La Vénus d’argent / Rien à perdre / Bâtiment 5 / Et la fête continue ! / Augure
Une session bien pauvre. Trois bons films (à suivre) et six médiocrités, voire pire. On en chronique deux pour souligner dans un cas l’essoufflement d’un cinéaste estimable et dans l’autre le regrettable aveuglement de la critique.
La Vénus d’argent
Réalisatrice : Héléna Klotz – 1 h 35
Une figure de jeune femme extrêmement intéressante, magnifiquement incarnée par Claire Pommet (à la scène, la chanteuse Pomme), qui parvient à arracher son personnage à l’antipathie que peut inspirer un arrivisme dur, lucide et assumé. Très abouti ! Niels Schneider s’installe à ses côtés dans une inhabituelle et appréciable subtilité. Rejoignant La voie royale, puis Le théorème de Marguerite dans la galerie féminine des volontés obsessionnelles de réussite (ici, au royaume des « requins de la finance »), le parcours agressif et égocentré de l’héroïne (à sa façon, transfuge de classe : fille de gendarme) se déploie avec richesse dans un contexte étonnant, très bien dessiné, dont tous les aspects attachent.
P.-S. : La « Vénus d’argent » est ici – métaphoriquement substituable à l’héroïne – la statuette qui ouvre la route à la pointe du capot des Rolls-Royce. De son vrai nom : Spirit of Ecstasy.
Rien à perdre
Réalisatrice : Delphine Deloget – 1 h 52
Excellent. Je suis tombé sous le charme de ce groupe familial plutôt déjanté qui se heurte, dans son fonctionnement « limite » et à la suite de ce qui n’est qu’un accident domestique en contexte mal encadré, à la rigueur abstraite et déshumanisée d’un organisme public qui réagit l’œil fixé sur la règle. Une sœur (Virginie Efira, parfaite), ses deux gamins, ses deux frères, des vies qui tâtonnent et beaucoup d’amour face au déchirement d’une approche aberrante de la situation réelle et d’un placement injustifié. On voit (comme on l’a vu dans L’enlèvement de Bellochio) où peuvent mener les décisions administratives (comme religieuses) prises « pour le bien d’un enfant ». Tous les acteurs sont bons et, dans le rôle du fils aîné, Félix Lefebvre s’impose avec décision et subtilité.
Bâtiment 5
Réalisateur : Ladj Ly – 1 h 40
Les Misérables, du même Ladj Ly, « tapait » peut-être plus fort. Il n’en reste pas moins que ce film-ci, très noir, cerne éloquemment le problème de l’inadaptation de la réponse politique à la question des banlieues, volet logement insalubre et entassement ethnique. Le tableau est efficace, percutant et désolant. Il relève du constat et souligne aussi les impasses, sans déboucher sur rien de constructif faute de perspectives possibles. Impuissance des structures, rigidité inadaptée des réponses. Le film présente un cas d’école sans solution. Les personnages, côté victimes, sont attachants. Les responsables ne sont pas caricaturés dans leurs insuffisances criantes, simplement montrés : bornés, petitement humains, sans lucidité, sans courage. L’explosion de violence finale n’est qu’une désespérante fuite en avant, injustifiable et répréhensible mais compréhensible, inutile et dramatique exutoire sans issue. Une figure féminine émerge. Peut-elle (dernier plan) suggérer un espoir ? Les acteurs sont tous excellents.
Et la fête continue !
Réalisateur :
Robert Guédiguian – 1 h 46
Robert Guédiguian n’y arrive plus. On a beau dire que c’est dans les vieux pots qu’on fait la meilleure soupe, il a perdu la recette et resuce ici ses rêves de fraternité en y superposant trop de pistes (l’infertilité féminine, la tristesse hospitalière, la question arménienne, le remords des mauvais pères, l’habitat insalubre, l’aveuglement des gauches…) mal raccrochées à la ligne principale qu’essaie d’être la marche encombrée de flashbacks pauvrement tire-larmes de Rosa / Ariane Ascaride vers un avenir de sensualité béatement mollasse (forcément : Darroussin !) poussé sur le terreau d’un militantisme en cul-de-sac. Belles vues de Marseille.
Augure
Réalisateur : Baloji – 1 h 30
Un épouvantable salmigondis, collage de flashes consacrés à la (dé ?)valorisation des pratiques et des croyances d’un Congo folklorique empli de sorcellerie et de superstitions absurdes où se perd notre rationalité et où se noie la ligne narrative du film, illisible hors ce constat : flanqué de sa compagne belge et enceinte de jumeaux, un expatrié revient au pays pour tenter de se plier à la tradition. Suit une succession d’images bruyantes et colorées où se croise tout ce que l’auteur a voulu dire et que la critique – Le Monde, Télérama, quelques jurys de festival (Angoulême, Munich, Cannes) – réussit la prouesse d’interpréter avec enthousiasme. Dans ce film opaque, il naîtra de ce couple bicolore deux jumeaux, l’un aussi blanc que l’autre est noir. Hommage peut-être aux lois de Mendel !