La spirale de l’échec scolaire par les plus démunis.
Madame P.
» Les conditions de vie, cela joue sur les gosses. J’ai trois filles, puis un garçon encore au collège.
Mes aînées n’ont pas eu beaucoup le choix. D’une certaine façon, c’est de force qu’elles ont pris couture et pressing. Elles prennent ce qu’il y a : c’est ça ou la rue. On a l’impression qu’on nous donne des écoles de pauvres. Le lycée Fénelon ce n’est pas pour nous.
Je me souviens de leur début au lycée. À ce moment-là, on était quatre à avoir besoin de lunettes à la maison. On n’avait qu’une seule paire. Ce n’est qu’au bout de six mois que j’ai trouvé une aide pour les filles. Mais entre-temps les professeurs ne comprenaient pas qu’elles aient une fois des lunettes, une autre fois pas : on tournait. Cela s’est ressenti sur le travail et les relations. Heureusement que j’ai toujours été bien accueillie par la directrice.
Je pense qu’il faudrait une préparation pour rentrer en lycée professionnel, des bénévoles qui accompagnent les jeunes.
Quand on a très peu d’argent, c’est sur plusieurs mois qu’il faut économiser pour la rentrée. Le lycée devrait nous fournir un dépliant avant le 30 juin pour parler des livres, de la cantine, de la rentrée scolaire.
Une de mes filles n’a pas abandonné sa formation. Ce qui la fait tenir, c’est l’espoir que lui a donné une amie de l’embaucher quand elle aurait son diplôme.
Au bout de l’année, nous nous sommes retrouvés sans aucune ressource, rien. Mon mari avait travaillé pendant un mois et nous avions décidé de nous séparer. Suite à notre changement de situation, la CAF n’a pas versé les prestations.
La pauvreté ça travaille sur les gosses. Ils voient qu’ils ne sont pas pareils.
Je suis très inquiète pour mon fils. Au collège, il ne travaille pas du tout. Nous, on n’est pas au courant. Que veux-tu que je lui trouve ? Il faudrait qu’ils apprennent plus vite les métiers.
Personnellement, maintenant que je suis passée par là, je donne toujours un coup de main aux voisins pour leurs questions sur leurs enfants et les écoles. »
Un jeune
» Les difficultés d’orientation, tous les jeunes en ont. On a des mauvaises idées sur les métiers. On n’a pas l’occasion de rencontrer des gens. Mais pour les jeunes en grande précarité, il faut encore plus que les gens viennent vers nous.
Parmi ceux que nous connaissons, aucun n’a fait de formation professionnelle avec un diplôme à la sortie du lycée. Ceux qui ont des diplômes, c’est après qu’ils les ont eus.
Les jeunes qui quittent l’école très tôt, vers 13 ans, 14 ou 15 ans, ce sont ceux qui ont des mauvaises notes. On nous fait comprendre qu’on n’est pas bon, alors il vaut mieux aller voir ailleurs. Quand c’est un de nos copains qui a fait ce choix-là, il est difficile de l’aider. Cela peut arriver que, pendant un an, il n’y ait personne qui vienne nous voir.
On nous dit qu’on est plutôt manuel. Ce n’est pas forcément vrai. Mais comme tu te désintéresses des études, tu te dis qu’en technique tu suivras mieux. Nos parents font confiance à ceux qui nous orientent. Alors, ils nous poussent à accepter. Il faudrait prendre le temps, faire des tests pour mieux se connaître, se motiver. Il faudrait déjà que les jeunes sachent qu’ils ont des points forts.
Dans les stages on est plus en contact avec les métiers. On travaille vraiment. Mais pour les jeunes en grande précarité, si tu viens d’un quartier défavorisé, c’est difficile de trouver un stage. Un de nous voulait faire routier, gestion de stock informatisé. En troisième polytechnologique, il n’a pas trouvé de stage dans sa branche, il lui a été trouvé un stage en boucherie. Du coup, il n’a pas eu l’orientation au lycée professionnel qu’il voulait. Il a tout arrêté.
Nous avons une sensation d’injustice. Même s’il y a beaucoup de gens qui nous aident, nous avons l’impression qu’on nous fait moins confiance. Comme il y a beaucoup de monde, c’est ceux qui ont des avantages financiers qui sont pris. L’orientation, c’est un luxe.
La liberté de choix est très faible. Pour nous, la formation, c’est trouver du travail au plus vite, faire des expériences et peut-être trouver le métier qui nous plaira.
Il y a des choses que nous apprenons avant les autres. Donner un coup de main sur le marché par exemple. Mais de cela nous préférons ne pas parler. Nous habitons avec nos parents. Mais que deviennent les jeunes quand les parents ne peuvent continuer à les accueillir ? »
Une jeune femme
Leïla a vingt-cinq ans, une calme réserve, un regard un peu triste mais qui s’allume lorsqu’elle parle de sa soif d’apprendre. Elle obtiendra en juin prochain son diplôme d’accès aux études universitaires (DAEU). Elle est en CES (contrat emploi solidarité) dans une association.
Elle a triplé son CP car elle avait un problème de vue qui a été signalé, par écrit, à ses parents analphabètes.
Elle connaît ensuite une scolarité sans histoire jusqu’en classe de troisième à l’issue de laquelle elle obtient son brevet des collèges. Elle souhaite préparer un bac technique, ce que discute sa professeur principale. La sœur de la jeune fille vient au collège : elle a choisi l’emploi, dix ans plus tôt, après un BEP de comptabilité et lui conseille de faire de même. Leïla s’incline, mais elle sait que les choses ont changé…
En BEP, les enseignants lui conseillent en fin d’année une classe littéraire car elle est très bonne en langues. Elle change à nouveau d’établissement et entre en première » ordinaire « .
» J’étais toute seule, ça avançait trop vite et ma classe venait en majorité d’une bonne seconde générale. Et puis venant de X ça joue aussi : on était mal vu, je m’en rends compte. Profs comme élèves, j’étais mise sur le côté… Sans doute que je retardais les autres avec mes questions » dit-elle.
Le proviseur lui propose de redoubler en première STT… mais elle s’écroule car elle est nulle en maths… » C’est devenu insupportable et je n’aurais pas pu continuer pour ma santé… après deux premières. »
Depuis elle a occupé vingt emplois intérimaires dans le contentieux de la vente à distance, a effectué au GRETA et à l’APPA quatre formations successives : » définition de projet professionnel « , » remise à niveau « , » préparatoire secteur tertiaire » et une » préqualification conseillère téléphonique « . Elle vient d’être refusée par l’AFPA pour une formation d’opératrice bilingue parce qu’elle n’a pas le bac.
Elle dit : » Après toutes les expériences difficiles, pour l’instant je me suis toujours relevée. Mais il y a un moment où il faudrait que ça s’arrête les expériences. Il faut se poser ou alors il n’y aura jamais de projet, juste survivre. »