L’Agence nationale pour l’emploi, une entreprise de services

Dossier : La mutation du service publicMagazine N°635 Mai 2008
Par Michel BERNARD (64)

Acteur clé du mar­ché de l’emploi, l’ANPE voit son image pâtir du fléau qu’est le chô­mage, alors que celui-ci pro­vient essen­tiel­le­ment de l’insuffisante acti­vi­té éco­no­mique. Pour­tant cette agence, créée en 1967, a vu son effi­ca­ci­té et ses résul­tats pro­gres­ser de façon remar­quable au cours des deux der­nières décen­nies, grâce aux adap­ta­tions et muta­tions accom­plies et à la mobi­li­sa­tion de son personnel.

Il serait vain de par­ler de l’ANPE sans par­ler du mar­ché dans lequel elle ins­crit son action : le mar­ché du tra­vail. Le chô­mage est avant tout un défi­cit d’activité et un dés­équi­libre entre l’offre d’emploi et la demande d’emploi. C’est une évi­dence, mais une évi­dence sur laquelle il faut obs­ti­né­ment revenir.
Plu­sieurs fac­teurs auto­risent un cer­tain opti­misme : sta­bi­li­sa­tion du nombre d’actifs, crois­sance plus créa­trice d’emplois (le seuil néces­saire au main­tien du nombre d’emplois pas­sant de 2 % à 1,2 %, tout point gagné ame­nant 130 000 à 150 000 emplois de plus).

Un peu d’histoire
L’ANPE a été créée en 1967 de la volon­té du secré­taire d’État à l’Emploi de l’époque, Jacques Chi­rac. Cette créa­tion répon­dait aux inquié­tudes du gou­ver­ne­ment qui voyait le nombre de deman­deurs d’emploi aug­men­ter (de 140000 à 165000 entre le début et la fin de l’année 1966) et pre­nait conscience d’un phé­no­mène nou­veau : le chô­mage struc­tu­rel qui s’installe, lié aux muta­tions de l’économie. Son acti­vi­té était essen­tiel­le­ment orien­tée vers la satis­fac­tion des offres qui avaient du mal à être pourvues.
La crise pétro­lière d’octobre 1973 change la donne. Le chô­mage pro­gresse irré­sis­ti­ble­ment. On ne parle plus de poli­tique de l’Emploi, mais de lutte contre le chô­mage. Le cap du mil­lion de chô­meurs est bien­tôt atteint. La barre des 2 mil­lions de chô­meurs est fran­chie au début des années qua­tre­vingt- dix, celle des 3 mil­lions en fin de la même décen­nie. Le contrat de pro­grès signé en 1990 entre l’État et l’ANPE la posi­tionne comme une entre­prise de ser­vices ; elle doit chan­ger sa manière de conce­voir l’intermédiation sur le mar­ché du tra­vail, nouer des rela­tions fortes avec les entre­prises. Cette nou­velle culture d’entreprise est ampli­fiée par l’arrivée de Michel Bon.
Il oeuvre pour faire de l’ANPE « un ser­vice public plus moderne et effi­cace » en déve­lop­pant une démarche plus com­mer­ciale et pro­fes­sion­nelle vis-à-vis des entre­prises, notam­ment dans la col­lecte d’offres. Les résul­tats ne se font pas attendre : stag­nant autour de 1,2 mil­lion d’offres confiées par les employeurs au début des années quatre-vingt-dix, ce chiffre passe à 1,5 mil­lion en 1994, 2 mil­lions en 1995, 3 mil­lions en 1999.

Un régu­la­teur du mar­ché du travail
L’ANPE est un éta­blis­se­ment public admi­nis­tra­tif ancré déli­bé­ré­ment dans la sphère de l’État. Ce sta­tut est jus­ti­fié par sa mis­sion réga­lienne sur la ges­tion de la liste des deman­deurs d’emploi (ins­crip­tion, radia­tion) et par celle de « régu­la­teur » du mar­ché du tra­vail, au côté des autres acteurs, pour assu­rer qu’entreprises et deman­deurs d’emploi trou­ve­ront bien les ser­vices dont ils ont besoin.

Le déve­lop­pe­ment éco­no­mique, pre­mier atout de notre pays pour faire recu­ler le chô­mage, per­met­tra-t-il d’éviter le chô­mage des jeunes, le chô­mage de longue durée, le chô­mage des plus âgés et l’exclusion ? Car à côté de la bonne adé­qua­tion glo­bale quan­ti­ta­tive : offres d’emploi-demandes d’emploi, il faut qu’il y ait une bonne adé­qua­tion qua­li­ta­tive en matière de for­ma­tion, de nature des emplois créés, d’attractivité et de loca­li­sa­tion des emplois, etc. C’est de cette adé­qua­tion dont le ser­vice public de l’emploi, et par­ti­cu­liè­re­ment l’ANPE, est char­gé, en assu­rant une mise en rela­tion, une inter­mé­dia­tion posi­tive entre les employeurs et les demandeurs.
L’impulsion des années quatre-vingt-dix (voir his­to­rique) ne pou­vait se trans­for­mer en réa­li­té durable que si l’organisation, le mana­ge­ment et le fonc­tion­ne­ment de l’ANPE étaient moder­ni­sés et repo­saient sur des bases solides par­ta­gées par les agents et leur enca­dre­ment. Ce sont les résul­tats de cette muta­tion qui sont évo­qués ci-après.

Un fournisseur de services

Pour convaincre les employeurs, pour appor­ter un ser­vice de qua­li­té, l’ANPE a dû s’organiser comme une entreprise

C’est dans son rôle de régu­la­teur du mar­ché du tra­vail que l’ANPE est acteur, pro­duc­teur de ser­vices, pour la mise en œuvre de la poli­tique de l’emploi du gou­ver­ne­ment, les mesures qu’il a déci­dées, les prio­ri­tés qu’il a défi­nies, mais éga­le­ment pour pal­lier les fai­blesses des autres acteurs, pour don­ner à chaque par­tie la trans­pa­rence néces­saire au bon fonc­tion­ne­ment du marché.
Pour peser sur le mar­ché, pour bien assu­rer la régu­la­tion, l’ANPE doit non seule­ment être un ani­ma­teur, un coor­don­na­teur en chef, mais aus­si un four­nis­seur de ser­vices, agis­sant sur une part signi­fi­ca­tive du mar­ché notam­ment sur celui des offres d’emploi des entre­prises. La ques­tion était simple : que pro­po­ser aux quelque 5 mil­lions de deman­deurs d’emploi qui s’inscrivent chaque année, si le recueil des offres d’emploi stagne autour de 1,2 million ?
Et comme, de fac­to, l’ANPE n’était pas en situa­tion de mono­pole, elle devait, pour convaincre les employeurs, pour adap­ter les deman­deurs aux besoins des entre­prises, leur appor­ter un ser­vice de qua­li­té, s’organiser en consé­quence, c’est-à-dire comme une entreprise.

Une production de masse et de qualité

Le ser­vice pro­po­sé par l’ANPE est la mise en rela­tion (l’intermédiation) réus­sie entre deux besoins : celui du deman­deur d’emploi qui cherche du tra­vail, celui de l’entreprise ou plus géné­ra­le­ment de l’employeur, qui cherche un collaborateur.

Un mil­lier d’agences locales en France.

Cette inter­mé­dia­tion néces­site la bonne connais­sance, par cha­cune des par­ties, de l’offre de l’autre, d’où la néces­si­té de trans­pa­rence du mar­ché dont l’ANPE est le garant. Pour qu’elle soit réus­sie, il est sou­vent néces­saire que les offres soient trans­for­mées : l’offre d’emploi avec des exi­gences qui cor­res­pondent mieux avec les capa­ci­tés des deman­deurs (l’âge, les diplômes, l’expérience, le sexe, etc.) ; l’offre du deman­deur en l’adaptant aux besoins expri­més par les entre­prises (for­ma­tion, moti­va­tion, pro­fil per­son­nel, etc.).
C’est dans ce sens que dans le jar­gon de l’ANPE on parle d’intermédiation transformatrice.
L’efficacité, l’efficience, la valeur ajou­tée de l’ANPE se mesurent au taux de réus­site de cette inter­mé­dia­tion : com­bien d’offres ont été pour­vues, com­bien de deman­deurs d’emploi ont retrou­vé du tra­vail, notam­ment pour ceux appar­te­nant aux caté­go­ries les plus fra­gi­li­sées par rap­port au mar­ché (les femmes, les plus âgés, les moins for­més, les han­di­ca­pés, etc.).

Une culture des objec­tifs et des résultats

La moder­ni­sa­tion s’est appuyée sur : la capa­ci­té d’adaptation remar­quable des agents ; une gamme de pro­duits bien défi­nie dans le cadre d’une démarche qua­li­té, une orga­ni­sa­tion réac­tive avec une ligne hié­rar­chique courte (4 niveaux de direc­teur géné­ral au conseiller en agence locale) et un dis­po­si­tif de délé­ga­tion large ; une orga­ni­sa­tion ter­ri­to­riale qui s’est démar­quée autant que de besoin de l’organisation admi­nis­tra­tive (dépar­te­ment) pour s’adapter aux besoins des clients (bas­sin de vie et d’emploi) et pour répondre à des impé­ra­tifs mana­gé­riaux (nombre de col­la­bo­ra­teurs sous une même res­pon­sa­bi­li­té : pas plus de 30 pour un direc­teur d’agence locale, entre 5 et 10 agences locales pour un direc­teur délé­gué) ; une culture des objec­tifs et des résul­tats aujourd’hui bien ancrée, accep­tée par la grande majo­ri­té du per­son­nel, sur laquelle s’appuient les éva­lua­tions des agents, donc leur évo­lu­tion de car­rière et une par­tie de leur rému­né­ra­tion ; un sys­tème de pilo­tage et de contrôle qui per­met la poli­tique de décon­cen­tra­tion évo­quée supra ; la conti­nui­té des poli­tiques et des stra­té­gies, indis­pen­sable pour obte­nir l’adhésion du per­son­nel ; des col­la­bo­ra­teurs moti­vés et qui ont envie de s’investir. À cet égard, la poli­tique de res­sources humaines a été par­ti­cu­liè­re­ment modernisée.

L’ANPE en 2008
Clien­tèle : les entre­prises et les deman­deurs d’emploi.
Réseau de proxi­mi­té : 1 000 agences locales. Effec­tif : 30 000 (dont 2 500 mana­gers) auquel s’ajoute l’équivalent de 10 000 per­sonnes en sous-trai­tance directe chez des pres­ta­taires qui assurent des pres­ta­tions défi­nies par l’Agence.
Bud­get : 2,5 mil­liards d’euros dont 500 mil­lions finan­cés par l’UNEDIC.
3,7 mil­lions d’offres d’emploi trai­tées (envi­ron 35 % du mar­ché), confiées par 500000 entre­prises, à com­pa­rer au 1,2 mil­lion au début des années quatre-vingt-dix ; près de 90 % d’entre elles sont pourvues.
Des indi­ca­teurs
La culture des objec­tifs et des résul­tats se nour­rit d’un cer­tain nombre d’indicateurs, tant de résul­tats (nombre d’offres recueillies, nombre d’offres satis­faites, baisse du chô­mage de très longue durée, nombre de radia­tions, indices de satis­fac­tion, etc.), que de moyens (nombre de visites d’entreprises, nombre d’orientations for­ma­tions, nombre d’accompagnements ren­for­cés, etc.) affec­tant for­te­ment la vie et le mana­ge­ment de l’Agence.

L’ANPE et ses homologues européens

Si on cumule toutes les per­sonnes du ser­vice public de l’emploi au sens large qui inter­viennent sur le mar­ché de l’intermédiation (ANPE et ses pres­ta­taires, APEC, mis­sions locales, etc.), leur nombre se situe autour de 40 000. Ce chiffre rap­por­té au nombre de deman­deurs est presque deux fois plus impor­tant en Alle­magne, 50 % plus éle­vé en Grande-Bre­tagne, près de trois fois dans les pays nor­diques. Une dif­fé­rence de même ordre est consta­tée sur les bud­gets mis en œuvre.
Autre indi­ca­teur : le nombre d’emplois non pour­vus est pas­sé en quelques années de 300 000 à envi­ron 200 000. S’ils étaient tous pour­vus, le nombre de deman­deurs d’emploi dimi­nue­rait de 120 000 envi­ron (pon­dé­ra­tion entre CDD et CDI).
Les emplois ne sont pas pour­vus par inadé­qua­tion entre la for­ma­tion et l’expérience des deman­deurs (cer­tains emplois tech­niques, notam­ment dans le bâti­ment) mais le plus sou­vent parce qu’ils ne sont pas attrac­tifs pour cause d’horaires de tra­vail, de péni­bi­li­té ou encore de rému­né­ra­tion (c’est notam­ment le cas d’emplois dans la res­tau­ra­tion, l’hôtellerie, les entre­tiens d’espaces verts, etc.).
Le finan­ce­ment de l’ANPE est en hausse constante : l’État aug­mente sa contri­bu­tion et l’Unedic aide cer­taines caté­go­ries de chô­meurs à tra­vers un pro­gramme confié à l’ANPE. Les entre­prises clientes sont pas­sées de 200 000 au début des années quatre-vingt-dix à 500 000, avec un taux de fidé­li­té à 95 %. Quant aux deman­deurs d’emploi, ils sont 75 à 90 % à se décla­rer satis­faits des ser­vices de l’ANPE.
L’ambition de l’ANPE n’est pas, n’est plus, de pro­té­ger son acti­vi­té, mais de faire en sorte que les entre­prises trouvent les col­la­bo­ra­teurs dont elles ont besoin, et que les deman­deurs d’emplois retrouvent du tra­vail, quelle que soit la voie par laquelle cet objec­tif sera atteint. Et si cette voie passe aus­si par d’autres orga­nismes, elle s’en féli­cite et col­la­bore avec eux.

Trop d’acteurs, pas de gouvernance

Le chô­mage baisse : de plus de 12 % en 1999, il est pas­sé aujourd’hui à moins de 8 %. C’est l’activité éco­no­mique qui crée les emplois ; la meilleure poli­tique pour faire recu­ler le chô­mage est bien de dyna­mi­ser l’activité éco­no­mique (et non de par­ta­ger l’emploi exis­tant). La liste des acteurs inter­ve­nant sur le mar­ché de l’emploi est longue : État, ANPE, Une­dic, AFPA, Mai­sons de l’Emploi, APEC, CAPEm­ploi, col­lec­ti­vi­tés locales, Chambres de com­merce et des métiers, syn­di­cats patro­naux et sala­riés, pres­ta­taires de for­ma­tion pri­vés, agences d’intérim, cabi­nets de recru­te­ment, etc. Cha­cun de ces acteurs a sa logique, sa poli­tique, ses inté­rêts ; il est illu­soire de cher­cher à les fondre pour en dimi­nuer le nombre. La voie la plus rai­son­nable et la plus féconde est de les faire agir de manière plus coor­don­née, en cohé­rence et en synergie.

Un coût modéré
Le coût moyen de l’accompagnement d’un deman­deur d’emploi par l’ANPE est d’environ 800 euros ; celui d’un orga­nisme pri­vé se situe entre 3 000 et 4 000 euros.
Le ser­vice pro­po­sé ne peut donc pas être de même nature.
À titre expé­ri­men­tal, en 2003 une struc­ture dédiée a été mise en place, fonc­tion­nant sur les mêmes popu­la­tions de deman­deurs que celles trai­tées par le pri­vé. Cette expé­rience a mon­tré que le taux de pla­ce­ment était légè­re­ment supé­rieur au pri­vé pour un coût par deman­deur de l’ordre de 2 500 euros.

La gou­ver­nance du dis­po­si­tif est posée : au niveau natio­nal comme à chaque éche­lon local.
Cette gou­ver­nance doit être la valeur ajou­tée la plus impor­tante de la loi qui vise à regrou­per l’ANPE et le réseau de l’Unedic.
L’ANPE assure l’intermédiation et la régu­la­tion du mar­ché du tra­vail. L’Unedic fixe les règles de l’assurance chô­mage et son réseau assure leur mise en œuvre.
Ces deux orga­nismes ont les mêmes clients (entre­prises et deman­deurs d’emploi) : même s’ils ont des métiers dif­fé­rents ; ils ont tous les deux un réseau dense de proxi­mi­té. Il est donc judi­cieux de les rap­pro­cher, de fondre leurs réseaux ce qui appor­te­ra : une meilleure visi­bi­li­té pour les clients ; un pilo­tage unique ; une plus grande effi­ca­ci­té par des gains d’échelle (locaux uniques, accueil unique, sys­tème d’information cohé­rent, etc.) ; une conti­nui­té du trai­te­ment du deman­deur ; une cohé­rence des aides appor­tées aux deman­deurs ; une meilleure connais­sance du besoin et des dif­fi­cul­tés des entreprises.
On peut regret­ter que le légis­la­teur ne soit pas allé jusqu’au bout de la logique. Les condi­tions d’indemnisation (niveau, durée, varia­bi­li­té) échap­pe­ront au nou­vel orga­nisme et res­te­ront de la seule com­pé­tence des par­te­naires sociaux, pari­ta­risme oblige. Et quand on connaît l’impact de ces condi­tions sur le retour à l’emploi, on ne peut pas s’en réjouir.

Il est possible de rendre efficace un service public

Le nombre d’emplois non pour­vus est pas­sé en quelques années de 300 000 à envi­ron 200 000

Trans­for­mer, rendre effi­cace un éta­blis­se­ment public est pos­sible. Les res­pon­sa­bi­li­tés que j’ai assu­rées pen­dant plus de dix ans à la tête de l’ANPE m’en ont convaincu.
J’ai assu­mé des res­pon­sa­bi­li­tés dans plu­sieurs entre­prises, y com­pris au plus haut niveau ; mais dans aucune je n’ai trou­vé la même capa­ci­té d’adaptation et de chan­ge­ment qu’à l’ANPE, la capa­ci­té d’aller jusqu’au bout de sa modernisation.
Je sais que cet avis n’est pas par­ta­gé par beau­coup et je le regrette. Mais les images collent long­temps à la peau. Si l’Agence a encore à pro­gres­ser, c’est bien dans sa com­mu­ni­ca­tion externe.
J’espère que, par ces quelques lignes, j’aurai fait par­ta­ger au lec­teur mes convic­tions, qu’il aura une autre image de l’ANPE, ou a mini­ma, que j’aurai semé un doute dans ses certitudes.

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