La vie en lycée, redistribuer les savoirs
Après un bref passage par le camp militaire de La Courtine, j’ai réalisé mon stage de formation humaine et militaire dans le civil, au sein du lycée de La Borde- Basse, à Castres (Tarn). Celui-ci s’est déroulé de début octobre 2013 à la fin du mois de mars 2014.
REPÈRES
Accueillant plus de 1 800 élèves de toutes origines socioprofessionnelles, le lycée de La Borde-Basse est le plus grand établissement scolaire de Castres. Il est situé au nord-ouest de la ville, sur un véritable campus bordé par un lac.
Deux élèves polytechniciens ont été affectés à ce stage et ont été logés sur place, dans un appartement mis à disposition par l’administration, dans les bâtiments habituellement réservés au personnel.
Six mois dans un lycée de province
Mon activité principale durant ce stage consistait à fournir des séances de soutien scolaire à des élèves de lycée, de classes préparatoires et de BTS. Nos efforts se concentraient sur les disciplines scientifiques : mathématiques, physique, chimie et sciences de l’ingénieur.
En pratique, ces séances se déroulaient dans une salle de classe dédiée, avec un effectif variant d’un seul à une quinzaine d’élèves. Nous avons, dès la première semaine, été laissés en autonomie, tant sur la forme que le fond de ces séances.
Les horaires, définis au préalable, se répartissaient tout au long de la journée : lycéens le matin ou l’après-midi et étudiants en classes préparatoires le soir, à l’internat, jusqu’à vingt-deux heures.
Un choix motivé
Pourquoi avoir choisi ce stage ? J’ai passé mes deux années de classes préparatoires au lycée Gay-Lussac de Limoges, que l’on peut qualifier de « petite prépa », non étoilée, au regard de beaucoup d’établissements parisiens prestigieux. Lors du choix des stages, à La Courtine, j’ai souligné cet aspect dans ma lettre de motivation.
“ Rendre, en quelque sorte, une partie de ce que mon lycée m’avait apporté ”
Il s’agissait là de rendre, en quelque sorte, une partie de ce que mon lycée m’avait apporté. C’est donc tout naturellement que j’ai souhaité aider d’autres élèves venant de classes préparatoires de moindre renommée. J’ai alors été affecté au lycée de La Borde-Basse, à Castres.
Le contenu du stage ne s’est certes pas limité aux classes préparatoires, mais cela a indubitablement été un avantage. J’ai ainsi pu vivre des situations extrêmement variées tout au long de mes activités. Une séance avec une dizaine d’élèves de seconde n’est évidemment pas comparable avec une heure de soutien pédagogique pour quelques étudiants de BTS.
La maturité et la motivation des élèves participent alors activement au succès de la séance.
Pédagogie et communication
Au-delà des simples aspects scientifiques, ce stage m’a permis de mettre en œuvre des compétences nouvelles et diverses : pédagogie et communication avec des élèves en difficulté, autorité avec certaines classes de seconde, autonomie dans tous les cas. Ma proximité d’âge avec les élèves m’a autorisé des relations amicales en dehors des séances, mais toujours sérieuses et studieuses durant les heures de soutien.
Par ailleurs, j’ai pu, dans une certaine mesure, faire l’expérience du métier d’enseignant. Notre stage présentait en fait de nombreuses similitudes avec la mission d’un professeur : attention constante aux élèves, préparation de séances en amont, collaboration entre collègues.
J’ai également appris les codes et usages de la salle des professeurs.
Faire profiter les plus jeunes de son expérience
Mes interventions en classes préparatoires illustrent, quant à elles, la diversité des missions du stage. Il s’agissait avant tout d’aider les élèves préparant des concours à donner le meilleur d’eux-mêmes, et à ne pas s’autocensurer.
DÉPASSER LE PROGRAMME
J’étais beaucoup plus libre que les professeurs quant au contenu, et n’étais pas soumis au respect scrupuleux des programmes et des exigences horaires imposé aux enseignants. Par exemple, reprendre des fondements de mathématiques non acquis au collège reste souvent irréalisable pour un enseignant en poste, soumis au programme et confronté à une hétérogénéité croissante entre élèves. Pourtant, de telles lacunes sont souvent à l’origine d’une perte de confiance, et constituent le ferment de l’échec scolaire.
Moins d’un an auparavant, j’étais moi-même dans leur situation, et j’ai ainsi pu leur transmettre certaines méthodes de travail efficaces et pertinentes face à des concours exigeants.
Je passais là, en quelques mois, du statut d’élève à celui d’enseignant. Une situation parfois déstabilisante, avec le vouvoiement en prime. En marge des contenus et du savoir transmis, le message était certainement de faire preuve d’audace, et d’oser l’excellence depuis Castres.
Les deux heures supplémentaires quotidiennes de travail encadré en soirée ont été d’une grande efficacité pour les élèves. J’ai mis en place une « démarche qualité » en fin de stage, dans le but de mesurer l’efficacité des séances, en proposant un sondage aux élèves. Ceux-ci étaient appelés à évaluer le déroulé du soutien, participant ainsi à son optimisation pour les années suivantes.
Il ne faut pas sous-estimer la satisfaction personnelle de voir les élèves progresser régulièrement durant la période, puis réussir aux concours.
Une expérience concrète de la pédagogie
Donner une chance aux élèves de « petites » prépas.
À titre individuel, ce stage a constitué une expérience professionnelle et humaine particulièrement enrichissante. La diversité des relations nouées avec le corps enseignant m’a donné une vision nouvelle de ce que pouvait être la gestion d’un établissement de ce type, sa complexité, l’exigence de la tâche, et la rigueur pour la réaliser.
Cette expérience, facilement valorisable, figurera en bonne place sur mon CV, même si je n’envisage pas de m’orienter vers une carrière dans l’enseignement. La capacité de transmettre et la pédagogie sont des qualités qui demeurent transposables au monde de l’entreprise.
Le choix de l’École polytechnique d’affecter certains de ses élèves en stage de soutien d’enseignement dépasse la simple collaboration pédagogique pour définir un vrai concept, celui de la redistribution des savoirs.
“ Oser l’excellence depuis Castres ”
À l’heure où les classements internationaux comme PISA pointent les faiblesses du système d’enseignement français, l’initiative de l’X peut apparaître comme une réponse inédite et efficace dans la lutte contre l’échec scolaire. Ce stage de soutien pédagogique place le polytechnicien au plus près de l’élève, et c’est bien cette proximité d’âge qui agit comme un catalyseur dans la relation enseignant-enseigné.
La majorité des élèves ayant suivi les séances de soutien affirment qu’elles ont été particulièrement efficaces et facilitées par la communication avec un tuteur du même âge ou presque. Le fait que l’élève et le stagiaire partagent des préoccupations communes facilite grandement le transfert de connaissances.
Une voie pour d’autres écoles
UNE RÉUSSITE
Un des élèves de Castres qui était en MPSI à l’époque de mon stage a intégré cette année l’École polytechnique (promo 2015).
Il avait bénéficié pendant ses deux années de l’intervention de stagiaires polytechniciens.
Nous évoluons désormais dans une économie qui privilégie la connaissance. L’initiative de redistribution des savoirs mise en place par l’École polytechnique participe activement à la lutte contre l’échec scolaire et au rééquilibrage pédagogique.
Il faut souhaiter qu’elle soit étendue à d’autres écoles et généralisée sous un format à définir. Pourquoi pas celui d’un service national civique obligatoire ?