L’AFRIQUE EN NOIR ET BLANC
Enfin un narrateur qui nous dévoile toutes ses sources ! Certes ça lui est facile puisqu’il n’a qu’une seule source : son journal de bord pendant quatorze ans de vie professionnelle de 1956 à 1970… Et ce journal est celui d’un « chargé de mission », non d’un touriste, ni d’un prophète sélectionnant ses aventures pour enflammer ses disciples. Sa langue est aussi fluide que celle d’André Gide, mais au lieu de mentir il dit la vérité.
Ce livre est-il conventionnel et l’époque est-elle trop ancienne pour éclairer le jugement du lecteur sur l’Afrique d’aujourd’hui ? Non, c’est plein de vie, beaucoup plus que les dictionnaires historiques, et c’est d’actualité en 2010 car l’Afrique d’aujourd’hui s’y retrouve, la violence en moins.
Jean Brugidou a été envoyé en Afrique noire à 34 ans pour une double mission : d’une part installer une organisation financière transparente dans la centaine de comptoirs import-export d’Unilever (10e entreprise du monde), d’autre part préparer dans le même réseau les adaptations nécessaires aux changements politiques qui s’annoncent.
Sur le premier point, il fit des découvertes : les employés français, à l’aise dans leurs traditions, ne voulaient pas changer de méthodes alors que les jeunes Noirs, dotés d’un certificat d’études primaires, adhéraient aux nouveautés qu’on venait de leur apprendre.
Sur le deuxième point : la plupart des dirigeants coloniaux, sympathiques et dynamiques, ne s’inquiétaient pas de leur avenir. Ils sont surpris d’être mis sous la tutelle d’Africains débutants, alors qu’ils auraient dû préparer une collaboration sans blessures d’amour-propre avec leurs « futurs dirigeants ».
Pour progresser sur les deux axes, Jean Brugidou dut se mettre au contact avec les hommes de la brousse et se plonger dans la brousse elle-même. Les récits de ses voyages sont, pour les lecteurs, inconfortables (« Va-t-il s’en sortir ? »), mais aussi très instructifs (« Comment vivre dans de tels pays ? »). Le lecteur, un peu effaré, est en même temps enthousiasmé par la beauté des paysages et l’étrangeté des habitants.
Car dans toutes ces aventures, le plus important était pour Jean Brugidou l’immersion dans le milieu africain à tous ses étages. Ainsi a‑t-il connu l’Afrique « en noir et blanc » comme il l’appelle, sans un gramme de préjugés, et ses lecteurs en profitent.