La supply chain, fer de lance de l’entreprise durable
La supply chain joue un rôle prédominant non seulement dans la performance économique de l’entreprise, par sa capacité d’agilité et de résilience, mais aussi et surtout dans la transformation de l’entreprise et des sociétés qui l’entourent vers des modèles plus durables.
Si la logistique irrigue le corps de l’économie en assurant la mobilité et le stockage des biens, la supply chain en est le système nerveux : elle dessine, orchestre et optimise l’ensemble des flux, depuis la matière première jusqu’à la livraison des produits finis, pour répondre à la demande du marché. La supply chain du futur sera résiliente, agile et durable.
REPÈRES
Les enjeux économiques (profit) de la supply chain sont colossaux – Apple a par exemple annoncé une perte de 6 milliards de dollars de chiffre d’affaires liée à des ruptures de sa chaîne d’approvisionnement sur le troisième trimestre 2021 – mais les enjeux environnementaux (planet) et sociétaux (people) le sont tout autant. Il suffit pour s’en convaincre de considérer l’empreinte carbone d’un produit livré en express depuis l’autre bout de la planète ou l’impact sociétal de la localisation des usines et des fournisseurs. La supply chain doit donc évoluer rapidement, se transformer, voire se réinventer pour répondre à la fois aux trois enjeux du People, Profit, Planet, dans l’esprit de la stratégie du tout durable développée par le groupe Michelin.
Une supply chain résiliente par design
La recherche de performance économique comme premier et parfois seul critère de décision a poussé nombre de supply chains à privilégier des bases de production à bas coûts, à réduire le nombre de fournisseurs et à optimiser les stocks dans l’optique du « juste à temps ». Les chaînes d’approvisionnement se sont ainsi étirées au travers de la planète tout en s’affinant. Elles se sont alors rendues vulnérables aux aléas multiples qui, en frappant un maillon du dispositif global, peuvent immobiliser son ensemble : fermeture d’un pays pour cause de crise sanitaire, engorgement d’un port, inflation du transport maritime, événement climatique… Ces crises concomitantes ont montré à quel point le design – au sens d’architecture – de nos chaînes d’approvisionnement constitue le fondement même de leur résilience.
Le design de toute supply chain commence par le choix de son footprint physique : localisation des fournisseurs, positionnement des usines, schéma logistique de distribution… Une supply chain résiliente va privilégier les circuits courts, afin de gagner en agilité face aux aléas : la volatilité des marchés engendrée par la crise a mis en évidence la valeur d’une supply chain à lead times courts, qui permet de mieux saisir l’occasion du rebond de la demande par une réponse plus rapide. Nombre d’industriels se sont ainsi lancés dans cette réflexion stratégique sur les circuits courts, en étudiant les possibilités de productions locales, voire de relocalisation.
“Le design de nos chaînes d’approvisionnement constitue le fondement même de leur résilience.”
En second lieu, la résilience d’une chaîne d’approvisionnement se joue sur sa capacité à surmonter un aléa par une capacité de réaction à la hausse ou à la baisse de chacun de ses maillons. La volatilité des marchés a créé de grandes variations du signal de demande tout au long des supply chains et ainsi mis en lumière la limitation intrinsèque de leur réactivité.
Sur le marché en tension de l’emploi aux États-Unis, le temps de recrutement d’un opérateur en entrepôt ou en usine est soudain devenu un goulot déterminant pour répondre à une demande en forte hausse, posant la question d’une stratégie de sureffectif structurel. De même, des capacités négociées avec des compagnies maritimes par des contrats de long terme peuvent constituer un avantage concurrentiel substantiel dans un contexte de grande tension sur ces marchés…
Le troisième élément essentiel de design d’une supply chain résiliente s’obtient par la création de redondances entre ses maillons les plus critiques, ce que le professeur Hau Lee de l’université Stanford appelle la supply chain reconfigurable. Celle-ci vise à compenser la défaillance d’un des maillons de la chaîne par l’entrée en fonction d’un autre maillon préparé pour cela. C’est typiquement la politique de passerelles entre les usines mise en place au sein du groupe Michelin : la capacité à produire exactement le même produit sur plusieurs sites industriels d’une ou plusieurs régions. C’est aussi la mise en place de solutions d’extended supply, qui permettent de livrer un client depuis le stock d’un tiers partenaire.
Une supply chain agile grâce à la numérisation et des organisations responsabilisées
Si les trois ingrédients essentiels de la supply chain résiliente – circuits courts, réactivité et redondance des maillons – concourent chacun à son agilité, ils n’en sont que les prérequis. Celle-ci s’obtient en effet au jour le jour par un pilotage des opérations à la fois précis et rapide. Ce pilotage s’appuie sur un socle de données partagées end-to-end, sur des équipes responsabilisées pour prendre la décision au plus près de l’action et sur une culture d’excellence opérationnelle au service du client.
La numérisation de la supply chain constitue le socle d’un pilotage agile des opérations : elle permet de visualiser l’ensemble de la chaîne pour une prise de décision rapide et pertinente. Où sont mes conteneurs ? Quel est le niveau de stock chez mon client ? Est-ce que mon usine produit au bon niveau ? Quelles sont les tendances de vente de notre dernière gamme ? Autant de données qui permettent de prendre une décision – par exemple le déclenchement d’une livraison express entre deux maillons – dans une optique d’optimisation globale pour l’entreprise et non plus dictée par une situation locale et partielle.
Le groupe Michelin s’est ainsi engagé dans une transformation visant à créer une data driven company via le partage et la gestion des données dans un endroit unique et accessible à tous : le corporate data lake. L’extraction de la valeur de la donnée repose ensuite sur notre capacité à la visualiser et à l’exploiter via l’analyse statistique et l’intelligence artificielle. Les applications sont nombreuses pour le domaine supply chain et le groupe Michelin fait figure de pionnier dans leur déploiement avec des projets à fort impact, tant sur les sujets de planning (prévision de la demande) que sur le sujet de l’exécution (prédictions de ruptures sur la chaîne).
“La démocratisation de la donnée rend possible la décision rapide au plus près de l’action.”
La démocratisation de la donnée rend possible la décision rapide au plus près de l’action, qui est le second gage d’agilité. Dans notre monde de plus en plus volatil, la vitesse de décision face à un aléa est essentielle dans la capacité de la supply chain à réagir pour éviter la rupture. La mise en place d’organisations responsabilisées pour prendre des décisions en toute autonomie – à l’intérieur d’un cadre fixé à l’avance – permet de gagner une agilité précieuse. L’exemple des centres d’appels d’Amazon, où une grande latitude est donnée à l’opérateur pour apporter des solutions au consommateur, est emblématique de ce point de vue. Elle diffère d’une approche traditionnelle où l’opérateur téléphonique suit un script et doit valider toute dépense non prévue avec sa hiérarchie.
Le groupe Michelin s’est engagé très tôt dans cette démarche au sein de ses usines, avec des résultats très probants. D’abord centrée sur les sujets de performance industrielle, cette approche est maintenant élargie à l’ensemble de la supply chain. Les équipes centrales se positionnent alors en soutien des opérations pour traiter les problèmes récurrents ou transverses qui nécessitent la mobilisation de ressources importantes et de multientités, comme la gestion d’une crise logistique majeure (canal de Suez…).
Pour porter pleinement ses fruits, cette démarche de responsabilisation doit enfin s’accompagner du déploiement d’une culture d’excellence opérationnelle tout au long de la chaîne. Elle vise à la formation et la professionnalisation des équipes, ainsi qu’à la diffusion d’une culture du progrès continu et des outils du lean.
Une supply chain durable par son design et son intégration dans un écosystème
La supply chain tient enfin dans ses mains plusieurs leviers majeurs de l’entreprise durable. Si son design est essentiel pour sa résilience et son agilité, il l’est aussi et avant tout pour son empreinte environnementale : une supply chain durable cherchera à développer les circuits courts pour économiser l’énergie et l’économie circulaire pour économiser la matière. Le groupe Michelin est ainsi engagé dans une démarche de décarbonation de sa supply chain qui repose sur trois piliers.
« La supply chain tient enfin dans ses mains plusieurs leviers majeurs de l’entreprise durable. »
D’abord transporter moins en produisant plus près des marchés : il s’agit de continuer l’ajustement de notre footprint industriel et la localisation de nos fournisseurs pour réduire les transports intercontinentaux, qui représentent encore aujourd’hui un tiers des émissions de CO2 de la logistique du groupe. Ensuite transporter mieux grâce à un écosystème en mouvement : pousser l’intermodal sur les longues distances avec l’utilisation du train, de la barge ou du transport maritime régional, mieux remplir les camions et les conteneurs en recourant si nécessaire à un partage des capacités logistiques avec d’autres acteurs, favoriser l’utilisation des énergies bas carbone (électricité pour le dernier kilomètre, biofuel sur le maritime…).
Enfin transporter différemment, en testant des technologies de rupture qui seules pourront nous amener au zéro carbone en 2050 : on citera la forte implication du groupe dans la mobilité hydrogène (Symbio avec Faurecia), les appels d’offres sur le transport maritime à propulsion vélique (première liaison opérationnelle en 2023) ou encore le récent lancement d’une voile gonflable révolutionnaire pour les cargos (projet Wisamo par Michelin).