La taupe, atelier d’écriture

Dossier : Les prépasMagazine N°703 Mars 2015
Par Pierre LASZLO

Un cours de maths en taupe au lycée Louis-le-Grand, à la mi-sep­tembre 2014. Sur­prise : aucun ordi­na­teur, aucune tablette sur les tables. Le cours est noté à la main, encre et papier, tout comme il y a cin­quante ans – voire deux cents ans.

L’écriture reste fon­da­men­tale. Nous le sou­li­gnons, car cer­tains croient peut-être, un peu naï­ve­ment, que c’est la seule affaire de l’école pri­maire – voire des pre­mières années du secondaire.

Mais de quoi s’agit-il au juste, quelles sont les fonc­tions de l’écriture incul­quées aux élèves ? Il en est une bonne dizaine.

REPÈRES

L’autorité de l’écrit s’impose. À la fois l’autorité d’un raisonnement logique, en son inflexible linéarité – chaîne aux maillons successifs –, et l’autorité du professeur, personnage omniscient, autorité attestée par ses diplômes, l’agrégation en règle quasi absolue.
Autorité, du latin auctoritas, qui donna aussi en notre langue l’auteur, celui qui écrit pour d’autres. Mais encore, celui qui se fera inventeur de sa carrière professionnelle, découvreur d’un trajet, bref auteur de sa propre existence.
Devant l’autorité de l’écrit, l’étude est l’attitude de l’élève. Il ou elle revoit ensuite ses notes, parfois des heures durant, afin de s’assurer de tout comprendre. L’élève en profite pour annoter son cours : ces scholies, ces marginalia inscrites souvent dans une autre couleur, le surlignage de tel ou tel résultat ou tournant, rythment le cours écrit, le commentent et le personnalisent.

Lire, Relire, Se relire

La qua­li­té d’écriture d’abord, pro­pre­ment cal­li­gra­phique. Ensei­gnants à l’École, nous avons été impres­sion­nés par l’excellente lisi­bi­li­té de ce qu’écrivent les élèves. Par­fois cette qua­li­té, cet atout peut-on dire, per­dure tout au long de leur car­rière ultérieure.

Dans quel but ? Pou­voir se relire sans effort. Cour­toi­sie envers autrui, de plus.

Une pre­mière fonc­tion de l’écriture par les élèves, par­don­nez le truisme, est de copier ce que dit et écrit le pro­fes­seur. Mais pas n’importe quoi : on apprend en pré­pa à dis­tin­guer l’important de l’accessoire. Ain­si, lorsqu’on prend note d’une démons­tra­tion, de l’énoncé d’un exer­cice et de sa solu­tion, on est ame­né à dis­tin­guer et à sérier les étapes d’un raisonnement.

“ En prépa, on apprend à distinguer l’important de l’accessoire ”

Comme se plai­sait à dire M. Mira­bel, l’un de nos propres pro­fes­seurs de pré­pa, « une démons­tra­tion, c’est comme un lustre. S’il manque un maillon de la chaîne, qu’est-ce qui se passe ? Le lustre se casse la figure. »

L’élève s’astreint donc à écrire avec la plus grande pré­ci­sion, ce qui lui sera bien utile par après.

Imprimer la mémoire

Une des fonc­tions de l’écriture – sur laquelle ont insis­té nombre de nos inter­lo­cu­teurs, ensei­gnants en CPGE – est d’aider à la mise en mémoire.

Car le cours vient s’imprimer dans les méninges (l’une des fonc­tions des col­leurs est de s’en assurer).

Reformuler, Résoudre

La réso­lu­tion des pro­blèmes passe aus­si par l’écriture. La pré­pa est ce lieu ini­tia­tique où l’on fait com­prendre à l’élève toute l’importance d’apprendre à refor­mu­ler un énon­cé : la solu­tion n’est qu’une autre manière, non évi­dente a prio­ri, de trans­crire l’énoncé.

Les élèves s’exercent donc à en écrire d’autres ver­sions, des tra­duc­tions, en d’autres termes, de ce même lan­gage des équa­tions : ce fai­sant, des rac­cour­cis, des astuces, des sub­sti­tu­tions leur sautent aux yeux. Ils s’acheminent ain­si vers la solution.

Le cours est noté à la main, encre et papier.
© WAVEBREAKMEDIAMICRO – FOTOLIA.COM

QUANT À L’AMÉRIQUE

À noter, la différence patente d’avec l’enseignement universitaire américain, que j’ai fréquenté et pratiqué. Outre-Atlantique, l’oral a le pas sur l’écrit. Un cours, tel un séminaire de recherche, est une construction collective. La plupart des étudiants s’expriment à voix haute, sans timidité aucune. Cela fuse.
Le rôle de l’enseignant est de garder le cap malgré tout. Il lui faut être bien préparé pour réussir un tel cours, apparemment improvisé, un chef d’œuvre de bonne organisation en fait.
Quel contraste : le rôle du professeur américain est celui d’un animateur. Celui du professeur français de classe préparatoire est celui d’un guide : comme un guide de haute montagne, il emmène ses élèves vers des sommets qui, sinon, leur resteraient inaccessibles.

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