La transformation des grandes entreprises française Quelques facteurs-clés de succès
Les grandes entreprises françaises sont confrontées à l’accélération du rythme des mutations de leur écosystème. Pour y répondre, certaines ont choisi la voie de l’amélioration continue, d’autres privilégient la mise en œuvre d’une succession de sauts quantiques.
Cet article a pour objet d’étudier quelques facteurs clés de succès de cette stratégie de transformation par la rupture, que l’on peut distinguer au-delà des spécificités propres à chaque secteur industriel.
Le rythme des mutations de l’écosystème des grandes entreprises françaises s’accélère
Les délais de diffusion et d’adoption des nouvelles technologies se raccourcissent considérablement. Les conditions socioéconomiques et les techniques de marketing induisent une segmentation toujours plus fine des attentes et critères d’achats des consommateurs. Les comportements en termes de sensibilité au prix et à la marque peuvent se modifier très rapidement comme l’a montré le succès des low-cost.
Les évolutions réglementaires se sont traduites de plus en plus rapidement par l’apparition de nouvelles offres ou de nouveaux compétiteurs.
Les mégas fusions peuvent entraîner en quelques mois des modifications très importantes du champ concurrentiel.
Cette accélération induit pour les entreprises la nécessité d’évoluer
Certaines entreprises, et Toyota en fut longtemps l’emblème, ont choisi de répondre aux évolutions de leur écosystème par la focalisation sur l’amélioration continue : maintenir l’avance en cherchant à la renforcer un tout petit peu chaque jour. D’autres font de la transformation par la rupture leur stratégie.
Celle-ci peut se définir par la volonté d’adopter un nouveau business modèle ou de nouveaux modèles opérationnels permettant d’obtenir une rupture de performance à court ou moyen terme.
En France, BNP et Renault en ont été parmi les meilleurs exemples, de par leur ambitieuse stratégie d’acquisition et d’alliance – BNP vis-à-vis de Paribas et Renault vis-à-vis de Nissan. Et effectivement, réaliser une acquisition majeure a été et est encore le meilleur moyen de transformer durablement une entreprise. Pourtant aujourd’hui des entreprises comme Renault ou France Télécom ont défini des plans de transformation ambitieux qui ne reposent pas de façon prépondérante sur une stratégie d’acquisition.
L’on peut distinguer huit facteurs-clés de succès pour la mise en œuvre d’une stratégie de transformation par la rupture
• Une ambition stratégique
Une stratégie de transformation par la rupture doit concilier la nécessité d’obtenir des résultats tangibles rapidement et celle de les inscrire dans une cohérence sur le long terme. Pour ce faire, elle doit articuler à la fois une ambition stratégique valable dans la durée et des engagements de rupture de performance à court-moyen terme.
Le plan Renault Contrat 2009, présenté par Carlos Ghosn en février 2006, vise à « positionner durablement Renault comme le constructeur automobile généraliste européen le plus rentable ». L’on comprend, par sa formulation, que cette ambition stratégique s’étend au-delà du terme du plan lui-même, et permet ainsi d’asseoir la rupture dans une certaine continuité. L’ambition stratégique vise à donner une perspective sur ce qui viendra une fois la rupture effectuée : une nouvelle rupture de nature vraisemblablement différente mais qui sera cohérente en termes de finalité, celle exprimée par l’ambition stratégique elle-même.
En ce qui concerne France Télécom, NExT – le projet de transformation de l’opérateur à échéance 2008 – vise à faire de l’entreprise le « fournisseur de services de télécoms de référence en Europe » en offrant aux clients « une nouvelle expérience des télécoms » grâce au passage de « l’accès aux réseaux à l’accès aux services ».
L’on remarquera, dans les deux cas, le caractère assez imprécis de l’ambition stratégique et cela au-delà même de l’horizon temporel. Dans le cas de Renault, la rentabilité peut être mesurée de différentes manières possibles (Excédent brut d’exploitation, Résultat net, Rentabilité des fonds propres, Rentabilités des capitaux employés, Rendement pour l’actionnaire…) et en valeur absolue ou relative. Dans le cas de France Télécom, les critères permettant de savoir ce qu’est un « fournisseur de services de télécoms de référence » ne sont pas définis. Ces deux ambitions stratégiques sont relativement imprécises mais permettent néanmoins de définir un cap et remplissent donc parfaitement leur fonction. Il est en revanche vital que les engagements soient très précis car leur objectif est de mobiliser pour obtenir des résultats tangibles.
• Un bilan sans complaisance des points forts et des points faibles de l’entreprise
Il est difficile de mobiliser sur une ambition si le consensus n’est pas clairement établi sur ce qui doit être amélioré et les points forts sur lesquels l’entreprise pourra s’appuyer dans cet effort.
Dans le cas de Renault, Carlos Ghosn a pris soin de faire le tour de l’ensemble de l’entreprise avant de définir son projet. Le plan Renault Contrat 2009 s’appuie ainsi sur un état des lieux qui a mis en évidence la nécessité d’améliorer notamment l’image de marque, la largeur de gamme, les coûts des programmes de développement des modèles.
• Quelques engagements simples et précis visant une rupture de performance
Une stratégie de transformation par la rupture doit s’appuyer sur quelques engagements simples, mesurables, représentant une rupture de performance, cadrés dans la durée et porteurs de signification pour les clients, l’ensemble des salariés, les partenaires et les actionnaires.
La première caractéristique du plan Renault Contrat 2009 est d’articuler des engagements – qualité, profitabilité, croissance – qui sont à même de parler à la fois aux clients, aux salariés, aux partenaires et aux actionnaires. La seconde caractéristique de ce plan est d’être, dans son intitulé même, borné dans le temps. Enfin, les engagements formulés sont quantifiés au moyen de mesures simples :
- l’engagement de qualité est de « placer la future Laguna parmi les trois premiers modèles de sa catégorie en qualité de produit et en qualité de services »,
– l’engagement de profitabilité est d’atteindre une marge opérationnelle de 6 % du chiffre d’affaires,
– l’engagement de croissance est d’accroître de 800 000 le nombre de véhicules vendus annuellement.
L’on pourra au passage vérifier qu’il s’agit bien d’une rupture de performance, notamment en matière de marge opérationnelle, celle de Renault se situant à 3,2 % en 2005.
Dans le cadre de NExT, France Télécom a défini quelques objectifs majeurs pour 2008 :
- sur le segment « Home », dépasser 12 millions de clients haut débit et le chiffre d’affaires de 2005,
– sur le segment « Personal » : dépasser 85 millions de clients, faire croître les revenus de plus de 6 % annuel, améliorer les marges,
– sur le segment « Entreprise » : maintenir le chiffre d’affaires en légère baisse par rapport à 2005, faire croître les revenus des services ICT de 15 % annuel.
• Une déclinaison des engagements en une série d’objectifs opérationnels précis
Chacun des engagements doit être décliné en objectifs opérationnels précis. La réalisation de ces objectifs opérationnels doit permettre de réaliser les engagements. Les engagements ont vocation à être largement communiqués et à s’adresser à un large public pour mobiliser les clients, salariés, partenaires et actionnaires. Les objectifs opérationnels n’ont pas vocation à être communiqués à l’extérieur de l’entreprise. Chaque engagement parle à l’ensemble de l’entreprise alors qu’un objectif opérationnel ne concernera qu’une partie de l’entreprise, le plus souvent une ou deux Directions ou quelques entités (Marketing, R & D…).
Dans le cas de Renault, quelques-uns de ces objectifs opérationnels sont les suivants :
- réaliser 26 lancements de modèles entre 2006 et 2009,
– faire passer la part des ventes réalisées hors d’Europe de 27 % à 37 %,
– réduire le nombre de pièces par programme de 20 %,
– réduire les coûts de logistique de 9 %, etc.
Pour France Télécom, l’on peut mettre en avant les exemples suivants :
- avoir plus de 2 millions de clients avec des téléphones IP,
– avoir 1 million de clients MaLigne TV en France,
– avoir 8 millions de clients Livebox,
– atteindre 85 % de clients satisfaits ou très satisfaits.
• La définition de projets transverses permettant d’atteindre les objectifs opérationnels
Renault a défini plusieurs projets comme la réorganisation des bureaux d’étude ou PER4 (Plan d’excellence Renault 4e génération) et a lancé onze initiatives transverses visant à repenser l’entreprise au-delà des silos organisationnels.
Chez France Télécom quelques-uns des projets lancés sont les suivants :
- la simplification de l’architecture des marques autour d’Orange retenue comme marque unique pour l’ensemble des services aux entreprises et à l’international,
– le développement d’une gamme complète de terminaux comprenant des téléphones convergents et IP,
– la refonte de la gestion de la relation client avec l’unification du service client et la mise en œuvre d’une approche multicanal intégrée,
– la dynamisation de l’innovation avec la création d’une product factory visant à regrouper en un même lieu toutes les fonctions devant contribuer à la création d’une nouvelle offre, et à permettre ainsi le raccourcissement des cycles de conception produit,
– l’unification de l’ensemble des réseaux.
• Une gouvernance et des moyens adaptés
Trop souvent, l’entreprise essaie de se transformer sans y allouer les moyens nécessaires et sans accompagner la transformation des changements de mode de gouvernance et d’organisation qui sont indispensables.
Chez Renault, la mise en œuvre du plan Renault Contrat 2009 a commencé par la refonte de la structure de management autour de trois dimensions interdépendantes :
- les régions, avec 5 régions chacune pilotée par un Comité de management de région composé de représentants de tous les métiers de Renault,
– les fonctions (ingénierie, fabrication, vente…) désormais responsables de leur performance à l’échelle de la planète,
– les programmes véhicules étendant leur responsabilité de la conception au recyclage, sur l’ensemble des régions.
Chez France Télécom, l’unification des réseaux a débuté par la mise en place d’une structure intégrée responsable de l’ensemble des réseaux, autrefois gérés dans des structures différentes.
Il s’agit également d’être en mesure de mobiliser les ressources nécessaires aux investissements concernés. France Télécom a, par exemple, annoncé vouloir consacrer 200 millions d’euros à la refonte de son architecture de marques.
Le projet de transformation doit également bénéficier des moyens humains nécessaires. Chez Renault, les 11 initiatives transverses regroupent ainsi 500 personnes de toutes les régions et fonctions de l’entreprise.
Au-delà de l’aspect quantitatif, l’enjeu est d’oser allouer aux projets de transformation, non pas – comme c’est trop souvent le cas – les collaborateurs que l’on ne peut pas faire contribuer aux processus opérationnels critiques de l’entreprise – mais les meilleurs, ceux qui sont souvent indispensables à la bonne marche des affaires courantes.
• L’engagement du leadership
Il n’est pas de meilleur exemple que celui de Carlos Ghosn pour démontrer l’importance de l’engagement de la direction de l’entreprise. Il est critique que le leadership joue le premier rôle dans la définition puis le pilotage du plan de transformation, et qu’il s’engage personnellement vis-à-vis des clients, salariés, partenaires et actionnaires dans sa mise en œuvre. Plus que jamais, le leader doit être le premier agent du changement.
• La prise en compte de l’importance des technologies de l’information dans la transformation de l’entreprise
La transformation de l’entreprise ne peut en général pas se réaliser sans une transformation profonde de ses systèmes d’information. Ainsi, chez Renault la multiplication du nombre de nouveaux modèles devant être lancés ne pourra pas se faire sans repenser la façon de concevoir les modèles et ainsi sans une refonte des systèmes de conception. Chez France Télécom, l’une des premières actions menées dans le cadre de NExT fut de regrouper au sein d’une même direction la responsabilité de l’ensemble des réseaux et des systèmes d’information pour assurer la convergence de l’ensemble.
Mais les grandes entreprises ont construit leurs systèmes d’information de façon décentralisée en accumulant les applications et les standards technologiques au fil des ans. Le résultat en est un patchwork dont les coûts d’opérations et de maintenance consomment l’essentiel des budgets informatiques laissant peu de place pour l’innovation créatrice de valeur ajoutée. Par ailleurs, une informatique obsolète est un frein à la transformation de l’entreprise. D’une part, la prolifération des standards technologiques en matière de postes de travail et de serveurs et la gestion décentralisée de ceux-ci sur les sites utilisateurs ont pour effet de rendre le déploiement de nouvelles applications à la fois long et coûteux. Par ailleurs, un portefeuille applicatif complexe et constitué d’une multitude d’applications souvent anciennes rend difficile la mise en œuvre de nouvelles fonctionnalités, l’homogénéisation des processus, la mise en commun de bases de données (notamment clients et fournisseurs).
La création d’une infrastructure informatique agile est indispensable pour pouvoir continûment transformer l’entreprise. Une infrastructure agile comporte un standard technologique unique en termes de poste de travail, et une gestion de serveurs centralisée dans quelques data-centers à l’échelle du globe avec un nombre limité de plateformes (couple Système d’exploitation-base de données). L’autre prérequis de la transformation de l’entreprise est la modernisation applicative visant à réduire la complexité du portefeuille applicatif, à l’intégrer et à le migrer sur des technologies modernes.
Les actions lancées par Renault ces deux dernières années, avec l’aide de grands prestataires informatiques de la place, en matière de rationalisation des postes de travail, de consolidation des serveurs et de modernisation applicative, constituent une excellente illustration de ce qui peut être fait en informatique pour anticiper la transformation de l’entreprise.
Aujourd’hui, diriger c’est transformer et nous avons en France quelques très beaux exemples de transformations ambitieuses dont nous pouvons tous nous inspirer.