La simplification administrative
La simplification administrative est à l’ordre du jour et plus que jamais indispensable, elle est devenue le levier essentiel de la modernisation de l’État. Formalisme, complexité et lourdeurs sont inadaptés à la compétition économique à laquelle nous sommes aujourd’hui confrontés. À l’heure de la mondialisation, la réglementation inutile et complexe coûte cher, problématique déjà élaborée en 1841 par un ingénieur des Ponts et Chaussées, Jules Dupuit, qui énonçait dans une » règle » depuis lors appelée » règle Dupuit » que » toute restriction à la liberté se traduit par un surcroît de dépenses « . Elle est vécue comme une atteinte à la liberté et à l’autorité de l’État : comment en effet parler de simplification, de lisibilité, de sécurité juridique, quand des modifications en profondeur de la législation, dans des domaines extrêmement nombreux et importants, sont adoptées, souvent dans l’urgence, dans des termes obscurs, incompréhensibles pour le citoyen et difficiles même pour le juriste averti ! Or un État plus proche des citoyens, c’est un État où la règle de droit est de qualité.
Pourquoi simplifier ?
Les juristes depuis le XIXe siècle ont toujours présumé que, pour résoudre un problème juridique, il suffisait de se fonder sur une loi. Cet attachement voué à la loi remonte loin dans l’histoire de France, aux édits de Charles VII ou de Louis XI. Les grandes ordonnances préparées par Colbert clarifient les compétences en fixant les attributions des autorités administratives, les règles de police et les peines encourues : elles représentent l’absolutisme royal. Les philosophes des Lumières, comme Voltaire ou Rousseau, remettent en cause l’organisation de la société en ordres, affirment les droits naturels que sont l’égalité devant la loi et la liberté individuelle, et donnent à la norme un nouveau rôle, celui de la manifestation de la volonté générale.
Cette prééminence s’est accentuée de nos jours, mais pour devenir une réponse médiatique, se perdant dans l’accumulation des détails. Complexité aggravée par la technicité croissante de pans entiers de notre droit, accentuée par l’émergence d’un droit communautaire et international qui se superpose au droit national. Or un État plus proche des citoyens, c’est un État où la règle de droit est de qualité. Il faut déplorer, comme le constatait le Conseil d’État dans son rapport public pour 1991 consacré à la sécurité juridique, que de trop nombreux projets de loi » comportent des premiers articles dépourvus de tout contenu normatif » et se limitent à » une simple formulation d’objectifs « . Il faisait état de plus de 8 000 lois et d’environ 400 000 textes réglementaires.
La complexité a bien sûr un coût que certains pays ont cherché à identifier. Ainsi, l’Australie a pu établir un budget réglementation à partir de l’évaluation du coût en interne de l’élaboration des textes (heures fonctionnaires) et du coût externe pour les entreprises (temps passé à remplir des formulaires et à répondre à des enquêtes statistiques et administratives). Aucune étude de ce type n’a été à ce jour jamais lancée en France. Face au coût excessif de la réglementation, due aux multiples contraintes pesant sur les citoyens et la capacité des acteurs économiques, aux surcoûts financiers imposés aux entreprises, à la complexité des structures administratives, il était urgent de réagir en mettant un terme à cette dérive.
Comment simplifier ?
» Les lois ne doivent point être subtiles, elles sont faites pour des gens de médiocre entendement, elles ne sont point un art de logique, mais la raison simple d’un père de famille « , disait en son temps Montesquieu. La lisibilité de la loi est indispensable pour assurer sa légitimité. La valeur constitutionnelle de ces principes a été reconnue à plusieurs reprises d’une part par la décision du Conseil constitutionnel du 16 décembre 1999 : un certain degré de complexité de la loi peut être admis dès lors que les destinataires du texte sont censés posséder un certain degré de connaissance juridique et technique, et d’autre part par la décision du 19 décembre 2000, insistant sur le fait que la loi doit être aisément accessible quand les destinataires forment l’ensemble des citoyens.
La politique de réforme engagée par l’État depuis 2002 s’est traduite par le vote en 2003 d’une première loi habilitant le gouvernement à simplifier le droit par ordonnances et par la présentation d’une seconde le 17 mars 2004 en Conseil des ministres. Cette démarche conduite par le gouvernement a pour objectifs essentiels de simplifier la vie quotidienne des usagers de l’administration, de réduire le coût des lourdeurs et complexités administratives pour les entreprises, tout en visant à une plus grande clarté et une meilleure qualité des textes législatifs.
Les lois habilitant le gouvernement à simplifier le droit
La loi n° 2003–591 du 2 juillet 2003 habilitant le gouvernement à simplifier le droit a été publiée au Journal officiel le 3 juillet 2003 après une validation emblématique par le Conseil constitutionnel le 26 juin 2003. Le gouvernement avait choisi la voie des ordonnances pour simplifier le droit pour plusieurs raisons : l’urgence à simplifier le droit, l’encombrement du calendrier parlementaire, ainsi que la technicité des sujets. Le Conseil constitutionnel a validé cette démarche en estimant que la simplification du droit et la codification répondent à » l’objectif constitutionnel d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi « .
Cette loi a permis d’engager un vaste mouvement de simplification selon cinq axes majeurs :
- moderniser les relations entre l’administration et les Français, en abrégeant les délais de réponse des administrations, en réduisant le nombre des commissions administratives, en mutualisant les informations entre administrations, en modernisant les règles d’entrée en vigueur des lois ;
- simplifier les démarches administratives de la vie quotidienne en assouplissant le vote par procuration, en simplifiant le régime des élections professionnelles, et notamment les élections prud’homales, en créant un guichet unique pour le permis de chasser, en unifiant dans une allocation unique le minimum vieillesse grâce à la réduction des éléments de calcul ;
- simplifier la vie des entreprises en expérimentant la création d’un titre emploi entreprise et d’un guichet unique pour certaines professions ; d’autres simplifications sont intervenues par le biais de la loi » Initiative économique » présentée par le secrétariat d’État aux petites et moyennes entreprises ;
- moderniser l’organisation et le fonctionnement du système de santé en facilitant la mise en œuvre du plan » Hôpital 2007 » en simplifiant les procédures d’investissement, en allégeant la planification hospitalière et en rendant la coopération sanitaire plus large et plus efficace ;
- alléger les procédures de la commande publique d’une part en simplifiant le code des marchés publics et d’autre part en mettant au point un nouveau partenariat entre le secteur public et les entreprises. Ce nouveau type de contrat conclu entre des personnes publiques et privées permet d’associer la personne privée à la conception, au financement, à la construction et à la gestion des équipements et des services publics.
La loi du 2 juillet 2003 a donné lieu, à ce jour, à la publication de dix-neuf ordonnances. Une quinzaine d’ordonnances devrait paraître d’ici la fin du délai d’habilitation de la loi, au 2 juillet 2004, les codes bénéficiant d’une habilitation plus longue jusqu’au 2 janvier 2005. Cette loi apporte une innovation en prévoyant la codification de deux codes à » droit non constant « , c’est-à-dire permettant d’associer codification et réforme. Il s’agit du code des propriétés publiques et du code des métiers et de l’artisanat.
Les thèmes principaux du projet de loi habilitant le gouvernement à simplifier le droit, déposé à l’Assemblée nationale le 17 mars 2004, comportent des mesures de simplification en faveur des usagers, des mesures spécifiques en faveur des entreprises, des mesures de modernisation de l’administration, des mesures de simplification et de réorganisation dans le domaine sanitaire et social, ainsi que la ratification d’ordonnances et l’adoption ou la rectification de la partie législative de 14 codes.
L’exercice des lois d’habilitation est annuel, comme l’a rappelé le Président de la République dans son discours à la Sorbonne du 11 mars 2004 sur le bicentenaire du Code civil, en précisant que le gouvernement avait » décidé de présenter chaque année au Parlement un projet de loi l’habilitant à simplifier le droit et comprenant un important programme de codification. » Il a ajouté que l’effort de codification » serait accentué et poursuivi afin qu’en 2010 toutes les grandes matières de notre droit soient codifiées. » Ainsi, une troisième loi d’habilitation doit être préparée dès maintenant. Gageons que, par cette politique, notre pays gagnera en clarté et en compétitivité.