La solidarité, c’est le bon sens ?
Si le sens de l’intérêt général a toujours été intimement lié à l’identité polytechnicienne, son expression a connu des évolutions significatives. Il y a cinquante ans, rare était le polytechnicien qui s’écartait d’un modèle bien rodé, que l’on nous pardonnera de caricaturer ici : après une quarantaine d’années de bons et loyaux services dans l’administration ou l’industrie, notre camarade, jeune retraité, était sollicité pour contribuer à une bonne œuvre ou présider une association. Pleinement conscient du rôle décisif que son éducation avait joué dans sa vie, il voulait, par solidarité, rendre un peu de ce qui lui avait été donné par sa famille et le système éducatif éprouvé de notre pays : en temps ou en argent, il remboursait sa dette morale.
Pour de multiples raisons, ce modèle est à présent débordé. Certains consacrent durant toute leur vie une partie de leur temps au bénévolat, d’autres démarrent leur carrière professionnelle dans le milieu associatif. D’autres encore explorent la multitude des organisations de l’économie sociale et solidaire ou les think tanks travaillant sur les sujets sociétaux ou environnementaux, ou encore les entreprises à impact. Toutes et tous ont sans doute en commun un besoin de sens qui anime de plus en plus de nos concitoyens et de nos camarades. Dans leur rue, dans leur ville ou dans le monde.
“Un besoin de sens qui anime de plus en plus de nos camarades.”
La mondialisation et la libéralisation ont considérablement terni l’image de l’homo œconomicus. L’entreprise semble parfois poursuivre des buts à rebours du bien commun, tandis que l’État ne peut ou ne souhaite plus tout faire. Et, puisque les ingénieurs sont désormais légitimes dans les sciences humaines, pourquoi ne pas élargir d’emblée leur univers ? La solidarité, aujourd’hui, n’est-ce pas avant tout chercher à donner du sens à son travail ? Une carrière ne peut-elle pas être d’emblée solidaire ?
C’est à une nouvelle revue, sur soixante ans, que nous vous convions : celle des vécus si divers de nos camarades qui ont décidé que la défense des exclus ou de la planète pouvait faire partie intégrante de leur vie professionnelle, personnelle ou des deux. Que leur temps, et plus seulement leur argent, pouvait être librement affecté selon leurs souhaits profonds. Une revue des multiples formes que prend la solidarité, en ces temps de crises multiples où tout concourt à nous diviser. Avec cette inévitable question toute aussi essentielle : ce nouvel arbitrage rend-il heureux ?