partie des compétences des États dans des conditions qui ne sont pas stables et ne constituent qu’une étape dans un processus plus long.
Améliorer et consolider le système français
En France, le sujet majeur dans les deux ou trois années à venir est la mise en place, puis la consolidation, de la réforme ferroviaire du groupe SNCF, qui voit les responsabilités de sécurité du gestionnaire de réseau (SNCF Réseaux) et de l’entreprise ferroviaire (SNCF Mobilités), séparées et clarifiées.
“ Le secteur ferroviaire a su chercher et accepter des modes de pensée nouveaux ”
Il y a là un vaste chantier qui correspond à une exigence forte d’amélioration de la sécurité ferroviaire pour faire que notre pays non seulement améliore son rang dans le peloton de tête des pays européens (des indicateurs européens le placent en 6e position), mais aussi y trouve l’occasion d’une modernisation.
L’opérateur historique sera également confronté, dans les années à venir, à la concurrence dans le domaine des voyageurs, et le paysage français se transformera ainsi progressivement avec un équilibrage des risques, des compétences et des responsabilités en matière de sécurité ferroviaire.
Le développement de systèmes techniques (notamment du système européen de signalisation ERTMS qui est un objectif dans lequel la France devra continuer à s’impliquer), ou de matériaux nouveaux (par exemple l’utilisation de matériaux composites), est un enjeu international et européen, il fait appel à de nouvelles questions en matière de sécurité et d’analyse des risques, et dans ce domaine les entreprises françaises et les autorités nationales de sécurité ont des sujets de recherche et de réflexions pour peser sur les évolutions futures.