Landry Bretheau (2005) Heureux et accompli
La famille de Landry Bretheau est d’origine modeste : grands-pères ouvrier et menuisier et grands-mères au foyer. Via leurs études supérieures, l’ascenseur social hissa ses parents, sa mère, Françoise, ingénieure (CEA puis IRSN) en sûreté nucléaire ; son père, Thierry (1949−2012), mort trop jeune, chercheur CNRS en mécanique des solides, auteur de deux livres sur les matériaux. Sa sœur Lucile, de cinq ans son aînée, est gynécologue obstétricienne.
Un être social
Landry Bretheau est redevable à son père de son attirance pour la science : « J’étais un petit garçon très curieux, et j’avais la chance que mon papa essaye de répondre à toutes mes questions, avec bienveillance et amour. Même quand ce n’était pas évident : Papa, pourquoi le ciel est bleu ? » Autre souvenir d’enfance : « Le premier métier que j’ai voulu faire petit, c’était roi. Mes parents m’ont expliqué que ça n’allait pas être possible. Je me suis alors rabattu sur magicien (avec des vrais pouvoirs). Encore un peu compliqué. J’ai ensuite voulu être vétérinaire, puis archéologue. J’ai d’ailleurs participé à des fouilles en colonie de vacances à l’âge de 10 ans, et on a trouvé un dinosaure ! »
Sa scolarité (primaire et secondaire) se fit à Sèvres, en banlieue, dans un milieu non compétitif, avec une vie tournant autour des copains, des bandes dessinées, du sport (volley) et des jeux vidéo et de rôle. La prépa en MP au lycée Hoche, à Versailles, fut une période intense et mémorable : « J’avais l’avantage d’aimer vraiment les maths et la physique, ce qui rendait la charge de travail acceptable ; à cette époque, j’avais une préférence pour les maths, du fait de la beauté, de la cohérence et de la rigueur de cette science construite et autoportée. »
Il intègre l’X en 2005. Vie sociale très riche et une abondance de cours passionnants. Rencontre de Ioana, étudiante à l’X venue de Roumanie (M2008). Ils s’épouseront en 2015 et auront deux petits garçons pétillants.
Séduction par la physique quantique
Il fut conquis par l’École : « J’étais intéressé par des cours très divers, des maths à la mécanique et bien sûr la physique. Mais j’ai eu un véritable coup de cœur pour la physique quantique. » À quoi cela tient-il ? À Jean Dalibard, en première ligne : « Je lui dois mes premiers émois quantiques. Il me fit tomber amoureux de cette science. Je me souviens notamment du cours sur la RMN : il nous avait parlé d’IRM, utilisée sur les cerveaux de jeunes mamans. Une zone spécifique s’allumait lorsqu’on leur montrait une photo de leurs propres enfants. La zone de l’amour maternel peut-être ? Quel prof génial ! »
Une phrase, écrite au dos du livre de Basdevant et Dalibard, le marque fortement, donnant sens à son parcours : « La mécanique quantique est une des très grandes aventures intellectuelles de l’histoire de l’humanité. […] Elle est incontournable : toute la physique est quantique. […] Cette théorie est subtile et l’on n’arrive pas vraiment à l’expliquer sans le langage mathématique. C’est une chance de posséder le bagage technique pour la comprendre. »
Il poursuit par un master 2 en physique fondamentale entre Orsay et l’ENS, puis décide de tenter l’aventure de la recherche. « J’ai vite eu l’intuition qu’il était crucial de faire de la recherche expérimentale, car la physique est une science, observationnelle et ancrée dans le réel. C’est en mesurant qu’on fait progresser les choses. » Il effectue donc un doctorat au CEA, au sein du groupe Quantronique, équipe pionnière dans le domaine de la physique mésoscopique et des circuits quantiques. « J’en ressors avec la conviction de vouloir poursuivre dans la recherche, en continuant à la pratiquer comme un sport collectif. »
Il poursuit par deux postdoctorats consécutifs à l’ENS puis au MIT à Boston : « Des expériences de vie incroyables, à la fois sur le plan intellectuel et humain. » Landry Bretheau est embauché en 2017 à l’X, avec son collègue et ami d’enfance Jean-Damien Pillet (ENS Ulm 2005), pour démarrer une recherche sur les circuits quantiques hybrides supraconducteurs. Il y est professeur, enseignant aux jeunes X la beauté de la physique quantique et effectue sa recherche au sein du laboratoire de physique de la matière condensée (où travailla entre autres Claudine Hermann, qui hélas vient de nous quitter).
“En physique quantique, il est indispensable
d’inclure l’observateur comme partie intégrante du modèle.”
Lui qui voulait être roi devint prince seulement ! Prince de la physique quantique expérimentale, par d’impressionnantes réalisations. Ainsi, d’une contribution de 2015, publiée dans Science : « En physique quantique, il est indispensable d’inclure l’observateur comme partie intégrante du modèle. La mesure induit nécessairement une rétroaction sur le système étudié. Lorsque cette dernière est forte, elle peut conduire à une modification totale de l’évolution d’un système.
C’est ce qu’on appelle l’effet Zénon quantique, du nom du philosophe grec qui s’interrogeait sur le mouvement d’une flèche et formulait le paradoxe qu’elle était immobile à un instant donné. Zénon ne connaissait pas la notion de dérivée infinitésimale. Mais ce faux paradoxe prend tout son sens dans le monde quantique, dû à la rétroaction de la mesure. Nous avons pu mettre en œuvre cet effet en effectuant une expérience avec des circuits supraconducteurs et des signaux micro-ondes, résolus au niveau du photon unique.
Ainsi, à l’aide d’un qubit, nous avons mesuré continûment le nombre de photons présents dans une cavité, tout en excitant cette dernière à résonance. Due à cette mesure forte, la cavité ne se comportait plus comme un oscillateur classique, mais comme un spin à N niveaux, présentant des oscillations de Rabi cohérentes. »
Landry Bretheau est fervent de la beauté sous ses formes canoniques, la vue depuis un sommet après une randonnée en montagne, l’émotion à l’écoute d’une chanson, l’évasion à la lecture d’un grand roman ou plus simplement l’identité d’Euler, 1 + ei∏ = 0. Il s’émeut de plus quant à « l’importance dans ma vie de l’amour, de la pensée, de l’imaginaire, de la découverte, des rencontres, de la cuisine, des jeux et de l’art sous toutes ses formes ». Et cite ce moment d’émotion indescriptible « lorsque mon fils qui vient de naître tient mon doigt dans sa petite main ».