L’anatomie pathologique : une spécialité méconnue au cœur des enjeux du système de santé de demain
Olivier Vire, président du groupe Medipath depuis plus de 15 ans et anatomopathologiste de formation, nous présente cette structure unique en France. Il revient également sur les évolutions connues par la profession dans un contexte où le nombre de malades ne cesse d’augmenter et où les nouvelles technologies laissent entrevoir de nouvelles perspectives. Explications.
Qu’est-ce que l’anatomie pathologique ?
Parce que l’anatomopathologiste ne reçoit pas directement les patients, c’est une spécialité largement méconnue du grand public, malgré son rôle central. En effet, l’anatomie pathologique consiste à diagnostiquer des maladies, dont le cancer, à partir des tissus humains qui nous sont confiés par les spécialistes médicaux (appendice, naevus cutané, frottis cervico-vaginal…).
Notre principale activité est donc de faire des diagnostics et de donner des éléments complémentaires pour adapter le traitement. Aujourd’hui, 95 % des diagnostics de cancer sont faits par un anatomopathologiste. Nous intervenons à toutes les étapes de la cancérologie : au niveau du dépistage et du diagnostic, mais aussi du pronostic qui permet de déterminer s’il s’agit d’une tumeur de bon ou mauvais pronostic, ainsi qu’au niveau théranostique, qui ouvre la voie à la médecine personnalisée, en utilisant des techniques complexes et innovantes permettant de déterminer si un patient peut ou non bénéficier de thérapies ciblées.
Dans ce cadre, qu’est-ce que Medipath ?
Medipath est la première structure de santé indépendante spécialisée dans l’anatomie pathologique en France avec 120 médecins associés qui détiennent l’intégralité du capital. Nous nous appuyons sur plus de 600 salariés et avons établi un réseau, dès 1999, sur toute la France avec 33 sites et 15 plateaux techniques. Medipath traite plus de 1,5 millions d’examens ce qui représente plus de 10 % des diagnostics de cancers en France.
En France, on recense 1 740 pathologistes, dont plus de la moitié pratiquent dans le secteur public. Medipath représente 15 % de l’activité libérale de diagnostic, notamment du cancer, en France.
Nous nous appuyons sur une expertise interne variée, ainsi sur que sur dix de nos associés qui sont des experts nationaux dans les réseaux de pathologies rares labellisés par l’INCa. Nous travaillons avec plus de 16 000 médecins en France et plus de 250 établissements de santé, dont une cinquantaine d’hôpitaux généraux et C.H.U.
Quelle place occupe le cancer dans le système de santé en France ?
Dans le monde, le cancer est devenu la 1ere cause de mortalité. En France, on estime qu’il y a 400 000 nouveaux cas de cancers par an et 3 800 000 patients porteurs de cancer à l’heure actuelle. Toutefois, si le nombre de cancers est en forte progression, on ne note pas une hausse de la mortalité. Au-delà des diagnostics précoces permettant de mieux traiter les patients, nous avons réalisé des avancées thérapeutiques énormes, notamment en matière de thérapies ciblées ou d’immunothérapie dont nous entendons beaucoup parler, qui entraînent une amélioration de la durée de vie et d’authentiques guérisons.
Quelles sont les problématiques auxquelles est confrontée la profession ?
Cette spécialité est confrontée à un fort vieillissement alors qu’il faut 11 à 14 ans pour former de nouvelles compétences. Au-delà, le métier s’est extrêmement complexifié. Aujourd’hui, nous devons maîtriser et utiliser toujours plus de techniques. Nous devons faire preuve d’une précision plus importante pour déterminer les facteurs pronostiques et théranostiques.
La profession doit donc se transformer pour faire face à ces enjeux. Qu’en est-il ?
Parce que l’inversion de cette tendance de fond nécessite du temps, nous devons, en effet, transformer notre métier. Conscient de cette réalité, Medipath se positionne comme un acteur majeur de cette transformation. Nous en avons, d’ailleurs, initié les prémices avec notre organisation innovante qui s’appuie sur un regroupement des expertises pour faciliter les échanges et mutualiser les compétences et les moyens.
Sur un plan technologique, le développement de la pathologie moléculaire ouvre de nouvelles perspectives en termes de capacité à proposer des traitements ciblés et personnalisés aux patients. Jusque récemment, seuls les C.H.U et les centres anti-cancéreux disposaient de ces plateformes. En 2016, Medipath a créé la 1ère plateforme libérale en France avec plus d’une dizaine de médecins molécularistes spécialisés et deux ingénieurs. En parallèle, les progrès numériques et la digitalisation contribuent à la transformation de la profession. Grâce aux scanners numériques, les images microscopiques peuvent être consultées via un ordinateur et à distance. Au-delà, à partir de ces images numérisées prédéfinies et classées par les pathologistes, il est aussi possible de développer des algorithmes de deep learning et de machine learning afin de traiter des images pour faire des diagnostics.
Sur des prélèvements avec des milliers de cellules à analyser, l’algorithmes et l’IA vont identifier les images susceptibles de contenir des anomalies, ce qui permet ainsi aux pathologistes de se concentrer sur un nombre minimal d’images. Ces technologies sont aussi une aide au diagnostic. À partir d’images microscopiques initiales numérisées, elles vont pouvoir faire ressortir les zones susceptibles ou non d’être cancéreuses. Elles dirigent ainsi l’œil humain sur les zones qui nécessitent une analyse plus poussée et contribuent à augmenter la précision et l’efficacité dans le diagnostic et apportent des éléments pronostics et prédictifs pour des thérapies ciblées futures.
« En 2016, Medipath a créé la 1ère plateforme libérale en France avec plus d’une dizaine de médecins molécularistes spécialisés et deux ingénieurs. »
Medipath collabore avec de nombreuses start-up telles que Vitadx, Ibex Medical, Primaa ou encore Owkin, pour développer ces dimensions. Avec Ibex Medical, nous utilisons ces algorithmes pour diagnostiquer le cancer de la prostate et avec des résultats, une spécificité et une sensibilité qui ont été distinguées par plusieurs études cliniques. Nous le faisons en routine pour la prostate et allons étendre cette initiative aux cancers du sein et digestifs.
En parallèle, nous mettons aussi à disposition de ces sociétés, qui développent des algorithmes prédictifs, des images annotées pour que la machine apprenne progressivement à faire des diagnostics. Nous estimons que dans 5 ans, l’ensemble de la pathologie tumorale pourra bénéficier de l’aide au diagnostic grâce à ces techniques d’IA. L’impact est toutefois encore plus fort sur les éléments pronostiques. Les algorithmes ont vocation à permettre d’optimiser la prescription de traitements plus adaptés à des patients qui pourraient être sous-estimés. Enfin, sur le volet théranostique, à partir d’images standards, les algorithmes vont être capables de détecter une anomalie génétique, se substituant ainsi aux tests moléculaires.
Au cœur de l’ensemble de ces avancées technologiques, on retrouve aussi un élément clé : la data. Conscient de son importance critique, au sein de Medipath, nous travaillons autour de 3 axes pour maximiser son impact : la mise en place de comptes rendus structurés pour faciliter la recherche ; la collaboration avec une Biobank (France Tissue Bank) avec l’accord du ministère de la Recherche afin de faire avancer la recherche pharmaceutique, translationnelle et celle portée par des sociétés qui créent des dispositifs in vivo ; et, la création d’un entrepôt de données de santé autour de l’idée que la donnée anapath sera encore plus importante, précise et puissante si elle est couplée aux données radiologiques, biologiques, cliniques…
Quels sont les principaux freins à cette transformation ?
Ils sont d’abord financiers. Aujourd’hui, l’enveloppe budgétaire allouée aux tests moléculaires n’augmente pas. L’enjeu est que ces activités innovantes, pourtant utilisées depuis plus de 15 ans, soient dorénavant considérées comme des actes de routine afin d’en faciliter l’accès aux patients. La question du financement se pose aussi avec le numérique : si le secteur hospitalier bénéficie de quelques financements, le secteur privé, qui réalise pourtant 66 % des diagnostics de cancer n’en reçoit aucun. En parallèle, même si la machine ne remplacera jamais le médecin, il y a des freins humains et un enjeu de « change management » au sein de la profession. À cela s’ajoutent des freins technologiques notamment en termes de dimensionnement de l’infrastructure numérique et des réseaux ; de stockage des données ; de standardisation…
L’absence de réponses concrètes à ces freins nous expose au risque de voir se développer une médecine à deux vitesses avec des patients qui seront prêts à payer pour bénéficier des tests moléculaires et d’autres non. Il y a, à mon sens, une vraie problématique de santé publique qui peut entraîner une perte de chance et des conséquences juridiques et judiciaires importantes. C’est un combat qui doit, aujourd’hui, mobiliser toute la profession.
Quelles pistes de réflexion pourriez-vous partager avec nos lecteurs ?
Il est essentiel de prendre conscience de l’inégalité de traitement du secteur public et du secteur privé afin de pouvoir rééquilibrer la situation. Sur la question des tests moléculaires, qui est centrale dans le traitement des cancers, une accélération du passage à la nomenclature sur des actes pratiqués depuis plus de 15 ans et qui relèvent pourtant encore de l’enveloppe des actes innovants est urgente.
Et sur le plan technologique, nous militons en faveur d’un meilleur financement de la transformation numérique du métier et la création de nouveaux actes. Il est plus que jamais urgent de se saisir de ces enjeux pour une efficience accrue au service des patients et des malades.