La vision du gestionnaire du réseau pour la grande vitesse
Le TGV circule à grande vitesse sur des infrastructures construites pour lui, les lignes à grande vitesse ou LGV. Mais il est également compatible avec les infrastructures ferroviaires classiques, ce qui lui permet d’irriguer le cœur des villes.
REPÈRES
Le transport ferroviaire à grande vitesse domine le transport collectif à longue distance en France avec 51,9 milliards de voyageurs-km (70 % du total) en 2009, contre 20,5 (37 %) en 1994. Cette croissance annuelle de plus de 6,4 % correspond à un doublement tous les onze ans environ. Le trafic TGV représente ainsi plus de 84 % des voyageurs-km des grandes lignes (hors trains régionaux). Pendant le même temps, le transport aérien intérieur a stagné à 13 % environ, et le trafic des autres trains de grandes lignes a régressé. Le réseau des infrastructures de lignes à grande vitesse (LGV) atteignait fin 2011 près de 2 000 km de lignes permettant une offre de transport à grande vitesse vers et entre la grande majorité des régions françaises, en dehors de la Normandie et du Massif central, et l’Europe proche.
La vitesse, mais pas seulement
Le domaine de pertinence du TGV
Il se mesure en fonction du temps de trajet de gare à gare :
– moins de 1h30, la voiture domine ;
– de 1h30 à 2h30, le TGV dispose d’une place hégémonique : le transport aérien a pratiquement disparu (Paris-Bruxelles);
– de 2h30 à 4 heures, la part du TGV est dominante : c’est le domaine de la concurrence frontale avec l’avion (Paris-Marseille) ;
– de 4 heures à 6 heures, la part du TGV se limite au tiers environ (Paris-Toulouse, Paris-Nice) ;
– au-delà de 6 heures, l’avion devient très dominant, sauf si le TGV renouvelle le service à bord.
Ce qui compte pour le voyageur, c’est le temps de trajet de porte à porte. Pour des utilisateurs résidant dans les centres-villes, l’effet de la desserte de proximité joue de manière déterminante, notamment par rapport au transport aérien. De centre-ville à centre-ville, le TGV dépasse l’avion lorsque son trajet reste en dessous de 4 heures de gare à gare.
La très bonne régularité des TGV (environ 95% des TGV arrivent avec moins de 15 minutes de retard) participe également à leur attractivité commerciale. La fréquence joue également en leur faveur. Disposer d’horaires réguliers et faciles à mémoriser est également un facteur de succès. La qualité des correspondances avec les autres trains de voyageurs et les transports collectifs est déterminante.
Remplissage et productivité
Ce qui compte pour le voyageur, c’est le temps de trajet de porte à porte
On estime le nombre moyen de voyageurs à 390 par TGV (en 2009), soit deux fois le nombre moyen de voyageurs par train classique. Le duplex à deux niveaux, qui constitue la quasi-totalité des matériels neufs, propose plus de 515 places assises. Le transporteur accroît progressivement la part des rames en unité multiple de 400 mètres environ, ce qui permet de réduire les coûts de conduite et d’énergie. Le remplissage dépasse 70% des sièges, également le double des trains classiques.
Vitesse et productivité
Une excellente sécurité
En dehors d’accidents de passages à niveaux sur ligne classique, on ne déplore aucun mort ni blessé grave en trente ans de TGV.
La majeure partie des coûts du transporteur est constituée par des coûts proportionnels au temps (matériel roulant, personnel). Plus le train circule vite, et moins le train-km coûte cher à produire pour lui, en tout cas pour les éléments proportionnels au temps passé (conduite, contrôle, une partie du coût de capital) qui sont majoritaires. Le voyageur est de son côté demandeur de vitesse, et donc, tant que les coûts du gestionnaire de réseau, qui eux sont croissants avec la vitesse, restent raisonnables, la vitesse contribue à la productivité et à l’attractivité du système.
Renouveler le réseau
La majeure partie des coûts d’investissement du système TGV depuis trente ans est liée au développement des infrastructures : lignes à grande vitesse, travaux connexes d’électrification ou d’augmentation de capacité des lignes classiques empruntées par les TGV.
Les coûts d’investissement en infrastructure du système TGV ont été de l’ordre de 30 milliards d’euros, ligne à grande vitesse « Rhin- Rhône-Est » incluse, contre environ 10 milliards d’euros pour le matériel roulant TGV et les ateliers d’outillage.
Bien fixer le péage
Pour financer ces coûts d’investissement, ainsi que des coûts d’entretien, d’exploitation et de régénération de ces infrastructures, le gestionnaire d’infrastructure (Réseau ferré de France) perçoit un péage.
La hausse du nombre de voyageurs par TGV, clé majeure de l’avenir de la progression du trafic
Le péage est limité par ce que le marché peut supporter. En première approche, il s’agit des recettes des exploitants de TGV, après déduction de leurs coûts d’exploitation, y compris les loyers du capital immobilisé dans les TGV. RFF procède à des estimations de ce potentiel de marché. Les trafics TGV en voyageurs-km ont continué d’augmenter fortement depuis 2005, à plus de 4 % par an, même si les péages des TGV ont augmenté significativement depuis cette date pour financer le renouvellement du réseau.
RFF mise sur une régulation professionnelle et indépendante pour faire progresser la transparence du système, aider à trouver le juste équilibre entre le financement du système par les voyageurs et par le contribuable, et inciter le système dans son ensemble à la productivité, à l’efficacité, sans nuire à la qualité de service.
L’ouverture à la concurrence
L’ouverture à la concurrence concernera d’abord le transport de voyageurs internationaux. Il a été ouvert dès fin 2009 sur le plan légal. Les premiers trains internationaux de nouvelles entreprises ferroviaires devraient circuler fin 2011, avec un service de nuit de Paris à Venise. Des TGV internationaux suivront sûrement dans quelques années. Ensuite se posera la question de l’ouverture à la concurrence du transport national de voyageurs.
Cela pourra permettre à de nouveaux transporteurs de faire circuler des TGV. Il pourra notamment s’agir de transporteurs ferroviaires étrangers, ou bien de transporteurs provenant d’autres modes.
Un potentiel important
Le potentiel du marché est significatif. Il est appelé à croître avec le trafic, tendanciellement en hausse, même dans un scénario de croissance économique très molle. Le problème du financement du réseau emprunté par les TGV devrait donc progressivement se résoudre, à condition de déterminer la bonne répartition du financement entre la part du voyageur (péage) et celle du contribuable (subventions). À condition également que la politique de tarification d’infrastructure soit intelligente ; en effet, si les hausses de péage avaient pour effet de réduire les volumes de certains trafics, le financement du réseau ne serait pas assuré. Or, autant certains TGV sont très rentables pour les transporteurs, autant d’autres présentent un équilibre économique plus délicat ; c’est une des raisons pour lesquelles RFF réduit le tarif d’infrastructure des trains interrégionaux (ne passant pas par la ville de Paris), dont l’équilibre économique est en général délicat.
Des dessertes diversifiées
Trouver le juste équilibre de financement entre le voyageur et le contribuable
Aujourd’hui, les dessertes des TGV sont encore essentiellement nationales et radiales depuis Paris. Demain, il faut s’attendre à une plus grande diversité dans les types de desserte : grande vitesse à l’échelle européenne, aboutissant progressivement à la création d’un véritable réseau européen des LGV ; grande vitesse régionale, en utilisant les capacités résiduelles des lignes en dehors des grands troncs communs pour proposer des liaisons à grande vitesse à l’échelle régionale ; part plus importante de relations interrégionales longues (la mise en service fin 2011 de la première ligne non radiale « Rhin-Rhône-Est » en est une illustration).
Des lignes très chargées
Une politique organisée
La gestion d’un système avec une pluralité de transporteurs nécessitera de mener des politiques permettant de profiter de l’aiguillon de la concurrence. Celle-ci devra être cependant organisée, notamment pour éviter le risque d’une spécialisation de nouveaux entrants dans les segments les plus rentables, posant le problème du financement des autres segments. Des solutions existent, de diverses natures, passant par des obligations de service public ou bien par la mise en place de systèmes de péréquation. L’organisation de cette concurrence, pour qu’elle soit globalement bénéfique à la collectivité, est probablement un des actes les plus importants de la politique des transports européenne et nationale dans les années qui viennent.
Les principaux troncs communs à la sortie de l’Île-de-France (vers le Sud-Est, l’Atlantique et le Nord) poseront des problèmes croissants de capacité.
À l’horizon d’une dizaine d’années, ceux-ci pourront trouver leur solution au moyen de matériels de plus grande capacité (davantage de trains à deux niveaux, unités multiples de 16 voitures et plus, voire très gros porteurs sur un réseau spécialisé); d’extensions modérées des heures d’ouverture commerciales, au prix d’une maintenance certes un peu plus onéreuse ; d’investissements limités dans les systèmes de contrôle-commande des trains et dans quelques maillons clés comme les gares parisiennes.
À plus long terme, si la croissance de la mobilité ferroviaire se poursuit, une augmentation des capacités par la construction de lignes nouvelles doit être envisagée.
Des lignes nouvelles à faible trafic
Le développement du réseau à grande vitesse devrait aussi amener à construire des lignes nouvelles avec des trafics plus faibles que ceux des lignes à grande vitesse existant aujourd’hui. La capacité excédentaire restante pourra être mobilisée pour développer des services de transport régional à grande vitesse, donnant une nouvelle dimension plus locale à la grande vitesse. Dans certains cas, certaines lignes pourront également accueillir du trafic de fret, cette mixité permettant de mieux amortir les coûts fixes du développement et de stimuler l’offre de fret ferroviaire.
Des partenariats public-privé
Pour la construction et la gestion de lignes nouvelles, RFF a mis en place deux formes de partenariats public-privé (PPP).
Un plan de gestion optimisé de la capacité du réseau à construire sur le long terme
Deux types de partenariats
Le contrat de partenariat (CP). Le partenaire privé construit, maintient et exploite la ligne pendant une période définie dans le contrat. En contrepartie, il reçoit un loyer de la part de RFF, si la ligne est en bon état de fonctionnement. RFF perçoit un péage des entreprises de transport ferroviaire qui y circulent. Schématiquement, le partenaire privé prend les risques de construction, de maintenance et d’exploitation, alors que RFF prend le risque de trafic et de recettes.
La délégation de service public (DSP) ou concession d’infrastructure. Le partenaire privé construit, maintient, exploite la ligne, et perçoit également le péage provenant des entreprises de transport ferroviaire qui circulent sur la ligne pendant la durée du contrat. Le partenaire privé prend donc les risques de construction, de maintenance et d’exploitation, ainsi que le risque de trafic et de recettes.
Il est attendu des diverses formes de partenariat un meilleur partage des risques, conduisant à attribuer le risque à la partie la mieux à même de le gérer, et donc de minimiser les coûts globaux de l’opération. La marge de manœuvre donnée au partenaire privé dans l’organisation du chantier de construction, tout en respectant scrupuleusement les règles de sécurité, doit également contribuer à la minimisation des coûts des projets dans la durée.
La délégation de service public devrait faire progresser également l’optimisation de la commercialisation du réseau. Un retour d’expérience est organisé sur ces différentes formes de réalisation pour mieux en apprécier les domaines de pertinence respectifs, et procéder si nécessaire à des ajustements dans les types de contrats pour l’avenir.
La vitesse, mais raisonnable
La vitesse a été un des principaux facteurs de succès. Cependant, elle présente aussi l’inconvénient d’augmenter les coûts de construction et de maintenance des lignes, notamment du fait que les rayons de courbure deviennent plus contraignants et donc les ouvrages d’art plus nombreux. De plus, à technologie inchangée, les nuisances environnementales, notamment le bruit émis, ainsi que la consommation d’énergie sont amplifiées.
Il y a un optimum à rechercher entre les avantages et les coûts de la vitesse ; pour des lignes à trafic faible, ou lorsque les contraintes de terrain sont fortes (relief, milieu urbain), ou bien si l’on envisage une mixité avec du fret plus lent, on atteint vite les limites de pertinence économique et environnementale de la très grande vitesse. Des vitesses plus modérées (autour de 250 km/h) sont à privilégier pour le tracé des lignes, comme le font certains de nos voisins comme l’Allemagne. Pour des circulations régionales à grande vitesse, lorsqu’il y a un net excédent de capacité de la ligne, il peut être pertinent de circuler moins vite qu’à la vitesse de tracé de la ligne.
Ce qui n’empêche pas, en revanche, d’aller encore plus vite qu’aujourd’hui (plus de 320 km/h) lorsque les conditions de cet optimum sont réunies, notamment lorsque les trafics sont importants et la topographie favorable (peu de relief, faible densité de zones habitées traversées).
Trois modes de réalisation : DSP, CP, MOP
Le projet « Sud-Europe-Atlantique » entre Tours et Bordeaux (302 km, 7,8 milliards d’euros courants) sera réalisé sous la forme d’une délégation de service public (DSP). Après mise en concurrence, celle-ci a été attribuée par RFF en juin 2011 à la société Lisea, pilotée par Vinci.
Le projet « Bretagne – Pays-de-la-Loire » visant à relier Le Mans à Rennes et à Sablé (214 km, plus de 3,3 milliards d’euros) sera réalisé en contrat de partenariat (CP). Ce contrat a été attribué après mise en concurrence par RFF à Eiffage Rail express en juillet 2011.
En même temps, RFF construit la phase 2 de la LGV est-européenne, et a terminé en 2011 la construction de la LGV Rhin-Rhône-Est (phase 1), ces deux projets ayant été mis en oeuvre dans le cadre de la procédure de maîtrise d’ouvrage publique (MOP).
Enfin, le dialogue compétitif est en cours à fin 2011 en vue de l’attribution du projet de contrat de partenariat pour le contournement de Nîmes et Montpellier (80 km, plus de 1,6 milliard d’euros).
Des modes de gestion nouveaux et innovants
Rechercher un optimum entre les avantages et les coûts de la vitesse
La relative modestie des trafics prévisionnels des lignes nouvelles constitue également un défi à relever en matière de financement du développement du réseau. Les solutions sont à rechercher du côté de la mobilisation des ressources des organismes publics (État, Europe, collectivités), de la mise en place de partenariats public-privé, de la meilleure prise en compte du potentiel du marché des clients des lignes à grande vitesse actuelles et futures, et, là où cela est possible, d’une conception, plus adaptée au niveau du trafic prévisible, de lignes à grande vitesse et de matériel roulant.
RFF, gestionnaire du réseau ferré national, est le pivot industriel du système ferroviaire, au centre d’un système plus complexe : entreprises ferroviaires, pouvoirs publics européens, nationaux et régionaux, autorités indépendantes judiciaires et de régulation.