La simplification administrative

Dossier : La réforme de l'ÉtatMagazine N°595 Mai 2004
Par Monique LIEBERT-CHAMPAGNE

La sim­pli­fi­ca­tion admi­nis­tra­tive est à l’ordre du jour et plus que jamais indis­pen­sable, elle est deve­nue le levier essen­tiel de la moder­ni­sa­tion de l’É­tat. For­ma­lisme, com­plexi­té et lour­deurs sont inadap­tés à la com­pé­ti­tion éco­no­mique à laquelle nous sommes aujourd’­hui confron­tés. À l’heure de la mon­dia­li­sa­tion, la régle­men­ta­tion inutile et com­plexe coûte cher, pro­blé­ma­tique déjà éla­bo­rée en 1841 par un ingé­nieur des Ponts et Chaus­sées, Jules Dupuit, qui énon­çait dans une » règle » depuis lors appe­lée » règle Dupuit » que » toute res­tric­tion à la liber­té se tra­duit par un sur­croît de dépenses « . Elle est vécue comme une atteinte à la liber­té et à l’au­to­ri­té de l’É­tat : com­ment en effet par­ler de sim­pli­fi­ca­tion, de lisi­bi­li­té, de sécu­ri­té juri­dique, quand des modi­fi­ca­tions en pro­fon­deur de la légis­la­tion, dans des domaines extrê­me­ment nom­breux et impor­tants, sont adop­tées, sou­vent dans l’ur­gence, dans des termes obs­curs, incom­pré­hen­sibles pour le citoyen et dif­fi­ciles même pour le juriste aver­ti ! Or un État plus proche des citoyens, c’est un État où la règle de droit est de qualité.

Pourquoi simplifier ?

Les juristes depuis le XIXe siècle ont tou­jours pré­su­mé que, pour résoudre un pro­blème juri­dique, il suf­fi­sait de se fon­der sur une loi. Cet atta­che­ment voué à la loi remonte loin dans l’his­toire de France, aux édits de Charles VII ou de Louis XI. Les grandes ordon­nances pré­pa­rées par Col­bert cla­ri­fient les com­pé­tences en fixant les attri­bu­tions des auto­ri­tés admi­nis­tra­tives, les règles de police et les peines encou­rues : elles repré­sentent l’ab­so­lu­tisme royal. Les phi­lo­sophes des Lumières, comme Vol­taire ou Rous­seau, remettent en cause l’or­ga­ni­sa­tion de la socié­té en ordres, affirment les droits natu­rels que sont l’é­ga­li­té devant la loi et la liber­té indi­vi­duelle, et donnent à la norme un nou­veau rôle, celui de la mani­fes­ta­tion de la volon­té générale.

Cette pré­émi­nence s’est accen­tuée de nos jours, mais pour deve­nir une réponse média­tique, se per­dant dans l’ac­cu­mu­la­tion des détails. Com­plexi­té aggra­vée par la tech­ni­ci­té crois­sante de pans entiers de notre droit, accen­tuée par l’é­mer­gence d’un droit com­mu­nau­taire et inter­na­tio­nal qui se super­pose au droit natio­nal. Or un État plus proche des citoyens, c’est un État où la règle de droit est de qua­li­té. Il faut déplo­rer, comme le consta­tait le Conseil d’É­tat dans son rap­port public pour 1991 consa­cré à la sécu­ri­té juri­dique, que de trop nom­breux pro­jets de loi » com­portent des pre­miers articles dépour­vus de tout conte­nu nor­ma­tif » et se limitent à » une simple for­mu­la­tion d’ob­jec­tifs « . Il fai­sait état de plus de 8 000 lois et d’en­vi­ron 400 000 textes réglementaires.

La com­plexi­té a bien sûr un coût que cer­tains pays ont cher­ché à iden­ti­fier. Ain­si, l’Aus­tra­lie a pu éta­blir un bud­get régle­men­ta­tion à par­tir de l’é­va­lua­tion du coût en interne de l’é­la­bo­ra­tion des textes (heures fonc­tion­naires) et du coût externe pour les entre­prises (temps pas­sé à rem­plir des for­mu­laires et à répondre à des enquêtes sta­tis­tiques et admi­nis­tra­tives). Aucune étude de ce type n’a été à ce jour jamais lan­cée en France. Face au coût exces­sif de la régle­men­ta­tion, due aux mul­tiples contraintes pesant sur les citoyens et la capa­ci­té des acteurs éco­no­miques, aux sur­coûts finan­ciers impo­sés aux entre­prises, à la com­plexi­té des struc­tures admi­nis­tra­tives, il était urgent de réagir en met­tant un terme à cette dérive.

Comment simplifier ?

» Les lois ne doivent point être sub­tiles, elles sont faites pour des gens de médiocre enten­de­ment, elles ne sont point un art de logique, mais la rai­son simple d’un père de famille « , disait en son temps Mon­tes­quieu. La lisi­bi­li­té de la loi est indis­pen­sable pour assu­rer sa légi­ti­mi­té. La valeur consti­tu­tion­nelle de ces prin­cipes a été recon­nue à plu­sieurs reprises d’une part par la déci­sion du Conseil consti­tu­tion­nel du 16 décembre 1999 : un cer­tain degré de com­plexi­té de la loi peut être admis dès lors que les des­ti­na­taires du texte sont cen­sés pos­sé­der un cer­tain degré de connais­sance juri­dique et tech­nique, et d’autre part par la déci­sion du 19 décembre 2000, insis­tant sur le fait que la loi doit être aisé­ment acces­sible quand les des­ti­na­taires forment l’en­semble des citoyens.

La poli­tique de réforme enga­gée par l’É­tat depuis 2002 s’est tra­duite par le vote en 2003 d’une pre­mière loi habi­li­tant le gou­ver­ne­ment à sim­pli­fier le droit par ordon­nances et par la pré­sen­ta­tion d’une seconde le 17 mars 2004 en Conseil des ministres. Cette démarche conduite par le gou­ver­ne­ment a pour objec­tifs essen­tiels de sim­pli­fier la vie quo­ti­dienne des usa­gers de l’ad­mi­nis­tra­tion, de réduire le coût des lour­deurs et com­plexi­tés admi­nis­tra­tives pour les entre­prises, tout en visant à une plus grande clar­té et une meilleure qua­li­té des textes législatifs.

Les lois habilitant le gouvernement à simplifier le droit

La loi n° 2003–591 du 2 juillet 2003 habi­li­tant le gou­ver­ne­ment à sim­pli­fier le droit a été publiée au Jour­nal offi­ciel le 3 juillet 2003 après une vali­da­tion emblé­ma­tique par le Conseil consti­tu­tion­nel le 26 juin 2003. Le gou­ver­ne­ment avait choi­si la voie des ordon­nances pour sim­pli­fier le droit pour plu­sieurs rai­sons : l’ur­gence à sim­pli­fier le droit, l’en­com­bre­ment du calen­drier par­le­men­taire, ain­si que la tech­ni­ci­té des sujets. Le Conseil consti­tu­tion­nel a vali­dé cette démarche en esti­mant que la sim­pli­fi­ca­tion du droit et la codi­fi­ca­tion répondent à » l’ob­jec­tif consti­tu­tion­nel d’ac­ces­si­bi­li­té et d’in­tel­li­gi­bi­li­té de la loi « .

Cette loi a per­mis d’en­ga­ger un vaste mou­ve­ment de sim­pli­fi­ca­tion selon cinq axes majeurs :

  • moder­ni­ser les rela­tions entre l’ad­mi­nis­tra­tion et les Fran­çais, en abré­geant les délais de réponse des admi­nis­tra­tions, en rédui­sant le nombre des com­mis­sions admi­nis­tra­tives, en mutua­li­sant les infor­ma­tions entre admi­nis­tra­tions, en moder­ni­sant les règles d’en­trée en vigueur des lois ;
  • sim­pli­fier les démarches admi­nis­tra­tives de la vie quo­ti­dienne en assou­plis­sant le vote par pro­cu­ra­tion, en sim­pli­fiant le régime des élec­tions pro­fes­sion­nelles, et notam­ment les élec­tions prud’­ho­males, en créant un gui­chet unique pour le per­mis de chas­ser, en uni­fiant dans une allo­ca­tion unique le mini­mum vieillesse grâce à la réduc­tion des élé­ments de calcul ;
  • sim­pli­fier la vie des entre­prises en expé­ri­men­tant la créa­tion d’un titre emploi entre­prise et d’un gui­chet unique pour cer­taines pro­fes­sions ; d’autres sim­pli­fi­ca­tions sont inter­ve­nues par le biais de la loi » Ini­tia­tive éco­no­mique » pré­sen­tée par le secré­ta­riat d’É­tat aux petites et moyennes entreprises ;
  • moder­ni­ser l’or­ga­ni­sa­tion et le fonc­tion­ne­ment du sys­tème de san­té en faci­li­tant la mise en œuvre du plan » Hôpi­tal 2007 » en sim­pli­fiant les pro­cé­dures d’in­ves­tis­se­ment, en allé­geant la pla­ni­fi­ca­tion hos­pi­ta­lière et en ren­dant la coopé­ra­tion sani­taire plus large et plus efficace ;
  • allé­ger les pro­cé­dures de la com­mande publique d’une part en sim­pli­fiant le code des mar­chés publics et d’autre part en met­tant au point un nou­veau par­te­na­riat entre le sec­teur public et les entre­prises. Ce nou­veau type de contrat conclu entre des per­sonnes publiques et pri­vées per­met d’as­so­cier la per­sonne pri­vée à la concep­tion, au finan­ce­ment, à la construc­tion et à la ges­tion des équi­pe­ments et des ser­vices publics.

La loi du 2 juillet 2003 a don­né lieu, à ce jour, à la publi­ca­tion de dix-neuf ordon­nances. Une quin­zaine d’or­don­nances devrait paraître d’i­ci la fin du délai d’ha­bi­li­ta­tion de la loi, au 2 juillet 2004, les codes béné­fi­ciant d’une habi­li­ta­tion plus longue jus­qu’au 2 jan­vier 2005. Cette loi apporte une inno­va­tion en pré­voyant la codi­fi­ca­tion de deux codes à » droit non constant « , c’est-à-dire per­met­tant d’as­so­cier codi­fi­ca­tion et réforme. Il s’a­git du code des pro­prié­tés publiques et du code des métiers et de l’artisanat.

Les thèmes prin­ci­paux du pro­jet de loi habi­li­tant le gou­ver­ne­ment à sim­pli­fier le droit, dépo­sé à l’As­sem­blée natio­nale le 17 mars 2004, com­portent des mesures de sim­pli­fi­ca­tion en faveur des usa­gers, des mesures spé­ci­fiques en faveur des entre­prises, des mesures de moder­ni­sa­tion de l’ad­mi­nis­tra­tion, des mesures de sim­pli­fi­ca­tion et de réor­ga­ni­sa­tion dans le domaine sani­taire et social, ain­si que la rati­fi­ca­tion d’or­don­nances et l’a­dop­tion ou la rec­ti­fi­ca­tion de la par­tie légis­la­tive de 14 codes.

L’exer­cice des lois d’ha­bi­li­ta­tion est annuel, comme l’a rap­pe­lé le Pré­sident de la Répu­blique dans son dis­cours à la Sor­bonne du 11 mars 2004 sur le bicen­te­naire du Code civil, en pré­ci­sant que le gou­ver­ne­ment avait » déci­dé de pré­sen­ter chaque année au Par­le­ment un pro­jet de loi l’ha­bi­li­tant à sim­pli­fier le droit et com­pre­nant un impor­tant pro­gramme de codi­fi­ca­tion. » Il a ajou­té que l’ef­fort de codi­fi­ca­tion » serait accen­tué et pour­sui­vi afin qu’en 2010 toutes les grandes matières de notre droit soient codi­fiées.  » Ain­si, une troi­sième loi d’ha­bi­li­ta­tion doit être pré­pa­rée dès main­te­nant. Gageons que, par cette poli­tique, notre pays gagne­ra en clar­té et en compétitivité.

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