La stratégie de transformation
La stratégie d’entreprise classique est-elle encore utile ? À l’heure où il faut réagir plus vite que ses concurrents, la stratégie de transformation permet d’agir simultanément sur l’ensemble des leviers de performance de l’entreprise.
La stratégie de transformation pose comme principe que les tendances structurantes pour un secteur, une entreprise, sont connues : e‑business, globalisation, convergence, valorisation du service, besoins croissants de capitaux pour développer des offres nouvelles… Face à ces tendances, il ne s’agit plus, pour chaque entreprise, de découvrir où elle doit déployer ses ressources, mais d’organiser sa réponse plus vite que ses concurrents. Le véritable avantage concurrentiel ne réside plus dans l’idée mais dans sa concrétisation, dans la capacité à réaliser, à se transformer. La vague des fusions et acquisitions et l’explosion du e‑business procèdent de ces stratégies.
Pour transformer l’entreprise, il ne suffit pas de réussir quelques projets majeurs, il faut agir simultanément et rapidement sur tous les leviers. Cela nécessite d’agencer des cycles de transformation qui organisent l’ensemble des projets de changement sur une période déterminée.
La capacité stratégique d’une entreprise s’évalue alors sur l’intensité de changement de chaque cycle, la vitesse d’obtention des résultats et la fréquence des cycles. PricewaterhouseCoopers a établi une corrélation forte entre la position concurrentielle dominante des leaders et le fait qu’ils réalisent simultanément, plus vite, plus facilement et plus souvent que les autres des changements importants de leur organisation et de leurs systèmes1.
L’expression d’une volonté
Toute transformation est avant tout un acte politique : son image interne ou externe est aussi importante que ses résultats. Chaque cycle de transformation doit être inauguré par l’expression forte de la volonté des dirigeants.
Concise et claire, elle explicite les raisons de la transformation, les objectifs à l’aune desquels sera mesurée sa réussite, les changements qui doivent être conduits, le jalonnement des résultats, les règles de conduite qui s’imposent à tous et le rôle de chaque catégorie d’acteurs.
Cet acte de management induit une posture stratégique vertueuse : par l’accent mis sur l’expression de leurs exigences, les directions générales sont incitées à réallouer l’ensemble des potentiels de développement de l’entreprise.
Cette position intellectuelle s’oppose aux démarches visant à faire des arbitrages dans un portefeuille de projets et qui finissent par aligner implicitement la stratégie sur les ressources disponibles.
Dans un contexte d’uniformisation des stratégies d’entreprise, il devient essentiel pour les personnels de savoir que leurs dirigeants utilisent leur libre arbitre pour orienter le destin de leur entreprise de façon originale. Faute de quoi, le déterminisme économique les incitera à devenir des acteurs résignés ou des mercenaires. Cette volonté doit être exprimée avant tout en fonction des effets recherchés sur les perceptions des acteurs internes et externes. Incarnée par les dirigeants elle est la marque de leur leadership.
La maîtrise des délais
Chaque cycle de transformation donne lieu à un programme de changement axé sur la vitesse.
La vitesse est déterminante pour trois raisons : les ressources investies dans la transformation sont proportionnelles à la durée ; plus une transformation prend du temps et plus la résistance s’organise ; enfin, plus le délai est long et plus les risques de démotivation sont importants.
Une réponse est de réaliser le maximum de changements dans le minimum de temps et de mettre en place des boucles de régulation afin d’ajuster en permanence les solutions en fonction des écarts constatés.
Pour obtenir des résultats significatifs avec une économie de moyens optimale, l’entreprise doit construire un programme de transformation composé d’une équipe de management assurant la maîtrise coût-qualité-délai, d’une plate-forme de projets focalisés chacun sur une finalité unique, quantifiée, et disposant, pour une durée limitée, de ressources dédiées ; et enfin des processus de décision et d’arbitrage impliquant les actionnaires, la direction générale et le management opérationnel.
Cette conception des projets s’oppose aux découpages de type thématique (organisation, système, management) ou par processus qui mettent en avant le périmètre couvert plutôt que le résultat visé.
La première raison d’un tel programme est technique : identifier les effets leviers sur les variables stratégiques, structurer les projets pour y répondre, optimiser les ressources investies et garantir les résultats demandent une organisation et des méthodes spécifiques.
La deuxième raison d’être d’un tel programme est psychologique. Le programme de transformation, par son caractère mécanique et structuré, rend le changement inéluctable aux yeux de tous et, parce qu’il donne une lecture univoque de l’ensemble des projets, crée une référence sur laquelle l’entreprise peut capitaliser.
Les bonnes questions
L’élaboration d’un programme de transformation répond à une série de questions dont les principales sont les suivantes :
- quel angle d’attaque du cycle de transformation orientera le programme : les enjeux financiers, la satisfaction client, l’efficacité des processus, les rationalisations, les synergies… ?
- quelle plate-forme de projets permettra d’agir simultanément sur toutes les variables stratégiques ?
- quel équilibre et quelles modalités de pilotage pour les actions » corporate » et les actions locales ?
- quelle répartition opérer entre les actions qui relèvent du mode projet et celles qui découlent exclusivement d’un management par objectifs ?
- quel est le » business case » du programme, et comment les objectifs de résultats seront-ils intégrés dans le compte d’exploitation de l’entreprise ?
- quel processus d’insertion garantira que les solutions élaborées en mode projet seront réellement mises en œuvre par les opérationnels avec le bon niveau d’objectif de résultat ?
- comment sera organisé le retour d’expérience, et quelle logique sera la logique d’enchaînement avec le cycle de transformation suivant ?
Ainsi, l’organisation en programme est nécessaire mais il faut veiller à ce qu’elle demeure flexible et modulable en fonction de l’avancement de la transformation.
Il est sain de ne jamais perdre de vue que c’est l’obtention effective des résultats dans le P&L qui est recherchée et de refuser toute bureaucratisation du programme qui déposséderait les managers.
La maîtrise du changement
La gestion maîtrisée du changement est indispensable pour sécuriser les gains visés par chaque cycle de transformation.
Si une entreprise conduit un programme de transformation, c’est pour réaliser des changements qui ne sont pas accessibles au travers de sa seule organisation
Cependant, quelle que soit l’ampleur d’un programme, l’implication de la direction générale et les ressources investies, il n’atteindra ses résultats que s’il est accepté par ceux qui ont le pouvoir. D’où un problème difficile à résoudre : comment s’assurer du soutien d’acteurs dont on va profondément bouleverser la structure de pouvoir, sachant qu’un changement ne se décrète pas ?
C’est dans ce domaine que la maturité des entreprises est la plus faible du fait notamment d’un retour d’expérience insuffisant des changements passés. Les équipes chargées d’une transformation ont souvent des délais d’apprentissage supérieurs à la durée de la transformation qu’elles doivent conduire.
Transformer l’entreprise dans son fonctionnement au quotidien suppose de faire évoluer son organisation, ses systèmes et ses modes de management jusqu’à produire de nouveaux comportements.
Le processus de conviction qui est la première composante de la gestion maîtrisée du changement suppose une démarche structurée, adaptée à chaque population, et utilisant une variable essentielle : le temps. Il est en effet illusoire de penser qu’une action, même de qualité, sera suffisante pour convaincre en une seule fois des managers opérationnels de la pertinence et de la nécessité de nouvelles solutions. Le processus de conviction est donc intimement lié au processus d’élaboration de la solution, voire à la solution elle-même. Penser que la gestion du changement se réduit à faire accepter des solutions élaborées par d’autres est une utopie.
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1. Étude Benchmarking Partner, 1998.