L’apport des sciences humaines et sociales
Les actions favorisant la réduction des vulnérabilités des populations et des territoires face aux impacts appréhendés des changements climatiques sont désormais inscrites à l’agenda des politiques municipales de la plupart des pays de l’OCDE.
Les sciences humaines et sociales disposent d’outils efficaces
Néanmoins, leur mise en place et leur efficacité rencontrent des barrières multiples, parmi lesquelles certaines d’ordre institutionnel (jeux de pouvoir entre intérêts divergents) et d’autres d’ordre cognitif (interprétations multiples du terme « adaptation »).
Les sciences humaines et sociales (SHS) disposent d’approches et d’outils aisément mobilisables afin de mieux déceler les origines de ces freins et d’aboutir à des stratégies plus interdisciplinaires et systémiques. Dès lors, leur intégration progressive dans les traditionnelles analyses de vulnérabilités laisse entrevoir un apport et une complémentarité indéniable, aussi bien à l’étape d’élaboration de mesures d’adaptation aux nouvelles réalités climatiques qu’à celle de leur application.
REPÈRES
La mise en œuvre de programmes relevant de l’adaptation aux changements climatiques se heurte à des limites freinant leur mise en œuvre, comme l’indiquent les conclusions du IVe rapport du GIEC (2007). Différents facteurs sont à l’origine de ces barrières (institutions défaillantes, manque de ressources, absence d’expertise, nouveautés des enjeux, déni de la problématique) et c’est précisément dans leur identification et leur résolution que les SHS possèdent des approches, des méthodes et des outils pour intervenir efficacement.
D’une approche top-down…
Les premiers efforts engagés dans la lutte contre les changements climatiques par la communauté internationale se sont portés sur ses causes plutôt que sur ses conséquences. Ainsi, la mise à l’agenda politique et scientifique de l’adaptation aux changements climatiques a longtemps été mise de côté au profit du volet portant sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre, jusqu’à l’idée acceptée que d’importants impacts seraient inévitables.
La climatologie a d’abord été interpellée afin d’estimer les vulnérabilités des systèmes (naturels et humains) face aux impacts climatiques à venir et de bâtir des réponses adéquates en partant de ses modèles numériques sur l’évolution du climat. Cette approche, appelée top-down, a permis d’entrevoir les tendances des nouvelles variabilités climatiques globales et régionales, mais a atteint ses limites à l’échelle locale à cause du degré d’incertitude inhérent aux modèles climatiques.
… À une approche bottom-up
Du fait de ces imprécisions, les acteurs locaux ne peuvent réellement transposer cet outil en actions locales sur les infrastructures, dispositifs ou populations des territoires concernés. Dès lors, l’approche appelée bottom-up, plus ancrée à l’échelle locale, a émergé afin de combler les lacunes et élaborer de nouveaux cadres de références (figure 1). Cette approche se fonde sur les expériences passées et le contexte actuel du système étudié, aussi bien en termes climatiques que socio-économiques, dans l’objectif de rendre compte de sa réalité. Elle prend également en compte toutes ses dimensions humaines, socio-économiques et comportementales, et c’est au sein de cette approche fondée sur l’étude des vulnérabilités locales que les sciences humaines et sociales se révèlent particulièrement pertinentes.
Barrières sociologiques
Parmi les origines des échecs entourant la mise en application de mesures d’adaptation, les dynamiques organisationnelles qui se déroulent entre les acteurs impliqués sont souvent mal comprises et sous-estimées. De ce fait, certaines décisions continuent d’être influencées par les intérêts directs de leurs acteurs et par les distributions de pouvoir au sein des organisations concernées et entre elles, éloignant par moments l’objectif commun de mettre en place des stratégies réduisant la vulnérabilité du territoire concerné.
Les dynamiques organisationnelles sont souvent mal comprises
Plusieurs approches (comme la « théorie enracinée » de Glaser et Strauss, 1967, ou encore l’analyse stratégique de Crozier et Fridberg, 1977) et outils issus de la sociologie des organisations permettent de mettre en évidence les systèmes d’action, leur logique propre et les jeux de pouvoir en place.
L’objectif premier est d’offrir aux acteurs impliqués un portrait de la réalité (par exemple des dynamiques et enjeux réels des institutions locales en place), le plus impartial et achevé possible.
Par la suite, l’objectif second est d’arriver à diriger ces mêmes acteurs vers des logiques de compromis acceptables par tous dans lesquelles l’application de stratégies d’adaptation efficaces devient le but collectif à atteindre. Au cours de cette étape, des éléments de concertation, de communication, voire de médiation sont à mobiliser, tout en gardant à l’esprit créativité et souplesse afin de s’accorder au contexte local.
Barrières d’origine cognitive
Les représentations (images, idées reçues, stéréotypes) rattachées au terme « adaptation » engendrées par les acteurs sont également un facteur d’influence significatif sur les décisions, les comportements ou les actions adoptées. Pour ne citer que cet exemple, le déni fait partie de la large panoplie d’attitudes aux origines cognitives complexes que les réactions humaines sont capables d’offrir, et auxquelles il est possible d’être confronté à un moment ou à un autre.
Sociologie des organisations
Dans la mise en œuvre des outils proposés par cette discipline, toute la difficulté réside dans l’atteinte d’un plan de travail et d’un langage commun entre les acteurs, qu’ils soient scientifiques, décideurs, acteurs socioéconomiques ou issus de la population.
L’influence potentielle de telles réactions sur les élaborations de réponses spécifiques à la lutte contre les changements climatiques est mal estimée, notamment dans les processus relatifs à la prise de décision.
Malgré l’augmentation d’études incluant ces aspects, les dimensions humaines, socio-économiques et comportementales sont encore peu prises en compte dans les recherches, les débats et les politiques portant sur l’adaptation aux changements climatiques, voire portant sur la problématique en général. Or, il a souvent été montré que ces dimensions jouent un rôle prépondérant dans le succès ou l’échec de l’élaboration et de la mise en œuvre de politiques d’adaptation.
Évaluer la capacité adaptative
Les limites de l’adaptation se retrouvent généralement dans l’état de la capacité de réponse d’un système, que ce soit une infrastructure, un territoire ou une ville. La capacité de réponse, ou capacité adaptative, est constituée des facteurs sociaux, économiques, institutionnels et technologiques, ainsi que des ressources et des informations nécessaires au bon fonctionnement des réseaux.
L’état de ces facteurs soutient ou contraint directement le déploiement et l’efficacité de mesures adaptatives et, comme indiqué plus haut, plusieurs études mentionnent que les faiblesses sont souvent d’ordre institutionnel, informationnel, technique et financier (Grothmann et Patt, 2005). L’approche bottom- up permet d’évaluer la capacité adaptative du système étudié.
Pour cela, la fourchette des vulnérabilités locales face aux impacts climatiques se situe entre l’historique des expériences passées et les tendances futures dégagées par l’extrapolation effectuée par les modèles climatiques disponibles.
Intégrer le changement global
Au cœur de cette fourchette, l’étude du contexte actuel (socio-économique, politique, technologique) dans lequel évoluent les acteurs impliqués est nécessaire, en partant d’éléments constituant la capacité adaptative du système, susceptibles d’être mobilisés directement ou indirectement au moment de l’événement climatique (figure 2).
Les dimensions humaines sont encore peu prises en compte
En effet, la problématique des changements climatiques se déroule dans un contexte de changement global (démographique, culturel et économique) et de transformations des technologies d’information, de la gouvernance régionale et des conventions sociales, le tout dans une tendance à la globalisation des flux et du travail. Dans cette perspective, l’adaptation aux changements climatiques doit également être perçue comme le résultat d’un changement social ou économique non climatique.
L’interdisciplinarité, clé d’un processus collectif
Action collective et adaptation
L’aspect collectif est souvent souligné dans la littérature scientifique spécialisée comme le moteur même de l’adaptation, laquelle peut alors être perçue comme un processus social dynamique. En effet, puisque la capacité des systèmes à s’adapter aux changements, qu’ils soient climatiques ou environnementaux, est en partie déterminée par la capacité à agir collectivement, l’action collective est perçue comme la réponse la plus appropriée, tout simplement parce que la problématique est elle-même collective. (Lorenzoni et al., 2007.)
Concrètement, l’analyse de ces vulnérabilités « sociales » fait intervenir de nombreuses connaissances, technologies et disciplines, et donc de multiples langages. L’interdisciplinarité, définie ici comme l’intégration de savoirs issus d’une multiplicité de disciplines dans un objectif commun, est une condition nécessaire pour pallier la complexité des enjeux, des acteurs et des langages mis en jeu au moment de l’estimation de la capacité adaptative d’un système. Elle apparaît comme un pont de dialogue rassembleur et collectif guidant les protagonistes vers l’objectif commun d’une mise en place de mesures réduisant les vulnérabilités face à la problématique climatique.
Ainsi, l’optimisation de mises en place de réponses réduisant la vulnérabilité des territoires et des populations ne peut avoir lieu sans la prise en compte d’une approche globale, ce que permettent justement l’approche bottom-up et le recours à des outils et méthodes issus des sciences humaines et sociales.