L’Agence nationale pour l’emploi, une entreprise de services
Acteur clé du marché de l’emploi, l’ANPE voit son image pâtir du fléau qu’est le chômage, alors que celui-ci provient essentiellement de l’insuffisante activité économique. Pourtant cette agence, créée en 1967, a vu son efficacité et ses résultats progresser de façon remarquable au cours des deux dernières décennies, grâce aux adaptations et mutations accomplies et à la mobilisation de son personnel.
Il serait vain de parler de l’ANPE sans parler du marché dans lequel elle inscrit son action : le marché du travail. Le chômage est avant tout un déficit d’activité et un déséquilibre entre l’offre d’emploi et la demande d’emploi. C’est une évidence, mais une évidence sur laquelle il faut obstinément revenir.
Plusieurs facteurs autorisent un certain optimisme : stabilisation du nombre d’actifs, croissance plus créatrice d’emplois (le seuil nécessaire au maintien du nombre d’emplois passant de 2 % à 1,2 %, tout point gagné amenant 130 000 à 150 000 emplois de plus).
Un peu d’histoire
L’ANPE a été créée en 1967 de la volonté du secrétaire d’État à l’Emploi de l’époque, Jacques Chirac. Cette création répondait aux inquiétudes du gouvernement qui voyait le nombre de demandeurs d’emploi augmenter (de 140000 à 165000 entre le début et la fin de l’année 1966) et prenait conscience d’un phénomène nouveau : le chômage structurel qui s’installe, lié aux mutations de l’économie. Son activité était essentiellement orientée vers la satisfaction des offres qui avaient du mal à être pourvues.
La crise pétrolière d’octobre 1973 change la donne. Le chômage progresse irrésistiblement. On ne parle plus de politique de l’Emploi, mais de lutte contre le chômage. Le cap du million de chômeurs est bientôt atteint. La barre des 2 millions de chômeurs est franchie au début des années quatrevingt- dix, celle des 3 millions en fin de la même décennie. Le contrat de progrès signé en 1990 entre l’État et l’ANPE la positionne comme une entreprise de services ; elle doit changer sa manière de concevoir l’intermédiation sur le marché du travail, nouer des relations fortes avec les entreprises. Cette nouvelle culture d’entreprise est amplifiée par l’arrivée de Michel Bon.
Il oeuvre pour faire de l’ANPE « un service public plus moderne et efficace » en développant une démarche plus commerciale et professionnelle vis-à-vis des entreprises, notamment dans la collecte d’offres. Les résultats ne se font pas attendre : stagnant autour de 1,2 million d’offres confiées par les employeurs au début des années quatre-vingt-dix, ce chiffre passe à 1,5 million en 1994, 2 millions en 1995, 3 millions en 1999.
Un régulateur du marché du travail
L’ANPE est un établissement public administratif ancré délibérément dans la sphère de l’État. Ce statut est justifié par sa mission régalienne sur la gestion de la liste des demandeurs d’emploi (inscription, radiation) et par celle de « régulateur » du marché du travail, au côté des autres acteurs, pour assurer qu’entreprises et demandeurs d’emploi trouveront bien les services dont ils ont besoin.
Le développement économique, premier atout de notre pays pour faire reculer le chômage, permettra-t-il d’éviter le chômage des jeunes, le chômage de longue durée, le chômage des plus âgés et l’exclusion ? Car à côté de la bonne adéquation globale quantitative : offres d’emploi-demandes d’emploi, il faut qu’il y ait une bonne adéquation qualitative en matière de formation, de nature des emplois créés, d’attractivité et de localisation des emplois, etc. C’est de cette adéquation dont le service public de l’emploi, et particulièrement l’ANPE, est chargé, en assurant une mise en relation, une intermédiation positive entre les employeurs et les demandeurs.
L’impulsion des années quatre-vingt-dix (voir historique) ne pouvait se transformer en réalité durable que si l’organisation, le management et le fonctionnement de l’ANPE étaient modernisés et reposaient sur des bases solides partagées par les agents et leur encadrement. Ce sont les résultats de cette mutation qui sont évoqués ci-après.
Un fournisseur de services
Pour convaincre les employeurs, pour apporter un service de qualité, l’ANPE a dû s’organiser comme une entreprise
C’est dans son rôle de régulateur du marché du travail que l’ANPE est acteur, producteur de services, pour la mise en œuvre de la politique de l’emploi du gouvernement, les mesures qu’il a décidées, les priorités qu’il a définies, mais également pour pallier les faiblesses des autres acteurs, pour donner à chaque partie la transparence nécessaire au bon fonctionnement du marché.
Pour peser sur le marché, pour bien assurer la régulation, l’ANPE doit non seulement être un animateur, un coordonnateur en chef, mais aussi un fournisseur de services, agissant sur une part significative du marché notamment sur celui des offres d’emploi des entreprises. La question était simple : que proposer aux quelque 5 millions de demandeurs d’emploi qui s’inscrivent chaque année, si le recueil des offres d’emploi stagne autour de 1,2 million ?
Et comme, de facto, l’ANPE n’était pas en situation de monopole, elle devait, pour convaincre les employeurs, pour adapter les demandeurs aux besoins des entreprises, leur apporter un service de qualité, s’organiser en conséquence, c’est-à-dire comme une entreprise.
Une production de masse et de qualité
Le service proposé par l’ANPE est la mise en relation (l’intermédiation) réussie entre deux besoins : celui du demandeur d’emploi qui cherche du travail, celui de l’entreprise ou plus généralement de l’employeur, qui cherche un collaborateur.
Un millier d’agences locales en France.
Cette intermédiation nécessite la bonne connaissance, par chacune des parties, de l’offre de l’autre, d’où la nécessité de transparence du marché dont l’ANPE est le garant. Pour qu’elle soit réussie, il est souvent nécessaire que les offres soient transformées : l’offre d’emploi avec des exigences qui correspondent mieux avec les capacités des demandeurs (l’âge, les diplômes, l’expérience, le sexe, etc.) ; l’offre du demandeur en l’adaptant aux besoins exprimés par les entreprises (formation, motivation, profil personnel, etc.).
C’est dans ce sens que dans le jargon de l’ANPE on parle d’intermédiation transformatrice.
L’efficacité, l’efficience, la valeur ajoutée de l’ANPE se mesurent au taux de réussite de cette intermédiation : combien d’offres ont été pourvues, combien de demandeurs d’emploi ont retrouvé du travail, notamment pour ceux appartenant aux catégories les plus fragilisées par rapport au marché (les femmes, les plus âgés, les moins formés, les handicapés, etc.).
Une culture des objectifs et des résultats
La modernisation s’est appuyée sur : la capacité d’adaptation remarquable des agents ; une gamme de produits bien définie dans le cadre d’une démarche qualité, une organisation réactive avec une ligne hiérarchique courte (4 niveaux de directeur général au conseiller en agence locale) et un dispositif de délégation large ; une organisation territoriale qui s’est démarquée autant que de besoin de l’organisation administrative (département) pour s’adapter aux besoins des clients (bassin de vie et d’emploi) et pour répondre à des impératifs managériaux (nombre de collaborateurs sous une même responsabilité : pas plus de 30 pour un directeur d’agence locale, entre 5 et 10 agences locales pour un directeur délégué) ; une culture des objectifs et des résultats aujourd’hui bien ancrée, acceptée par la grande majorité du personnel, sur laquelle s’appuient les évaluations des agents, donc leur évolution de carrière et une partie de leur rémunération ; un système de pilotage et de contrôle qui permet la politique de déconcentration évoquée supra ; la continuité des politiques et des stratégies, indispensable pour obtenir l’adhésion du personnel ; des collaborateurs motivés et qui ont envie de s’investir. À cet égard, la politique de ressources humaines a été particulièrement modernisée.
L’ANPE et ses homologues européens
Si on cumule toutes les personnes du service public de l’emploi au sens large qui interviennent sur le marché de l’intermédiation (ANPE et ses prestataires, APEC, missions locales, etc.), leur nombre se situe autour de 40 000. Ce chiffre rapporté au nombre de demandeurs est presque deux fois plus important en Allemagne, 50 % plus élevé en Grande-Bretagne, près de trois fois dans les pays nordiques. Une différence de même ordre est constatée sur les budgets mis en œuvre.
Autre indicateur : le nombre d’emplois non pourvus est passé en quelques années de 300 000 à environ 200 000. S’ils étaient tous pourvus, le nombre de demandeurs d’emploi diminuerait de 120 000 environ (pondération entre CDD et CDI).
Les emplois ne sont pas pourvus par inadéquation entre la formation et l’expérience des demandeurs (certains emplois techniques, notamment dans le bâtiment) mais le plus souvent parce qu’ils ne sont pas attractifs pour cause d’horaires de travail, de pénibilité ou encore de rémunération (c’est notamment le cas d’emplois dans la restauration, l’hôtellerie, les entretiens d’espaces verts, etc.).
Le financement de l’ANPE est en hausse constante : l’État augmente sa contribution et l’Unedic aide certaines catégories de chômeurs à travers un programme confié à l’ANPE. Les entreprises clientes sont passées de 200 000 au début des années quatre-vingt-dix à 500 000, avec un taux de fidélité à 95 %. Quant aux demandeurs d’emploi, ils sont 75 à 90 % à se déclarer satisfaits des services de l’ANPE.
L’ambition de l’ANPE n’est pas, n’est plus, de protéger son activité, mais de faire en sorte que les entreprises trouvent les collaborateurs dont elles ont besoin, et que les demandeurs d’emplois retrouvent du travail, quelle que soit la voie par laquelle cet objectif sera atteint. Et si cette voie passe aussi par d’autres organismes, elle s’en félicite et collabore avec eux.
Trop d’acteurs, pas de gouvernance
Le chômage baisse : de plus de 12 % en 1999, il est passé aujourd’hui à moins de 8 %. C’est l’activité économique qui crée les emplois ; la meilleure politique pour faire reculer le chômage est bien de dynamiser l’activité économique (et non de partager l’emploi existant). La liste des acteurs intervenant sur le marché de l’emploi est longue : État, ANPE, Unedic, AFPA, Maisons de l’Emploi, APEC, CAPEmploi, collectivités locales, Chambres de commerce et des métiers, syndicats patronaux et salariés, prestataires de formation privés, agences d’intérim, cabinets de recrutement, etc. Chacun de ces acteurs a sa logique, sa politique, ses intérêts ; il est illusoire de chercher à les fondre pour en diminuer le nombre. La voie la plus raisonnable et la plus féconde est de les faire agir de manière plus coordonnée, en cohérence et en synergie.
Un coût modéré
Le coût moyen de l’accompagnement d’un demandeur d’emploi par l’ANPE est d’environ 800 euros ; celui d’un organisme privé se situe entre 3 000 et 4 000 euros.
Le service proposé ne peut donc pas être de même nature.
À titre expérimental, en 2003 une structure dédiée a été mise en place, fonctionnant sur les mêmes populations de demandeurs que celles traitées par le privé. Cette expérience a montré que le taux de placement était légèrement supérieur au privé pour un coût par demandeur de l’ordre de 2 500 euros.
La gouvernance du dispositif est posée : au niveau national comme à chaque échelon local.
Cette gouvernance doit être la valeur ajoutée la plus importante de la loi qui vise à regrouper l’ANPE et le réseau de l’Unedic.
L’ANPE assure l’intermédiation et la régulation du marché du travail. L’Unedic fixe les règles de l’assurance chômage et son réseau assure leur mise en œuvre.
Ces deux organismes ont les mêmes clients (entreprises et demandeurs d’emploi) : même s’ils ont des métiers différents ; ils ont tous les deux un réseau dense de proximité. Il est donc judicieux de les rapprocher, de fondre leurs réseaux ce qui apportera : une meilleure visibilité pour les clients ; un pilotage unique ; une plus grande efficacité par des gains d’échelle (locaux uniques, accueil unique, système d’information cohérent, etc.) ; une continuité du traitement du demandeur ; une cohérence des aides apportées aux demandeurs ; une meilleure connaissance du besoin et des difficultés des entreprises.
On peut regretter que le législateur ne soit pas allé jusqu’au bout de la logique. Les conditions d’indemnisation (niveau, durée, variabilité) échapperont au nouvel organisme et resteront de la seule compétence des partenaires sociaux, paritarisme oblige. Et quand on connaît l’impact de ces conditions sur le retour à l’emploi, on ne peut pas s’en réjouir.
Il est possible de rendre efficace un service public
Le nombre d’emplois non pourvus est passé en quelques années de 300 000 à environ 200 000
Transformer, rendre efficace un établissement public est possible. Les responsabilités que j’ai assurées pendant plus de dix ans à la tête de l’ANPE m’en ont convaincu.
J’ai assumé des responsabilités dans plusieurs entreprises, y compris au plus haut niveau ; mais dans aucune je n’ai trouvé la même capacité d’adaptation et de changement qu’à l’ANPE, la capacité d’aller jusqu’au bout de sa modernisation.
Je sais que cet avis n’est pas partagé par beaucoup et je le regrette. Mais les images collent longtemps à la peau. Si l’Agence a encore à progresser, c’est bien dans sa communication externe.
J’espère que, par ces quelques lignes, j’aurai fait partager au lecteur mes convictions, qu’il aura une autre image de l’ANPE, ou a minima, que j’aurai semé un doute dans ses certitudes.