La Solive, un jeune polytechnicien s’engage pour la rénovation énergétique
En 2021, Côme de Cossé-Brissac (X16) a cofondé La Solive, une école de rénovation énergétique, pour répondre aux besoins en compétences d’un domaine particulièrement en tension, au croisement du bâtiment et de l’énergie.
La Solive forme et accompagne des personnes en reconversion professionnelle à ces métiers, qui sont au cœur de la transition écologique. À travers la rénovation énergétique, il s’agit également de valoriser ces métiers et de rendre la transition énergétique accessible au plus grand nombre.
Pour me présenter très rapidement, je viens de Picardie, près de Senlis ; j’ai intégré l’X en 2016, puis je me suis investi à la Kès en tant que kessier relex. Ensuite, j’ai rejoint les Mines en 4A, comme ingénieur civil en option Machines & Énergie. Comme beaucoup, j’ai profité de ma scolarité à l’X pour creuser les enjeux énergie et climat, qui me passionnent, à travers des lectures, des conférences, et sur la fin plus activement en participant au développement du Manifeste étudiant pour un réveil écologique, à ses débuts. Pour clore cette rapide présentation, c’est avec la volonté de me frotter plus concrètement à ces enjeux que j’ai rejoint Carbone 4, le cabinet de conseil fondé par Jean-Marc Jancovici (X81), en stage de fin d’études, puis le cabinet de la ministre du Logement, auprès d’Emmanuel Constantin (X08), conseiller chargé de la rénovation énergétique et de la construction neuve, en doublant mon stage de fin d’études. C’est cette dernière expérience qui a été déterminante pour moi.
La réno, késako ?
Avant de présenter ce que je fais aujourd’hui, je vais tenter une rapide présentation de la rénovation énergétique, pour que l’on parle de la même chose. Ce que j’appelle rénovation énergétique au sens large, ce sont toutes les actions qui permettent de diminuer la consommation énergétique des bâtiments. Les principales, ce sont évidemment les travaux : isolation, changement des menuiseries, amélioration des systèmes de chauffage et de ventilation ; mais on peut également y ajouter les systèmes de pilotage et de régulation de la consommation. Pour donner quelques chiffres, le bâtiment représente en France près de 45 % de notre consommation d’énergie, soit un peu moins de 25 % de nos émissions de gaz à effet de serre. On peut avancer sans mauvais jeu de mots que le chantier qui nous attend est titanesque, puisque moins de 15 % du parc existant (résidentiel et tertiaire) respecte la cible que l’on se fixe pour 2050 : le niveau BBC – bâtiment basse consommation. Il y a du boulot !
Une priorité nationale délaissée par les X
Peut-être un peu délaissé – qui, parmi nous, se pose la question de travailler dans la réno en sortie d’École ? – c’est un secteur que j’ai découvert récemment et dont j’aimerais vous faire partager la passion. Car il a tout pour plaire ! Au croisement entre le bâtiment et l’énergie, c’est une priorité nationale pour des raisons à la fois écologiques (25 % de nos émissions), sociales (5,5 millions de Français en situation de précarité énergétique), de souveraineté nationale (30 % de notre consommation des énergies fossiles importées), qui répond à ces trois enjeux majeurs en créant des emplois qualifiés non délocalisables, partout en France. Par ailleurs, le défi intellectuel est particulièrement stimulant, puisqu’il nécessite de prendre en compte les contraintes du bâti existant, qui se couplent aux diversités architecturales régionales et qui obligent le plus souvent à traiter les bâtiments au cas par cas.
Un peu de contexte réglementaire
Dans le cadre de mes missions au sein du cabinet de la ministre du Logement, j’ai eu à travailler sur les deux axes de la politique publique, le bâton et la carotte, les contraintes réglementaires et les incitations financières. Pour commencer par les contraintes, ces dernières se font de plus en plus pressantes : interdiction de louer les logements étiquetés G à partir du 1er janvier 2025, puis 2028 pour les F, 2032 pour les E… Les bâtiments tertiaires ne sont pas en reste, puisqu’ils devront attester d’une diminution de leur consommation énergétique au compteur de 40 % en 2030, 50 % en 2040, 60 % en 2050 par rapport à une référence 2010–2020. Et, en face de ces obligations, la restructuration des aides autour de MaPrimeRénov’, du mécanisme des Certificats d’économies d’énergie (CEE) et de quelques autres permettent d’aligner plusieurs milliards d’euros de subventions chaque année. Lorsque l’on ajoute à cela l’augmentation des prix de l’énergie, on comprend que la réno ait explosé ces trois dernières années !
La pénurie de main‑d’œuvre, le principal frein à la massification des travaux
En quittant le cabinet, en mars 2021, j’ai eu la chance de rencontrer Ariane Komorn, qui est aujourd’hui mon associée. Elle avait identifié l’irritant principal du secteur, qui est commun au secteur du bâtiment : la difficulté à recruter. Ces secteurs n’arrivent pas à attirer suffisamment les jeunes et le BTP est aujourd’hui considéré (à tort) comme la poubelle de l’orientation… Toutes les entreprises du secteur font face à ce défi du recrutement et, avec la pression qui monte du côté des propriétaires, on débouche sur une situation inédite : la demande de travaux est supérieure à ce que les artisans sont capables de réaliser. Très concrètement, cela signifie que, pour augmenter le nombre de travaux de réno, il ne suffit plus de rajouter de l’argent dans la machine, il faut surtout former de nouveaux professionnels.
La genèse de La Solive
On a démarré en testant l’idée auprès des entreprises, avec l’idée folle que l’on pourrait changer l’image de ces métiers, les revaloriser. C’est aujourd’hui une des missions principales de La Solive, se dire qu’un jour être chauffagiste ou chef de projet en rénovation énergétique fasse réellement rêver les gens. Pour ça, on s’est inspiré de ce qui s’était passé dans l’univers du numérique il y a une dizaine d’années : à l’époque, peu de personnes rêvaient de devenir informaticiens. Et puis, à mesure que l’univers de la tech s’est développé, les métiers sont devenus sexy, tendus, et sont apparus les premiers bootcamps pour apprendre à coder : Le Wagon, Ironhack, Simplon, etc. ; sur un modèle de formation courte, intensive et très appliquée. Certes, les métiers de la rénovation énergétique ne paient pas encore autant que les métiers de la tech, mais ils ont le mérite d’être accessibles à n’importe qui et de payer tout de même bien mieux que la majorité des métiers à niveau de diplôme égal.
Accompagner vers les métiers en tension de la rénovation énergétique
Aujourd’hui, La Solive propose différents bootcamps (des sortes de camp d’entraînement) pour accompagner des personnes en reconversion professionnelle vers trois métiers en tension de la rénovation énergétique : chauffagiste, poseur d’isolation et chef de projet. Ces bootcamps durent environ trois mois et demi, en prenant en compte une période d’immersion en entreprise, et débouchent sur 100 % d’embauches à la sortie. Nous mettons en œuvre des méthodes de pédagogie inversée, pour que les élèves puissent découvrir la théorie chez eux et réserver les périodes en présentiel pour pratiquer, poser de l’isolation, démonter des chaudières et des VMC, ou encore apprendre à vendre des travaux. En parallèle avec la partie technique, nous accompagnons également les élèves dans leur projet pro. Nous nous sommes entourés d’entreprises partenaires, qui ont de forts besoins en recrutement et qui viennent se présenter, qui prennent des élèves en stage d’immersion et qui proposent des offres d’embauche. Ce sont des profils qui sont tellement recherchés que les entreprises sont prêtes à payer pour les embaucher, et on se place vis-à-vis d’elles comme un cabinet de placement.
Les formateurs allient pédagogie et technique
Pour délivrer les formations, nous nous appuyons sur des professionnels du secteur qui ont une passion pour la transmission. Ils ont tous une activité principale en parallèle avec les cours qu’ils dispensent, ce qui nous permet de nous assurer que les cours sont truffés d’anecdotes, toujours au goût du jour, et connectés au monde réel. Évidemment, vous vous en doutez, les profils qui allient pédagogie et technique sont rares, dans tous les secteurs mais particulièrement dans le bâtiment, et faire grandir notre réseau de formateurs est aujourd’hui un de nos enjeux clés de croissance. Néanmoins, si ces formateurs interviennent pour animer des contenus de formation et partager leur expérience et leur savoir-faire avec nos élèves, toute l’ingénierie pédagogique (les déroulés, les contenus, les exercices, etc.) est développée en interne de La Solive. De la même manière, nous avons créé nos propres diplômes, qui sont maintenant reconnus par le ministère du Travail et rendent nos parcours « certifiants ».
Attirer des profils de tous les secteurs dans un métier concret
Notre hypothèse principale – est-ce qu’on arrivera à donner envie à quelqu’un de se reconvertir vers ces métiers ? – est chaque jour un peu plus validée. Nous attirons des profils de tous les secteurs (et assez peu du bâtiment) : industrie, évènementiel, banque & assurances, commerce, administratif, etc. Leur premier point commun, c’est très souvent la volonté de se lancer dans un métier concret, au cœur de la transition écologique, avec un bel avenir (et qui par ailleurs paye bien et recrute partout en France). Le second, c’est généralement une fibre de bricoleur, des personnes qui se sont dit en retapant leur baraque qu’elles étaient bien plus épanouies dans leur minichantier qu’au boulot, surtout pendant le confinement. Une bonne partie d’entre elles sont également attirées par le fait de devenir indépendant ou de monter sa boîte facilement. Enfin, et c’est également une de nos fiertés, nous accueillons plus de 40 % de femmes, lorsque l’on sait que la moyenne du secteur est autour de 5 % ; c’est également un signal fort.
Placer les élèves dans une dynamique d’apprentissage
On sent qu’il y a une vraie ébullition dans le secteur sur les sujets de reconversion professionnelle, et quelques projets se montent sur le même modèle que La Solive, comme ÉRE (l’École de la rénovation énergétique) à Bordeaux ou l’École Gustave à Paris. Il faut dire que, sinon, les formations existantes sont généralement beaucoup plus longues (au moins un an), avec des niveaux souvent hétérogènes et assez loin du monde de l’entreprise… En proposant un modèle court mais intense,
on se rapproche des contraintes de la reconversion professionnelle : se former au plus vite pour trouver rapidement son prochain poste et continuer ensuite à apprendre sur le terrain. Évidemment, on ne remplacera jamais dix ans d’expérience, encore moins dans le bâtiment, mais l’objectif est de placer les élèves dans une dynamique d’apprentissage, afin qu’ils soient embauchés en sortie de formation et qu’ils deviennent autonomes en quelques semaines ou quelques mois,
une fois dans leur entreprise.
Faire monter en compétence les professionnels du secteur
Si notre mission principale reste la reconversion professionnelle, nous sommes de plus en plus sollicités par des entreprises et des artisans qui souhaitent se former pour monter eux-mêmes en compétences. Ils veulent apprendre de nouvelles techniques, mieux accompagner leurs clients sur des problématiques administratives et financières, ou simplement se tenir au courant des dernières évolutions réglementaires. C’est ce nouveau segment que nous commençons à attaquer, en proposant des formations beaucoup plus courtes, de l’ordre de quelques jours, à destination de professionnels du secteur, dont nos anciens élèves.
Après un campus à Paris, Lyon puis l’Europe
La Solive a fêté sa première bougie, puisqu’elle a été créée en avril 2021, et nous avons déjà formé plus de 75 personnes en reconversion professionnelle, ainsi qu’une centaine de professionnels du secteur. Nous sommes basés à Paris et ouvrons un deuxième campus à Lyon cet été pour répondre à la demande dans cette région. Pour se projeter un peu, nos objectifs sont à la hauteur des enjeux et nous visons d’accompagner 2 000 personnes en reconversion professionnelle par an d’ici 2025, sur une dizaine de campus en Europe, ainsi que des milliers d’artisans sur des modules dédiés. Et peut-être que, d’ici là, on aura fait mentir le vieux dicton qui dit que « si t’es con, fais maçon ! ».
Finalement, ce qui m’anime au quotidien, c’est de rendre accessible la transition écologique à tout le monde. Indépendamment de son niveau d’études, que chacun puisse prendre sa part dans ce grand chantier de la transition écologique, à travers un métier valorisant, qui a du sens et dont chacun puisse être fier.
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Bravo Côme, je retrouve dans ton projet les tropismes chers au membres de ta famille :sens, transmission, construction ! Bonne chance à la Solive !