La ville idéale et ses jardins
Encore faudrait-il pour cela savoir ce qu’est la ville idéale ! Aussi, et en demandant aux urbanistes, architectes ou sociologues, qui peut-être liront ces quelques lignes, de me pardonner à l’avance leur caractère cursif et, partant, sommaire et incomplet, je vais simplement d’abord vous dire ce qu’est pour moi la ville idéale. Et, tout d’abord, ce qu’elle ne doit pas être : une fabrication intellectuelle, artistique, un objet en soi créé par des concepteurs qui réalisent leur œuvre, voire l’œuvre de leur vie !
Cette vision, trop souvent illustrée au cours des cinquante années d’évolution urbaine après la dernière guerre, est évidemment inverse de la finalité de la ville qui est de faire vivre des hommes et non des robots. Ce n’est pas l’homme qui doit s’adapter à la ville, mais la ville qui doit épouser étroitement les besoins et les aspirations de nos concitoyens, rester enracinée dans le passé tout en s’ouvrant à l’avenir.
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Ceci posé, il devient plus simple de concevoir les jardins de la ville idéale, tout en sachant qu’ils offrent plusieurs visages selon la nature de l’intervenant.
Le parc André Citroën à Paris : une des expressions les plus achevées de l’art des jardins au XXe siècle.
► L’urbaniste et le jardin idéal
Il s’interrogera particulièrement sur les aspects spatiaux, quantitatifs ou encore d’accessibilité.
L’aspect spatial : les utilisateurs des jardins sont variés, mais avec des dominantes que les enquêtes de fréquentation ou de voisinage font émerger : les mères de familles et leurs enfants, les personnes âgées, les handicapés. Leur capacité de déplacement, au quotidien, est limité, de l’ordre de 500 mètres. Ce qui signifie qu’il devrait y avoir un jardin à moins de 500 mètres du domicile de chaque citadin.
Le second aspect est celui des surfaces nécessaires : sur cette donnée quantitative, largement subjective, les spécialistes se sont accordés pour estimer qu’en dessous de 10 mètres carrés par habitant il y a carence.
Le jardin Atlantique : un miracle de fraîcheur émergeant du béton.
La troisième donnée est celle de l’accessibilité : les jardins s’adressent à des piétons ayant besoin de surfaces roulantes pour se déplacer (poussettes, patins, rollers, voitures de handicapés, caddies, etc.) et de préférence en site propre.
Un dernier élément est celui de l’attractivité des jardins : on constate que cette attractivité augmente avec leur surface1 et, cela en est un corollaire, avec la variété de leurs équipements et des services rendus. Ceci permet de diversifier le type et la localisation des parcs à créer, et de réaliser des cartes de desserte en espaces verts mettant en lumière les zones non desservies.
► Le maire et le jardin idéal
Il cherchera à faire en sorte que ses administrés soient satisfaits, et cela au moindre coût possible. Il désirera donc le jardin le plus efficace, rassemblant les diverses fonctions correspondant à la totalité des besoins probables ou exprimés. On devine que le risque est grand de voir les équipements, trop nombreux, interférer les uns avec les autres.
► Le paysagiste et le jardin idéal
Il peut, et doit, contribuer à la réflexion entreprise en amont de la création proprement dite, en apportant aux urbanistes et élus son expérience.
Et, bien sûr, il sera celui qui définira le contenu et la forme du jardin, répondant le mieux aux besoins des populations existantes ou à venir. Là aussi, la tentation est grande de faire du jardin une œuvre en soi, alors qu’il s’agit de répondre à des attentes simples : jouer, se reposer, marcher, s’isoler ou son contraire, méditer, rêver.
Il s’agit de combler les attentes – souvent mal définies – des habitants de la ville, soumis aux pressions de la vie quotidienne, déplacements, bruits, pollutions, et recherchant des lieux de calme, de liberté. Il ne s’agit pas d’opposer la ville et la nature, mais de les rendre harmonieusement complémentaires.
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En conclusion, on voit se dessiner un maillage composé de jardins disséminés dans la ville, accessibles par un réseau de » circulations douces » les reliant entre eux. Ils constituent ainsi un équipement fondamental de la ville, de surcroît structurant. Bien intégrés, variés, adaptés à leurs usagers, répondant aux attentes des citadins, tels sont les jardins de la ville idéale.
Et si le paysagiste réussit à insuffler à son jardin le nécessaire supplément d’âme, qui échappe à toute définition, alors il sera vraiment le jardin idéal
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1. 250 mètres au-dessous de 10 hectares, 500 mètres de 10 à 30 hectares, 1 000 mètres au-dessus de 30 hectares.