L’aéroport bloquera-t-il le développement du transport aérien ?
L’aéroport est un élément essentiel du système de transport aérien. Face à l’accroissement spectaculaire et continu de l’aéronautique civile commerciale, l’aéroport devient souvent l’élément saturant du système, générateur de retards au décollage et à l’atterrissage et donc de pertes financières pour les compagnies aériennes.
La présence d’acteurs multiples dans la gestion des aéroports rend son évolution difficile à prédire et gérer. Néanmoins, l’évolution des techniques de communication et de navigation, ainsi que la volonté des acteurs de développer un partenariat plus poussé rendent cette évolution possible par l’introduction de systèmes de gestion du trafic à long terme et une meilleure gestion des “ fenêtres d’opportunité ” à court terme.
Vue aérienne d’Orly © G. CABOU/AÉROPORTS DE PARIS
L’aéroport est le point critique du système de transport aérien commercial, où passagers et fret (qui sont la raison d’être de ce système et des organismes qui le régulent) rejoignent ou quittent l’avion et son équipage.
De la bonne gestion de l’aéroport dépend en grande partie le succès du transport aérien commercial. En effet, la croissance actuelle du système mène souvent les aéroports à être l’élément saturant du système.
Aux États-Unis, les compagnies aériennes estiment qu’environ 90 % des retards subis par les vols réguliers sont imputables à l’aéroport et son environnement immédiat, la zone terminale.
En Europe, la présence d’un trafic aérien pour moitié en phase d’ascension ou de descente, couplée avec une politique d’équipement en aéroports nouveaux, tend à réduire ce pourcentage. La congestion des aéroports est néanmoins largement ressentie dans le trafic à destination ou provenant de Londres-Heathrow ou Francfort.
Face à ces nouveaux besoins, plusieurs options sont envisageables. On peut tout d’abord construire de nouveaux aéroports. Cet exercice se révèle toutefois périlleux : bien que générateur d’une extraordinaire activité économique, un aéroport construit près d’une grande ville est souvent mis à l’index par les communautés riveraines en raison des nuisances sonores. À l’inverse, la construction d’aéroports situés à grande distance des villes est souvent un pis-aller, nécessitant l’installation d’infrastructures lourdes permettant le transit rapide des passagers de l’aéroport vers la ville et vice versa. Par ailleurs, le développement d’un aéroport nouveau nécessite environ vingt ans depuis sa conception jusqu’à sa mise en service, une période de temps probablement trop longue quand on considère la croissance actuelle du trafic aérien à court terme.
Une solution complémentaire, l’amélioration de l’exploitation des aéroports existants, si elle est possible, est probablement une voie économiquement et politiquement plus raisonnable. Dans cet article, on se concentre donc essentiellement sur les façons d’améliorer le mouvement des avions autour de l’aéroport, gardant néanmoins à l’esprit qu’une description complète de l’aéroport doit aussi considérer les aspects liés au confort du passager et à la gestion des accès au terminal. Cette restriction faite, le fonctionnement d’un aéroport peut être décrit par les contraintes affectant l’espace aérien d’approche, les pistes de décollage et d’atterrissage, les taxiways et les portes d’embarquement. Il est aussi décrit par les besoins des hommes chargés de sa gestion. On identifiera donc les problèmes qui se posent à ces différents niveaux, puis les moyens de modélisation et les améliorations en cours.
Les relations gouvernant le fonctionnement d’un aéroport sont très complexes, avec plusieurs échelles de temps, de multiples sources d’information et des points de contrôle multiples. En conséquence, seule une approche de type » système » est vraiment capable d’exprimer la nature de ces interactions complexes et en déduire des mécanismes de gestion efficaces.
Dynamique et contraintes associées à la gestion des aéroports
Aspects macroscopiques
À l’échelle du système de transport aérien dans son ensemble, la performance d’un aéroport est définie par sa capacité, mesurée en termes de volume d’opérations combinées (décollages et atterrissages) pouvant être effectuées par heure sans délais excessifs.
Figure 1 |
Enveloppe de capacité pour des conditions météorologiques données. Cas du grand aéroport américain utilisant plusieurs pistes sur lesquelles décollages et atterrissages peuvent être combinés. |
Figure 2 |
Enveloppe de capacité pour des conditions météorologiques données. Cas du grand aéroport européen fonctionnant constamment en conditions de vol aux instruments et ne combinant pas décollages et atterrissages sur une même piste. |
La connaissance de la capacité d’un aéroport est essentielle à la gestion de l’espace aérien entier : la sécurité impose d’anticiper la formation potentielle d’embouteillages dans l’espace d’approche d’un grand aéroport. De nombreuses méthodes ont donc été développées afin de calculer la capacité des aéroports. Celle-ci est fonction de plusieurs facteurs, principalement les conditions météorologiques (couverture nuageuse et vents), les types d’avion utilisés et les proportions de décollages et d’atterrissages. Comme ce dernier paramètre évolue au cours d’une journée, une représentation simple de la capacité d’un aéroport dans des conditions météorologiques données est donnée par l’intérieur d’une courbe convexe comme montrée ci-dessous.
De telles courbes peuvent être obtenues soit par mesures expérimentales au seuil de piste, soit analytiquement par l’examen de la configuration des pistes de l’aéroport et des procédures (distances minimales de séparation entre avions). Les courbes de capacité des aéroports européens ressemblent souvent à des rectangles, et varient peu avec les conditions météorologiques, comme on peut le voir ci-dessous.
Ces enveloppes de capacité sont rectangulaires parce que les grands aéroports européens utilisent des pistes différentes pour les décollages et les atterrissages, tandis que les Américains combinent souvent décollages et atterrissages sur les mêmes pistes. L’invariance en fonction des conditions météorologiques est due au fait que la plupart des aéroports européens utilisent constamment les procédures les plus strictes (approche aux instruments, » IFR »). Au contraire, les aéroports américains utilisent des procédures moins strictes dès que le temps le permet. En conséquence, pour une configuration de pistes identique et par beau temps, la capacité d’un aéroport américain sera beaucoup plus élevée, comme le montre la courbe pointillée. Par mauvais temps, les deux courbes auront tendance à se superposer.
Cette différence de stratégie a au moins deux sources : une attitude différente du passager face au voyage en avion et les incertitudes qui y sont associées, et des conditions météorologiques plus favorable aux États-Unis. Les périodes de faible visibilité sont en général plus fréquentes en Europe. Par ailleurs, l’approche américaine intègre un facteur de risque important : une forte capacité par beau temps et des délais considérables par mauvais temps. Ainsi, le trafic dans l’ensemble des États-Unis a été fortement perturbé au cours du mois de janvier 1998 lorsqu’une zone météorologique stable, génératrice de brouillards s’est fixée sur la côte Est.
La zone terminale
L’espace aérien environnant un aéroport important est organisé de façon à faciliter la mise en ordre précise du trafic par les contrôleurs aériens. Cette tâche est effectuée par le contrôle d’approche (TRACON, pour Terminal Radar Area CONtrol en anglais). Ce contrôle se situe à l’interface entre les centres en route (cf. l’article de Joël Rault et Jean-Renaud Gély dans ce numéro) et la tour de contrôle de l’aéroport.
La sécurité est la préoccupation essentielle des contrôleurs en charge des mouvements aériens à proximité de l’aéroport. Cette sécurité est garantie par la séparation du trafic, séparation qui est plus difficile dans cette zone puisque l’aéroport concentre le trafic aérien. La séparation du trafic est réalisée de manière procédurale : les avions à l’atterrissage n’utilisent pas les mêmes volumes de l’espace aérien que les avions au décollage et les volumes d’espace aérien sous le contrôle d’agents différents sont disjoints. Cela permet une structuration naturelle du trafic et la séparation des responsabilités au plan humain.
Ainsi, le contrôle d’approche finale consiste à espacer précisément les avions afin de ne pas saturer la piste à l’atterrissage. Cet espacement est actuellement réalisé par un humain, et subit dès lors des contraintes significatives. En effet, pour obtenir un espacement convenable, l’humain observe la position radar des avions et les fait passer par des points géographiques précis nommés » feeders » où il peut vérifier leur espacement.
Les inconvénients associés à cette organisation sont, outre l’imposition de longs détours pour certains avions (tous doivent passer par le » feeder »), une sensibilité marquée aux événements météorologiques : la présence d’un petit orage au-dessus d’un de ces » feeders » peut bloquer l’accès de l’aéroport à plusieurs avions, et ainsi générer des retards.
La piste
La piste est souvent l’élément le plus important de l’aéroport. Au plan de la sécurité, c’est en effet à la piste que les risques d’accidents sont les plus grands et où ont eu lieu les accidents les plus meurtriers de l’aviation civile. Au plan de la productivité d’un aéroport, c’est souvent la piste ou la configuration de pistes qui détermine la capacité d’un aéroport.
Aéroport de Boston : configuration de pistes triangulaire. Au premier plan, de gauche à droite, piste 9⁄27. Pistes parallèles : 4L/22R (à gauche) et 4R/22L (à droite). Au second plan : piste 15R/33L. La piste 15L/33R, très courte, est visible en bout d’aéroport et ne sert que pour les tout petits avions.
Quand un aéroport possède plusieurs pistes orientées différemment, c’est la météorologie, souvent combinée avec des considérations d’ordre écologique, qui détermine la configuration de pistes, le but étant de maximiser le volume d’opérations par heure.
En général, la configuration de pistes est relativement simple. Cependant, elle peut être aussi très sophistiquée. L’aéroport de Boston en est un exemple : cinq pistes sont entrelacées de manière à former un triangle. Les dissymétries de l’aéroport sont évidentes, et suivant les conditions météorologiques, le nombre d’opérations possibles peut évoluer beaucoup. On a recensé plus de trente configurations possibles pour l’aéroport de Boston, la plupart d’entre elles utilisant simultanément des pistes sécantes. Par exemple, la configuration la plus capacitive utilise la piste 4L pour les décollages et atterrissages d’avions de transport régionaux (turboprops), la piste 4R pour les atterrissages de jets et le décollage des jets » lourds » (par exemple les vols transatlantiques), et la piste 9 (au premier plan) pour le décollage d’avions de tous types. Mais cette configuration est sensible aux intempéries et peut rapidement dégénérer en une configuration où la piste 4R est seule utilisée pour les arrivées et les pistes 4L et 9 sont utilisées pour les départs seulement. En effet, les pistes 4L et 4R sont trop proches pour effectuer des atterrissages simultanés par mauvaise visibilité.
Pour une configuration de pistes donnée, la responsabilité du contrôleur de piste est essentiellement d’assurer la sécurité de toutes les opérations. En particulier, le contrôleur est chargé d’assurer un espacement adéquat entre avions au décollage. L’une des situations les plus difficiles auxquelles il doit faire face est l’incursion sur une piste d’un avion non autorisé, ce qui arrive encore fréquemment, surtout par conditions de brouillard où le contrôleur perd le contact visuel avec l’avion. Les incursions de piste sont la source de collisions à grande vitesse entre avions et souvent fatales.
Transit entre terminaux et pistes
Les taxiways permettent le transit des avions entre les pistes et les portes d’embarquement. Ils servent souvent de zones tampon, absorbant les excès de trafic à l’arrivée si les portes d’embarquement ne sont pas encore disponibles, ou au départ, lorsque de nombreux pilotes souhaitent décoller. La gestion des taxiways est en général confiée à la tour de contrôle. Néanmoins, dans les aéroports utilisés comme plaque tournante » hub » par une compagnie aérienne, tels que Paris CDG, Dallas ou Chicago, la compagnie dominante contrôle aussi les mouvements à proximité de ses portes. Les principales difficultés associées à la gestion des taxiways sont :
- Le risque de » gridlock » : si le roulage des avions n’est pas soigneusement coordonné, deux avions peuvent par exemple se retrouver face à face sur un taxiway n’autorisant pas de croisements. Un tel blocage se transmet rapidement aux pistes et impose le détournement des atterrissages. Ce genre de situation est heureusement rare, mais ce risque impose des directions de circulation très strictes.
- Les contraintes environnementales. La présence simultanée de plusieurs avions en attente de décollage est une source de pollution significative, causant à la fois une consommation inutile de carburant et des nuisances sonores supplémentaires. C’est pourquoi plusieurs aéroports limitent le nombre d’avions présents sur certains taxiways situés à proximité des zones habitées. Un A 320 (environ 170 sièges) consomme 350 kg/h de pétrole par réacteur durant les mouvements au sol, qu’il roule ou qu’il soit en attente. Sur les grands aéroports, les avions attendent fréquemment une quinzaine de minutes avant de pouvoir décoller. Les riverains sont de plus en plus sensibles aux nuisances acoustiques des aéroports. Ils réclament avec raison que les mouvements au sol ne se fassent plus au moyen des réacteurs.
- Les contraintes de visibilité. Par très mauvaise visibilité, les systèmes de guidage automatiques (« ILS CAT‑3 ») assurent des atterrissages en toute sécurité, mais aucune aide n’existe pour le guidage sur les bretelles et sur la plate-forme. Le réseau de taxiways est alors l’élément saturant du système, limitant les cadences d’atterrissage et de décollage ! (Cf. à ce propos l’article de Bertrand Augu.)
Portes d’embarquement
La gestion d’une porte d’embarquement est complexe car elle suppose la coordination de nombreuses opérations : le débarquement et l’embarquement des passagers et des bagages, le nettoyage de la cabine et la préparation technique de l’avion (check-list, calculs de pesée, carburant, dégivrage, etc.). Les grands aéroports n’ont souvent pas assez de portes (ou de passerelles d’embarquement) et il est parfois nécessaire de faire attendre un avion à proximité immédiate d’un terminal pendant de longues minutes. Situées à la charnière entre les équipes des compagnies aériennes et le contrôle aérien, les opérations de portes subissent de fortes pressions de part et d’autre. Ainsi, comme une compagnie contrôle un nombre limité de portes, ses opérations de type » hub » (où, pendant une courte période, les avions arrivent par vagues, échangent leurs passagers, et repartent) peuvent conduire à des situations de » gridlock » : les passagers d’un avion ne peuvent débarquer parce que leur porte est occupée par l’avion avec lequel ils sont précisément en correspondance !
Aux États-Unis et dans les grands aéroports européens, pour des motifs commerciaux, les compagnies aériennes ont souvent l’usage exclusif de certaines portes ou terminaux. Cette pratique réduit la flexibilité des infrastructures aéroportuaires et conduit à une sous-utilisation chronique des portes (ou, de manière équivalente, à un surdimensionnement des installations). En comparaison, certains aéroports européens, tels que Paris-CDG, ont établi dans leurs terminaux les plus récents une gestion très efficace et flexible des portes, incluant en particulier un échelonnement de la qualité du service offert en fonction de la demande globale et des besoins des compagnies aériennes (lignes régulières ou charters).
Enfin, les compagnies aériennes ont effectué de gros efforts pour améliorer le rendement des portes, notamment en réduisant le temps de rotation des avions à la passerelle d’embarquement. Cette tendance s’est manifestée spécifiquement sur les liaisons de type » navette « , pour lesquelles les temps de rotation ont été réduits jusqu’à vingt-cinq minutes pour un Boeing 737.
Améliorer la productivité de l’aéroport à moyen terme
L’approche » systémique » semble être la seule possible pour envisager des aéroports capables d’accueillir un trafic double ou triple du trafic actuel. Les facteurs les plus importants qui influencent l’étude et le développement d’outils pour améliorer la productivité de l’aéroport sont le rendement économique, la sécurité et les facteurs humains. De ce point de vue, les outils traitant l’aéroport et sa productivité au plan macroscopique ont le double avantage de ne pas interférer directement avec les problèmes de sécurité et de permettre des gains de productivité économique significatifs. A contrario, les outils plus microscopiques présentent un potentiel considérable, mais, de par leur nature » temps réel « , tendent aussi à impliquer de manière beaucoup plus directe les problèmes de sécurité et de facteurs humains, et nécessitent beaucoup plus de précautions.
Des outils macroscopiques d’analyse et de régulation
La plupart des modèles mathématiques efficaces décrivant l’aéroport au plan macroscopique sont simples : l’aéroport est décrit comme le serveur d’une file d’attente constituée par les avions en attente de décollage et d’atterrissage. Les processus de départ sont souvent considérés comme déterministes, alors que les processus d’arrivées sont aléatoires, de moyenne et de variance connues, variables en fonction du temps. Ces modèles ont été implantés dans plusieurs outils de simulation rapide et à grande échelle de l’espace aérien. Du point de vue opérationnel, ils permettent de prévoir l’intensité des retards pour une demande donnée et d’adapter ainsi le trafic aux capacités des aéroports avant même qu’il ne se soit formé. Un avion ne décolle que si l’on ne prévoit pas de retard excessif à son aéroport de destination. Cette approche a été suivie aussi bien par les aviations civiles européennes qu’américaines. Il s’agit de la CFMU (Central Flow Management Unit) en Europe et de la CFCF (Central Flow Control Facility) aux États-Unis. Ces organismes imposent de plus en plus souvent des » Ground Delay Programs » qui limitent les décollages à destination d’un aéroport donné.
Ces programmes sont toutefois critiqués parce que trop conservateurs : ce mode de régulation des flux réduit la réactivité du système aux variations brusques et imprévues des capacités des aéroports. Comme pour tout problème de régulation, l’efficacité de ces outils dépend à la fois de leur capacité de contrôle des flux et de la disponibilité d’informations essentielles comme les heures de départ réellement prévues des avions. C’est pourquoi ces programmes ont été améliorés à deux niveaux. D’une part, ils sont maintenant répartis selon la distance entre l’aéroport de départ et l’aéroport d’arrivée ; d’autre part, on a introduit des » réservoirs » d’avions dans l’espace aérien final des aéroports bouchés afin de pouvoir profiter des améliorations imprévues de capacité. Enfin, les compagnies américaines s’engagent maintenant à fournir de meilleures informations sur leurs opérations (programme » Collaborative Decision Making »).
Régulation de la zone terminale
Les efforts d’amélioration de la gestion de l’espace aérien environnant les aéroports se sont principalement concentrés sur les arrivées. Les contraintes associées au processus d’arrivée sont de deux types : le maintien de la séparation entre les avions nécessité par le sillage tourbillonnaire créé par les atterrissages et l’obligation de n’avoir jamais plus d’un avion à chaque instant sur une piste. Actuellement, ces séparations sont fixes et déterminées par le type de chaque avion. Par exemple, la table ci-dessous décrit les séparations minimales entre les avions à l’arrivée pour l’aéroport de Boston (ainsi que la plupart des grands aéroports américains).
Avion suivant
Avion précédent
|
Lourd | Moyen | Léger |
Lourd | 4 | 5 | 6 |
757 | 4 | 4 | 5 |
Moyen | 2,5 | 2,5 | 4 |
Léger | 2,5 | 2,5 | 2,5 |
Table 1 : séparations minimales entre deux atterrissages successifs pour l’aéroport de Boston Logan (exprimées en milles nautiques). |
Il est possible d’améliorer la productivité de la piste à l’atterrissage en effectuant des permutations limitées de l’ordre d’atterrissage des avions et en essayant de réduire l’incertitude quant à l’espacement entre avions à l’atterrissage. Plusieurs projets ont été menés dans ce but, que ce soit le programme MAESTRO (Moyen d’Aide à l’Écoulement Séquencé du Trafic avec Recherche d’Optimisation) en France, COMPAS (Computer Oriented Metering Planning and Advisory System) en Allemagne ou CTAS (Center Tracon Automation System) aux États-Unis. L’une des difficultés essentielles rencontrées par ces outils est leur intégration dans un environnement humain. Il s’agit en effet de modifier les pratiques des contrôleurs d’approche.
L’expérience CTAS semble être sur ce point un succès. Les contrôleurs rapportent que cet outil les conduit à régulariser leur performance à son meilleur niveau en l’absence de l’outil, sans toutefois affecter leur appréhension de la situation. Ainsi, l’outil n’impose jamais de solutions, mais propose certaines décisions. Sous-jacents à ces outils, on trouve des programmes mathématiques sophistiqués effectuant essentiellement le filtrage et la prédiction de trajectoires et testant des séquencements d’avions possibles. Les premiers tests à l’aéroport de Dallas-Fort Worth ont montré des gains de productivité significatifs, de l’ordre de 10 à 15 % d’atterrissages supplémentaires par piste. Ces gains de capacité peuvent être immédiatement transférés au niveau plus stratégique décrit dans le paragraphe précédent. Il est cependant à noter que l’outil CTAS original incluait beaucoup plus d’éléments d’automatisation que l’outil réellement implanté. En particulier, il n’existe pas encore d’outils d’espacement automatique des avions en approche finale.
Les compagnies aériennes ont rapidement compris les bénéfices qu’elles pouvaient tirer d’un tel outil : grâce à CTAS, American Airlines peut précisément anticiper les arrivées d’avions à Dallas et leur assigner des portes et du personnel » juste à temps « .
Séquencement au départ
Contrairement à l’atterrissage, il y a peu d’outils opérationnels pour le séquencement des avions au départ et les mouvements au sol. Les projets d’études du séquencement d’avions au départ en sont encore au stade expérimental et incluent, par exemple, les projets TARMAC (Taxi And Ramp Management And Control system) en Allemagne et SMA (Surface Movement Advisor) ou DSEDM (Departure Sequencing Engineering Development Model) aux États-Unis. Plusieurs approches ont été proposées : certains outils, tels que TARMAC, ont délibérément tenté de gérer les mouvements au sol et le processus de départ de l’avion jusque dans ses plus menus détails. À l’autre extrême, les systèmes SMA ou DSEDM ne se proposent que de gérer l’ordonnancement des mouvements à leur initiation (repoussement et décollage par exemple).
Avion suivant
Avion précédent
|
Lourd | Moyen | Léger |
Lourd | 90 | 120 | 120 |
Moyen | 60 | 60 | 60 |
Léger | 60 | 60 | 60 |
Table 2 : séparations minimales au départ dans le cas de l’aéroport de Boston (exprimées en secondes). |
Ces derniers outils, moins sophistiqués, essayent de combiner de manière harmonieuse les capacités de calcul de l’ordinateur et la flexibilité de l’opérateur humain. Dans cette catégorie d’outils, on trouve aussi le système Harmonia discuté par Bertrand Augu dans ce numéro. À présent, la plupart des outils ont démontré qu’ils pouvaient améliorer de manière significative le processus de départ. Néanmoins, ces outils se sont aussi heurtés à des problèmes humains, car ils obligent les opérateurs à de nombreuses manipulations supplémentaires : l’outil n’est utile que dans les périodes de forte activité, périodes pendant lesquelles les contrôleurs sont déjà surchargés.
Lors de la phase de départ, deux types de contraintes ont été identifiés. D’une part, à cause des différences de séparations minimales, l’ordre de départ des avions influe fortement sur la cadence des décollages au niveau de la piste (cf. table 2). La combinaison de ces règles de séparation avec les écarts de vitesse entre les différents types d’avions pose un très intéressant problème d’optimisation dont le résultat final est le suivant : pour une population d’avions donnée, il vaut mieux grouper les avions de même type. Cependant, la mise en œuvre d’un tel séquencement est contrariée par le principe d’équité » premier arrivé, premier servi » suivi par les pilotes et les autorités aériennes.
D’autre part, le passage des avions du contrôle d’approche au centre en route se fait plus ou moins facilement selon l’ordre dans lequel les avions décollent. Si plusieurs avions allant dans la même direction décollent l’un après l’autre, certains devront être ralentis pour qu’ils soient suffisamment séparés dans le centre en route.
Dans les deux cas, l’objectif essentiel de tout outil d’aide au départ réside dans le séquencement des avions au seuil de piste. Suivant les aéroports, ce séquencement peut être modifié soit » en continu « , en suivant le progrès de l’avion en temps réel et en planifiant sa trajectoire en temps réel pour obtenir le résultat désiré, soit de manière discrète, en contrôlant les transitions de l’avion (par exemple contrôle de l’instant du repoussement). Il est notamment difficile d’agir sur le séquencement des avions quand ils sont en mouvement sur un taxiway parce que le contrôleur est souvent trop occupé à assurer la sécurité des mouvements au sol et à éviter les gridlocks. C’est pourquoi il apparaît que l’ordre dans lequel les avions quittent leurs portes est souvent fortement corrélé avec l’ordre dans lequel ils arrivent à la piste de décollage, c’est-à-dire que les permutations d’avions sont toujours d’amplitude modérée. Dans ce cas, le travail de séquencement doit être fait avant que l’avion ne quitte la porte. Au contraire, un aéroport étendu comportant plusieurs pistes tel que Paris-CDG autorise le séquencement des avions à plusieurs étapes du trajet entre la porte et le seuil de piste. Ce type de séquencement est probablement faisable en utilisant les infrastructures de communication et de contrôle actuelles.
Gestion « fine » de la piste
Comme on l’a souligné, le goulet d’étranglement de l’aéroport est le plus souvent la piste. Ainsi, comme en gestion de production, toute action visant à améliorer la productivité brute de la piste (le goulet) contribue directement à la productivité de l’aéroport tout entier. Les limites actuelles à la productivité de la piste sont motivées par les impératifs de sécurité ; toute modification est donc sujette à un processus rigoureux de vérification et de certification. Les facteurs limitant la productivité de la piste sont :
• Les standards de séparation entre avions au décollage et à l’atterrissage ont été établis pour mitiger l’effet des tourbillons créés par la portance d’un avion sur l’avion lui succédant. L’incidence des phénomènes tourbillonnaires change considérablement en fonction des conditions météorologiques : un léger vent latéral peut dériver les tourbillons de façon à ne gêner aucunement l’avion suivant, mais peut avoir un effet sur les avions atterrissant sur une piste parallèle. Jusqu’ici des espacements de sécurité fixes ont été définis. Ils correspondent aux conditions les plus sévères et, par conséquent, pénalisent les cadences par beau temps. Plusieurs efforts portent donc sur la détection des tourbillons et de leurs mouvements. Si ces efforts portent leurs fruits, il sera alors possible de réduire les séparations minimales de manière considérable. Le processus de décollage en bénéficiera immédiatement, puisque la cadence à laquelle les avions peuvent accéder à la piste peut probablement suivre facilement l’évolution des conditions de vent sur cette piste. En revanche, il se peut que le processus d’atterrissage ne bénéficie pas autant d’une telle amélioration, car les avions à l’arrivée sont généralement espacés en vue de l’atterrissage plusieurs minutes, voire plusieurs dizaines de minutes avant l’atterrissage, et ne peuvent s’adapter facilement à une variation brusque des conditions de piste. Ces avions préféreront donc suivre un espacement correspondant aux pires espacements possibles, de peur d’avoir à remettre les gaz.
• Les règles d’occupation des pistes imposent qu’il n’y ait jamais plus d’un avion présent sur la piste à tout instant. Tout assouplissement de cette règle peut contribuer à la productivité de l’aéroport. Un programme de recherches à Londres-Heathrow a permis de définir des conditions dans lesquelles deux avions peuvent être simultanément présents sur la piste. Il a aussi examiné les concepts pouvant mener à une réduction du temps d’occupation des pistes par les avions : à l’arrivée, l’introduction de » rampes de sorties préférentielles » en fonction de la masse et du type d’avion, et, au départ, la mise en place de procédures de décollages avec poussée moteur accrue
Améliorer la productivité de l’aéroport à long terme
Dans cette section, nous examinons quelques concepts dont l’application pourrait améliorer la productivité des aéroports, mais dont l’étude et l’implantation ne devraient avoir lieu que dans quelques années.
Automatisation de l’aéroport : considérations générales
L’automatisation partielle ou complète de l’aéroport est un concept attrayant. En effet, il est communément admis que les opérateurs humains actuellement chargés de la gestion de l’aéroport ne peuvent plus améliorer leur productivité sans l’aide d’outils informatiques relatifs à la présentation d’information et la participation à la prise de décision. Cependant, les efforts récents d’automatisation massive, tels que le projet AAS (Advanced Automation System) aux États-Unis, se sont soldés par des échecs quasi complets, en dépit de l’investissement de plusieurs milliards de dollars sur le projet. Les programmes canadiens (CAATS) ou anglais (NERC, New En Route Center) sont de manière similaire en mauvaise posture. L’une des raisons de ces échecs est le manque de connaissances fondamentales sur la dynamique et les contraintes associées à des systèmes complexes tels que le système de transport aérien civil : alors que le pilotage automatique d’un avion de ligne est maintenant relativement bien compris et maîtrisé (cf. à ce propos l’article de Bernard Ziegler), la commande automatique et optimale de plusieurs avions reste un sujet très difficile, tant au plan des applications pratiques que des recherches fondamentales. En particulier, l’automatisation de la plate-forme aéroportuaire se heurtera à une difficulté fondamentale, la gestion de la sécurité. Les standards de sécurité que doit satisfaire un système automatique sont bien plus élevés que ceux que doit satisfaire un opérateur humain équivalent : il est bien plus difficile d’accepter la responsabilité des actions préconisées par un ordinateur. Par ailleurs, prouver la sécurité d’un système automatique est une tâche onéreuse et très difficile, située en fait à la frontière des connaissances mathématiques actuelles. Bien que des progrès sensibles aient été effectués dans ce domaine, on est encore très loin de pouvoir prouver la sécurité d’un système automatique aéroportuaire complexe. D’où la nécessité de lancer dès maintenant des recherches de base dans ce domaine.
Automatisation de la plate-forme aéroportuaire
La gestion automatique des mobiles (avions et tous véhicules circulant sur la plate-forme) ne concerne que les aéroports à grand trafic. Le guidage au sol des avions nécessite des équipements aéroportuaires complémentaires.
Un avion de type A 320 en transit sur l’aéroport consomme 350 kg de carburant par heure et par réacteur, qu’il soit en mouvement ou non. De surcroît, les contraintes de bruit et la possibilité d’incident moteur (avalage d’un débris au sol) motivent la discussion d’une gestion automatisée des mouvements d’avions au sol, leurs mouvements étant par exemple assurés par des tracteurs diesel consommant environ 20 kg de carburant par heure.
S’il est difficile pour un pilote ou le conducteur d’un camion articulé ou d’un tracteur de plusieurs remorques de connaître, de façon précise, le volume que le véhicule articulé occupe, on peut envisager de faire cette estimation avec une bonne précision par des moyens automatiques. Il est également possible de suivre le déplacement de cette emprise volumique lors du déplacement des véhicules.
En vue d’une gestion automatique de tous les mobiles au sol, il est proposé d’accrocher à chaque avion un tracteur dès sa sortie de piste, sur une partie de bretelle rectiligne. Pour être compatible avec les cadences d’atterrissage maximales (intervalles de l’ordre de 50 secondes), il est nécessaire de prévoir un accrochage automatique sans arrêter l’avion, celui-ci évoluant à 5 nœuds. Au départ de la passerelle, le mouvement de l’avion reste toujours assuré par le tracteur ; la mise en route des réacteurs peut être assurée quelques minutes avant la pénétration sur piste, vers la fin du remorquage.
Automatisation de la zone terminale
L’automatisation de la zone terminale (les outils de type MAESTRO ou CTAS) pourrait être encore plus poussée. Par exemple, les algorithmes de CTAS ne discutent actuellement ni de la notion de » point d’entrée « , ni de l’alignement des avions suivant des routes prédéfinies avant l’atterrissage ou de la séparation des espaces aériens dévolus aux départs et aux arrivées. Il est conceptuellement possible de remplacer ce système par un système beaucoup moins structuré, dans lequel les avions pourraient utiliser des routes presque directes en direction de la piste d’atterrissage. Néanmoins, une telle philosophie requerrait plusieurs éléments, qui sont :
. un moyen de positionnement sûr de tous les avions présents,
. un système informatique capable de gérer tous les avions présents, en particulier les problèmes d’anticollision.
De ce point de vue, un » moyen unique et mondial de positionnement » (de type GPS) associé à un système inertiel embarqué (les centrales à gyro-lasers) présente un intérêt clair. Actuellement, ce système permet un positionnement à 100 m près sans utilisation de balises sol permettant de travailler » en différentiel « . Il n’est pas encore certifié comme moyen unique de navigation à cause de son manque » d’intégrité « . Cette déficience est en cours d’étude (systèmes WAAS aux États-Unis, MTSAT au Japon), mais encore le sujet de controverses. La précision de 100 m est suffisante pour assurer le guidage des avions en zone terminale à condition que leurs positions soient » rafraîchies » au moins toutes les cinq secondes, cadence actuellement fournie par les radars secondaires de la plupart des terrains assurant un trafic international (la vitesse d’un avion en approche finale est d’environ 70 m/s). L’adoption probable de l’ADS‑B, capable de transmettre les positions avion (ainsi que d’autres paramètres) à des cadences supérieures à 1 Hz, devrait permettre au contrôleur d’approche une gestion de trafic beaucoup plus performante qu’aujourd’hui.
Toutefois, la sensibilité de GPS au brouillage devra être résolue (cela pouvant être fait grâce à l’introduction progressive de nombreuses constellations de satellites de communication, sur lesquelles le système de contrôle du trafic aérien pourra se fonder).
Pour les approches au sol, un système de navigation par satellite ne permet pas encore les atterrissages par mauvaise visibilité (visibilité verticale 10 m, visibilité horizontale 100 m). Le dilemme est alors le suivant :
. opter pour l’installation systématique de balises au sol et des systèmes de communication balise-avion ; on ne pourra pas alors éviter des procédures de contrôle de précision en plus des dispositifs de vérification permanente du fonctionnement en conditions nominales sur tous les terrains classés » CAT‑3 « . L’entretien de ces balises sera à la charge des pays concernés : il n’est pas évident que tous les pays accepteront cette charge technique et financière ;
. accroître la précision actuelle du système de navigation par satellite GPS. Dans ces conditions, le pilotage de l’avion se fera en manuel depuis une hauteur de 10 à 15 m jusqu’au toucher des roues, freinage dans l’axe de la piste, sortie de piste et cheminement jusqu’à l’aérogare, grâce à un système de vision artificielle qui restituera sur un viseur » tête haute » une piste artificielle.
Cette dernière solution est attrayante : l’avion navigue de façon sûre grâce au GPS et peut se poser en toutes conditions météorologiques sur n’importe quel terrain si la longueur de piste est suffisante ; seul un contrôle d’ordonnancement des vols reste et restera toujours, indispensable. Mais elle est complexe, car la restitution d’images à partir de données » naturelles » telles que l’émittance du sol dans diverses longueurs d’onde, ou bien excitées par des dispositifs à bord (Radars millimétriques) nécessite un traitement d’information portant sur de nombreux paramètres. Les données » naturelles » sont en perpétuelle évolution durant la journée, seule l’utilisation de plusieurs bandes de fréquence, soit simultanément, soit de façon adaptative, est envisageable ; le traitement de données en temps quasi réel, qui doit être fait, impose des processeurs puissants.
Les problèmes associés au développement d’un système automatique de gestion des avions sont, à nouveau, essentiellement des problèmes de certification. Réaliser un système automatisé de gestion d’avions multiples est facile. Convaincre les institutions de sa fiabilité est extrêmement difficile, et la recherche fondamentale nécessaire pour comprendre ce problème ne fait que commencer.
Conclusion
Curieusement, les délais de réalisation d’un projet entre la définition des spécifications et la sortie du prototype sont extrêmement variables suivant la nature du projet : quatre ans pour un avion, quinze ans pour un nouveau réacteur, dix ans pour une centrale nucléaire de filière classique. Combien faut-il de temps pour un aéroport ?
Là n’est pas le problème. Un aéroport est un système complexe qui évolue continûment. Il allie des éléments de nature différente : la gestion des avions, gestion devant englober la descente, l’approche, l’atterrissage, les cheminements au sol ; la gestion des passerelles et des salles d’attente, les liaisons aéroport-ville(s) et les liaisons inter-aérogares, la gestion des bagages, etc., sans oublier que l’objet de tous ces problèmes – si l’on peut dire – est le passager. Il faut constamment l’informer et le contenter ! La croissance du trafic ne pourra être soutenue que si les problèmes de l’aéroport sont résolus dans leur ensemble. Les solutions actuellement envisagées sont plus des palliatifs aux insatisfactions quotidiennes que de véritables solutions d’ensemble. Certes, il faut les poursuivre car il faut satisfaire la demande. Mais l’aéroport de 2010 ou 2015 ne sera très probablement pas une extrapolation des aéroports actuels : le problème doit être pris globalement dans le cadre de l’approche système.