L’accès aux données de santé : un enjeu de souveraineté et d’attractivité pour la France et l’Europe
Les avancées technologiques autour de la collecte, le contrôle et l’enrichissement des données issues du système de santé ouvrent de nouvelles perspectives pour la recherche, les autorités et les industries de santé. Romain Finas, Vice-Président, Real-World Evidence, au sein d’Alira Health, nous en dit plus.
Quels sont les métiers d’Alira Health ?
Alira Health s’est développée au fil d’acquisitions successives, pour proposer aux organismes de santé et de sciences de la vie un portefeuille de services et de technologies utiles à chaque étape du développement de leurs produits de santé. Nos équipes comptent près de 500 scientifiques, consultants, économistes, cliniciens et biostatisticiens en Europe, Amérique du Nord et en Asie-Pacifique. Nos interventions couvrent des domaines variés comme la définition d’un portefeuille de recherche, la cession ou l’acquisition de produits de santé, la réalisation d’essais cliniques, l’accompagnement à la mise sur le marché des produits de santé ou la transformation digitale des activités marketing et commerciales.
Vous accompagnez les industriels de santé à utiliser les données issues des soins courant aussi appelées données de vie réelle. À quoi servent-elles ?
Les données issues du soin courant permettent tout d’abord de comprendre l’épidémiologie et les parcours diagnostiques ou thérapeutiques des patients dans des conditions réelles de prise en charge ou d’utilisation des médicaments ou dispositifs médicaux.
Elles complètent les données des essais cliniques issues d’un cadre d’utilisation contrôlé, appliquant un protocole standard de traitement et de suivi sur un échantillon restreint de patients. Pour un industriel, cela permet à la fois de quantifier et qualifier les besoins médicaux non couverts, puis de modéliser l’impact et les bénéfices d’une innovation sur le système de santé. Une fois le produit mis sur le maché, les données de vie réelle permettent également de confirmer l’efficacité, ou la sécurité d’un médicament sur un échantillon plus large de patients.
Les données de vraie vie sont également devenues un outil précieux pour la recherche puisqu’elles permettent d’identifier les caractéristiques des patients qui ont développé une maladie, bien répondu, ou développé une résistance à un traitement.
L’utilisation des images, du séquençage génétique, des données du dossier médical sur de nombreux patients, permettent ainsi d’identifier des marqueurs diagnostics, pronostics ou de ciblage des traitements.
Quel est votre métier ?
La donnée de santé issue du soin est une donnée individuelle et donc sensible. Notre métier est d’être le tiers de confiance entre les industriels, les autorités et les patients pour réaliser des études issues des hôpitaux ou de l’assurance maladie. Comme bureau d’étude, nous intervenons à la demande d’industriels ou d’assureurs pour écrire les protocoles de recherche, accompagner le processus de déclaration ou de demande d’autorisation pour faire ces études, accéder ou collecter ces données, réaliser les analyses et les publications scientifiques.
Nous faisons souvent le constat que les informations nécessaires aux analyses sont incomplètes et ne permettent pas de répondre à la question de recherche. Notre deuxième métier, consiste donc à accompagner les sociétés savantes et les établissements de santé dans la définition de jeux de données répondants au besoin de recherche puis à organiser, opérer et aider à financer leurs entrepôts de santé qui serviront aux analyses.
Quel est le point de vue des agences d’évaluation des produits de santé et de veille sanitaire ?
L’usage des données de santé devient un outil majeur pour accélérer l’accès aux innovations thérapeutiques, et offriront bientôt la possibilité de réaliser les phases d’évaluations comparatives aux standards de prise en charge, non plus sur des données contrôlées mais sur des données des soins courants.
Des dispositifs particuliers en France dits d’accès précoces, permettent d’ores et déjà de mettre un produit sur le marché sous la condition de fournir des informations confirmant l’apport sur service médical rendu dans un délai d’un à deux ans. Ces informations permettront de définir le prix et le niveau de remboursement définitifs du produit, le prix temporaire ayant été défini lors d’une première négociation entre l’industriel et les autorités sur la base des données d’efficacité et de toxicité.
Pour accompagner cette transformation, la Haute Autorité de santé a émis en 2021 un guide pour développer l’usage des données dans l’évaluation des produits de santé. Une équipe dédiée est également en place depuis novembre 2021 pour renforcer l’usage de ces données dans les décisions de l’Agence.
Pour l’Agence nationale de la sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) c’est également la possibilité de mener des contrôles de pharmacovigilance en temps réel.
La combinaison des données de vie réelle en temps réel permet donc de mesurer l’efficacité et la sécurité des médicaments en même temps.
Qu’en est-il du point de vue du biostatisticien ?
Les données de vie réelle donnent accès à l’histoire de la maladie et des traitements de nombreux patients en associant des informations de natures totalement différentes : image, génomique, données cliniques… Le métier de biostatisticien, maintenant data scientist, évolue d’un travail descriptif sur des données homogènes (donnée du soin) à un rôle de chercheur de marqueurs prédictifs, issues de l’analyse de corrélations entre différentes caractéristiques comme le profil génétique d’une tumeur, et du patient répondeur ou résistant à un traitement par exemple. C’est toute la promesse d’une médecine plus personnalisée, préventive et prédictive qui implique une évolution du métier vers une démarche pluridisciplinaire impliquant médecins, bioinformaticiens, data scientists, quand 90 % des altérations tumorales dans les cancers n’ont pas encore de signification pour comprendre la genèse d’une tumeur.
Disposons-nous de suffisamment de bases de données en France et en Europe ?
En France, il existe près de 150 bases de données publiques ou privées, dont la colonne vertébrale est le SNDS, piloté par le Health Data Hub. Un patrimoine unique dans la compétition mondiale. Mais l’enjeu va être de le maintenir en adéquation avec les recherches en cours ce qui n’est pas simple.
D’un point de vue organisationnel tout d’abord, car la collecte de données de vraie vie ne peut se résumer à capter des informations sur des dossiers médicaux informatisés : il faut définir les modèles et standards de données communs à collecter. Cela nécessite un effort d’alignement et de prospective essentiel au risque d’avoir des entrepôts hétérogènes et donc non attractifs. Ensuite c’est un enjeu technologique et humain, car la donnée, pour être recevable, doit être contrôlée. Cela nécessite à la fois des moyens techniques pour maîtriser des flux importants d’information mais également humains pour corriger les erreurs ou compléter les données manquantes ; n’oublions pas que ces données sont produites durant l’exercice du soin. Rester dans la course nécessite donc de mobiliser des fonds importants, reposant à la fois sur une collaboration public-privé mais également de monétiser la transformation de cette donnée.
L’information des patients sur les recherches menées et la simplification des modalités de retrait des bases vont permettre de pérenniser la confiance de chacun dans l’utilisation et la monétisation de la transformation de nos données personnelles en base exploitables pour la recherche. Investir pour produire des données riches et précises devient également un enjeu stratégique : c’est à la fois un enjeu de souveraineté dans nos décisions d’accès et de contrôles des produits de santé, de transparence et enfin d’attractivité pour la recherche, vecteur d’innovations industrielles à venir. C’est également un enjeu européen car la diversité des normes, des modèles de données, mais également des règles des autorités d’évaluation pour rendre une donnée recevable, ne pourront différer d’un pays à l’autre sans décourager les industriels.
Plusieurs initiatives notamment menées par l’agence européenne du médicament ou le réseau des autorités d’évaluation visent à justement définir des règles de certification et faciliter l’accès aux données de manière homogène. La donnée de vraie vie est donc au cœur d’un enjeu géotechnique majeur dans la compétition mondiale dont il faut se saisir maintenant.