La solidarité aussi est un vecteur d’innovation permanente
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Nicolas Mottis est professeur à l’X au département Management de l’innovation et entrepreneuriat. Il témoigne de son engagement associatif dans la solidarité et de la complémentarité entre sa profession et ses responsabilités associatives. La technologie joue un rôle grandissant dans l’action de solidarité et obtient des résultats encourageants. Mais par ailleurs les risques sont de plus en plus grands dans les conflits pour les intervenants.
Qu’est-ce qui a provoqué ton engagement dans la solidarité ?
Une observation simple : même si on ne peut pas tout changer, chaque petite contribution peut avoir un impact significatif. Bien qu’on soit souvent face à des problèmes qui semblent insurmontables, il est toujours possible de faire quelque chose. La solidarité n’est pas un concept abstrait. C’est une somme d’actes, aussi petits soient-ils, qui peuvent vraiment changer dans le bon sens le quotidien de quelques-uns.
Sous quelle(s) forme(s) t’es-tu engagé ?
J’ai d’abord été simple donateur de MSF pendant plusieurs décennies. Il y a environ sept ans, mon engagement a pris une tournure plus active lorsque j’ai découvert que la Fondation MSF lançait des projets d’innovation. Comme c’était un domaine lié à mon expertise et que les projets mis en avant se faisaient avec des institutions anglo-saxonnes, j’ai juste envoyé un courriel via le canal donateurs pour évoquer le fait qu’il y avait aussi des centres d’innovation vraiment performants en France.
À la suite de ce courriel, la directrice de la Fondation m’a invité à discuter puis, quelques mois plus tard, proposé de devenir administrateur. Depuis lors, j’ai eu l’occasion de m’impliquer dans divers projets, que ce soit pour évaluer certaines initiatives, pour rencontrer des grands donateurs, ou encore pour participer à des réflexions stratégiques sur l’organisation. Fin 2023, l’équipe m’a suggéré de me présenter à la présidence et j’ai été élu.
Mon rôle consiste notamment à animer les conseils d’administration, à aider à définir la feuille de route stratégique avec l’équipe, à pousser la Fondation à rester à la pointe de l’innovation, à rencontrer les donateurs et à contribuer à toute une série de tâches ponctuelles. C’est un engagement qui prend du temps, mais qui est extrêmement enrichissant. Néanmoins, pour être clair, étant bénévole à temps très partiel, je ne suis vraiment pas celui qui « fait » au quotidien. Mais, si je peux aider, j’aide.
Quelle part de ton temps as-tu consacré à la cause que tu défends ?
Il est difficile de répondre précisément à cette question. Certaines semaines, il ne s’agit que de petites actions disséminées ici et là : répondre à des courriels, signer les grosses factures, donner mon avis sur un projet, participer à une réunion, faire une mise en contact, etc. D’autres fois, j’y passe des journées entières, que ce soit pour des visites terrain, pour des événements donateurs ou pour des séminaires avec l’équipe, par exemple. C’est en fait très varié. Cet engagement est toujours présent en toile de fond dans ma vie quotidienne, que ce soit par des réflexions sur les projets en cours ou par des échanges permanents avec des gens qui s’intéressent ou pourraient s’intéresser à ce que nous faisons.
Comment as-tu articulé tes obligations professionnelles et ton engagement bénévole ?
En tant qu’enseignant-chercheur, j’ai l’avantage d’avoir une grande liberté dans la gestion de mon emploi du temps. Dans ce métier, on jongle en permanence entre des environnements très divers, donc intégrer cet engagement avec la Fondation n’a pas posé de problème particulier.
Bien entendu, comme tout le monde, je suis souvent saturé, mais j’essaie d’anticiper et de concilier au mieux mes différentes activités. Je tiens également à préciser que, d’un point de vue professionnel, je ne parle pas souvent de mon rôle à la Fondation MSF, si ce n’est avec des collègues proches. C’est un engagement personnel que je ne mélange pas systématiquement avec mes activités universitaires ou autres. Cependant, j’avais bien sûr informé la direction de l’École polytechnique de ma prise de poste. Leur réaction a d’ailleurs été très positive. Et j’observe que de plus en plus de collègues ou d’étudiants m’interrogent sur ce que nous faisons à la Fondation MSF.
MSF est une organisation assez fascinante, qui emploie plus de 60 000 personnes dans le monde et est au cœur de l’actualité, avec des contributions d’une qualité souvent exceptionnelle. Donc cela intéresse et c’est important pour nous d’en parler pour augmenter le soutien moral et financier à nos actions, car nous fonctionnons quasi exclusivement avec les dons des particuliers.
Ton engagement a‑t-il varié au fil du temps ?
Oui, il a évolué de manière significative avec le temps. Il a commencé de manière très simple, comme donateur justement. Puis, avec l’expérience, j’ai pris ou plutôt on m’a demandé de prendre des responsabilités plus importantes. Aujourd’hui, je suis impliqué dans plusieurs organisations. En plus de mon rôle à la Fondation MSF, je suis administrateur du Forum pour l’investissement responsable et président du conseil scientifique de Fair-Finansol (l’association pour la promotion de la finance solidaire). Ce sont des engagements qui sont arrivés assez naturellement avec l’âge et qui me semblaient utiles pour des causes qui me tiennent à cœur.
Quel bilan fais-tu de cette expérience ?
Le bilan est très positif. Ces engagements m’ont permis de rencontrer des personnes passionnantes et engagées, souvent de fortes personnalités qui se battent pour leurs convictions, parfois dans des contextes extrêmement difficiles. C’est une riche source d’inspiration, qui permet aussi de relativiser beaucoup de choses. Cela me rend aussi particulièrement dingue par rapport à des inefficacités bureaucratiques que je peux observer à l’X ou ailleurs, alors qu’avec nos moyens on pourrait faire beaucoup de choses…
Bien sûr, il y a des moments où l’on se heurte à des obstacles, où l’on se rend compte qu’il est difficile d’avancer. Mais, même si je n’ai jamais eu de grandes illusions à ce sujet, je sais que nous avons réussi à faire bouger les lignes dans certains domaines, et c’est une réelle satisfaction. Savoir que certaines personnes ont bénéficié de nos actions, même très indirectement, suffit à donner du sens à cet engagement. Et je suis sur la partie vraiment « facile » de MSF, les innovations ; je ne suis pas exposé sur les terrains d’intervention, ce qui est autrement plus difficile.
Pour prendre un exemple, le projet 3D qui permet de réaliser des prothèses de membres dans des conditions spartiates reprendra un jour à Gaza, qui vit un drame absolu et où des milliers de civils vont en avoir besoin juste pour survivre. Il est aujourd’hui quasi à l’arrêt, mais l’équipe de la Fondation est prête.
Ton engagement associatif a‑t-il donné plus de sens à ton travail ?
Mon travail à l’X a déjà beaucoup de sens en lui-même. En tant que professeur, j’ai la chance d’interagir avec des étudiants, des collègues et des partenaires d’entreprises qui travaillent sur des sujets souvent passionnants. L’engagement associatif permet d’avoir une approche plus militante, plus directe. Là où l’enseignement et la recherche s’inscrivent dans le temps long, le travail avec la Fondation MSF par exemple permet d’agir de manière plus immédiate, en réponse à des crises ou des besoins sensibles des terrains qui ne disposent pas encore de solution. Cela crée un équilibre intéressant entre réflexion de fond et action de terrain. Cet engagement associatif m’aide souvent à avoir du recul sur certaines situations ou médiocrités de mon cadre professionnel. Il donne aussi du sens à mon travail parce que je constate fréquemment que les expertises que nous développons à l’X peuvent avoir une vraie valeur ajoutée dans le cadre associatif.
“Les expertises que nous développons à l’X peuvent avoir une vraie valeur ajoutée dans le cadre associatif.”
Comment la solidarité a‑t-elle évolué ces dernières décennies ?
Elle s’est beaucoup professionnalisée. Aujourd’hui, dans des organisations comme la Fondation MSF, le niveau d’expertise des équipes est comparable à celui des entreprises les plus innovantes. Cela se reflète dans les méthodes de travail, dans les outils utilisés et dans la manière dont les projets sont gérés. Il y a une vraie montée en compétence, ce qui est nécessaire pour répondre aux défis actuels qui sont de plus en plus complexes. J’observe la même chose dans les organisations actives dans la finance durable. Toutefois, malgré cette professionnalisation, les besoins ne diminuent pas. Les crises humanitaires et sociales persistent et la solidarité doit continuer à jouer un rôle central pour y répondre.
Quel rôle la technologie joue-t-elle dans la solidarité ?
La technologie est désormais au cœur de certaines actions humanitaires. La Fondation MSF ne fait pas exception. Nous mobilisons des technologies de pointe pour répondre à des problèmes critiques. Par exemple, nous utilisons l’intelligence artificielle pour le traitement de photos de boîtes de Pétri prises avec des smartphones, afin d’identifier le bon antibiotique à utiliser sur nos terrains d’intervention. La lutte contre l’antibiorésistance est en effet un sujet majeur de santé mondiale. Il a fallu des années à l’équipe de la Fondation pour développer cette solution qui peut maintenant être déployée au niveau mondial, d’autant plus qu’elle vient d’être retenue comme référence par l’OMS.
D’autres solutions en cours de développement utilisent ce type de technologies pour le traitement d’images en oncologie. Autre exemple, des solutions à base d’impression 3D ont été développées pour fabriquer des prothèses à moindre coût et adaptées aux besoins spécifiques des patients sur le terrain, blessés lors de conflits ou ayant été victimes de brûlures graves. La Fondation contribue aussi à des études data poussées sur le bon usage de certains vaccins, contre la fièvre jaune par exemple, ou de tests de diagnostic rapide.
En neuropédiatrie, l’équipe de kinés de la Fondation développe aussi un programme innovant de rééducation d’enfants victimes de traumas sévères souvent liés à des conflits. C’est époustouflant de voir les progrès que font en quelques séances les bébés accompagnés. Ces savoirs et technologies ne sont pas un luxe, mais une nécessité pour améliorer l’efficacité de nos innovations, sans jamais oublier qu’un défi reste de déployer ces solutions dans des contextes souvent très difficiles, où les infrastructures sont limitées et où l’urgence est parfois très forte.
Quel rôle l’éducation polytechnicienne a‑t-elle joué dans ta conception de la solidarité ?
La formation par la recherche à l’X m’a appris à avoir une vision à long terme. Cette ouverture d’esprit permet de penser au-delà des intérêts immédiats et elle est précieuse lorsqu’il s’agit de s’engager pour des causes humanitaires. La solidarité, c’est aussi accepter de travailler sur des problématiques complexes, où les résultats ne sont pas toujours visibles tout de suite. Essayer de gravir des montagnes parfois un peu pentues fait partie de la culture de l’École. Et cela aide aussi dans les engagements associatifs.
Comment vois-tu l’impact des crises actuelles sur la solidarité ?
Je suis assez inquiet en raison des crises actuelles. Par exemple, l’une des choses qui me frappe le plus est l’augmentation des attaques contre les humanitaires et les journalistes ou sur des lieux comme les écoles et les hôpitaux. Sur certains terrains, ces agressions deviennent presque banales, ce qui est extrêmement préoccupant et franchement hyperchoquant. Bien que de nombreuses ONG témoignent et protestent, les réactions internationales sont souvent limitées. Cette dégradation de certains contextes affecte directement les dynamiques de solidarité, aussi bien au niveau local qu’au niveau global. Il est crucial de refuser cette évolution et de ne pas laisser la violence contre les humanitaires ou les journalistes se banaliser.
La Fondation MSF :
La fondation Médecins sans frontières soutient des projets innovants dans les domaines médicaux et technologiques. Son objectif est de répondre aux besoins des populations les plus vulnérables en développant des solutions concrètes, durables et adaptées aux réalités du terrain. La Fondation mobilise des experts de divers domaines pour soutenir ses actions, allant de l’innovation techno-logique à la gestion des crises humanitaires.