La transformation du métier de “ chasseur de têtes ”
Dans un marché en stagnation, mais avec une guerre des talents qui va s’accentuer (l’évolution démographique est favorable), la croissance du secteur a été préservée par l’adjonction de nombreux services connexes. L’innovation consiste maintenant à mieux identifier les besoins des entreprises en matière de talents et à améliorer les outils de compétence pour différencier les candidats.
Plusieurs évolutions menacent le petit monde feutré et mystérieux des chasseurs de têtes :
- le sous-jacent, c’est-à-dire le marché des talents ;
- la chaîne de valeur, impactée par le numérique ;
- les acteurs eux-mêmes, qui s’interrogent sur la pertinence de leur modèle organisationnel ;
- enfin, les outils d’évaluation des talents, certes de plus en plus précis mais finalement toujours imparfaits.
REPÈRES
Le métier de recrutement par approche directe s’applique aux équipes de direction générale. On peut le caractériser par des niveaux de rémunération – généralement supérieurs à 200 000 €/an ou par un niveau de séniorité dans l’organisation.
C’est un secteur en apparence très éclaté – en France uniquement l’annuaire des chasseurs compte presque 1 000 boutiques – mais, de fait, sur les problématiques réellement stratégiques pour une entreprise de taille significative, il s’agit d’un oligopole de quelques grandes firmes internationales.
LE MARCHÉ DES TALENTS ÉVOLUE
Plusieurs tendances lourdes semblent se dessiner.
LE CHASSEUR DE TÊTES À L’HEURE DE LA MONDIALISATION
En 2025, la moitié des 500 plus grosses sociétés mondiales seront issues de pays aujourd’hui dits émergents ; pour les talents, le cap sur l’international, la mobilité géographique ou la sensibilité interculturelle vont devenir encore plus indispensables.
La gestion proactive de la diversité au sein des grandes sociétés françaises accélère d’ailleurs cette tendance.
Celle de la mondialisation, bien sûr, et aussi l’augmentation de l’offre : dans les économies dites développées, populations actives (15−64 ans, en diminution) et dépendantes (-14 et 65 +, en croissance) vont se croiser, générant ainsi, à court et moyen terme, un appel d’air important pour les profils de cadres dirigeants, comparable aux années d’après-guerre.
Pour les postes les plus élevés hiérarchiquement (comité de direction), le nombre et la qualité des candidats à la succession – mesurés par sondage auprès de 60 DRH d’entreprises mondiales – sont jugés globalement faibles ; cela est particulièrement vrai en Asie et en Amérique du Nord, un peu moins en Europe.
L’appel d’air sera donc encore plus important pour les profils les plus qualifiés. La technologie va fournir de nouvelles opportunités, tant aux employeurs qu’aux employés : travail à distance, automatisation, désintermédiation.
La technologie va fournir de nouvelles opportunités, tant aux employeurs qu’aux employés : travail à distance, automatisation, désintermédiation. © VIACHESLAV IAKOBCHUK / FOTOLIA.COM
Des industries entières vont devoir évoluer entraînant ainsi de forts changements de compétences. La capacité à s’adapter à des changements permanents, à les utiliser comme des sources d’opportunité plus que de menace, va devenir essentielle pour évoluer professionnellement. La diversité des expériences en sera valorisée d’autant plus.
La génération Y va rapidement arriver aux postes de direction, apportant ainsi une fraîcheur et une pression sur les employeurs, en termes de transparence, de connectivité, de réactivité, de développement personnel, etc. Cela va transformer la relation employeur – employés ; ces derniers auront encore plus l’initiative dans leur gestion de carrière. Moins de carrières monoentreprises donc.
Enfin, la banalisation du travail « à temps partiel » va devenir une option réelle (20 à 33 % des salariés aux États-Unis), aussi pour les emplois dits qualifiés de cadres dirigeants, par choix plus que par nécessité.
La guerre des talents ne va que s’accentuer, la segmentation entre les profils discriminants et ordinaires aussi, provoquant ainsi des écarts importants, aussi bien entre les cadres (accélérations des carrières pour les meilleurs) qu’entre les sociétés (capables ou non d’attirer les meilleurs).
“ La génération Y va rapidement arriver aux postes de direction ”
La main va globalement revenir aux employés, qui vont devenir plus exigeants sur les conditions d’utilisation de leur expertise par les employeurs.
Si ces tendances ont des conséquences bien identifiables sur la bonne gestion de carrière, elles le sont moins sur le positionnement du « chasseur de têtes » dans la chaîne de valeur, dont la nature même du métier change.
LA NATURE DU MÉTIER ÉVOLUE
UN MARCHÉ GLOBALEMENT PLAT
Le marché de la recherche de dirigeants (executive search) est globalement stable au plan mondial depuis plusieurs années : l’atonie de la croissance mondiale en est la principale responsable.
La pression numérique forte dans le secteur, avec l’apparition rapide de sociétés telles que LinkedIn qui dévalorise partiellement le travail d’identification des candidats, en est une autre.
Le métier de chasseur de têtes ne se limite plus depuis longtemps à la simple offre de services de recrutement. L’expansion géographique avec l’ouverture de nouveaux bureaux mondiaux n’est plus un relais de croissance suffisant.
De nombreux services connexes – évaluation et développement de candidats internes, accompagnement ou même coaching, assistance pendant la période de prise de fonction – font donc partie depuis longtemps des prestations proposées.
Plus rares et plus difficiles à mettre en œuvre, mais également proposées, sont celles liées à l’évaluation de performance d’équipes, de gouvernance d’entreprise, de transformation culturelle ou encore de modèle organisationnel d’innovation.
Ce développement de nouvelles offres a permis, dans l’ensemble, de préserver la croissance globale du secteur – assurance essentielle de profitabilité pour une firme de services professionnels. Ce développement d’offres s’est construit, suivant les cas, par acquisition d’entreprises spécialisées ou par développement interne de savoir-faire et de compétences.
Le métier de chasseur de têtes ne se limite plus à la simple offre de services de recrutement. © SCHUTTERSTOCK.COM
Différents modèles organisationnels cohabitent, comme traditionnellement dans les métiers de conseil, privilégiant dans la plupart des cas l’axe géographique (organisation par bureaux locaux), mais également par métiers avec des consultants très spécialisés par type d’offre, ou même par filières d’expertise sectorielles.
Mais cette croissance s’accompagne d’une grande complexité : développement accéléré de nouvelles compétences pour les consultants, cohabitation de modèles de profitabilité différents entre services transactionnels et de conseil, gestion de clients multiples en plus du management traditionnel, comités de nomination, actionnaires, journalistes, etc.
Comme souvent, face à cette complexité, il est tentant de revenir aux fondamentaux pour ancrer son métier, notamment le savoir-faire d’évaluation des talents.
LES OUTILS D’ÉVALUATION DES TALENTS ÉVOLUENT
Les efforts de R & D dans le secteur de l’évaluation des cadres dirigeants se sont pour l’instant cantonnés à une évolution de techniques.
“ L’entreprise du XXIe siècle est trop volatile et complexe pour que le modèle actuel puisse continuer de fonctionner ”
De manière rare pour une industrie de services, où l’innovation est généralement (co)conduite par les clients, cette évolution a dans l’ensemble été guidée par les professionnels de la recherche de dirigeants eux-mêmes.
Dans les deux dernières décennies, les entreprises ont surtout mis l’accent sur les compétences dans le recrutement et le développement de leurs talents : orientation résultats, dimension stratégique, capacité à collaborer, etc.
Les postes ont ainsi été décomposés en compétences, elles-mêmes alignées avec la stratégie de l’entreprise dans un « modèle de compétences » spécifique servant de référentiel pour comparer différents candidats.
À l’heure où les modèles organisationnels hiérarchiques s’effondrent au profit d’organisations plus plates et collaboratives, les profils des leaders changent rapidement. © SCHUTTERSTOCK.COM
Mais l’entreprise du XXIe siècle est trop volatile et complexe et le marché des très hauts talents trop restreint pour que ce modèle puisse continuer de fonctionner.
Depuis plusieurs années, les responsables en charge du recrutement et de la promotion des cadres dirigeants ont dû également se concentrer sur le potentiel d’évolution, c’est-à-dire la capacité pour un individu de s’adapter aux évolutions constantes de l’activité et de progresser dans de nouveaux rôles plus difficiles.
Plus récemment encore, et notamment pour les postes de patrons de grandes entreprises, il apparaît que les outils de compétences et potentiel ne suffisent plus à différencier les candidats pour un poste de « numéro un ». La capacité à transformer l’entreprise en profondeur sur des dimensions critiques telles que la gestion de la complexité ou de l’innovation, la culture de l’organisation ou la promotion des jeunes générations apparaissent discriminantes.
C’est l’apparition du modèle de « leadership de transformation ». Il s’agit en fait de mieux identifier, conjointement avec les conseils d’administration et les équipes de direction, les vrais besoins des entreprises en matière de talents : à l’heure où les modèles organisationnels hiérarchiques s’effondrent au profit d’organisations plus plates et collaboratives, les profils des leaders changent rapidement.
“ Mieux identifier les vrais besoins des entreprises en matière de talents ”
Les prochaines innovations ont probablement un rapport avec l’utilisation des big data : affiner l’analyse des paramètres permettant de prévoir de manière objective et fiable le succès d’un dirigeant dans un poste. Face à cette complexité croissante, il est probable que l’expérience du professionnel du recrutement jouera toujours un rôle prépondérant.
Mais la sophistication des outils disponibles le pousse vers une remise en question permanente de sa valeur ajoutée.
À l ’heure où les conseils d’administration et les PDG apparaissent excessivement seuls pour traiter tous les sujets de gestion et promotion des talents (jusqu’à leur propre succession) et les intégrer finement dans le sens, la stratégie et l’organisation de leur entreprise, l’assistance de consultants expérimentés devient impérative.
Commentaire
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Impact du numérique sur l’autre face du métier du chasseur de T
Article tout à fait intéressant.
Il pourrait être complété par l’étude l’impact vraisemblable du numérique sur l’autre versant du métier de chasseur de tête : l’acquisition, la satisfaction et la conservation des clients (les dirigeants des entreprises).