La transformation numérique des villes moyennes, pour réduire les fractures territoriales
À l’heure de la généralisation des services numériques, la déclinaison de la smart city pose toujours plus crûment la question de son adaptation à l’échelle et aux besoins des villes moyennes, entre équilibre budgétaire, identité territoriale et attractivité. Dès lors, quels peuvent être les apports de l’écosystème numérique pour accompagner cette démocratisation, dans une approche responsable pour les entreprises, la société, l’humain et la planète ?
Si la France compte une vingtaine de métropoles, le réseau des villes moyennes est, par nature, réparti dans l’ensemble du pays dans des zones moins denses et moins urbanisées. On considère que les métropoles regroupent des territoires de plus de 400 000 habitants et les villes moyennes de 20 000 à 100 000 habitants. Pour ces collectivités, les enjeux liés aux technologies, tout comme les leviers de transformation, répondent à des exigences spécifiques.
Trois enjeux prioritaires
In primis, il s’agit de connecter les entreprises et les particuliers au sein d’un territoire. Dans cette optique, les villes moyennes revêtent un rôle socioéconomique important. Elles doivent cependant parvenir à conjuguer les nouvelles sphères d’activité, liées notamment à l’essor du télétravail ou de l’e‑commerce, avec les réalités locales préexistantes. Parallèlement, il s’agit pour elles de développer des instruments, aussi vertueux que possible en termes d’empreinte écologique (réseau fibré, capteurs et systèmes de télérelève, détecteurs de pannes et fuites, etc.), destinés in fine à faciliter le quotidien de leurs administrés dans leurs accès, parcours et usages numérisés aux équipements d’infrastructure, tels que la voirie ou le trafic routier, ou à caractère culturel et sportif (bibliothèque, piscine, etc.). Enfin, la démarche doit intégrer la dématérialisation des services publics administratifs, selon les injonctions réglementaires en vigueur (objectif de 100 % à l’horizon 2022 si l’on en croit le programme Action publique 2022).
REPÈRES
Numeum, né en juin 2021 de la fusion de Syntec Numérique et de Tech In France, est le syndicat professionnel de l’écosystème numérique en France. Il représente les entreprises de services du numérique (ESN), les éditeurs de logiciels, les plateformes et les sociétés d’ingénierie et de conseil en technologies (ICT).
Ses actions : valoriser ses membres et leurs métiers, défendre leurs intérêts, incarner la France numérique en Europe, animer l’écosystème numérique pour favoriser les synergies et l’innovation, renforcer ses services aux entreprises du numérique.
Ses ambitions : accompagner notre pays dans la généralisation et la démocratisation de la formation numérique ; agir au service d’un numérique responsable pour les entreprises, la société, l’humain et la planète. Il est membre de la Fédération Syntec. Numeum en quelques chiffres : 2 300 entreprises adhérentes, 50 % de membres en région, 1 100 PME.
Trois niveaux d’action
Le premier niveau comprend l’approche par instrument dont les limites, notamment budgétaires, sont à envisager et à cibler en fonction de l’échelon le plus adapté aux besoins : commune ou intercommunalité. Le deuxième niveau comporte tout ce qui a trait à la récolte d’informations et à la maîtrise des données. L’open data est souvent comparé, à juste titre, à l’or noir du XXIe siècle.
La capacité des villes et agglomérations à mettre en œuvre un schéma de partage de la donnée, à la fois publique relevant de la collectivité et de ses usagers, et privée de type entreprise, est fondamentale. Plus la donnée est partagée, mieux elle est utilisée, et plus l’efficacité opérationnelle est au rendez-vous, y compris en termes d’économies d’échelle… Ce déploiement passe par l’adoption d’outils de gestion, essentiellement informatiques, qui procurent une faculté majeure de décision. Ce niveau combine à la fois des changements techniques et décisionnels-opérationnels (évolution vers une gouvernance plus transverse, unification des référentiels métiers, pilotage des infrastructures…) qui, au bout du compte, contribuent à relayer l’image d’une ville innovante.
Le corollaire de la donnée est ici le citoyen, dont l’expérience en tant qu’usager est déterminante. Un enjeu fort de cette évolution se situe en termes d’accessibilité, qu’elle soit physique (accès au très haut débit et aux équipements électroniques) ou sociale (besoin renforcé d’inclusion numérique). N’oublions pas que 13 millions de Français se sentent toujours aujourd’hui démunis devant les outils informatiques : personnes âgées, en situation de handicap ou de précarité sociale, mais aussi jeunes, détenus, étrangers…
“Des opportunités dont les collectivités se saisissent pleinement !”
Le troisième niveau, le plus large, s’appuie résolument sur le numérique pour mettre en valeur la ville et en faire un levier de développement (insertion, emploi). Dans ce cas, il devient la pierre angulaire d’un plan d’attractivité territoriale – sujet clé de responsabilité de l’élu et important facteur de communication politique – en se mettant au service du tournant entrepreneurial dans la conduite de l’action publique. Face à la forte compétition des villes moyennes entre elles, se démarquer devient un prérequis pour attirer des flux de population et bénéficier de fonds privés et davantage de soutiens institutionnels. Différents dispositifs de l’Union européenne sont ainsi mobilisables, de même que des programmes tels que Territoires d’industrie ou Action cœur de ville.
Trois leviers techniques
Au sein d’un triptyque État-collectivités territoriales-opérateurs, le secteur du numérique doit en premier lieu s’attacher à réduire les zones blanches. Cela afin de permettre au tissu économique de se maintenir quelles que soient les circonstances (la pandémie a nettement mis en avant cette nécessité). C’est aussi un moyen de garantir aux entreprises des zones d’activité éloignées d’avoir une même qualité d’accès Internet et donc aux fournisseurs, sous-traitants, clients.
En second lieu, la filière doit favoriser le recrutement et la formation de techniciens locaux pour mettre en place les services sur le terrain et les étendre aux nouvelles constructions (bornes de recharge, développement de la 5G…). C’est aussi elle qui assure l’entretien et la maintenance des outils au quotidien. La formation des agents publics est tout aussi essentielle pour une bonne appropriation des nouveaux usages numériques et de leurs bénéfices qui, par essence, sont souvent impalpables. Les ancrer dans la réalité quotidienne participe à leur reconnaissance et contribue à démontrer que, en automatisant certaines tâches, le numérique libère du temps au profit d’activités d’intelligence humaine à plus haute valeur ajoutée.
En troisième lieu, il s’agit de multiplier les services à la population via la diversification des usages. À titre d’exemple, cela peut concerner les environnements numériques de travail (ENT) pour les écoles, collèges et lycées, les systèmes de vidéoprotection ou encore la mise à disposition de wi-fi gratuit dans l’espace public. Dans tous les cas, les aspects sécuritaires sont primordiaux, qu’il s’agisse de la protection des données (l’Europe étant pour une fois leader en ce domaine), des tests de sécurité en interne ou encore de l’identification et du stockage des données personnelles. Face à la recrudescence des cyberattaques, renforcer la sécurité et l’intégrité des données est une contrainte absolue qui touche tout le monde, citoyens, administrés, et qui, nous le constatons, commence à bien entrer dans les mœurs.
Quelques chiffres
En 2020 :
- 88 % des Français utilisent quotidiennement un ordinateur.
- 83 % de la population se connecte tous les jours à Internet.
- 35 % des Français éprouvent au moins une forme de difficulté qui les empêche d’utiliser pleinement les outils numériques et Internet. (Source : Arcep, Baromètre du numérique, chiffres clés 2020)
- Le secteur numérique représente 55 Md€ de chiffre d’affaires en 2021.
- Il compte 538 000 salariés et 28 000 entreprises. (Source : Numeum)
- 97 % de la surface du territoire métropolitain est couverte par au moins un opérateur mobile en 4G. (Source : Cour des comptes, 2021)
L’exemple de Beauvais (60)
La ville, 57 846 habitants en 2020, labellisée Ville internet @@@@@ pour la dixième année consécutive, a mis en place de multiples actions numériques, dont celles qui suivent. Un portail citoyen a été mis en place pour effectuer les démarches administratives, notamment la préinscription aux écoles publiques ou au conservatoire, la réservation de la cantine ou encore le stockage de documents (livret de famille, justificatif de domicile…). Ou encore une carte On Pass rechargeable sur une borne qui est interactive et qui permet de payer le stationnement ou d’utiliser des consignes à vélo sécurisées.
Des applis telles que Beauvais mobile pour connaître les actualités de la ville, contacter les services de la mairie ou déclarer en direct des dégradations, ou Klaxit pour le covoiturage. Des espaces numériques de travail (ENT) et des tableaux blancs interactifs dans les écoles, fondamentaux pour assurer la continuité pédagogique. Des ateliers d’initiation ou multimédias pour réduire la fracture numérique et la mise à disposition d’une quarantaine de tablettes tactiles et de liseuses à la médiathèque…
L’exemple de la communauté d’agglomération Pau Béarn Pyrénées (64)
L’agglomération, 162 000 habitants en 2019, déploie des systèmes intelligents dans de nombreux domaines : habitat urbain, énergie et développement durable, gestion des mobilités, éclairage public, traitement d’images, territoire 3D et réalité augmentée, ludification de l’espace public, hypervision urbaine… Ainsi, un réseau de vidéoprotection est géré par un centre de supervision urbain doté de fonctions d’alerte automatiques, tandis que des systèmes de régulation du trafic fonctionnent à partir du pilotage des feux tricolores.
Des capteurs sont déployés dans les bacs à déchets pour une gestion plus fine du ramassage et d’autres dans les canalisations du réseau de distribution d’eau potable pour un pilotage à distance. Enfin, dans le cadre du nouveau programme national de renouvellement urbain piloté par l’ANRU (Agence nationale pour la rénovation urbaine), le quartier de Saragosse sert de laboratoire d’expérimentations : thermographie des façades par drone, télérelève des consommations énergétiques, éclairage public par LED avec détection de présence, récupération de l’énergie dite fatale sur les réseaux d’assainissement.
L’exemple de Martigues (13)
La ville, 49 159 habitants en 2021, a déployé dès 2015 une série de points publics de connexion au wi-fi. Un portail captif identifie l’usager tout en limitant considérablement le nombre d’informations recueillies lors de la connexion. Pour chaque hotspot, gratuit et illimité dans le temps, la licence permet de gérer jusqu’à 20 connexions simultanées. La ville est labellisée Ville internet @@@@@ depuis 2018 et dispose d’une large gamme de services numériques.
Ces quelques exemples, parmi tant d’autres, illustrent la diversité et la richesse des projets conduits par les villes moyennes en France. Ils soulignent l’apport des parties prenantes à différentes échelles territoriales, aussi bien publiques que privées, et reflètent quelques-unes des solutions créées et alimentées par le numérique. Des opportunités qui répondent aux mutations profondes de l’organisation du travail et de la société et dont les collectivités se saisissent pleinement !