L’agriculture connectée
L’agriculture a été parmi les premiers secteurs à se connecter, à l’époque du Minitel. En suivant toutes les étapes techniques, elle est aujourd’hui à l’heure du smartphone, qui permet de recevoir les informations mais aussi de transmettre les données locales. Il faut veiller à ce que ces données ne soient pas concentrées dans la main de quelques acteurs et que l’on puisse les valoriser.
En opposition avec l’image erronée, mais malheureusement répandue d’une filière « rétrograde », l’agriculture a été l’un des premiers secteurs à se connecter avec, dans les années 1980, l’adoption du Minitel pour accéder à des services interactifs (météo, cours des marchés, télédéclarations).
Depuis, cet investissement n’a pas fléchi :
« L’offre technologique “géolocalisation, observation” est à la base de l’agriculture de précision »
- dans les années 1990, l’électronique et l’informatique « s’embarquent » dans les agroéquipements avec les premières machines de traite robotisées, le contrôle des outils tractés et le GPS, indispensable à l’agriculture de précision ;
- l’an 2000 signe l’apparition des applications Internet, puis des téléphones portables ;
- les smartphones se déploient à partir des années 2010.
Aujourd’hui, en France, 250 000 agriculteurs sont connectés et l’ère des objets connectés (Internet des objets ou IoT) s’annonce.
Singulièrement, cette révolution a lieu dans les pays de technologie avancée, mais aussi dans les pays émergents.
REPÈRES
Les capteurs sont les éléments incontournables de l’agriculture 3.0, ils permettent d’acquérir des données à haute résolution spatiale et temporelle sur le sol, la plante, le climat, les ravageurs, etc.
Ils sont embarqués sur les satellites, les avions ou les drones pour caractériser l’état du couvert végétal et aider à mieux gérer la fertilisation, mais également sur les machines d’intervention où leurs observations géoréférencées par GNSS génèrent des données in situ sur la variabilité du sol ou des cultures.
SE CONNECTER POUR MIEUX PRODUIRE
Ce contexte sans précédent a permis l’émergence et l’adoption de services innovants en agriculture, en particulier pour assister l’agriculteur dans ses opérations culturales.
Un système de capteurs de rendement, d’humidité et de taux de protéine équipe les moissonneuses-batteuses et permet de connaître et cartographier pratiquement en temps réel les caractéristiques de la récolte en cours. © WOLFGANG JARGSTORFF / FOTOLIA.COM
L’aide au guidage – ou le guidage automatique des machines grâce au GNSS (Global Navigation Satellite System dont fait partie le GPS) – constitue l’un des services les plus largement adoptés par les agriculteurs. Utilisé avant tout pour le confort de travail qu’il procure, l’aide au guidage permet d’optimiser la trajectoire des machines agricoles et la réalisation des travaux.
On est capable d’adapter les opérations aux besoins de la plante mesurés par divers moyens d’observation et cartographiés : modulation des doses d’intrants (pesticides, engrais, semences, irrigation). Cette combinaison observation-géolocalisation des machines-action modulée est le socle de l’agriculture de précision, qui contribue à l’amélioration de la durabilité économique et environnementale des exploitations agricoles : la bonne dose, au bon moment, au bon endroit.
L’une des applications emblématiques est le système de capteurs de rendement, d’humidité et de taux de protéine qui équipe les moissonneuses- batteuses et permet de connaître et cartographier pratiquement en temps réel les caractéristiques de la récolte en cours.
Les capteurs peuvent aussi être positionnés à poste fixe, sur la plante ou dans le sol ; connectés, ils constituent des réseaux d’observation sur l’état hydrique des cultures, du sol, mais aussi des ravageurs.
LE SMARTPHONE INTRODUIT UNE VRAIE RUPTURE
L’évolution des téléphones portables présente de nouvelles opportunités : mesure-géolocalisation-connexion, le smartphone réunit ces fonctionnalités qui permettent la mise en œuvre d’applications professionnelles dédiées.
« En agriculture, l’hétérogénéité des données est un point fondamental »
Le smartphone présente une extrême modularité permettant à chaque agriculteur d’adapter sa boîte à outils en fonction de son niveau de compétences et d’exigences. Véritable « couteau suisse » qui intègre des logiciels dédiés pour saisir des opérations, mais aussi des applications d’aide au réglage des outils, de reconnaissance des mauvaises herbes, de mesures spécifiques (couleur, forme, densité, etc.) sur les cultures ou les animaux, d’accès à des bases de référence, etc.
Les observations effectuées par les smartphones ouvrent la voie vers de véritables réseaux d’observation et de partage à l’échelle des territoires agricoles, que ce soit sur les ravageurs, l’état des cultures, l’état du sol, etc., rendant possible l’alimentation de réseaux d’observations partagés déjà mis en œuvre par les instituts techniques ou certaines sociétés de services ou de l’agrofourniture.
Enfin, les « objets connectés » font leur apparition en agriculture, qu’il s’agisse de stations météo, de machines agricoles, de capteurs en réseaux (humidité du sol, ravageurs, etc.). Les données générées par ces diverses sources ont vocation à être transformées en indicateurs et conseils utiles aux agriculteurs.
UNE OPPORTUNITÉ POUR LES PAYS EN DÉVELOPPEMENT
VERS UN « BIG DATA » AGRICOLE
Des opérateurs historiques comme les éditeurs de logiciels agricoles ou les équipementiers (via la télématique des machines) proposent d’agréger les données à différentes échelles (exploitations, région, pays) pour éditer des références et améliorer le conseil agricole (ou la maintenance des machines).
Mais demain, avec l’explosion de l’offre d’objets connectés (on en attend 80 milliards dans le monde en 2020), ces données massives ouvrent la voie à des possibilités démultipliées de valorisation.
Dans les pays en développement, l’agriculture reste un secteur économique prédominant, avec une majorité de petits exploitants et d’éleveurs, de faibles rendements (sauf en zone irriguée) et des barrières à l’accès aux informations critiques, aux marchés et aux intermédiaires financiers.
L’offre technologique pour aborder les défis agricoles est différente du fait des exigences particulières de résistance et de maîtrise des coûts : pas ou peu de capteurs spécifiques, mais une abondance de téléphones mobiles, palliant l’absence d’infrastructures terrestres de téléphonie, dans une démarche de leapfrogging.
Si les SMS sont les vecteurs d’information préférés pour les alertes météo, parasitaires et les données sur les marchés, des applications plus complexes apparaissent avec la diffusion des smartphones. Tous les opérateurs sont intéressés par ce marché et proposent des solutions. En 2011, GSMA, leur association mondiale, a lancé le programme mAgri, qui réunit les opérateurs et fournisseurs de technologies mobiles et les organisations agricoles, pour accélérer le développement de services mobiles pour les petits agriculteurs et les compagnies agricoles.
La Banque Mondiale a analysé les facteurs de réussite du développement des TIC dans les Pays du Sud : gain économique réel, choix du vecteur de communication approprié (en tenant compte de l’illettrisme), construction de relations de confiance de long terme, en incluant les gouvernements, des centres supports et des facilitateurs locaux, recours à des technologies alternatives aux TIC en cas de faible connectivité, implication des agriculteurs dans la formation des membres de la communauté et dans la construction des solutions.
Comme dans les pays occidentaux, la dimension sociale de ces innovations à base de TIC (appropriation de l’outil, formation, etc.) est donc essentielle.
UN « BIG DATA » MONDIALISÉ
Dans le monde entier se profile donc une massification de la donnée agricole. Associée à la nécessité de combiner des données très hétérogènes, elle donne naissance à un véritable big data agricole.
Si le big data est caractérisé par les 3 V (volume, variété, vélocité), c’est la « variété » qui est l’élément le plus déterminant en agriculture.
« Rendre les données plus accessibles, plus riches et plus interopérables »
Le volume n’est pas le point le plus remarquable, les volumes les plus importants étant issus de l’imagerie satellitaire et des plateformes de phénotypage. La vélocité n’est pas non plus un verrou.
C’est surtout la variété ou plutôt l’hétérogénéité des données qui est un point fondamental en agriculture : les données très diverses, issues de sources distribuées chez différents acteurs et non standardisées.
Ainsi, même si les technologies de stockage, de manipulation et de traitement du big data sont maintenant disponibles, encouragées par les besoins d’autres secteurs (le commerce, la banque, la ville, la santé, etc.), les données agricoles présentent des verrous particuliers : la variabilité et la dispersion chez des partenaires divers.
LES ACTEURS MULTIPLIENT LES INITIATIVES
C’est pourquoi des initiatives se multiplient, avec l’objectif de rendre les données plus accessibles, plus riches et plus interopérables.
Dans les pays en développement, l’offre technologique pour aborder les défis agricoles est différente du fait des exigences particulières de résistance et de maîtrise des coûts. © CODEV EPFL
À titre d’exemples, citons la plateforme API-Agro, plateforme de références agronomiques (http://www.api-agro.fr/) initiée par l’ACTA (association des centres techniques agricoles), qui vise à favoriser l’interopérabilité des références agronomiques, le système d’information Agrosyst, développé par l’Inra, pour capitaliser des données agronomiques et les rendre interopérables (initialement pour les systèmes de culture économes en pesticides du réseau national DEPHY du programme Ecophyto), ou le portail AgGate (http://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/174000039.pdf).
Ce dernier vise à faciliter l’accès aux données d’intérêt agricole afin de favoriser l’innovation ouverte : la combinaison et le traitement couplés de données de production, de données pédoclimatiques, génétiques, techniques, etc., accéléreront la construction de nouvelles connaissances agronomiques, dans un contexte qui change vite, élaboration de nouvelles variétés, mises en place de nouvelles pratiques agronomiques (par exemple en agroécologie avec association de cultures dans les champs, biocontrôle des maladies et des agresseurs, etc.).
Cette « accélération » est cruciale car le temps de l’agronomie est un « temps long », qui se heurte aujourd’hui à des changements très rapides, auxquels il faut faire face (changement climatique, évolution des marchés, etc.).
Au-delà de la transformation technique, l’agriculture connectée entraînera une évolution du rôle des acteurs de l’agriculture (agriculteurs, conseillers agricoles, recherche agronomique, agrofournisseurs) dans les territoires et les filières.
LES PAYS EN DEVELOPPEMENT JOUENT LA CONNECTIVITE
En 2014, le taux d‘adoption de mobiles par la population des pays les moins développés était de 64 %. Avec les images satellites, ils jouent un rôle crucial pour aborder les défis agricoles. Les technologies robustes (téléphones cellulaires basiques) sont préférées, mais les smartphones poursuivent leur déploiement (+ 66 % des ventes au 1er trimestre 2015 pour la zone Moyen-Orient Afrique), notamment grâce à des offres tarifaires alléchantes (47 % des smartphones vendus en Afrique sont à moins de 100 $).
SE CONNECTER POUR MIEUX S’INTÉGRER AU MONDE
Du fait de l’urbanisation et de la mondialisation, qui éloignent les lieux de consommation des lieux de production, l’agriculture est moins présente dans notre quotidien, et peut devenir presque invisible et donc « inexistante ». Internet devient alors un outil indispensable pour reconstruire un lien entre les agriculteurs et ces consommateurs « éloignés ».
« La limitation la plus importante reste la connectivité en milieu rural »
Plus en phase avec nos exigences de consommation, le regroupement de plusieurs agriculteurs dans une même plateforme électronique de vente permet d’élargir la gamme de produits et donc d’être beaucoup plus attractif. Il nécessite cependant une logistique particulière, qu’il faut soit intégrer dans les coûts, soit confier à un tiers.
Ainsi Internet permet, comme dans les autres secteurs, une désintermédiation, mais verra ses limites dans la complexité de la logistique des produits périssables. Cette contrainte liée aux flux de matières disparaît dès lors qu’on considère uniquement les flux d’information.
LES AGRICULTEURS INVESTISSENT LE WEB 2.0
Aujourd’hui plus de 50 % des agriculteurs utilisent Internet pour s’informer. L’usage des outils de communication participatifs (forums, réseaux sociaux, blogs) reste faible, mais est en croissance : la fréquentation des forums a crû de 50 % dans les trois dernières années, et devrait poursuivre son essor, les jeunes utilisant plus fréquemment ces outils.
DU PRODUCTEUR AU CONSOMMATEUR VIA INTERNET
Les consommateurs, échaudés par les crises alimentaires, sont en demande de transparence dans les circuits, de reconstruction de circuits courts, en particulier pour les produits frais. La commande par Internet apporte souplesse, modularité et réactivité, ce qui explique que les sites d’exploitations agricoles ayant investi ce créneau abondent
Les réseaux sociaux numériques sont plus mobilisés dans le cadre personnel que professionnel ; par exemple, le plus populaire, Facebook, est utilisé personnellement par 30 % des agriculteurs et professionnellement par 15 % seulement.
Selon Roger Le Guen, sociologue à l’ESA d’Angers, ils « attirent les agriculteurs parce que ceux-ci sont plus isolés, plus spécialisés dans leur métier, moins disponibles pour les réunions ». Ces liens « faibles » qui se créent entre agriculteurs ou entre agriculteurs et société sont, selon M. Le Guen, une marque de la « résurgence des formes collectives en agriculture ».
Ils jouent donc un rôle fondamental pour rompre l’isolement, mais peuvent générer une « désintermédiation » vis-à-vis d’institutions d’accompagnement et de conseil agricole, avec le risque d’une forme « d’ubérisation » de cette activité.
DES VERROUS À LEVER
API-Agro, plateforme de références agronomiques initiée par l’ACTA (association des centres techniques agricoles), vise à favoriser l’interopérabilité des références agronomiques.
Même si les agriculteurs utilisent quotidiennement les TIC, notamment via leur smartphone, il reste encore des limitations aux développements de ces technologies. La plus importante est la question de la connectivité en milieu rural : la 3G, et d’autant plus la 4G, sont encore absentes dans de nombreuses zones, ce qui entrave le déploiement de services mobiles performants.
Même constat pour les liaisons filaires qui proposent encore des débits bien plus faibles qu’en milieu urbain.
Ces nouvelles technologies obligent les acteurs du secteur de l’agriculture à revoir leurs modèles économiques : comme dans d’autres secteurs, on passe peu à peu d’une société de « possession » à une société de « fonctions » (services). Tout l’écosystème de la chaîne de valeur (agriculteurs, équipementiers, conseillers, etc.) doit évoluer.
VALORISATION OU ALIÉNATION DES DONNÉES ?
Côté « effets bénéfiques » de la valorisation des données sous forme de service, on peut prévoir une baisse de l’endettement des agriculteurs ayant recours au service plutôt qu’à l’achat d’équipements ; d’autre part, les données des agriculteurs sur lesquelles s’appuient les services prennent de la valeur, qui reste malgré tout à quantifier.
En revanche, il faut être vigilant sur la possession et l’usage des données : elles peuvent être une arme redoutable pour la spéculation sur des marchés très fluctuants où les marges des agriculteurs sont très faibles.
COMMUNALISATION DES DONNÉES
Pour éviter une appropriation des données, des initiatives ont été prises très récemment : aux USA, la AgDataCoalition, lancée par le Farm Bureau, premier syndicat agricole, projette de construire un entrepôt de données indépendant dans lequel les agriculteurs pourront stocker leurs données ; en France, le portail AgGate, cité plus haut, pourrait offrir les mêmes services.
Ainsi, la perte de contrôle des données et surtout la mainmise sur les données par quelques acteurs (GAFA, agrofournisseurs) est un dernier risque, peut-être le plus grave, car il touche au pilotage de la production alimentaire mondiale.
Enfin, cette évolution technologique très rapide pose des problèmes de compétence des acteurs. Il est indispensable d’élaborer des dispositifs de formation et de démonstration, via des exploitations de test et de démonstration (DigiFerme d’Arvalis, Mas numérique de Montpellier Supagro, etc.), et via de nouvelles filières de formation continue et initiale : de nouveaux métiers émergent, souvent pluridisciplinaires (par exemple, agronomie et informatique) et les cursus de formation doivent l’intégrer.
UN EFFORT DE RECHERCHE POUR ACCOMPAGNER CETTE RÉVOLUTION
LE BAS DÉBIT RESTE UTILE
Des technologies de communication émergentes propres à l’IoT (Internet des objets), proposées par Sigfox ou Orange (technologie LoRa), qui connectent des objets sur de longues distances pour des échanges bas débit, trouvent un marché important dans l’agriculture, qui bénéficiera à plein de l’essor de l’IoT.
L’agriculture connectée est en marche, aussi bien dans nos contrées que dans les pays du Sud. Au-delà des bénéfices sociaux (reconstruction de solidarités et de réseaux, meilleur confort de travail, etc.), elle générera une désintermédiation du conseil et de la vente, de la transparence dans les échanges, la conciliation des exigences économiques et environnementales, et potentiellement, un accroissement de la productivité.
Cette révolution doit être accompagnée, d’une part en veillant à ce que les données et les capacités de traitement ne soient pas concentrées dans la main de quelques acteurs, d’autre part en créant les conditions de la valorisation de ces données.
« Il faut être vigilant sur la possession et l’usage des données »
Un enjeu important est de fédérer une force de recherche française interdisciplinaire sur le sujet. C’est l’objectif de #DigitAg, l’Institut Convergences agriculture numérique, à Montpellier, premier institut français offrant recherche et enseignement supérieur sur le sujet de l’agriculture numérique (www.HDigitag.fr).
Commentaire
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Il y a de bonnes idées, les
Il y a de bonnes idées, les recherches dans le domaine mettent en avant des alternatives positives dans ce domaine et le seul problème réside dans la malveillance, de la prudence il en faut vous avez bien raison de la souligner.
Au plaisir de vous lire
Fred de gardenice Charleville