L’accord sur le temps de travail dans la métallurgie : un compromis équilibré pour l’emploi
L’UIMM (Union des industries métallurgiques et minières) a critiqué le projet de loi sur les 35 heures. Non parce qu’elle est hostile à la réduction du temps de travail en soi, mais parce qu’elle estime que, par son caractère obligatoire et uniforme, elle constitue une erreur économique tant dans sa conception (le partage malthusien du travail, id est un partage de la pénurie) que dans ses conséquences (l’augmentation des coûts salariaux) ; aussi risque-t-elle d’entamer la compétitivité des entreprises qui est le gage de l’emploi.
Une réduction de la durée du travail sans perte de salaire augmente en effet mécaniquement le coût du travail. Or celui-ci est en France l’un des plus élevés et sa progression a été l’une des plus rapides parmi les grands pays industrialisés. Dans une économie ouverte aux vents du large, toute mesure alourdissant les coûts de production réduit l’attrait du site industriel et risque de faire perdre des parts de marché, alors même qu’un salarié sur quatre travaille pour l’exportation. Il est faux de laisser croire que cet alourdissement serait compensé par les réserves de productivité qui n’ont rien d’un trésor caché mais qui doivent être, la plupart du temps, utilisées pour compenser la baisse des prix de vente.
L’environnement des entreprises devient en effet plus concurrentiel que jamais et les prix de vente industriels sont toujours orientés à la baisse. Ce qui oblige les entreprises à comprimer leurs marges. L’avènement de l’euro, en provoquant une comparaison instantanée des prix au niveau européen, accroît encore cette concurrence et l’élargit aux États dont les coûts de fonctionnement seront crûment révélés.
Aussi l’emploi devient-il de plus en plus vulnérable, et tout particulièrement l’emploi industriel, le plus exposé à la concurrence.
On constate malheureusement qu’une part croissante de l’activité des grandes entreprises, et donc de l’emploi qui en dépend, se délocalise hors de France. Ainsi une étude réalisée sur les 24 entreprises industrielles du CAC 40 fait ressortir que les trois quarts d’entre elles réalisent plus de 50 % de leurs profits à l’étranger ; ce pourcentage monte à 70 % pour 40 % d’entre elles. Concernant les investissements, sur 16 entreprises cotées au CAC 40, 90 % d’entre elles ont réalisé 50 à 90 % de leurs investissements à l’étranger.
La redistribution de l’emploi en découle mécaniquement. Sur 19 entreprises, 9 enregistrent une baisse de leurs effectifs en France (de 20, 40, 60 %) tandis que l’emploi créé à l’étranger augmente (de 20 à 80 %, voire 200 à 300 %). Et lorsque les effectifs progressent à la fois à l’intérieur et à l’extérieur de nos frontières, la hausse est beaucoup plus forte à l’étranger.
Certes le CAC 40 ne reflète pas toute notre économie et ces résultats doivent être nuancés ; ils n’en révèlent pas moins une tendance lourde : en se mondialisant, l’industrie française est, comme bien d’autres, fatalement attirée par les sites où les charges sont moins élevées.
Au surplus, la France a la durée annuelle du travail la plus faible du groupe des sept grands pays à l’exception de l’Allemagne. Si l’on calcule, par exemple, cette durée sur la vie, compte tenu d’un taux d’activité particulièrement bas en France, on s’aperçoit qu’à la fin de sa vie un Américain aura travaillé 50 % de plus qu’un Français.
En revanche, dans le cadre d’un aménagement du temps de travail négocié au plus près des entreprises, la réduction devient possible comme contrepartie d’une modulation des horaires et, de ce fait, des efforts de disponibilité demandés aux salariés. Et cet aménagement est favorable à la compétitivité et donc à l’emploi.
Enfin les leçons du passé, ainsi que les expériences étrangères, montrent que la réduction du temps de travail n’est pas en elle-même créatrice d’emplois. Ainsi dans la métallurgie allemande, la réduction de l’horaire hebdomadaire de 38,35 heures à 35 heures entre 1987 et 1996 s’est accompagnée d’une réduction des effectifs de 15,8 %. Dans le même temps, et en dépit du maintien de l’horaire à 38,5 heures, la métallurgie française a vu ses effectifs baisser de 11,7 % seulement.
C’est pourquoi l’UIMM s’est élevée contre une loi dangereuse car, loin de créer des emplois, elle risque au contraire d’augmenter le chômage et l’exclusion.
Le cadre de la négociation
Au lendemain de la promulgation de la loi du 13 juin 1998, l’UIMM a estimé qu’il était du devoir des partenaires sociaux de reprendre l’initiative. Respectueuse de la loi, elle a proposé, dans l’intérêt général et celui des salariés en particulier, une modernisation négociée des accords collectifs de branche, axée sur la maîtrise des coûts et l’aménagement-réduction du temps de travail.
La préoccupation essentielle de l’UIMM était la sauvegarde de la compétitivité des entreprises dans le but de maintenir l’emploi sur le site industriel français et si possible de le développer.
L’accord signé le 28 juillet 1998 entre l’UIMM d’une part, Force Ouvrière, la CFE-CGC et la CFTC d’autre part, ne « contourne » ni ne « pervertit » la loi du 13 juin. Bien au contraire, il en permet l’application et lui donne un contenu. Il s’inscrit dans le cadre de la réduction de la durée légale du travail à 35 heures et en facilite la mise en œuvre sans mettre en péril l’activité des entreprises. Car l’aménagement du temps de travail est un ballon d’oxygène qui permet d’amortir les coûts supplémentaires induits par cette réduction.
L’accord fixe les conditions dans lesquelles les entreprises de la métallurgie pourront adapter leur horaire à la nouvelle durée légale de 35 heures dès son application. C’est pourquoi la date d’entrée en vigueur de l’accord est identique à celle de la durée légale de 35 heures : le 1er janvier 2000 ou 2002 selon l’effectif de l’entreprise.
Les négociations se sont inscrites dans le droit fil de la loi du 13 juin qui, précise le ministère, « indique un cap et fixe un cadre pour donner le champ le plus large à la négociation ». Elles ont porté sur les conséquences, pour les entreprises et leurs salariés, de l’article 1 de la loi – la réduction de la durée légale hebdomadaire au 1er janvier 2000 – et non pas sur l’article 3, article qui prévoit des incitations financières pour les entreprises négociant de façon anticipée. D’où peut-être un malentendu : on nous a reproché de n’avoir pas envisagé la création d’emplois dans l’accord. Mais l’emploi ne se décrète pas, ni par la loi ni par la branche. Et aucun accord de branche intervenu depuis celui de l’UIMM ne prévoit de création d’emplois.
L’emploi résulte d’un ensemble de facteurs soit attractifs soit dissuasifs. Ce sont les entreprises qui créent la richesse et donc l’emploi. La branche, elle, a le devoir de se battre pour assurer les conditions les plus favorables à l’emploi dans un cadre législatif donné. C’est exactement ce qu’ont fait les signataires de l’accord. Aux entreprises de saisir les opportunités offertes en concluant à leur niveau des accords qui intègrent tout ou partie des dispositions de l’accord du 28 juillet.
L’accord du 28 juillet 1998 est un compromis, fruit d’un dialogue constructif entre des partenaires sociaux responsables soucieux de concilier réduction du temps de travail et compétitivité des entreprises dans le respect de la loi – ainsi rendue applicable -, des personnes… et des exigences du client, lequel est aussi un décisionnaire de l’entreprise.
C’est un vrai accord, signé avec trois syndicats représentatifs, et qui est adapté à la diversité des entreprises qui peuvent y puiser les souplesses de gestion nécessaires au maintien de leur activité et donc de l’emploi.
Audacieux et innovant, cet accord est également équilibré ; il tente de répondre à la fois aux besoins des entreprises (faire face aux à‑coups d’une demande de plus en plus fluctuante) et aux aspirations des salariés (accéder à des horaires plus individualisés).
C’est un accord d’aménagement-réduction du temps de travail qui met en harmonie le droit avec la réalité des nouveaux modes de travail ; parallèlement il encourage l’effort de formation et facilite le départ à la retraite des salariés âgés. Enfin il donne un élan nouveau à la politique contractuelle.
L’aménagement-réduction du temps de travail
La sauvegarde de la compétitivité est une contrainte de survie pour l’entreprise et l’emploi de ses salariés. Cette sauvegarde passe par l’aménagement du temps de travail dont l’annualisation est la forme la plus appropriée. Les entreprises doivent pouvoir faire travailler les salariés quand il y a du travail. Mieux vaut en effet, en cas de baisse des commandes, diminuer les horaires que les effectifs. À l’inverse, en cas de surcharge inopinée, il faut pouvoir augmenter les durées d’utilisation des équipements sans trop de surcoûts.
Pour aider les entreprises à répondre aux fluctuations de plus en plus rapides de la demande, tout en leur permettant d’adapter leur horaire de travail effectif à la nouvelle durée légale de 35 heures, il fallait revoir la durée du travail hebdomadaire, le régime des heures supplémentaires, adapter la possibilité de décompter l’horaire sur l’année à la nouvelle durée légale de 35 heures, enfin améliorer le système du compte épargne-temps.
L’accord a prévu de pouvoir remonter la durée maximale hebdomadaire de 46 à 48 heures, limite autorisée par le Code du travail, afin de faciliter, en cas de besoin, le travail du sixième jour. Mais parallèlement, la durée maximale hebdomadaire sur douze semaines consécutives est réduite de 44 à 42 heures.
Le contingent d’heures supplémentaires utilisable est élargi pour répondre aux exigences de la production, tout en permettant une réduction réelle du temps de travail effectif dans l’année.
Actuellement un salarié de la métallurgie qui serait à 35 heures par semaine est susceptible d’effectuer encore 282 heures dans l’année (soit 188 heures résultant de l’écart entre 35 et 39 heures multiplié par 47 semaines, et 94 heures résultant du contingent conventionnel actuel d’heures supplémentaires). Ce salarié a donc bien aujourd’hui, au-delà de 35 heures par semaine, un potentiel d’heures travaillées utilisables dans l’année de 282 heures.
Au 1er janvier 2000, ce potentiel sera ramené à 180 heures par an et par salarié (150 en cas de décompte sur l’année), soit 102 heures de moins qu’aujourd’hui. Telle est la réalité qui sera vécue dans nos entreprises.
D’autre part, l’accord du 7 mai 1996 dans la métallurgie avait prévu que les entreprises pourraient décompter le temps de travail sur l’année en respectant bien entendu les durées maximales (journalière et hebdomadaire). L’accord du 28 juillet a confirmé cette disposition en l’aménageant compte tenu de la nouvelle durée légale de 35 heures. Dans ce cadre, les salariés ont la garantie de ne pas travailler plus de 46 semaines par an, soit l’équivalent d’une semaine supplémentaire de congé par rapport aux droits à congé résultant strictement de la loi.
Enfin le compte épargne-temps, qui permet de capitaliser des congés non pris dans le cours de l’année et certains éléments de salaire en vue de la prise d’un congé de longue durée, constitue un élément supplémentaire de souplesse dans la gestion du temps de travail. Il est donc un facteur favorable à l’emploi, dans la mesure où les salariés qui prendront ce congé seront remplacés dans la plupart des cas.
L’harmonisation du droit et de la réalité des nouvelles modalités de travail
L’horaire fixe est de moins en moins adapté à la réalité du travail, profondément modifiée en cette fin de siècle, et le travail prend de plus en plus souvent des formes autonomes. Un nombre croissant de salariés accomplissent leur mission en étant déconnectés d’un horaire hebdomadaire rigide. Les textes conventionnels ont reconnu cette nécessité en instituant le forfait.
L’accord du 28 juillet ouvre la possibilité de proposer à certaines catégories de salariés deux nouvelles formules de forfait de rémunération – forfait annuel assis sur une base annuelle individuelle de 1 932 heures maximales et forfait à la mission sans référence horaire – qui coexisteront parallèlement à la formule de forfait actuel assis sur un horaire hebdomadaire qui permet d’inclure le paiement de la rémunération des heures supplémentaires dans la rémunération mensuelle. Dans ces cas, il est prévu des contreparties : majoration des minima conventionnels, congés supplémentaires, etc.
Dans les deux cas, l’application de ces forfaits suppose que le salarié ait une certaine autonomie dans l’organisation de son travail et qu’il soit pleinement d’accord. L’UIMM a donc pris en compte la réalité du travail de l’encadrement et, compte tenu du fait que 90 % des entreprises de la branche métallurgie ont moins de 50 salariés, l’accord permet effectivement l’application d’un forfait aux agents de maîtrise qui jouent souvent dans les PMI un rôle équivalent aux cadres dirigeants dans les grandes entreprises.
L’encouragement à la formation
La réduction de la durée légale du travail risquait de remettre en cause les activités de formation. Il convenait donc de fixer les dispositions qui au contraire faciliteraient leur essor.
Ainsi, après avoir explicité le principe selon lequel le temps de formation n’est pas du temps de travail effectif, l’accord prévoit que le temps passé en formation pendant l’horaire habituel de travail sera rémunéré sur la base du salaire réel au taux normal. Le temps passé en formation en dehors de l’horaire habituel de travail sera rémunéré obligatoirement par l’entreprise si la formation constitue un effort important représentant plus de cinquante heures par an ou cent heures s’il s’agit d’une formation diplômante ou qualifiante. Il s’agit alors d’un co-investissement. Le fait que l’accord prévoie que la formation soit obligatoirement payée à partir de la 51e heure ou de la 101e heure n’interdit évidemment pas de le faire avant.
La sauvegarde de la politique contractuelle, garante de la paix sociale
La vocation des branches professionnelles en général, et de l’UIMM en particulier, est de rechercher par un dialogue constructif les voies et moyens d’une modernisation de l’organisation du travail en vue de préserver la compétitivité des entreprises et de l’emploi qui en dépend.
Dans l’hypothèse d’un constat d’échec des négociations, l’UIMM aurait été contrainte de dénoncer, à son corps défendant, les engagements collectifs antérieurs.
L’accord du 28 juillet a écarté le danger d’une telle dénonciation et consolidé les garanties collectives.
En sauvant la politique contractuelle et en lui redonnant un nouvel élan, les partenaires sociaux ont encore une fois prouvé la pertinence de la négociation pour adapter le droit à la réalité en servant l’emploi.
L’accord de la métallurgie a suscité un certain nombre de faux procès. Nos détracteurs se sont notamment évertués à tenter de nous opposer l’accord conclu dans le textile. La vérité est que non seulement la philosophie de l’accord métallurgie et de l’accord textile est la même mais que le contenu des deux accords est quasi identique.
Le contingent d’heures supplémentaires est du même ordre de grandeur – 180 heures dans la métallurgie, 130 heures apparemment dans le textile mais, en réalité, pour la quasi-totalité des entreprises qui en auraient besoin 175 voire 205 heures.
L’ancien système de modulation maintenu par l’accord textile équivaut au mécanisme d’annualisation dans la métallurgie ; les forfaits sans référence horaire sont de même nature ; enfin, l’accord n’est applicable de facto qu’au 1er janvier 2000.
L’UIMM est respectueuse de la loi. En ouvrant très vite les négociations, elle s’est efforcée de tirer le bien du mal. Et, faisant foin de toute idéologie, elle s’est efforcée de construire, avec ses partenaires, un texte qui permet d’optimiser l’organisation du travail et l’utilisation des équipements.
Car s’efforcer de compenser le renchérissement des coûts salariaux résultant d’une loi contraignante pour préserver la compétitivité des entreprises, et dans toute la mesure du possible le pouvoir d’achat des salariés… c’est précisément se battre pour maintenir l’emploi en France, combattre le chômage et l’exclusion.
Au surplus l’accord du 28 juillet est un texte qui éclaire l’avenir ; il devrait faire avancer la deuxième loi, en traitant de problèmes qui ne sont pas aujourd’hui résolus, notamment concernant l’encadrement.
Quant à l’extension, nulle raison valable ne peut s’y opposer. Il n’y a pas de syndicat minoritaire, il n’y a que des syndicats représentatifs. Et notre accord s’inscrit parfaitement dans le cadre de la loi du 13 juin.
En conséquence, il serait extrêmement dommageable que la deuxième loi prévue à l’automne 1999 ne valide pas l’accord conclu dans la métallurgie. Ce serait d’ailleurs en contradiction complète avec les engagements pris par le ministère de l’Emploi et de la Solidarité : « Non seulement les accords signés ne seront pas remis en cause, mais plus encore ils inspireront la deuxième loi après un premier bilan à l’été 1999. » Et si notre accord n’était pas validé, la question de la remise en cause des avantages conventionnels consentis dans le cadre d’une durée légale supérieure à 35 heures reviendrait à l’ordre du jour.
Les pouvoirs publics ne sauraient se dérober à la confrontation avec le principe de réalité dont se nourrit le dialogue social. Car, en définitive, c’est le terrain qui donne sa pleine validité à une politique contractuelle vivante, garante de la paix sociale.