L’Académie des technologies et le progrès technique

Dossier : Recherche et entrepriseMagazine N°694 Avril 2014
Par Gérard ROUCAIROL

On sait l’importance du rôle que joue l’innovation tech­no­lo­gique pour un pays, dans la maî­trise de son ave­nir éco­no­mique, dans le déve­lop­pe­ment de l’emploi ou encore dans l’augmentation de ses moyens de pro­duc­tion natio­naux dans un contexte de mondialisation.

Fac­teur majeur de l’amélioration de la com­pé­ti­ti­vi­té des entre­prises, elle consti­tue aus­si un socle pour les stra­té­gies de sou­ve­rai­ne­té ; elle est éga­le­ment source d’enrichissement des connais­sances et peut influer for­te­ment sur le com­por­te­ment des groupes et des individus.

L’ampleur de cette capa­ci­té d’innovation repose bien sûr en grande par­tie sur l’existence d’une recherche tech­no­lo­gique d’excellence, dyna­mique et réunis­sant les masses cri­tiques nécessaires.

REPÈRES

À l’initiative de membres du conseil pour les applications de l’Académie des sciences, l’Académie des technologies a été créée sous forme d’association en 2000, sous la présidence de Pierre Castillon (57).
L’Académie des technologies devient un établissement public administratif en 2007 et est placée en 2013 sous la protection du président de la République, rejoignant ainsi des consoeurs beaucoup plus anciennes dans une reconnaissance de sa mission et de l’intérêt public de son action. Héritière du siècle des Lumières, elle a pour devise : Pour un progrès raisonné, choisi, partagé, qui reflète la profonde conviction que la technologie est source de progrès pour l’ensemble de l’humanité.
Lieu de réflexions et de propositions d’actions face aux grands défis technologiques, l’Académie des technologies tire son originalité de la diversité des origines de ses 286 membres (164 titulaires et 122 émérites – 68 polytechniciens) : ingénieurs, industriels, chercheurs, agronomes, architectes, médecins, sociologues, économistes, avec une forte représentativité des directeurs de R&D du privé. Les académiciens sont élus selon une procédure de recrutement rigoureuse, qui prend en compte l’excellence des personnes et le rayonnement de leurs travaux en Europe et à l’international.
Cette diversité des approches permet d’apporter une expertise collective et indépendante et de rechercher un consensus large sur des questions complexes débattues au sein de douze commissions. Les documents produits par l’Académie sont validés par l’assemblée plénière à l’issue d’un processus garantissant leur qualité et leur impartialité.

Mais, dans une socié­té réflexive, elle repose tout autant sur l’adhésion de nos conci­toyens aux avan­cées tech­no­lo­giques qui crée­ront les emplois de demain et assu­re­ront la place de la France et de l’Europe dans l’échiquier géoé­co­no­mique du XXIe siècle. La com­pré­hen­sion par le grand public de l’intérêt des tech­no­lo­gies et de leurs usages passe en par­ti­cu­lier par l’enseignement de la tech­no­lo­gie sous ses dif­fé­rents aspects dans l’éducation des jeunes, et nous semble un enjeu majeur pour déve­lop­per le pro­grès technique.

Privilégier l’innovation système

Enseigner la technologie sous ses différents aspects dans l’éducation des jeunes

L’Académie défi­nit, dans sa réflexion sur la renais­sance de l’industrie, un modèle d’innovation à pri­vi­lé­gier en France et en Europe, « l’innovation sys­tème » à haute valeur ajou­tée, pour déve­lop­per de nou­veaux ser­vices et fonc­tion­na­li­tés, qui soient à la fois per­son­na­li­sés pour les indi­vi­dus, pour les col­lec­ti­vi­tés et expor­tables en masse. Ce modèle s’appuie sur l’existence d’écosystèmes que l’Académie carac­té­rise de façon ori­gi­nale, avec la mise en avant du rôle pri­mor­dial d’intégrateurs industriels.

Des écosystèmes complexes

Ces éco­sys­tèmes regroupent dif­fé­rents acteurs : un indus­triel qui joue un rôle pri­mor­dial d’intégration des dif­fé­rents com­po­sants pour éla­bo­rer la fonc­tion sou­hai­tée, des four­nis­seurs de com­po­sants, des socié­tés de ser­vices, des PME de tech­no­lo­gies dif­fé­ren­cia­trices, etc.

Ils s’appuient sur des pla­te­formes ouvertes coopé­ra­tives pour pri­vi­lé­gier la cocon­cep­tion et déve­lop­per des normes et des stan­dards ; ils créent des soli­da­ri­tés objec­tives d’accès aux mar­chés pour les dif­fé­rents acteurs qui les constituent.

De plus, ces éco­sys­tèmes impliquent les futurs uti­li­sa­teurs par le biais de démons­tra­teurs, per­met­tant ain­si « l’ensemencement » pré­coce des nou­veaux mar­chés. Ain­si, ils peuvent faci­li­ter l’acceptabilité d’innovations non seule­ment incré­men­tales, mais aus­si radi­cales, car ces der­nières ne créent pas une rup­ture sur l’usage glo­bal du sys­tème, mais le com­plètent et l’améliorent.

La capa­ci­té d’innovation est accrue col­lec­ti­ve­ment et le coût des risques liés à l’innovation est mutualisé.

Stimuler l’innovation

Douze commissions et cinq actions transversales

Les commissions : Énergie et changement climatique, Environnement, Mobilité et transport, Urbanisme et habitat, Biotechnologies, Technologies de l’information et de la communication, Technologies et santé, Démographie, éducation, formation, emploi, Recherche, technologies, innovation, emploi, Technologies et développement dans les pays moins avancés, Société et technologies, Éthique.
Les actions transversales : Renaissance de l’industrie par la technologie, Formation, Apport du numérique aux territoires, Contribution au débat national sur l’énergie, Stratégie nationale de recherche.

L’innovation sys­tème per­met notam­ment de faire évo­luer, moder­ni­ser, enri­chir ou encore créer de grands sys­tèmes socié­taux – san­té, trans­port, urba­nisme, fabri­ca­tion, etc. – en fédé­rant des ini­tia­tives ren­dues com­pa­tibles, com­plé­men­taires et cohérentes.

Les pou­voirs publics peuvent éga­le­ment favo­ri­ser l’émergence de ces éco­sys­tèmes et, en par­ti­cu­lier, ils peuvent sti­mu­ler l’innovation et le déve­lop­pe­ment indus­triel dans quelques domaines où le simple jeu du mar­ché ne per­met­tra pas de conser­ver ou de reprendre l’avantage, en s’appuyant sur de nou­veaux usages pour rat­tra­per nos retards ou conso­li­der nos atouts.

Mutations numériques et sociétés urbaines

Les socié­tés urbaines consti­tuent un domaine vaste où le poten­tiel des TIC peut s’exercer, notam­ment dans la ges­tion opti­male de l’énergie dans les quar­tiers, des réseaux de trans­ports, du com­merce, etc.

Mené par l’Académie des tech­no­lo­gies, Ingé­nieurs et scien­ti­fiques de France, la CCI Rennes (Novin­cie), l’université Rennes-II (Lau­reps) et la socié­té Cybel (Conseil en sys­tèmes et logi­ciels infor­ma­tiques), le pro­jet « Socié­tés urbaines et muta­tions numé­riques » se déroule sur deux ans (d’octobre 2012 à octobre 2014).

Son objec­tif est double : com­prendre les impacts des tech­no­lo­gies numé­riques dans le pro­ces­sus de trans­for­ma­tion de nos com­por­te­ments et modes de vie ; mettre à la dis­po­si­tion des acteurs des ter­ri­toires – pou­voirs publics, entre­prises, citoyens – des outils de ques­tion­ne­ment qui aident à envi­sa­ger de nou­velles chaînes de valeur d’activités por­teuses d’innovations et d’emplois de demain.

Promouvoir l’enseignement de la technologie

Une des pré­co­ni­sa­tions, tant aux entre­prises qu’aux pou­voirs publics, pour la renais­sance de l’industrie est de sou­te­nir la for­ma­tion tout au long de la vie pour déve­lop­per les capa­ci­tés des sala­riés, leur don­ner plus d’autonomie et de res­pon­sa­bi­li­té et per­mettre des tra­jec­toires évo­lu­tives ren­dant les car­rières dans l’industrie plus attractives.

Un des grands défis du XXIe siècle sera de gérer de grands systèmes complexes

Les réformes néces­saires portent notam­ment sur l’enseignement de la tech­no­lo­gie dans tous les cycles, y com­pris géné­raux, l’utilisation d’une péda­go­gie qui per­mette aux élèves de déve­lop­per une capa­ci­té à tra­vailler en mode pro­jet, une reva­lo­ri­sa­tion des ensei­gne­ments et des filières pro­fes­sion­nelles et tech­niques, une orga­ni­sa­tion de la for­ma­tion tout au long de la vie au sein des entre­prises et des bas­sins d’emploi.

Fabriquer des vocations

Une pre­mière action de notre Aca­dé­mie en faveur de l’orientation des jeunes en direc­tion des filières stra­té­giques indus­trielles est la « fabrique des voca­tions scien­ti­fiques et technologiques ».

Améliorer la consommation énergétique des bâtiments

Dans le domaine clé de la transition écologique et énergétique, par exemple, des techniques existent pour améliorer très substantiellement la consommation énergétique des bâtiments, mais leur mise en oeuvre à grande échelle est entravée par le manque de formation des professionnels du bâtiment de tous niveaux, leur manque de capacité de coordination (lié aussi à une insuffisance de leur formation) et par ailleurs l’inadéquation de certaines normes et règlements (dont l’inertie est cependant entretenue par la méfiance de la profession à l’égard des innovations).

Menée avec l’Apec, les IESF et le Cefi, cette action a pour objec­tif de réa­li­ser des syn­thèses cri­tiques sur les pers­pec­tives de déve­lop­pe­ment d’emplois et de com­pé­tences néces­saires pour exer­cer des fonc­tions d’encadrement dans les entre­prises des dif­fé­rentes filières – qua­torze au total aujourd’hui.

La fabrique inau­gure un mode de fonc­tion­ne­ment inédit qui va mobi­li­ser l’expertise de plu­sieurs dizaines d’académiciens confron­tées aux ana­lyses de leurs par­te­naires, et à celles de nos par­te­naires d’Euro-CASE pour ten­ter de tirer des ensei­gne­ments d’expériences conduites dans d’autres pays.

Éclairer la finalité de l’informatique

La com­mis­sion « Tech­no­lo­gies de l’information et de la com­mu­ni­ca­tion » s’est, quant à elle, atta­chée à appor­ter quelques éclai­rages sur la fina­li­té de l’informatique dans notre socié­té, ce qui éclaire aus­si la façon dont il faut l’enseigner.

Un des grands défis du XXIe siècle sera de gérer de grands sys­tèmes com­plexes. L’enseignement de l’informatique devrait donc pri­vi­lé­gier l’étude de la modé­li­sa­tion et les concepts de la sys­té­mique. Une grande par­tie de l’enseignement depuis le pri­maire jusqu’aux études supé­rieures doit, d’autre part, pas­ser par des phases alter­nées d’apprentissage et d’expérimentation.

Stratégie nationale de recherche

L’Académie des tech­no­lo­gies est éga­le­ment un des socles de réflexion des pou­voirs publics lorsqu’ils construisent leur stra­té­gie en face de grands défis tech­ni­co-socio-éco­no­miques ou avant l’engagement de déci­sions poli­tiques majeures. Ses membres sont enga­gés au sein d’instances de réflexion et de déci­sion (Stra­té­gie natio­nale de recherche, com­mis­sion Inno­va­tion 2030, ANR, etc.). Elle par­ti­cipe au déve­lop­pe­ment des réflexions menées au niveau inter­na­tio­nal ou euro­péen et assure le secré­ta­riat géné­ral d’Euro-CASE, qui fédère vingt et une aca­dé­mies euro­péennes (soit 6000 membres).

Diffuser une culture

L’Académie des technologies coproduit avec le groupe Effervescence Futuremag, le nouvel hebdomadaire bimédia et grand public consacré à l’innovation et diffusé sur ARTE (tous les samedis à 13h15 depuis le 1er février 2014).
En effet, l’ambition du programme – introduire le téléspectateur au monde de demain, et le réconcilier avec le progrès – nous a paru en parfaite adéquation avec notre mission qui est d’expliquer les évolutions technologiques et leurs impacts sur la société et de susciter des vocations scientifiques et techniques.

Le 22 juillet 2013 a été pro­mul­guée une loi rela­tive à l’enseignement supé­rieur et la recherche qui, dans son article 15, pres­crit la mise en place d’une stra­té­gie natio­nale de recherche qui « vise à répondre aux défis scien­ti­fiques, tech­no­lo­giques, envi­ron­ne­men­taux et socié­taux en main­te­nant une recherche fon­da­men­tale de haut niveau. Elle com­prend la valo­ri­sa­tion des résul­tats de la recherche au ser­vice de la société. »

La SNR s’est dotée d’un conseil stra­té­gique de la recherche (CSR) pré­si­dé par le Pre­mier ministre ou le ministre en charge de la Recherche, et qui compte par­mi ses membres plu­sieurs aca­dé­mi­ciens, dont le vice-pré­sident du CSR.

Un groupe de tra­vail, char­gé de la métho­do­lo­gie d’élaboration de la SNR, a été confié à l’Académie des tech­no­lo­gies ; il doit aider à déga­ger les lignes prin­ci­pales en matière de rai­son­ne­ment stra­té­gique et d’identification de défis ; éta­blir les cor­res­pon­dances entre les diverses approches (filières du Conseil natio­nal de l’industrie, plans de la nou­velle France indus­trielle, défis de la com­mis­sion Inno­va­tion 2030, pôles de com­pé­ti­ti­vi­té 3.0, etc.) ; défi­nir les cri­tères d’appréciation des feuilles de route à éta­blir et en déduire des cahiers des charges ; recher­cher les inter­ac­tions les plus per­ti­nentes avec les dif­fé­rents acteurs et notam­ment les par­te­naires socio-économiques.

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