La transition énergétique une opportunité de réindustrialiser la France
Sylvie Jéhanno (X89), co-présidente des Nouveaux Systèmes Énergétiques nous présente les principaux chantiers qui mobilisent le secteur pour faire de la transition énergétique une opportunité de réindustrialiser la France. Gros plan sur le projet de contrat de filière 2024–2027, qui devrait être signé prochainement avec l’État, et actera des engagements réciproques pour développer une industrie au croisement des enjeux climatiques, technologiques, économiques et sociaux.
Vous allez signer un nouveau contrat de filière avec l’État pour la période 2024–2027. Pouvez-vous nous en faire la présentation ?
Ce contrat est tout d’abord le produit d’une ambition, celle d’atteindre la neutralité carbone en 2050. En pratique, comment allons-nous parvenir à baisser nos consommations d’énergie ? Accroître la production d’énergie décarbonée ? Adapter nos réseaux électriques et gaziers ? Sécuriser nos approvisionnements ? Préserver le pouvoir d’achat de nos concitoyens et la compétitivité de notre économie ? Autant d’enjeux identifiés dans le projet de Programmation Pluriannuelle de l’Énergie. C’est également tout l’objet du contrat de filière qui, pour chacun de ces objectifs, précisera les actions à conduire pour la filière des Nouveaux Systèmes énergétiques.
Pourriez-vous d’ailleurs préciser ce que sont ces Nouveaux Systèmes Énergétiques ?
On entend ici tout ce qui concourt au développement de l’industrie des nouveaux systèmes énergétiques sur le sol français : la maîtrise des technologies de production, transport, stockage d’énergies renouvelables (électriques, chaleur et gaz) et des technologies de décarbonation (éolien en mer, solaire photovoltaïque ou thermique, géothermie, pompes à chaleur, batteries, hydrogène, CCUS, systèmes de pilotage…) ainsi que les conditions de réussite de la réindustrialisation (équilibre des relations de commerce international, sécurisation des matières premières, visibilité et attractivité de nos métiers, simplifications administratives…) et les usages de nos technologies (bâtiments, industrie, mobilité lourde…).
“Développer une industrie au croisement des enjeux climatiques, technologiques, économiques et sociaux”
Prenons l’exemple des batteries. Nous avons désormais en France des gigafactories de batteries pour véhicules électriques. C’est enthousiasmant, mais il faut rester vigilant et continuer de consolider le cadre dans lequel elles se déploient. Nous travaillons ces sujets avec l’ensemble des parties prenantes dans notre groupe de travail Batterie : conditions de réciprocité avec les États-Unis et la Chine en particulier, évolution du droit minier pour faciliter les extractions sur le sol français, lancement de l’université de la batterie pour couvrir les besoins en compétences, réflexion autour de l’éco-conception, la traçabilité et le recyclage, sont autant de sujets qu’il nous faut aborder pour renforcer l’industrie européenne de la batterie.
Les gigafactories de batteries se multiplient sur le territoire français et européen. N’est-ce pas l’arbre qui cache la forêt ? Si l’on observe ce qui s’est passé sur l’éolien ou le solaire photovoltaïque, peut-on encore espérer que l’Europe fasse un jour jeu égal avec ses concurrents chinois ou américain ?
Vous soulignez effectivement le quasi-monopole de certaines puissances économiques sur des produits industriels structurants pour notre avenir comme le solaire photovoltaïque. Cependant, la situation évolue. L’épisode de la Covid 19 puis l’invasion de l’Ukraine ont déclenché une prise de conscience qui aboutit aujourd’hui à un nouvel élan européen autour des enjeux de souveraineté industrielle et énergétique.
Concrètement, comment se manifeste ce nouvel élan ?
Tout d’abord, à travers une volonté commune. Je donnerai un seul exemple mais on pourrait les multiplier : en réponse à l’Inflation Reduction Act américain, qui repose sur une logique de subvention à la production sur le sol américain, l’adoption du Net Zero Industry Act par le Parlement européen le 25 avril dernier fait évoluer les modalités d’achat public des technologies vertes « made in Europe ».
L’objectif affiché est de produire en Europe 40 % des besoins européens de batteries, de panneaux solaires, de pompes à chaleur, d’éoliennes. Et pour ce faire, le texte introduit des critères hors prix, de résilience et de durabilité, à la fois pour la commande publique, les appels d’offres pour le déploiement des énergies renouvelables et les mécanismes de soutien public à la demande.
Selon vous, la révolution verte peut-elle être un atout pour la France et l’Europe ?
La transition énergétique est une nécessité sur le plan du climat bien sûr, avec une réduction planifiée de nos émissions de gaz à effet de serre, mais elle peut être également une opportunité sur les plans économique et social avec l’émergence de nouveaux marchés pour nos entreprises, l’installation de nouvelles usines dans nos territoires, de nouveaux emplois à la clé. On estime à
300 000 le nombre d’emplois à pourvoir dans la transition énergétique d’ici 2030. Pour réussir, il nous faut démontrer que l’industrie verte ne s’oppose pas aux autres industries.
Comment se désengage-t-on des activités industrielles les plus polluantes ?
On ne se désengage pas. En revanche, on décarbone. Décarboner les activités les plus émettrices comme la métallurgie, les matériaux de construction, la chimie ou encore l’agroalimentaire est l’un des piliers de la stratégie française pour atteindre la neutralité carbone. Depuis novembre 2023, les 50 sites industriels français les plus émetteurs poursuivent un objectif de réduction de 45 % de leurs émissions de gaz à effet de serre à l’horizon 2030.
Se désengager des industries traditionnelles conduirait à compromettre le développement de l’industrie verte. Il ne faut pas oublier que la majorité des composants et des compétences nécessaires au développement des industries de la transition énergétique relèvent de savoir-faire existants, en électricité, en mécanique, en chimie, en thermique, en électronique, de production, de maintenance… maîtrisés par l’industrie existante. À ce stade, les composants et les procédés de rupture restent l’exception.
Vous évoquiez la création de 300 000 emplois dans la transition énergétique. Comment attire-t-on de nouveaux talents sur ces métiers ?
On a aujourd’hui dans la transition énergétique un besoin important de compétences. Il est donc essentiel de faire connaître les métiers qui concourent à la baisse de nos consommations d’énergie, à la décarbonation de nos activités, à la performance de nos réseaux énergétiques… Dans cette perspective, nous avons conclu un partenariat avec l’Onisep, pour permettre aux jeunes et aux moins jeunes d’identifier sur sa plateforme d’orientation 100 diplômes, du CAP au Bac+3, que nous avons labellisés « Métiers de la transition énergétique ». Alors qu’ils sont de plus en plus nombreux à s’investir dans le développement durable, je leur rappellerai que s’ils souhaitent prendre soin de la planète, l’industrie est un excellent endroit pour le faire. Nos entreprises sont à même de proposer aux femmes et aux hommes intéressés par la transition énergétique des parcours professionnels ouverts, porteurs de sens et durables.