La violence à l’école en Seine-Saint-Denis
J’ai toujours vécu en Seine-Saint-Denis et j’ai toujours travaillé dans les quartiers difficiles. Depuis deux ans, je suis détaché à l’Inspection académique où je m’occupe plus spécialement de l’Observatoire de la Violence, dont la mission est de suivre toutes les actions de prévention en milieu scolaire et d’essayer de comprendre ce qui se passe.
Plus je travaille sur ces dossiers, plus je rencontre des collègues enseignants, plus je lis les fiches de signalement qui nous arrivent, plus je vois les établissements, plus je trouve que les choses sont complexes.
Je crois qu’on ne peut pas dissocier les violences à l’école des violences urbaines en général, mais que par contre il faut les dissocier de la crise économique. L’exclusion économique vient s’ajouter aux problèmes de violence ; elle n’en est pas la cause, seulement un facteur aggravant.
Le diagnostic
Nous avons affaire à des gamins qui n’ont aucun repère en ce qui concerne les lois et les règles y compris en matière de comportement. Ils n’ont aucun repère parental, aucun repère d’adulte, aucun repère dans la langue. On s’aperçoit très vite, quand on s’adresse à eux, qu’ils ne comprennent pas, ou qu’ils comprennent de travers ce qu’on leur dit. Et de notre côté, nous interprétons aussi de travers leurs propos. De plus, entre chaque quartier, entre chaque cité il y a des registres de vocabulaire qui sont différents.
Cependant le manque de repères parentaux n’est pas dû à une démission des parents. Les qualifier ainsi voudrait dire qu’ils ne veulent plus s’occuper de leurs enfants. En fait, je crois qu’il y a un certain nombre de parents qui sont dépassés, et une partie de notre rôle est de leur redonner la place qu’ils ont perdue pour de multiples raisons.
C’est pourquoi nous regardons avec méfiance l’expérience des « grands frères », qui nous a été décrite précédemment. Mettre en avant les grands frères, c’est pousser les parents ailleurs, alors que nous voulons qu’ils s’impliquent, car c’est eux qui ont l’autorité.
La situation actuelle comporte plusieurs dangers. D’abord celui d’une déscolarisation d’enfants incontrôlables. Le premier réflexe des établissements confrontés à un certain nombre de gamins qu’ils ne savent pas contrôler – il ne faut pas se voiler la face -, c’est de les déscolariser, de les renvoyer après les avoir fait passer en conseil de discipline.
Ils vont être renvoyés une fois, deux fois, trois fois puis à la fin ils n’iront plus à l’école, soit parce qu’ils ne peuvent plus y venir, soit parce qu’ils se sont exclus d’eux-mêmes. C’est un danger que l’inspection académique de Seine-Saint-Denis essaye de combattre.
L’autre danger, c’est la dérive de quelques auteurs d’actes violents et de petites infractions. Si on ne les stoppe pas tout de suite, dès leur plus jeune âge et dès leur première infraction, c’est le début d’une spirale infernale. Il y a de grands risques que leur délinquance s’aggrave et qu’ils soient exclus d’autant plus profondément qu’on ne leur aura pas mis de limite, d’où un sentiment d’impunité et de toute puissance.
Du côté des victimes, un autre danger guette, car être victime quand on a 12 ou 13 ans, surtout lorsqu’on l’est continuellement, cela vous façonne psychologiquement. Un certain nombre de victimes sont déstructurées et vont rejoindre des groupes négatifs, d’abord pour que les autres n’aient pas un regard négatif sur elles, et puis pour se protéger. Machin, dont on sait qu’il a des grands frères relativement puissants sur le quartier, c’est une bonne sécurité même si pour être copain de Machin, on est obligé de lui rendre certains services.
Il y a encore un autre danger, qui est le développement d’un certain communautarisme, et on trouve effectivement des quartiers qui ont tendance à se replier sur eux-mêmes.
Une politique volontariste
Pour essayer de remédier à cette situation, l’Inspection d’académie a initié depuis 1992 une politique volontariste. Partant de la constatation que, si elle reste seule, l’école ne peut rien faire, elle a institué un partenariat avec la police et le parquet des mineurs de Bobigny. Ce partenariat, avant de se concrétiser dans la signature d’un accord, a d’abord été testé sur le terrain.
Il s’agissait, dans un premier temps, de rétablir la paix dans un certain nombre d’établissements par un signalement direct (en ne se contentant pas d’envoyer un fax) de tous les événements violents. Auparavant, la politique de l’Éducation nationale était de ne rien dire, « de ne pas faire de vagues ». À l’heure actuelle, on essaye de regarder les choses comme elles se passent, on essaye aussi de les combattre.
L’idée directrice est que tout ce qui appartient au pénal doit être traité par le pénal, et que tout ce qui appartient à la discipline interne de l’établissement et qui fait partie de l’éducatif doit être traité par l’éducatif. Dans ces conditions, nous pensons que les choses vont quand même s’améliorer. Ce traitement rassure aussi un certain nombre de victimes puisque le parquet de Bobigny s’engage à convoquer les auteurs d’infractions, leurs parents et les victimes pour réparation dans un délai qui ne dépasse pas une dizaine de jours. Le pire, c’est le sentiment d’impunité car cela donne une illusion de toute puissance, qui conduit à l’escalade dans les faits délictueux.
Un contrat de réinsertion et une politique pédagogique
Pour éviter la déscolarisation des gamins, nous avons mis au point un contrat de réinsertion que les enfants signent, que les chefs d’établissements signent et que les parents signent. Nous insistons beaucoup pour que les parents soient remis dans la course. La Police nationale le fait aussi et le parquet de Bobigny ne convoque jamais un mineur sans ses parents. En règle générale, à 80 %, ces contrats de réinsertion ne sont pas rompus.
Simultanément, nous mettons en place une politique pédagogique qui doit permettre aux élèves de mieux réussir à l’école. Et mieux réussir à l’école c’est, à terme, mieux réussir leur insertion dans la société. Avec trois axes :
- je vous ai dit que ces enfants maîtrisaient mal la langue : le premier des axes est donc d’améliorer cette maîtrise. Maîtriser la langue, ce n’est pas maîtriser le français, c’est tout simplement pouvoir se faire comprendre et avoir un certain nombre de mots et de phraséologies communs,
- le deuxième c’est l’éducation à la citoyenneté, c’est-à-dire l’apprentissage des règles élémentaires de la vie en société, que ce soient les règles écrites ou que ce soient les règles implicites,
- enfin si l’on veut que les gamins réussissent à l’école, il faut qu’ils sachent pourquoi ils sont là. D’où le 3e axe qui est l’aide au projet personnel, pour tout simplement redonner un sens à leur présence à l’école.