Langue et Science
Ceux d’entre nous qui ont eu Yves Quéré comme professeur à l’X, et ils sont nombreux, gardent le souvenir d’une vision de la physique qui était une composante de la culture tout autant qu’un outil pour maîtriser la nature, une aventure humaine autant qu’une histoire de découvertes successives, un chemin à parcourir autant qu’un champ à embrasser.
En cette année où nous fêtons le centenaire d’Henri Poincaré, génial mathématicien s’il en fut, et qui avait une plume extraordinaire de clarté, d’élégance et de précision, il est évident à tout homme cultivé que la science et la langue peuvent marcher de concert, et au plus haut niveau.
Moins évidente, et c’est le propos de ce livre, est la gémellité de la science et de la langue, parenté étroite qui impose d’elle-même que leurs apprentissages, et notamment dans les petites classes, ne peuvent être que conjoints et coordonnés. Au physicien s’est associé le linguiste, à celui qui est une des chevilles ouvrières de « la main à la pâte » s’est allié celui qui lutte depuis des années contre l’illettrisme, pour nous faire découvrir cette gémellité, au cours de l’histoire, et dans ses conséquences sur la pédagogie.
La quatrième de couverture nous montre les deux auteurs en conversation dans le jardin du Luxembourg et, dans la plus pure tradition du siècle des Lumières, c’est bien l’impression d’un dialogue à la Diderot, entre « lui et moi », qui ressort de ce livre. Au travers d’un apologue décliné à quatre mains, puis de multiples exemples, la langue apparaît comme l’outil qui organise le monde, mais comme un outil que l’homme doit se construire. Et l’enfant comme celui qui doit s’épanouir à la fois en explorant le monde et en créant son propre langage.
Progressivement, au long du livre, on va depuis la nécessité pour tout enfant de maîtriser la grammaire, maîtresse de la précision, et la science, institutrice de la raison, jusqu’à la fonction morale de ces disciplines pour tout citoyen adulte, l’exigence de dire le vrai en conscience, rempart contre tous les sophismes. Bien loin est l’opposition d’une affligeante pauvreté entre science et culture, entre langage et calcul.
Impossible de ne pas penser ici à la belle devise que le prince de La Mirandole donnait à l’homme : « Deviens ce que tu es. »