L’Allemagne confirme sa première place en Europe

Dossier : L'industrie chimique, un renouveauMagazine N°664 Avril 2011
Par Wolfram KOCH

REPÈRES

REPÈRES
La chi­mie vient au qua­trième rang des sec­teurs indus­triels alle­mands, devan­cée seule­ment en chiffre d’af­faires par l’au­to­mo­bile, les indus­tries méca­niques et l’in­dus­trie ali­men­taire. De nom­breuses firmes chi­miques alle­mandes sont des chefs de file mon­diaux, tout par­ti­cu­liè­re­ment BASF, qui se situe au pre­mier rang avec un chiffre d’af­faires de plus de 60 mil­liards d’eu­ros en 2010. D’autres, pour citer quelques noms, sont Bayer, Evo­nik, Hen­kel et Merck (Darm­stadt). Au total, l’in­dus­trie chi­mique emploie envi­ron 415000 per­sonnes en Alle­magne, dont 10 % pour la R&D.

À l’é­chelle euro­péenne, l’in­dus­trie chi­mique alle­mande est la plus impor­tante, pro­dui­sant à elle seule 25 % du chiffre d’af­faires en chi­mie de l’U­nion euro­péenne. À l’é­chelle de la pla­nète, sa part de mar­ché est 6,3 %, en qua­trième posi­tion après les États-Unis (20,7%), la Chine (20,1 %) et le Japon (6,8 %).

L’Al­le­magne est en tête des expor­ta­tions chi­miques mondiales

À consi­dé­rer les seules expor­ta­tions, l’Al­le­magne arrive en tête avec 13,2% du mar­ché mon­dial, sui­vie par les États-Unis avec 10,3%. Ces nombres démontrent le rôle déci­sif de l’in­dus­trie chi­mique dans l’é­co­no­mie alle­mande. Le déve­lop­pe­ment har­mo­nieux et sain du sec­teur chi­mique est vital pour celle-ci, non seule­ment pour plus des deux mille socié­tés indus­trielles la consti­tuant, mais aus­si pour le monde uni­ver­si­taire au sens large (Ins­ti­tuts Max-Planck, entre autres). 

Une passe difficile

Tout comme pour d’autres pays, la crise finan­cière et éco­no­mique de 2008 et 2009 eut un impact majeur sur l’in­dus­trie chi­mique alle­mande. En 2009, la pro­duc­tion chu­ta de 10 % et les ventes dimi­nuèrent davan­tage encore, de 14%. Cepen­dant, grâce à un pro­gramme d’aide gou­ver­ne­men­tale de courte durée, l’emploi dans notre indus­trie dimi­nua de 3% seule­ment ; à com­pa­rer aux réduc­tions d’ef­fec­tifs de 8% dans le sec­teur chi­mique de nos voi­sins euro­péens, et de 6 % dans d’autres sec­teurs en Alle­magne. La pos­si­bi­li­té de faire appel à un nombre suf­fi­sant d’employés de haute tech­ni­ci­té fut un atout maître lors du début de reprise en 2010, alors que la demande de pro­duits chi­miques aug­men­tait rapidement.

Durant le pre­mier semestre 2010, la pro­duc­tion aug­men­ta de façon signi­fi­ca­tive (13%) par rap­port à l’an­née pré­cé­dente. On esti­mait l’aug­men­ta­tion à 11 % pour l’an­née entière, crois­sance la plus forte depuis 1976.

Les pré­vi­sions éco­no­miques pour 2011 sont encou­ra­geantes, avec une crois­sance conti­nue, bien que l’in­dus­trie pré­voit des gains infé­rieurs à ceux de 2010.

Selon l’As­so­cia­tion de l’in­dus­trie chi­mique alle­mande (Ver­band der Che­mi­schen Indus­trie, VCI) la pro­duc­tion chi­mique devrait aug­men­ter en 2011 de 2,5 % et les ventes de 4 %. Néan­moins, mal­gré ces scé­na­rios opti­mistes, les indi­ca­teurs éco­no­miques res­tent infé­rieurs aux niveaux atteints avant la crise de 2008. 

Réponse à la directive Reach

Reach à par­tir de 100 tonnes
Le pro­ces­sus Reach se pour­suit sans répit pour l’in­dus­trie chi­mique. L’é­tape sui­vante d’en­re­gis­tre­ment sera close le 31 mars 2013, et concer­ne­ra toutes les sub­stances fabri­quées ou impor­tées à des volumes annuels excé­dant 100 tonnes. Cela affec­te­ra un bien plus grand nombre de com­po­sés encore, et cela impli­que­ra bien davan­tage d’en­tre­prises de taille moyenne ou petite, pour les­quelles toute cette pape­ras­se­rie bureau­cra­tique pré­sente bien des difficultés.

Au-delà de sa contri­bu­tion au déve­lop­pe­ment éco­no­mique, l’in­dus­trie chi­mique alle­mande se heurte à des pro­blèmes. Tout par­ti­cu­liè­re­ment, la direc­tive Reach de la CE avait comme pre­mière date limite le 30 novembre 2010 pour le dépôt des dos­siers. Les socié­tés chi­miques devaient enre­gis­trer d’i­ci à cette date les com­po­sés qu’elles pro­duisent ou qu’elles importent à plus de 1 000 tonnes par an.

À comp­ter du 1er décembre 2010, celles de ces sub­stances qui n’au­raient pas été enre­gis­trées auprès de l’A­gence euro­péeene ECHA à Hel­sin­ki ne peuvent plus être fabri­quées ou impor­tées en Europe.

D’a­près la VCI, l’in­dus­trie chi­mique alle­mande eut fort à faire mais par­vint fina­le­ment à res­pec­ter cette date butoir. Près de 25000 dos­siers rela­tifs à 4 300 sub­stances furent intro­duits, dont plus d’un quart éma­nait de firmes alle­mandes, ce qui reflète à nou­veau le rôle moteur de la chi­mie alle­mande dans l’U­nion euro­péenne. Ajou­tons que bien des socié­tés alle­mandes eurent des rôles clés dans les orga­nismes de coor­di­na­tion, ce qui alour­dit encore ces tâches bureaucratiques.

Le contexte national

Autre ques­tion lan­ci­nante pour un ave­nir réus­si de l’in­dus­trie chi­mique alle­mande, la poli­tique indus­trielle du gou­ver­ne­ment fédéral.

Le Dr Klaus Engel, PDG d’E­vo­nik et pré­sident de la VCI, s’ex­pri­mait récem­ment ain­si à ce sujet : « L’Al­le­magne peut main­te­nir sa com­pé­ti­ti­vi­té et envi­sa­ger un déve­lop­pe­ment durable moyen­nant une stra­té­gie indus­trielle d’en­semble du gou­ver­ne­ment fédé­ral, avec une four­ni­ture d’éner­gie abor­dable et sûre, et avec un dia­logue social per­met­tant la réa­li­sa­tion de pro­jets d’en­ver­gure. Une pla­ni­fi­ca­tion fiable est un pré­re­quis vital pour l’in­ves­tis­se­ment et, par­tant, pour la crois­sance et l’emploi dans notre pays. »

Un point cru­cial est celui de l’ac­cès à des sources d’éner­gie sûres et abor­dables, puisque l’in­dus­trie chi­mique est un gros consom­ma­teur d’éner­gie. Il implique une foca­li­sa­tion accrue sur des sources d’éner­gie renou­ve­lables. Le pro­blème clé en la matière est celui d’in­fra­struc­tures adé­quates. Des tech­no­lo­gies de sto­ckage d’éner­gie et de nou­veaux réseaux de dis­tri­bu­tion sont en effet indis­pen­sables pour tirer suf­fi­sam­ment par­ti du solaire et de l’éolien.

La locomotive de l’innovation

Autre défi pour l’in­dus­trie chi­mique alle­mande : bien qu’elle conserve sa fonc­tion de loco­mo­tive d’in­no­va­tion, son impact s’est amoindri.

L’in­dus­trie chi­mique alle­mande doit se foca­li­ser sur l’innovation

En tenant compte de l’in­fla­tion, les dépenses de l’in­dus­trie en R&D n’ont pas aug­men­té, elles ont même dimi­nué depuis le milieu des années 1990. De façon connexe, la part des labo­ra­toires alle­mands dans les publi­ca­tions scien­ti­fiques en chi­mie subis­sait un déclin notable. Ces deux ten­dances sont pré­oc­cu­pantes, eu égard à la mon­dia­li­sa­tion et à la part gran­dis­sante de mar­ché des pays.

Si elle veut res­ter com­pé­ti­tive à long terme, l’in­dus­trie chi­mique alle­mande doit se foca­li­ser sur l’in­no­va­tion, sur des sec­teurs et des pro­duits chi­miques irri­gués par la recherche.

Dans quels domaines plus par­ti­cu­liè­re­ment ? La san­té, une effi­ca­ci­té accrue dans l’ex­ploi­ta­tion des res­sources éner­gé­tiques et des matières pre­mières, les éner­gies renou­ve­lables, de nou­veaux maté­riaux, et une meilleure com­pa­ti­bi­li­té envi­ron­ne­men­tale des pro­duits. Pour atteindre ces objec­tifs, l’in­dus­trie chi­mique a besoin, non seule­ment de tech­ni­ciens bien for­més, mais aus­si de cher­cheurs hau­te­ment qualifiés.

Des liens étroits avec l’université

Depuis l’é­mer­gence de la chi­mie à la fois comme science et comme indus­trie, en Alle­magne au dix-neu­vième siècle, l’un des piliers de la réus­site fut la col­la­bo­ra­tion étroite et fruc­tueuse de la recherche fon­da­men­tale uni­ver­si­taire avec l’in­dus­trie. Main­te­nir ces liens étroits, ren­for­cer la recherche, amé­lio­rer l’en­sei­gne­ment sont des impé­ra­tifs pour la réus­site durable de la chi­mie allemande.

Elle a besoin, pour y par­ve­nir, de meilleures condi­tions pour finan­cer l’in­no­va­tion, telles que des inci­ta­tions fis­cales à la R&D, comme elles existent dans d’autres pays d’Eu­rope, dont la France. Il lui fau­drait en outre des règle­ments euro­péens plus effi­caces rela­tifs à la pro­prié­té intel­lec­tuelle, des inves­tis­se­ments accrus dans l’ef­fort de recherche uni­ver­si­taire et un sou­tien plus fort de l’en­sei­gne­ment des sciences à l’é­cole. Toutes les don­nées citées dans ce témoi­gnage pro­viennent de la VCI (Asso­cia­tion de l’in­dus­trie chi­mique allemande).

Traduit de l’anglais par Pierre Laszlo.

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