« L’adaptation au changement climatique est aujourd’hui l’affaire de tous »
Le changement climatique et l’accélération et intensification des événements et phénomènes naturels soulèvent de nouveaux enjeux en matière de gestion des risques, notamment industriels. En parallèle, dans la recherche de l’atténuation du réchauffement climatique, se posent aussi des questions relevant de la transition du pays vers l’économie circulaire ou encore de sa souveraineté. La Direction générale de la prévention des risques du ministère de la Transition écologique est mobilisée sur l’ensemble de ces sujets et enjeux afin d’accompagner l’ensemble de ces parties prenantes en faveur d’une meilleure gestion des risques. Son directeur général, Cédric Bourillet (X97), nous en dit plus.
Présentez-nous votre direction et son périmètre d’action.
La direction générale de la prévention des risques est rattachée au pôle ministériel de la Transition Écologique. Son action s’articule autour de 4 missions :
- la prévention des risques industriels et des pollutions industriels : les risques liés aux émissions industrielles des usines, des centrales nucléaires, au transport de matières dangereuses, aux canalisations, à l’activité minière ;
- les risques naturels : les inondations, la submersion marine, les incendies de forêt, les séismes, les avalanches, le volcanisme, les glissements de terrain ;
- la santé environnement : les dégradations de l’environnement qui peuvent impacter la santé humaine (produits chimiques, qualité de l’air, OGM, bruit, ondes électromagnétiques, pollutions lumineuses…) ;
- l’économie circulaire et la gestion des déchets.
Au sein de la direction, nous nous appuyons sur 230 personnes au niveau national et plus de 3 500 dans les services déconcentrés sur le terrain. Nous réglementons et surveillons plus de 500 000 installations industrielles ainsi que 50 000 kilomètres de canalisations de transport de matières dangereuses et plusieurs centaines de milliers de kilomètres de réseaux de distribution de gaz. C’est aussi 22 opérateurs de l’État qui interviennent en appui de la politique de la DGPR, comme Météo France…
À la tête de cette direction, quelles sont les grandes lignes de votre feuille de route ?
Au cœur de nos priorités, on retrouve bien évidemment l’adaptation au changement climatique qui va avoir des impacts sur les risques naturels (aggravation du risque d’incendies de forêt, hausse du niveau de la mer et du risque de submersion, sécheresse…) qui entraînent de nouveaux enjeux en termes de sécurité pour les populations, les équipements publics et les entreprises ; avec une aggravation possible sous forme d’accident ou de pollution pour les industriels manipulant des substances dangereuses.
En parallèle, nous sommes mobilisés par la transition de la France vers une économie circulaire. Dans ce cadre, nous travaillons notamment sur la réduction, voire la suppression des gaspillages mais aussi de la pollution plastique. Puis un allongement de la durée de vie des objets avant, en fin de vie, un meilleur recyclage, pour réduire notre empreinte environnementale et renforcer notre souveraineté afin de ne pas être dépendants de puissances étrangères pour notre approvisionnement (par exemple en métaux critiques dont les terres rares).
Nous protégeons aussi la santé des Français. Nous essayons de promouvoir une meilleure culture du risque et sensibilisation des populations en capitalisant notamment sur des outils digitaux comme les sites internet, les applications mobiles… Par exemple, sur le risque de crues, nous avons lancé cette année une application pour informer et notifier aux abonnés à proximité d’un cours d’eau de l’éventuelle montée des eaux. Le 13 octobre 2022, nous avons organisé la première édition de la Journée Nationale de la Résilience pour sensibiliser le grand public aux différents risques et les informer sur les bons gestes à adopter si ces risques se concrétisent.
Revenons sur l’accélération du changement climatique et ses impacts qui ont nettement marqué l’année 2022. Que retenez-vous de cette période ? Quels sont les risques que cette situation a entraînés notamment pour les sites industriels ?
Les incendies de forêt sont un des principaux risques auxquels nous avons été confrontés en 2022. Ils impliquent des risques naturels, des enjeux de protection des personnes, des biens et de la biodiversité. Aujourd’hui, ces incendies ne touchent plus uniquement le pourtour méditerranéen. C’est tout le territoire national qui est exposé. Toutefois, 9 incendies sur 10 sont d’origine humaine. Le risque naturel d’incendie n’est donc pas une fatalité, même si le réchauffement climatique complexifie, bien évidemment, la situation. La sensibilisation et la promotion des bonnes pratiques restent ainsi une priorité absolue !
Les sites industriels sont aussi exposés à ce risque. En 2022, lors du grand incendie de La Teste de Buch, le feu a encerclé un site de stockage d’hydrocarbures, et, dans le Vaucluse, le feu a pris sur la végétation autour d’un dépôt d’explosifs. Dans ces deux situations, les scénarios avaient été anticipés et les actions déployées ont été très efficaces. C’est une confirmation de la pertinence de notre stratégie et il s’agit donc de l’étendre à l’ensemble du territoire national, tout en cherchant à l’améliorer encore.
Au-delà, le réchauffement climatique entraîne aussi une hausse du niveau de la mer et des submersions marines, beaucoup plus violentes que par le passé tandis que des débordements des cours d’eau vont évoluer par rapport à ce qu’on connaît à ce jour. C’est un risque pour les populations et les sites industriels implantés dans les zones portuaires ou à proximité de cours d’eau. L’enjeu est donc de prendre les bonnes dispositions pour protéger l’existant contre ces aléas dont la fréquence et l’intensité ont vocation à évoluer au cours des prochaines années, mais aussi de repenser la localisation des prochaines implantations ou bien leur conception pour optimiser leur résilience.
En 2023, quels sont les axes prioritaires que vous avez identifiés pour faire face à ce nouveau contexte ?
Pour lutter contre les incendies de forêt, nous avons mis en place plusieurs actions. En avril dernier, nous avons ainsi distribué une plaquette pédagogique d’information et de sensibilisation à plus de 2,3 millions de foyers vivant à proximité de forêts. À l’initiative de la Présidence de la République, une météo des forêts est dorénavant disponible sur tous les grands médias, entre début juin et l’automne, afin d’avoir une information fiable sur le niveau de risque durant cette période propice aux incendies de forêt.
En parallèle, nous avons aussi transmis à chaque département une carte de l’exposition de leur territoire à ce risque à une très fine échelle de l’ordre du quartier et de la rue. Pour ce faire, nous avons travaillé avec une start-up innovante : à partir de l’analyse d’images satellites, nous sommes, en effet, en mesure de déterminer où se trouvent les massifs forestiers, la densité de leur végétation, le climat, l’exposition au soleil… afin de déduire la sensibilité de chaque parcelle à de potentiels incendies.
« Nous avons aussi lancé une campagne d’information sur la période estivale pour promouvoir les bons comportements pour éviter de faire débuter un feu. »
Nous avons aussi lancé une campagne d’information sur la période estivale pour promouvoir les bons comportements pour éviter de faire débuter un feu, pour se mettre à l’abri, pour prévenir les pompiers… La campagne est relayée sur les réseaux sociaux, dans la presse, mais aussi au travers d’affichages urbains et dans le cadre de nos partenariats avec de nombreuses radios.
Au niveau des installations industrielles, nous avons deux priorités : la décarbonation et l’atténuation du changement climatique. Dans ce cadre, le Gouvernement a lancé une première action prioritaire visant les 50 plus grands sites émetteurs de gaz à effet de serre ainsi qu’une action de fond pour accompagner 20 000 TPE et PME dans leurs démarches de décarbonation. Nous menons aussi des actions en matière de sobriété sur l’eau. Pour les 50 sites industriels les plus consommateurs d’eau, nous les accompagnons sur ce volet tout au long de l’année, mais aussi avec des actions renforcées en période de sécheresse. De la même manière, nous travaillons avec les TPE et les PME afin d’optimiser leur gestion de la ressource en eau, notamment en période de sécheresse.
Au-delà des risques que pose le changement climatique, quels sont les autres sujets et enjeux qui mobilisent votre direction ?
Nous avons mis en place un plan d’action en janvier dernier sur les PFAS qui prévoit des campagnes de mesure afin de réduire leurs émissions sur les sites concernés. Nous travaillons actuellement sur une stratégie nationale pour les perturbateurs endocriniens de troisième génération afin de renforcer l’effort de sensibilisation, de recherche, de réduction et de substitution au bénéfice des industriels. Nous sommes mobilisés en faveur de la réduction de la quantité totale utilisée des produits phytopharmaceutiques, communément appelés les pesticides agricoles, ainsi que la substitution voire l’interdiction de ceux qui sont trop dangereux. D’ailleurs, cette année, à un niveau européen, la France doit de nouveau se prononcer sur l’approbation du glyphosate sur notre continent.
En matière d’économie circulaire et de réduction de la pollution plastique, nous menons des actions à un niveau national et international. En mai dernier, par exemple, la France a ainsi accueilli une session de négociation pour l’élaboration d’un traité international sur le plastique. À une échelle nationale, une démarche de concertation est en cours pour explorer les différentes pistes et alternatives pour éviter les pollutions plastiques (interdiction de certains plastiques à usage unique, mise en place de dispositifs pour inciter à trier et recycler comme la consigne,…). Des initiatives sont prises également pour prolonger la durée de vie (fonds pour subventionner les réparations pour les particuliers, par exemple).
« Nous avons prévu de réaliser une nouvelle génération de cartes du bruit et de l’exposition au bruit dans les agglomérations et autour des grands axes de transport. »
Nous travaillons aussi sur le bruit : nous cherchons à mieux le tracer et le mesurer pour prendre en compte les bruits intermittents, notamment liés aux vibrations lors du passage des métros ou des trains, dont certains acteurs estiment qu’ils ne sont pas suffisamment représentés par nos indicateurs et nos études d’impact, et donc par les décisions politiques à l’heure actuelle. Nous avons aussi prévu de réaliser une nouvelle génération de cartes du bruit et de l’exposition au bruit dans les agglomérations et autour des grands axes de transport afin de rédiger des plans d’action adaptés visant à la réduction de la pollution sonore.
En Outre-Mer, nous avons avancé sur les travaux relatifs à la protection sismique. Dans cette zone particulièrement exposée au risque sismique, nous avons eu une forte accélération des actions visant à renforcer les bâtiments existants avec un focus sur les écoles, les centres de gestion de crise, les centres hospitaliers, les logements collectifs… Nous cherchons aussi à mieux prendre en compte le risque cyclonique avec des travaux en cours pour optimiser la conception paracyclonique des nouveaux bâtiments.
Dans cette démarche, qui sont vos principaux partenaires ?
Nous collaborons avec un vaste écosystème de partenaires.
Nous travaillons avec les acteurs économiques : le monde industriel et agricole, les fédérations professionnelles sur le risque industriel, par exemple, ou les questions relatives aux produits chimiques et à l’économie circulaire.
Avec les collectivités locales, nous travaillons sur différents sujets : la gestion des déchets, l’économie circulaire, la prise en compte et la prévention des risques naturels notamment en matière d’aménagement…
Nous collaborons aussi avec des associations environnementales dans une démarche de réflexion partagée, mais aussi parce qu’elles agissent aussi en qualité de lanceurs d’alerte et de relais pour nos actions de sensibilisation auprès du grand public.
« Nous collaborons avec un vaste écosystème de partenaires. »
Les parlementaires nous sollicitent régulièrement pour garantir la bonne prise en compte d’un certain nombre de dispositifs dans les lois. À titre d’exemple, nous avons connu ces derniers mois des travaux parlementaires sur un phénomène du réchauffement climatique dont les effets ne sont pas immédiats, mais qui, à long terme, va générer des dommages importants. Il s’agit du phénomène de retrait-gonflement de l’argile qui est une conséquence de la sécheresse et se manifeste par des fissures dans les bâtiments et les habitations. Sur ce sujet, de nombreuses évolutions sont en cours sur le plan législatif. Dans ce cadre, nous avons des contacts récurrents avec les parlementaires pour trouver des solutions pertinentes.
Nous échangeons aussi régulièrement avec les autorités européennes. En effet, de nombreux domaines de compétence de ma direction générale relèvent de l’Europe. C’est notamment le cas du domaine des produits chimiques, des risques industriels, du bruit, des techniques génomiques ou encore des produits phytosanitaires. Au-delà du travail avec les institutions européennes, nous avons des échanges bilatéraux avec nos homologues d’autres pays européens qui nous permettent de capitaliser sur leur retour d’expérience et leurs bonnes pratiques pour mieux appréhender ces sujets en France.
Nous travaillons aussi avec les autres ministères et les opérateurs de l’État qui apportent une expertise technique et scientifique.
En parallèle, de manière plus ponctuelle, nous échangeons avec des réseaux d’experts, des universitaires, de scientifiques, ainsi que des agences internationales d’expertises comme l’OMS.
Qu’en est-il du niveau de maturité de l’ensemble des parties prenantes ? Quels sont les freins qui persistent et les axes d’amélioration que vous avez identifiés ?
Globalement, nos parties prenantes sont bien conscientes des enjeux. En matière de changement climatique, pour être en mesure d’agir, il y a encore des zones d’ombres scientifiques qu’il nous faut lever. Parmi ceux-ci, on peut citer les risques d’origine glaciaire et périglaciaire qui se manifestent en montagne. Ces risques sont liés au fait que l’isotherme 0°, qui représente l’altitude minimale à laquelle la température atteint la valeur de 0° dans une atmosphère libre, ne cesse de remonter dans les massifs montagneux sous l’effet de changement climatique. Cette situation peut notamment libérer des matériaux qui étaient liés solidement entre eux, ou entraîner la création de poches d’eau sous les glaciers qui peuvent céder sous la pression de l’eau et provoquer des vagues meurtrières. C’est un risque qui se présente sous un jour nouveau, que nous devons étudier et mieux comprendre afin de mieux l’anticiper, le prévenir et y faire face.
« Avec les collectivités locales, nous devons trouver le meilleur équilibre entre l’adaptation aux risques naturels, d’une part, et la prise en compte des besoins de développement, de modernisation ou d’amélioration du cadre de vie. »
Nous sommes parfois confrontés à des divergences avec les industriels sur le rythme d’adaptation. Ces derniers, sans contester l’objectif visé, s’inquiètent de la distorsion de la concurrence et de leur capacité à financer les investissements rendus nécessaires par le changement climatique. Avec les collectivités locales, nous devons trouver le meilleur équilibre entre la nécessaire adaptation et prudence vis-à-vis des risques naturels, d’une part, et la prise en compte, d’autre part, des besoins de développement, de modernisation ou d’amélioration du cadre de vie dans un contexte marqué par les contraintes en termes de zéro artificialisation nette des sols.
Sur la question de l’économie circulaire et de la gestion des déchets, l’enjeu est de se doter d’une stratégie qui nous permettra d’avoir une boucle qui ne consommera quasiment plus de ressources et qui permettra de réduire au minimum la pollution environnementale, et plus particulièrement plastique. Plusieurs pistes sont ainsi possibles : miser sur un meilleur ré-emploi, une bonne collecte et un bon recyclage ou bien renoncer tout simplement à ce matériau et à ce type d’usage. Ces deux pistes sont porteuses de bénéfices et de contraintes qui diffèrent selon la partie prenante concernée. Dans ce cadre, nous avons un rôle d’arbitre à jouer pour faire converger des visions ou des intérêts différents, voire opposés.
Quelle place occupe la technologie ? Explorez-vous des pistes en particulier ?
Aux côtés des solutions fondées sur la nature, la technologie est une des réponses en matière de prévention. Si ce n’est pas la seule solution, la technologie peut nous aider à améliorer les processus et les techniques industriels ou à mieux connaître les risques naturels et détecter encore plus en amont les phénomènes climatiques.
En matière d’économie circulaire, nous capitalisons sur les nouvelles technologies pour aller vers plus de recyclage et moins de refus de tri ce qui permettra de réduire le volume de déchets en décharge ou destiné à l’incinération.
La technologie nous permet aussi de développer de nouveaux usages. Dans le cadre de notre rôle historique d’alerte et de protection des populations contre les risques naturels et industriels, depuis 2022, le Gouvernement déploie ainsi un nouvel outil, FR-Alert, qui permet d’envoyer des SMS géolocalisés et de déclencher à distance une sonnerie pour alerter les populations locales, les individus de passage et même les touristes d’un risque imminent et de les tenir informés de l’évolution de la situation.
Enfin, nous avons commencé à utiliser l’intelligence artificielle sur des cas d’usages de détection d’activités économiques illégales (physiques ou en ligne), de prévisions des crues… De nombreux autres projets sont prévus toujours afin d’augmenter et d’améliorer notre capacité à prévenir et gérer ces différents risques.
Qu’en est-il de la dimension humaine ? Quels sont les profils et les talents et les compétences que vous recherchez pour renforcer vos équipes ?
Pour bien gérer les risques, nous avons besoin de profils diversifiés. En effet, nous avons besoin de pouvoir confronter des visions et des approches différentes, mais souvent complémentaires. Dans cette logique, notre politique de recrutement est donc assez diversifiée. En termes de compétences, nous recrutons essentiellement des profils techniques qui ont une connaissance des procédés, des territoires et de l’urbanisme, de la question de la santé environnement, des systèmes d’information… Nous recrutons aussi des profils qui ont une formation en sociologie dans le cadre de notre rôle de sensibilisation du grand public et de l’ensemble de nos parties prenantes, juridique ou qui ont une connaissance des codes diplomatiques pour nos échanges avec nos homologues européens et internationaux.
Sur ces sujets et enjeux, quelles sont les pistes de réflexion que vous pourriez partager avec nos lecteurs ?
L’adaptation au changement climatique est aujourd’hui l’affaire de tous. Chacun, à notre place aussi bien dans le cadre familial, social que professionnel, devons adopter les bons réflexes et la bonne attitude pour rendre notre société toujours plus résiliente.
À une autre échelle, nous devons faire en sorte que le mouvement de réindustrialisation de la France souhaité apporte une richesse collective au pays tout en limitant son impact environnemental. Et, je pense que la communauté polytechnicienne qui est très impliquée sur ces sujets et enjeux peut être d’un très grand appui dans cette démarche !
Enfin, la sobriété ne doit pas être perçue comme un dépérissement ou un refus du progrès, mais plutôt comme une alternative pour gagner en efficacité, faire les bons choix technologiques, renforcer notre souveraineté et développer la résilience (notamment environnementale) de notre territoire.