La spintronique dans les capteurs spaciaux et dans les lasers
L’étude des environnements magnétisés du système solaire s’intéresse aux plasmas naturels du système.
C’est une branche des sciences spatiales encore peu connue du grand public qui intéresse le Laboratoire physique et plasmas de l’École polytechnique (LPP).
REPÈRES
La « spintronique », ou « électronique de spin », désigne l’ensemble des phénomènes physiques qui s’intéressent aux propriétés de courants de spin dans les solides, ainsi qu’à leur manipulation, avec ou sans champ magnétique. Le spin peut se concevoir comme un minuscule aimant, au niveau de l’électron, qui peut s’orienter dans un sens ou un autre, permettant un stockage d’information binaire. Les premières applications ont été mises en pratique dans les têtes de lecture des disques durs.
Instruments dans l’espace
À partir de la deuxième moitié du XXe siècle, avec l’avènement de la conquête spatiale, cette discipline s’est dotée d’une branche expérimentale poussée.
TROIS TYPES DE CAPTEURS
Un capteur magnétorésistif magnétique se présente comme un empilement de couches d’épaisseur nanométrique. On distingue trois types de capteurs.
Le capteur à magnétorésistance anisotrope (AMR) met à profit « l’effet Hall planaire » extraordinaire d’une couche aimantée qui donne lieu à une variation de sa résistance électrique en fonction de l’angle entre son aimantation et la direction du courant dans le plan.
Le capteur à magnétorésistance géante (GMR), ultrasensible, est constitué d’une couche très conductrice prise en sandwich entre deux couches magnétiques ; la résistance électrique du dispositif varie en fonction de la configuration des deux aimantations.
Enfin, le capteur à magnétorésistance tunnel (TMR) prend la forme d’une tricouche dont le matériau conducteur non magnétique a été remplacé par un matériau isolant, siège d’un transfert tunnel pour les électrons de spin différents.
Si les capteurs à base d’AMR, GMR et autres TMR semblent prometteurs, une partie du chemin vers la réalisation d’une instrumentation embarquée reste encore à parcourir.
Le lancement des premières sondes spatiales d’exploration du système solaire a permis d’embarquer des instruments dont les magnétomètres spatiaux à caractère vectoriel. Ces derniers permettent aux chercheurs d’étudier, in situ, les interactions électromagnétiques entre notre étoile et les magnétosphères des planètes du système solaire.
Dans ce cadre, la réalisation d’instruments embarqués capables d’évoluer dans un environnement hostile et présentant une grande sensibilité de mesure lance un défi. Aujourd’hui, les magnétomètres de type inductif demeurent les principaux magnétomètres vectoriels embarqués en raison de leur robustesse et de leur qualité métrologique.
Mais l’électronique de spin, à l’origine d’une réelle rupture technologique, pourrait bientôt bousculer cette hiérarchie. On pourrait concevoir une nouvelle génération de magnétomètres spatiaux à la sensibilité comparable à l’état de l’art actuel mais offrant un gain jamais atteint en termes d’encombrement, de consommation et d’intégration.
Cartographier la planète Mars
Le choix d’un capteur comme élément d’un instrument embarqué réside dans son potentiel à présenter à la fois un encombrement réduit, une robustesse (résistance à la température ou aux radiations) et une sensibilité au champ magnétique satisfaisantes.
“ Un gain jamais atteint en termes d’encombrement, de consommation et d’intégration ”
La recherche active en physique du solide permet d’afficher un réel optimisme en vue d’améliorer dans un proche avenir la sensibilité au champ magnétique des capteurs à vocation de magnétométrie spatiale.
À bord de sondes spatiales, ces capteurs permettront l’étude fine des phénomènes de turbulence dans le vent solaire ou encore de surveiller l’activité magnétique du soleil. Embarqués sur des véhicules, ils permettront de réaliser une cartographie magnétique du sol martien.
Télécommunications à grande distance
Les concepts pour l’utilisation du spin des électrons comme vecteur d’une information binaire sur de grandes distances ne manquent pas. Ils intéressent le Laboratoire des solides irradiés de l’École polytechnique (LSI).
DEUX POMPAGES
On distingue les dispositifs à pompage optique, pour lesquels la concentration de porteurs hors équilibre est générée par une onde lumineuse excitatrice d’énergie supérieure et ceux à pompage électrique, où cette même population est créée par l’injection d’un courant électrique.
On peut citer les lasers à spin qui se déclinent dans un système tout-solide sous le terme générique anglais de spin-vecsel (spin vertical external cavity emitted lasers).
Cette nouvelle génération de dispositifs optiques poursuit trois objectifs : le stockage d’une information binaire par le biais de l’aimantation d’un film nanométrique, le codage de l’information sous forme d’une onde électromagnétique cohérente de polarisation circulaire, et l’écriture de cette information par le biais d’un champ magnétique ou par un courant d’électron polarisé par transfert du moment angulaire.
Les avantages des lasers à spin sont, en plus de la cohérence lumineuse, la directivité du faisceau lumineux et la puissance lumineuse par unité de surface. En plus du codage binaire, leurs avantages vis-à-vis des lasers solides conventionnels résident dans la réduction du seuil laser et dans l’augmentation de la bande passante pour les télécommunications.
En haut à gauche : structure d’une diode de spin électroluminescente (Spin-LED) à injecteur de spin perpendiculaire (PMA) de type jonction tunnel CoFeB/MgO et à émission normale.
En haut à droite : caractéristique tunnel I(V) de la jonction tunnel pour le pompage électrique de spin dans le ½ Vecsel.
En bas à droite : émission spontanée amplifiée par pompage électrique de spin à travers la barrière tunnel.
THALES RESEARCH & TECHNOLOGY ET CNRS/THALES, PALAISEAU FRANCE.
Sélectionner les spins
La brique subtile et essentielle de tels dispositifs concerne le transfert de la mémoire de spin du nano-aimant solide en film mince vers la polarisation circulaire de l’onde lumineuse laser émise. Un spin-laser se présente dans le détail sous la forme d’un ensemble d’empilement de couches de semiconducteurs dits III‑V (GaAs, AlAs, InGaAs).
“ Polarisation, cohérence et directivité du faisceau lumineux ”
On discerne trois régions distinctes : une région de type n dopée en électrons, une région intrinsèque comprenant plusieurs puits quantiques (zone active) et une région inférieure de type p dopée en trous. L’injection d’un courant de spin depuis le contact magnétique vers la zone n de la diode, puis vers la zone active va permettre une recombinaison électrons polarisés-trous (excitons) pour céder un moment angulaire au photon émis.
Le principe de cette opération repose également sur l’idée que le matériau magnétique permet de sélectionner ou de filtrer plus efficacement une catégorie de spin au détriment de l’autre.
On connaît déjà des applications dans les mémoires solides conventionnelles (industrie électronique portable). Cette propriété pourrait également être mise à profit pour la réalisation d’un spin-vecsel encore plus performant.
L’ensemble des principes physiques rapidement exposés ici et utilisés dans les dispositifs spintroniques actuels et futurs justifie très amplement les investigations et les études les plus fondamentales proposées aujourd’hui dans les laboratoires de recherche.