La stratégie nationale pour la biodiversité
La diversité biologique, ou biodiversité, désigne la diversité de toute forme de vie sur Terre. Elle s’exprime à plusieurs niveaux : la diversité génétique, la diversité des espèces et la diversité des écosystèmes.
La biodiversité est une dimension essentielle du vivant. Elle est porteuse du potentiel évolutif qui garantit la capacité d’adaptation des espèces et des écosystèmes face, notamment, au changement global. La biodiversité est un enjeu vital pour les sociétés humaines par les biens et services qu’elle procure. Les utilisations qui en sont faites ont marqué les paysages et l’ont façonnée en retour.
Elle est, de fait, investie de valeurs symboliques, culturelles et identitaires.
C’est en 1992, à Rio, qu’a été adoptée la Convention sur la diversité biologique. Reconnaissant le monde du vivant comme fondement du développement durable, elle fixait trois objectifs :
• la conservation des diverses formes de vie ;
• l’utilisation durable de ses composantes pour ne pas mettre en péril les capacités de renouvellement des milieux naturels ;
• l’accès aux ressources génétiques et le partage juste des bénéfices découlant de leur utilisation.
La France possède, en métropole et outre-mer, un patrimoine naturel exceptionnel par sa diversité biologique et paysagère. Elle porte ainsi une responsabilité de premier plan dans la mobilisation planétaire pour la préservation de la biodiversité.
Comme l’y invitait la convention de Rio, la France s’est dotée d’une stratégie nationale pour la biodiversité. Elle est conçue comme un cadre cohérent et mobilisateur qui permette d’apporter une réponse à la hauteur des enjeux et des difficultés. Elle se place dans le cadre de la mise en œuvre de la stratégie nationale de développement durable. Elle reconnaît l’importance de poursuivre l’intégration des préoccupations liées à la sauvegarde de la biodiversité dans les politiques sectorielles. Elle compte sur un développement de la connaissance pour appuyer la dynamique qu’elle cherche à impulser auprès de tous les acteurs. Elle consiste en des orientations qui ont été arrêtées en février 2004 et des plans d’action sectoriels approuvés en novembre 2005. Ce sont les orientations qui sont présentées dans cet article.
Les finalités de la stratégie pour la biodiversité et les indicateurs associés
Le sommet de Johannesburg en 2002 n’a pu que constater que la perte de biodiversité s’était poursuivie depuis le sommet de Rio. L’objectif symbolique fixé à Johannesburg est de réduire la perte de biodiversité d’ici 2010 (nommé objectif 2010). Les Européens, et la France avec, ont choisi d’aller plus avant et se sont engagés à stopper la perte de biodiversité. Traduire cet engagement de façon concrète se heurte à trois difficultés : l’objectif n’est pas mesurable directement, il n’y a pas un état idéal de la biodiversité qu’il faudrait rechercher partout et enfin, ce qui est particulièrement vrai en France métropolitaine, la biodiversité à conserver est en partie héritée des utilisations qui en ont été faites. En réponse à ces difficultés, la stratégie nationale pose des objectifs aux différents niveaux d’expression de la biodiversité et donne des indicateurs de référence1.
Maintenir la diversité génétique : elle est mal connue et difficile à quantifier, et les moyens d’évaluer ses évolutions restent à mettre en place. Il est toutefois possible, en attendant des progrès des capacités d’observation de la biodiversité, d’avoir une approche indirecte en se concentrant sur la biodiversité utilisée. En suivant les résultats des travaux de l’OCDE, on peut ainsi choisir de suivre le nombre de variétés végétales et de races animales, enregistrées et certifiées aux fins de commercialisation, dans les principales catégories de plantes cultivées et d’animaux d’élevage.
Maintenir la diversité des espèces : cette finalité se comprend bien, mais n’est pas beaucoup plus facile à mesurer. Si les plantes, les oiseaux ou les mammifères sont à peu près bien connus, les invertébrés sont par exemple beaucoup plus nombreux et loin d’être inventoriés (déjà 39 000 espèces connues en France métropolitaine). Deux aspects complémentaires doivent être suivis, d’une part, comment évolue globalement la diversité des espèces et, d’autre part, que deviennent celles qui sont les plus menacées.
Maintenir la diversité des habitats : là encore, ce qui peut surprendre, c’est que l’inventaire n’est pas complet. Pour les habitats dits « naturels », les travaux liés à l’opération européenne Natura 2000 ont permis de rassembler l’information et l’inventaire de leur état de conservation est en cours d’organisation. En revanche, les habitats propres aux milieux agricoles sont loin d’être inventoriés sous l’angle de la biodiversité.
Carte de la diversité des types d’occupation du sol peu artificialisée au niveau local (IFEN, CORINE LANDCOVER).
Améliorer la trame écologique : maintenir la diversité des paysages et améliorer la connectivité écologique à l’échelle du pays. À l’échelle du paysage, la composition en habitats et les assemblages qui en sont faits ont beaucoup d’importance pour les dynamiques de population en conditionnant les flux de gènes et la dispersion des espèces. De ce point de vue, la présence d’espaces fortement artificialisés introduit des ruptures qui affaiblissent les conditions de réalisation de ces dynamiques, rompant en quelque sorte la continuité écologique du territoire (on parle de « connectivité écologique »). Il n’y a pas un type de paysage idéal pour la biodiversité. En particulier, il n’y a pas de relation entre la beauté d’un paysage et sa valeur en termes de biodiversité. Il est intéressant d’avoir des ensembles très diversifiés, des mosaïques, mais aussi de grands ensembles homogènes (en particulier forestiers, ou de pelouses). Il faut avant tout de la diversité des paysages : la situation de départ en France n’est pas défavorable, mais les tendances de fond sont défavorables du fait du développement des espaces artificialisés et de la disparition progressive de la diversité des systèmes agricoles. Les indicateurs choisis, représentés sur les deux cartes ci-après, donnent deux images indirectes de ces notions. Construites à partir des données sur l’occupation des sols (Corine Landcover) sur lesquelles on pose une grille d’hexagones de 2 km de côté, elles figurent la diversité du paysage pour l’une (par comptage des types d’occupation du sol par hexagone) et une dominance des espaces peu ou pas artificialisés pour l’autre (part de la surface dans les hexagones, avec des seuils à 40 et 60 % et en distinguant forêt et espaces ouverts).
Maintenir le bon fonctionnement des écosystèmes : biodiversité et fonctionnement des écosystèmes sont liés, même si ces relations ne sont pas toujours clairement établies. Les services rendus par la biodiversité à ce niveau des écosystèmes ont été évoqués plus haut.
Introduire un objectif se rapportant au fonctionnement des écosystèmes est à la fois une précaution (un bon fonctionnement pouvant être jugé bon pour la conservation de la biodiversité et de son potentiel d’évolution) et une vue globale de l’état des services rendus par la biodiversité. Deux dispositifs d’observations assez complets sont opérationnels, l’un pour la forêt et l’autre pour les cours d’eau, auxquels il est possible d’emprunter des indicateurs globaux.
Les quatre orientations de la stratégie nationale pour la biodiversité
Mobiliser tous les acteurs
Il est essentiel d’associer tous les acteurs à la mise en œuvre de la stratégie. Les orientations sont un document de l’État qui donne un point de départ à discuter et à faire évoluer. Elles donnent, en ayant défini les finalités de la stratégie, les moyens d’un suivi de la mise en œuvre. La stratégie s’accompagnera d’un dispositif d’indicateurs qui permettra à l’ensemble de la société civile d’en suivre les développements et les résultats de manière transparente.
L’instance de concertation nationale au sein de laquelle débattre de l’évaluation de la stratégie et de l’évolution de ses orientations est le Conseil national du Développement durable (CNDD). Il lui revient également de proposer des déclinaisons sectorielles ou locales de la stratégie, d’évaluer l’ensemble des plans d’action et de recommander des priorités en la matière.
Dominances dans le paysage des milieux peu artificialisés (IFEN, CORINE LANDCOVER).
La nécessité d’une sensibilisation générale du public et de l’ensemble des citoyens est une évidence. Elle doit viser une « réappropriation » de la biodiversité et de la place que celle-ci occupe dans leur quotidien économique, social et culturel. En outre, la communication, l’éducation et la sensibilisation du public constituent l’un des grands objectifs du plan stratégique de la Convention sur la diversité biologique.
L’implication des secteurs socioprofessionnels est également indispensable. Les priorités vont à trois secteurs – agriculture, gens de mer et entreprises – qui ont déjà internalisé la notion de biodiversité à des degrés divers. Il s’agit d’accompagner et d’encourager ces processus, en respectant la diversité des approches et des représentations.
La sphère publique a une influence considérable sur la société par les représentations qu’elle offre de ses propres échelles de valeur.
Pour être motrice sur le sujet de la biodiversité, elle doit s’être elle-même approprié l’importance des enjeux et construit un nouveau mode de représentation. Or la biodiversité est un concept et une réalité encore mal connus et mal compris en dehors des cercles de spécialistes.
Reconnaître sa valeur au vivant
La biodiversité fait partie intégrante de la richesse nationale. Elle en est même une composante essentielle. En outre, les ressources biologiques présentent la particularité d’être renouvelables mais épuisables : elles ont la capacité de se régénérer si elles sont gérées de façon raisonnée, mais elles peuvent aussi être endommagées voire détruites à jamais.
À un niveau microéconomique, les études de valorisation constituent un élément essentiel pour l’élaboration de politiques qui doivent être fondées sur la connaissance et l’objectivation des enjeux.
À ce titre, elles constituent la troisième étape d’une démarche d’ensemble qui comporte en amont : la production de références scientifiques sur le fonctionnement des écosystèmes ou la dynamique des espèces, par exemple ; le développement des systèmes d’observation de la biodiversité ; et en aval, le développement d’expertises et la définition des bonnes pratiques pour la gestion, que celles-ci concernent des espaces relevant de la conservation, ou d’espaces faisant l’objet d’exploitation économique, agricole, forestière ou touristique. Enfin les études de valorisation constituent un maillon critique pour le développement de mécanismes de responsabilisation vis-à-vis des dommages écologiques.
Cependant, les travaux microéconomiques ne suffisent pas. Il convient de compléter le système de comptabilité nationale en introduisant des considérations d’évaluation patrimoniale. S’il ne semble pas techniquement possible aujourd’hui d’intégrer dans une comptabilité nationale unique la représentation de la production économique et celle de l’environnement et des ressources naturelles, il importe en revanche de développer des approches complémentaires.
Améliorer la prise en compte de la biodiversité par les politiques publiques
Cette amélioration passe en premier lieu par une meilleure intégration dans les politiques publiques. Les politiques les plus concernées sont l’agriculture, la forêt, l’eau, les infrastructures, l’urbanisme, la pêche en mer, l’industrie – notamment dans les branches qui utilisent directement la biodiversité comme ressource, telles que l’agroalimentaire – mais aussi, bien sûr, la protection de la nature et l’Éducation nationale.
La coordination des politiques publiques constitue aussi un enjeu essentiel. Cette coordination doit permettre la mise en cohérence des diverses politiques en prenant en compte leurs interactions, en favorisant les synergies, en identifiant et en réformant les effets pervers possibles, qui peuvent résulter d’objectifs multiples (environnementaux, économiques, sociaux) parfois contradictoires. La réforme des mesures à effets pervers constitue un chantier en elle-même. Elle présente des avantages en termes de réduction des coûts administratifs et budgétaires, l’effet pervers d’une politique entraînant en général des coûts pour une autre.
Les projets de territoire et les démarches de développement durable seront les cibles prioritaires pour la coordination des politiques au niveau local. Ils se définissent et se mettent en œuvre pour la plupart à l’échelle des paysages. Or le paysage, dans le sens communément admis, est une échelle de perception à la fois pertinente en matière de gestion de la biodiversité (cf. supra les finalités en termes de trame écologique) et qui est partagée par les acteurs. Ils sont ainsi susceptibles de se retrouver autour d’un objectif en matière de paysage, qui fasse la synthèse de leurs différentes visions (culturelles, économiques, écologiques) et qui soit traduisible en termes opérationnels. Le paysage correspond en pratique à l’échelle cartographique du 1⁄25 000e et il se prête à des approches sur des portions de territoire allant de la commune à la région.
Indicateur d’évolution de la biodiversité avifaunistique (95 espèces) en France, période 1989–2001.
Cet indicateur résulte de la combinaison des indices d’évolution des effectifs de 95 espèces d’oiseaux communs, suivis en France depuis 1989 par le programme STOC (MNHN). Il a été choisi de fixer l’année 2001 comme base 100. Si les populations sont globalement en déclin, les espèces septentrionales et les espèces spécialistes des habitats forestiers et agricoles sont les plus affectées.
Parmi les politiques publiques, la politique du patrimoine naturel et paysager occupe une place particulière car elle répond directement aux enjeux et aux objectifs de la stratégie. Une pierre angulaire de cette politique est néanmoins les conditions de son financement, qui rejoint la difficulté de la valorisation du vivant. Toutes les pistes de création de ressources nouvelles ainsi que d’utilisations plus efficientes de financements existants doivent être examinées, en y associant les acteurs les plus concernés, au premier rang desquels les collectivités.
Enfin, la politique internationale et de coopération est directement concernée. La France considère la diversité biologique pour sa valeur patrimoniale mondiale. Elle contribue largement aux fonds multilatéraux (GEF, Global environmental Fund – FED, Fonds européen de développement…). Elle cherche à promouvoir, au plan international, la notion de gouvernance mondiale, c’est pourquoi elle milite en faveur de la transformation du programme des Nations unies pour l’Environnement en une véritable Organisation des Nations unies pour l’Environnement. L’intervention de la coopération française vise à aider les pays partenaires du Sud à intégrer la dimension environnement dans leur processus de développement, par la définition de politiques publiques adaptées, ou la mise en œuvre de projets à valeur démonstrative qui font de la théorie du développement durable une réalité, et des principes de la Convention sur la diversité biologique un code de conduite.
Développer la connaissance scientifique et l’observation
Cela pourrait être le premier axe de travail. La connaissance scientifique est indispensable à la prise en compte de la biodiversité et l’observation doit fonder l’analyse et offrir les moyens de suivre les effets des politiques mises en œuvre.
Il n’est pas question d’attendre, néanmoins, que la compréhension des mécanismes ait progressé ou que les données d’observation soient plus nombreuses pour se mobiliser autour d’une stratégie d’actions. L’urgence de la situation est suffisamment établie.
En revanche la stratégie ne peut pas ignorer qu’un effort significatif doit être fait en la matière. Premier impératif : avoir un plan d’action ambitieux en matière de recherche scientifique pour la biodiversité. Ce besoin était déjà identifié par la stratégie nationale de développement durable et son élaboration est bien avancée. Deuxième impératif : mettre en place un dispositif d’observation opérationnel qui fournisse des données fiables, objectives et représentatives de l’état de la biodiversité, pour le pilotage de la stratégie et de ses plans d’action, ainsi que pour l’information de la société. Enfin, les indicateurs sont une synthèse indispensable de l’information : ils posent des problèmes méthodologiques et ils sont fortement liés à des considérations internationales, ce qui oblige à faire de leur élaboration et de leur remise en cause un chantier permanent.
Conclusion
Depuis l’adoption des orientations de la stratégie nationale pour la biodiversité en février 2004, des plans d’action ont été élaborés par l’État et validés en novembre 2005 pour l’agriculture, la mer, les infrastructures de transport terrestre, l’urbanisme, les projets de territoire et l’international. D’autres sont en voie d’être approuvés pour chacune des collectivités d’outre-mer. Des collectivités ont déjà pris des initiatives pour formaliser elles aussi des stratégies ou des plans d’action. Nul doute que la situation n’est pas idéale, mais la mobilisation commence à prendre forme et la stratégie nationale lui donne un repère, des lieux de débats et des rendez-vous obligatoires.
La stratégie est nationale, c’est-à-dire qu’elle est destinée à la biodiversité dont la responsabilité incombe à la France, mais sa portée est aussi internationale : près de la moitié des pays parties à la Convention sur la diversité biologique ont élaboré leur stratégie. Les échanges d’expérience, ainsi que les opérations en commun, en seront facilités.
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1. Les indicateurs choisis, pour l’instant, ne prennent pas en compte la France d’outre-mer, en raison de l’hétérogénéité et des problèmes de pertinence des connaissances disponibles ; une approche par collectivité, dans le cadre d’un plan d’action qui lui est propre, a été préférée. Ces plans d’action sont en cours d’approbation.