L’apport des X aux armées
Depuis 2006, soit depuis que j’ai fait état de ma volonté de rejoindre le corps des officiers d’active, j’entends régulièrement la même question : pourquoi s’engager dans l’armée de Terre quand on est polytechnicien ?
À défaut d’être originale, cette interrogation n’en demeure pas moins légitime : au-delà de la satisfaction égoïste d’un goût pour l’aventure, ce choix présente-t-il un quelconque intérêt objectif, ou bien ne s’agit-il que d’un vestige suranné du passé militaire de l’X ?
En fait, la défense des intérêts nationaux fait encore pleinement sens dans le monde contemporain. Or, pour rester à la hauteur de cette mission, notre outil militaire se révèle confronté à des défis particulièrement exigeants.
Dans ce cadre, la transformation d’innovations technologiques en innovations tactiques demeure un enjeu essentiel, auquel les X semblent pouvoir apporter une contribution intéressante.
UNE MISSION TOUJOURS PRIORITAIRE
La défense des intérêts français m’apparaît, à l’aune des constats que j’ai pu faire ces dernières années, comme une mission toujours aussi essentielle, nonobstant les aspirations postmodernes, plus ou moins sincères du reste, qu’entretient l’Occident depuis la fin du XXe siècle.
“ Derrière les discours diplomatiques policés, concurrents et adversaires sont toujours bien présents ”
Tout d’abord, la notion même d’État me semble loin d’être tombée en désuétude avec le développement de la mondialisation, et justifie pleinement qu’on se tienne prêt à employer la force pour la défendre.
Ainsi, pour avoir été le témoin de ce à quoi se réduisait le quotidien de populations dont les institutions s’étaient effondrées, l’importance – mais aussi la fragilité – de ce legs de notre histoire m’apparaît désormais avec une acuité toute particulière.
Or, derrière les discours diplomatiques policés, concurrents et adversaires sont toujours bien présents, que nous le voulions ou non. Car au-delà des ennemis déclarés que sont Daech et Al-Qaeda, nombreux sont encore les États dont les ambitions et les intérêts entrent directement en conflit avec les nôtres.
Dans ce cadre, le recours à la coercition reste commun, même si l’avènement de l’ère nucléaire le limite le plus souvent à des affrontements indirects et discrets.
UN RANG À MAINTENIR
De surcroît, il semble que la France demeure profondément et assez unanimement attachée, non seulement à sa souveraineté, mais aussi à sa place au premier rang de la scène internationale. Or, c’est une place que bon nombre d’acteurs tendent aujourd’hui à remettre en question.
Dès lors, le maintien d’un outil de défense universellement reconnu constitue un impératif, à la fois pour dissuader les velléités d’ingérence et pour rester crédible en matière de politique extérieure.
Aussi la nécessité de protéger les intérêts français, sur le sol national comme à l’étranger, demeure-t-elle à mon sens pleinement d’actualité. Cependant les voies et moyens traditionnellement utilisés à cette fin semblent se heurter à des difficultés considérables.
DES DÉFIS INTERNES ET EXTERNES
En effet, notre outil militaire se révèle aujourd’hui confronté à des défis, sur le territoire national comme à l’extérieur de nos frontières, que seule une réflexion sur la place, la structure et les modes d’action de nos armées semblent pouvoir permettre de surmonter.
“ La présence d’X au sein de l’institution militaire est un atout objectif pour celle-ci ”
Ainsi, la professionnalisation comme les coupes budgétaires qui se sont succédé au cours des vingt dernières années ont progressivement conduit l’armée de Terre à s’apparenter à un modèle réduit d’armée de conscription, alors que c’était précisément l’effet de masse qui constituait le principal atout de ce type d’outil. Le format actuel atteint rapidement ses limites d’emploi dès lors qu’il s’agit d’atteindre une forme d’efficacité durable.
Or, l’histoire récente semble avoir définitivement consacré l’inefficacité stratégique du concept de « guerre éclair expéditionnaire » mis en application par l’Occident depuis la guerre du Golfe. En effet, cette approche, même quand elle obtient initialement de réels succès, se voit in fine mise en échec par la stratégie d’usure imposée par l’adversaire.
Le temps joue dès lors contre la force d’intervention, qui finit invariablement par se retirer sous la pression de son opinion publique.
UN OUTIL MILITAIRE À RÉINVENTER
Face à ces impasses, le besoin de repenser en profondeur la place, l’organisation et l’emploi de notre outil militaire s’impose à la fois comme une urgence et un véritable défi. En effet, il apparaît illusoire d’exiger une hausse spectaculaire des crédits alloués aux armées, ou encore d’espérer un hypothétique retour à une armée de conscription.
Mais à l’inverse, abandonner la défense de nos intérêts, où que cela se révèle nécessaire, reviendrait à se résoudre au déclin.
Ainsi, l’adaptation de nos armées à notre monde et à ses conflits, si difficile soit-elle, constitue un enjeu véritablement vital, qui mérite à n’en pas douter que les esprits les plus aiguisés de la Nation s’y confrontent.
INNOVER ET S’ADAPTER DANS UN CADRE EN MUTATION RAPIDE
Dans ce cadre, l’innovation technologique semble pouvoir apporter sa part de solutions, sous réserve que notre outil de défense se révèle capable non seulement de suivre son rythme, mais également de la transposer efficacement dans un contexte tactique.
Patrouille motorisée de la 3e Compagnie en République centrafricaine.
Certes, il s’est souvent avéré illusoire – et même dangereux – de compter exclusivement sur la technique pour résoudre les problèmes auxquels une armée se voyait confrontée. Néanmoins, l’innovation technologique a invariablement tenu une place importante dans les différentes révolutions militaires qu’a connues notre histoire.
Il est dès lors raisonnable de penser qu’elle a de nouveau un rôle essentiel à jouer aujourd’hui.
Et justement, il semble manquer à notre outil de défense la souplesse nécessaire à l’adaptation au rythme actuel du progrès technologique, notamment dans les domaines issus de la révolution numérique.
Ainsi, de la numérisation de l’espace de bataille à la maîtrise du cyberespace en passant par le développement des drones, nos armées, en dépit d’efforts réels, semblent encore loin de pouvoir s’imposer comme des acteurs de pointe dans ces domaines pourtant essentiels.
D’un autre côté, l’innovation technologique se révèle bien souvent inutile si l’on ne se montre pas capable de faire évoluer les structures et les modes d’action tactiques afin d’en tirer le meilleur parti.
À cet effet, la présence accrue d’officiers, notamment issus de l’École polytechnique, capables de tenir ce rôle d’interface en combinant une solide culture scientifique et une réelle expérience tactique, apparaît tout à fait pertinente.
UN ENGAGEMENT TOUJOURS D’ACTUALITÉ
Pour conclure, l’engagement de polytechniciens au sein des forces armées, si rare soit-il, est loin de constituer à mes yeux une curiosité issue du passé.
Non seulement notre pays mérite toujours qu’on le défende par la force lorsque cela se révèle nécessaire, mais les défis auxquels son outil de défense fait face aujourd’hui, notamment dans le domaine technologique, font de la présence d’X au sein de l’institution militaire un atout objectif pour celle-ci et pour notre pays.