La zone économique exclusive, un atout pour la France
L’ONU a établi les règles du droit de la mer, en fixant les droits des eaux dites “territoriales”. Les États côtiers ont la propriété de la bande de 12 milles longeant leur littoral, Ensuite a été créé la notion de “zone économique exclusive”, de largeur généralement fixée à 200 miles. Avec ses DOM/TOM la France a la deuxième ZEE mondiale.
Les océans relient les continents qu’ils séparent, grâce au transport maritime de personnes et de biens. Si le transport de passagers intercontinentaux sur longue distance s’est fortement réduit face à la concurrence aérienne, les transports courts et les croisières maritimes ont considérablement augmenté et se comptent par millions pour le plus grand intérêt des pays desservis.
Quant au transport de marchandises, la voie maritime assure plus de 90 % des échanges mondiaux : en 2012, on comptait 50 000 navires sur les mers du globe, transportant plus de 8,7 milliards de tonnes représentant 1 500 milliards d’euros.
REPÈRES
L’ONU a établi les règles du droit de la mer, notamment celles qui donnent aux États côtiers la propriété de leurs eaux dites « territoriales » : la bande de 12 milles longeant leur littoral.
Mais la volonté de nombre d’États de s’approprier les ressources gisant au-delà a conduit la Conférence des Nations unies sur le droit de la mer à créer la notion de « zone économique exclusive » (ZEE), de largeur bien plus importante (nominalement, 200 milles).
Un immense gisement de ressources
La mer fournit à l’homme des dizaines de millions de tonnes de poissons et coquillages et produit, naturellement ou par aquaculture, autant que de poissons que l’élevage terrestre produit de poulets. Cette ressource est majoritairement « récoltée » par faible profondeur (moins de 200 mètres) mais les « récoltes » profondes ont vu leur quantité croître, parfois au risque de menacer les stocks.
Les nodules polymétalliques se trouvent à plus de 3 000 mètres.
Les fonds marins contiennent d’importants gisements minéraux et énergétiques, également exploités surtout par faible profondeur, donc près des littoraux, mais aussi bien au-delà des 1 000 mètres. C’est en effet dans des fonds de plus de 3 000 mètres qu’il faut aller chercher des nodules polymétalliques et sulfures, produits de haute valeur.
Il en est de même pour les matières énergétiques (pétrole et gaz) : celles qui sont extraites des fonds marins représentent 30 % de celles utilisées par l’homme et des réserves mondiales. La technique permet aujourd’hui d’aller les chercher par plus de 3 000 mètres de profondeur, donc bien au large des littoraux. Les découvertes offshore représentent 38 % des nouvelles découvertes.
En outre la masse d’eau peut, par ses mouvements naturels (houle, courants, marées), fournir de l’énergie, de même que l’air « marin » (éoliennes). La mer est l’élément valorisant de la qualité de vie sur le littoral, un apport parfois gâché par une urbanisation trop intense.
Une chance à saisir
Bien naturellement, les États côtiers ont déployé d’importants efforts pour exploiter les ressources vitales pour leur économie que leur offre la mer baignant leur littoral, et même, depuis quelques décennies, sur des distances de plusieurs dizaines de milles marins.
C’est tout aussi naturellement que des États ont recherché des ressources dans des zones souvent éloignées de leur littoral, mais proches de littoraux de pays peu ou pas développés.
Il n’est donc pas surprenant que ces derniers aient voulu s’assurer la propriété de ce qu’ils considèrent comme étant « leurs » ressources, celles que leur donne la géographie naturelle, et pour le moins éviter qu’elles soient « pillées » par ceux qu’ils considèrent comme des étrangers qui profitent de leur aspiration au développement.
Une convention définie par l’ONU
En réponse à la demande de nombre d’États côtiers, la Conférence des Nations unies sur le droit de la mer a créé dès 1976 la notion de zone économique exclusive (ZEE). Les négociations qui ont suivi ont abouti à la Convention du 10 décembre 1982, dite de Montego Bay (voir encadré).
C’est à chaque État qu’il appartient de décider de la création de sa ZEE et d’en fixer librement la largeur, bien évidemment dans le respect des droits des États mitoyens.
Ainsi, lorsque la distance entre son littoral et ceux des autres États est inférieure à 400 milles, la limite des ZEE doit être fixée par accord commun ou décision d’un tribunal international compétent.
De même, un État côtier peut revendiquer l’extension de sa ZEE jusqu’à 350 milles en fonction des caractéristiques de son plateau continental – lequel peut être exploité selon des droits indépendants de toute revendication, donc même si l’État côtier n’en a pas fait explicitement la demande. Cependant, les dispositions de cette extension doivent être approuvées par la commission de l’ONU compétente en matière de plateau continental.
LA CONVENTION DE MONTEGO BAY
Selon cette convention, qui a repris l’essentiel du texte de 1976, tout État côtier peut créer une ZEE qui s’étend sur 200 milles (374 km) au large de la ligne de base littorale des eaux territoriales ; l’État côtier y est titulaire de « droits souverains », qu’il doit évidemment exercer dans le respect de toutes les règles du droit de la mer international, et des droits des autres États.
La convention a prévu la possibilité d’étendre la ZEE jusqu’à 350 milles en fonction des caractéristiques du plateau continental qu’elle recouvre, lequel est géré selon des règles spécifiques.
Les droits souverains dont jouit l’État côtier dans la ZEE qu’il a créée lui permettent d’exploiter et d’explorer, par ses propres moyens ou des moyens auxquels il décide de recourir, les ressources naturelles – biologiques ou non – de la masse d’eau, des fonds marins, et des sous-sols de sa ZEE, ainsi que l’énergie produite par la mer ou à partir de la mer.
Il peut créer des îles artificielles (flottantes ou fondées), faire de la recherche scientifique et prendre les mesures qu’il juge adaptées pour la préservation de l’environnement de sa ZEE. Mais il doit respecter la liberté de navigation des unités conformes au droit de la mer international, quel que soit leur pavillon.
La première ZEE française en 1976
La France a agi sans retard en décidant la création de sa ZEE dès 1976, avant même la consécration de la notion de ZEE au niveau international, mais en ne mettant en œuvre sa décision qu’après cette consécration.
J’étais alors secrétaire général de la Marine marchande et à ce titre je participais à toutes les réunions de la commission de la CEE sur la pêche qui se tenaient en général à Bruxelles. J’avais ainsi des informations qui laissaient prévoir l’intervention de la Convention de l’ONU avant la fin de l’exercice 1976 ; et pour que la France puisse effectivement créer sa ZEE, il fallait le décider explicitement par une loi nationale.
J’en avais rendu compte à Marcel Cavaillé, le secrétaire d’État chargé des Transports dont je dépendais, qui a lui-même rendu compte au président de la République et au Premier ministre. Le Président, Valéry Giscard d’Estaing, a immédiatement réagi en demandant de lancer le processus législatif, et la loi a pu être votée en juillet 1976 car l’«impôt sécheresse » avait conduit à prolonger d’un mois la session du Parlement.
Ainsi, cette loi est intervenue largement en temps opportun pour que la France puisse mettre en œuvre la possibilité conférée par les dispositions internationales : cela a été fait dès l’officialisation de la notion de ZEE.
En rouge, l’extension à 350 milles de la zone économique exclusive française. © SHOM
La deuxième ZEE mondiale
Compte tenu de sa présence sur quatre continents (pas l’Asie) et de la composition de son territoire qui compte nombre de TOM insulaires, la France s’est trouvée titulaire d’une ZEE de plus de 11 131 000 km2, la seconde au monde après celle des États-Unis (plus de 12 millions de km2).
Puis, comme le prévoit la convention de Montego Bay, la France a étendu sa ZEE en faisant reconnaître, par la commission du plateau continental de l’ONU, son extension à 350 milles au large des Kerguelen, de la Nouvelle-Calédonie, de la Guyane, de la Martinique et de la Guadeloupe : la zone résultant du décret du 25 octobre 2015 atteint 11 710 417 km2, en attendant de nouvelles extensions justifiées par la configuration du plateau continental qui permettent certainement de dépasser 12 millions de km2.
Un intérêt international croissant
La France s’est vite bien servie de sa ZEE, comme les autres États membres de la CEE.
La péche autour de Clipperton a fait l’objet de négociations compliquées. CC. CLIFTON BEARD En savoir plus sur Clipperton
Cette action a‑t-elle été spectaculaire ? On ne peut dire qu’elle ait sensibilisé une grande part de l’opinion publique, ni même mobilisé tous les responsables politiques, notamment autres que ceux directement concernés par cette question, lesquels avec le concours efficace de leur administration ont rapidement et bien fait leur métier concernant la ZEE dont ils avaient compris l’intérêt.
Et les autres États de la CEE ont fait de même. Réunis à La Haye, leurs représentants ont décidé le 3 novembre 1976 que les États membres pouvaient, à compter du 1er janvier 1977, étendre leurs zones de pêche exclusive à 200 milles au large de leur littoral.
Mais c’est la Commission qui a reçu la compétence pour délivrer les autorisations de pêche aux bateaux des États étrangers à la CEE dans la zone bordant les territoires des États proprement dits et leurs départements d’outre-mer ; en revanche les États membres étaient compétents pour autoriser la pêche au large de leurs TOM, ce qui a conduit le Danemark à donner un statut de TOM au Groenland.
C’était donc à la Commission européenne, et non aux États membres, que les pays du bloc de l’Est – qui ne reconnaissaient pas la CEE – devaient s’adresser pour obtenir les autorisations pour pêcher dans les ZEE autres que celles des TOM. Le ministre des Pêches de l’URSS est venu à Bruxelles au siège de la CEE pour obtenir ces autorisations, en reconnaissant de fait la Communauté européenne, ce que n’avaient jamais pu faire le charbon et l’acier.
Peut-être parce que les chalutiers soviétiques pêchaient des informations autant que des produits halieutiques ? À l’époque, cet événement n’avait pas eu d’écho dans les presses nationales de la CEE.
Échanges de bons procédés
L’autre événement tient à la zone de Clipperton : cet atoll de 2 km2 situé dans le Pacifique, à 1 000 km au large du Mexique, a une ZEE de 440 000 km2 dans laquelle ne pêchaient que des bateaux américains et pas un seul français. Clipperton étant un TOM, c’est la France seule qui pouvait autoriser les bateaux battant pavillon des États- Unis à continuer d’y pêcher le thon.
Les mers chaudes permettent de développer les énergies thermiques marines. © SENAI AKSOY / SHUTTERSTOCK.COM
La France a fait savoir aux États-Unis que les autorisations nécessaires leur seraient données, mais que les États- Unis devaient se comporter moins sévèrement à l’égard de la RFA concernant la pêche que les bateaux ouest-allemands effectuaient dans les eaux de la ZEE américaine au nord-est de leur territoire.
La France avait averti la RFA qu’elle ne ferait cette intervention qu’à la condition que, lors des réunions de la Commission à Bruxelles, la RFA soutienne la demande française pour que ses pêcheurs bretons aient accès au canal Saint-Georges qui sépare l’Angleterre et l’Irlande. Et c’est ce qui fut fait, pour le plus grand intérêt de nos pêcheurs bretons.
Preuve qu’une ZEE peut être d’une grande utilité directement ou par ricochet pour l’État qui la possède, même si aucun pêcheur de cet État n’y exerce son activité.
Un énorme potentiel à exploiter
Pour la France, les perspectives ouvertes par sa ZEE sont des plus vastes, car « plus profondes ». Notamment concernant l’exploitation des ressources minérales et énergétiques, des fonds et sous-sols marins, et la production d’énergies marines renouvelables.
Même s’il faut opérer par grands fonds, on sait le faire à 3 000 mètres de profondeur et même au-delà. C’est également vrai des ressources vivantes, sachant qu’il faut toujours opérer avec sagesse pour ne pas ruiner les ressources de ces grands fonds marins, en particulier par une surexploitation. On saura donc exploiter les ressources de la mer à des distances de plus en plus importantes du littoral, effectivement jusqu’à 200 ou même 350 milles tout en respectant l’environnement.
Nous devons et pouvons espérer que les possibilités de la grande ZEE de notre pays retiennent l’attention de tous nos responsables politiques, et plus largement de nos concitoyens, afin que son exploitation se fasse de façon directe ou par ricochet, bien entendu dans le respect des règles nationales et internationales, cela pour le plus grand intérêt de l’économie et des conditions sociales de la France.