L’Arcep, l’autorité de régulation qui accompagne le déploiement des réseaux de télécommunications
Dans le monde des réseaux des télécommunications, l’actualité est dense et les enjeux fortement structurants avec l’accélération du déploiement de la fibre optique et de la 5G, la fermeture du réseau historique en cuivre, la nécessaire optimisation de la couverture de l’ensemble du territoire national. En parallèle, le secteur doit garantir une meilleure prise en compte de son empreinte environnementale. Autorité de régulation du secteur, l’Arcep est aujourd’hui en première ligne pour coordonner ces efforts et garantir que chaque partie prenante respecte les obligations qui lui incombent. Explications d’Olivier Corolleur (X98), directeur général adjoint de l’Arcep, qui nous en dit plus dans cet entretien.
L’Arcep a vu le jour en 1997. Comment ses missions et son périmètre d’action ont-ils évolué au cours des dernières années ?
L’Arcep est une autorité administrative indépendante, active dans la régulation des secteurs des télécommunications, des postes, de la distribution de la presse. Elle a vu le jour dans un contexte marqué par l’ouverture à la concurrence des télécommunications, un secteur qui, depuis 25 ans, a connu et continue de connaître de nombreuses évolutions (internet fixe, déploiement des réseaux mobiles, puis de la fibre optique…). En raison de l’importance croissante de ces réseaux, le législateur européen a jugé nécessaire l’intervention d’une autorité indépendante pour s’assurer du bon développement de ces réseaux. Dans ce cadre, son indépendance est à considérer par rapport aux acteurs économiques et aux pouvoirs publics et son action est contrôlée par le Parlement et la Commission Européenne.
Depuis, l’Arcep s’est vue confier de nouvelles missions dont la régulation du secteur postal en 2005, puis de la distribution de la presse en 2019.
Pour l’ensemble de ses missions, l’Arcep a un même objectif : s’assurer que les dynamiques et intérêts des opérateurs se concilient avec les objectifs de connectivité du territoire, de compétitivité et de concurrence au bénéfice des utilisateurs. Dans ce cadre, l’Arcep contribue aussi à créer les conditions d’investissement des opérateurs privés et publics dans les infrastructures afin notamment d’améliorer la connectivité des territoires.
Aujourd’hui, en France métropolitaine et en Outre-mer, au cœur de nos missions, on retrouve l’enjeu de poursuivre la dynamique de déploiement de la fibre optique et des réseaux mobiles, et de veiller au bon fonctionnement des marchés des services postaux et de la distribution de la presse, qui représentent des infrastructures vitales au quotidien des utilisateurs, mais aussi au développement des entreprises.
Pour ce faire, l’Arcep contribue aux programmes gouvernementaux, accompagne les collectivités locales et contrôle le respect des obligations de déploiement des opérateurs. L’Arcep est aussi le garant de l’ouverture du marché à de nouveaux acteurs et à toutes les formes d’innovations.
Enfin, la régulation du numérique étant en perpétuelle évolution, l’Arcep pourrait se voir confier de nouvelles missions autour de l’interopérabilité des services de cloud notamment.
Revenons plus particulièrement sur votre activité de régulateur. Comment se concrétise-t-elle ?
Dans le cadre de son activité de régulation, l’ARCEP prend en charge l’attribution des fréquences radioélectriques et des numéros aux opérateurs, la définition des obligations aux opérateurs d’ouvrir et d’interconnecter les infrastructures de leurs réseaux, la fixation de tarifs structurants pour le secteur, le règlement des différends, le suivi et le contrôle du respect par les opérateurs de leurs obligations.
En cas de non-respect par les opérateurs de leurs obligations, l’Arcep peut, par ailleurs, être amenée à prononcer des sanctions.
L’Arcep est aussi en charge du suivi des évolutions de ces marchés et de la publication de données pour éclairer les consommateurs et les élus locaux au travers de différents outils. Nos principaux outils de collecte et de diffusion de données sont : les observatoires, les outils cartographiques sur les réseaux fixes (« Ma connexion internet ») et mobiles (« Mon réseau mobile »), l’application de détection d’infractions à la neutralité du net (« Wehe »), la plateforme de signalement (« J’alerte l’Arcep »). L’ensemble des données des observatoires et des outils cartographiques sont rendues accessibles en open-data.
Enfin, l’ARCEP anime aussi ces secteurs régulés et contribue au dialogue entre toutes les parties prenantes, à travers des comités de concertation sectoriels (opérateurs de communication électroniques, fournisseurs d’accès à internet, acteurs de la distribution de la presse…), des rencontres régulières avec les élus, des ateliers et des conférences.
Dans le cadre de cette mission de régulation, nous avons essentiellement trois enjeux : l’intégration et la prise en compte de l’impact environnemental du numérique ; la qualité et la résilience des réseaux ; la préservation de la dynamique concurrentielle des marchés régulés et des conditions favorables à l’investissement dans les infrastructures.
Arrêt du réseau historique, Plan THD, migration vers la fibre optique, territoires connectés… sont autant de chantiers qui vous mobilisent depuis le début des années 2010. Dites-nous en plus.
L’ensemble du secteur a réussi collectivement ces dix dernières années à réaliser un déploiement industriel des réseaux de fibre optique à un rythme soutenu : plus de 80 % des locaux du territoire national sont aujourd’hui raccordables à la fibre optique. Désormais, il s’agit de couvrir les 20 % restants du territoire qui comprennent notamment des zones parmi les plus difficiles à appréhender tout en garantissant la qualité et la pérennité des réseaux déjà déployés. Dans un contexte de déploiement de masse, nous avons en effet constaté des difficultés de deux ordres. Tout d’abord, dans certaines zones, les réseaux n’ont pas été déployés dans les règles de l’art telles que nous les connaissons aujourd’hui et leur l’exploitation se révèle difficile. Certains réseaux fournissent des services de qualité insuffisante du fait de pannes trop fréquentes ou de délais de raccordement trop importants. Si ces réseaux sont heureusement minoritaires (1 à 2 % des lignes), leur remise en état est aujourd’hui une priorité. Plus généralement, afin d’assurer et de garantir dans la durée la qualité des réseaux en fibre optique, il apparait indispensable d’améliorer la qualité des interventions réalisées sur les réseaux et de renforcer les contrôles. L’Arcep s’est saisie de ce chantier dès 2019 avec la mise en place d’un groupe de travail sur l’exploitation des réseaux de fibre qui réunit les différentes parties prenantes. Ces travaux ont permis l’adoption d’une feuille de route qualité en 2020 avec des actions visant à renforcer la capacité des opérateurs d’infrastructures à maîtriser la qualité de leur réseau. En septembre 2022, l’ensemble des opérateurs du secteur se sont aussi engagés sur quatre axes : renforcer la formation des intervenants sur les réseaux, renforcer les contrôles, optimiser la qualité des raccordements et mettre en place des plans de reprise spécifique des infrastructures dégradées.
L’Arcep a aussi la mission d’accompagner la fermeture du réseau de cuivre historique d’Orange qui a débuté en 2019 et devrait être finalisée à horizon 2030. Nous sommes encore dans les premières phases d’expérimentation et allons entrer progressivement dans une phase de montée en charge de ce chantier.
L’Arcep travaille aussi sur la définition du cadre de régulation asymétrique des marchés du haut et du très haut débit fixes, qui comprennent notamment les services de fourniture d’accès à internet fixe pour les particuliers et les entreprises, pour la période 2024–2028. Il s’agit des décisions d’analyse de marché qui vont s’imposer à l’opérateur historique, Orange, qui exerce une influence significative sur ces marchés. Elles visent à répondre à quatre objectifs clés : encadrer la fermeture du réseau cuivre, assurer un niveau de qualité de service suffisant sur le réseau cuivre, faciliter l’achèvement des déploiements de la fibre en assurant un accès effectif aux infrastructures de génie civil (poteaux, conduites souterraines) et enfin amplifier la dynamique concurrentielle sur le marché entreprises. Ce chantier a commencé en 2022. L’adoption des nouvelles décisions est prévue pour fin 2023.
Quel bilan tirez-vous de l’action des collectivités locales en matière de couverture THD ?
Ce bilan est globalement très positif. Assurer une couverture numérique de qualité partout et pour tous reste un enjeu prioritaire en matière de politiques publiques, qui visent notamment à favoriser l’attractivité, la compétitivité et la cohésion des territoires. Les acteurs de premier plan sur ce sujet de l’aménagement numérique sont les collectivités territoriales qui se sont, par ailleurs, emparées de cet enjeu dans les années 2000. Elles jouent désormais un rôle essentiel dans l’amélioration de la couverture en très haut débit fixe comme mobile.
En effet, en 2004, la Loi pour la confiance dans l’économie numérique leur a confiées la compétence d’établir et d’exploiter des réseaux de communications électroniques. En 2013, le plan France Très Haut Débit les a désignées comme le moteur du déploiement du très haut débit fixe. Aujourd’hui, elles sont associées au New Deal mobile lancé en 2018 pour identifier notamment les zones de couverture mobile à améliorer. L’Arcep soutient pleinement cette dynamique et développe une régulation qui vise à accompagner les acteurs locaux vers l’atteinte de leurs objectifs en matière d’aménagement numérique pour apporter aux populations et aux entreprises les bénéfices économiques et sociaux liés au développement des réseaux.
Depuis 2021, le rythme des déploiements de fibre dans les réseaux d’initiative publique déployés sous maîtrise d’ouvrage des collectivités locales, dépasse celui de la zone d’initiative privée.
Qu’en est-il du New Deal Mobile et du déploiement de la 5G ?
L’Arcep poursuit son contrôle des obligations des opérateurs dans le cadre du New Deal Mobile, ainsi que des obligations inscrites dans les autorisations d’utilisation de fréquences. En 2022, les opérateurs ont continué leurs efforts de déploiement. Fin 2022, 2 179 sites ont été mis en service dans le cadre du dispositif de couverture ciblée. La quasi-totalité des réseaux des opérateurs sont équipés en 4G et 40 000 sites ont été équipés de 5G, dont plus de la moitié utilisent la bande de fréquences 3,5 gigahertz qui a été attribuée en novembre 2020. Le New Deal Mobile, lancé en 2018, qui couvre tous les aspects de déploiements, a permis d’améliorer de façon significative la connectivité sur l’ensemble du territoire.
L’Arcep attache également une grande importance à la question de la transparence vis-à-vis des citoyens et des élus locaux. L’Arcep met à leur disposition des données et des outils de suivi des performances des réseaux mobiles qu’elle enrichit régulièrement. En parallèle, dans le cadre du New Deal Mobile, un guichet a été mis en place par l’Agence nationale de la cohésion des territoires pour permettre aux collectivités locales d’identifier les zones à couvrir. Sur la base de ce travail d’identification des zones blanches, le gouvernement arrête périodiquement une liste de sites que les opérateurs télécoms ont l’obligation de couvrir dans un délai de deux ans. Ce dispositif performant permet une expression plus fine des besoins de couverture mobile.
Alors que la transition énergétique et environnementale s’accélère, l’empreinte carbone et environnementale du numérique est un enjeu structurant pour notre pays qui vise la neutralité carbone à horizon 2050. Comment abordez-vous cette question ?
L’Arcep s’intéresse en particulier aux moyens qui permettent de concilier l’objectif de réduction de l’empreinte environnementale numérique avec les objectifs traditionnels de régulation : une concurrence loyale, équitable et une connectivité de qualité sur l’ensemble du territoire. Pour ce faire, nous avons engagé une réflexion collective et un certain nombre d’actions : la publication d’une enquête annuelle « Pour un numérique soutenable » ; les rapports et publications de l’Arcep, dont le rapport annuel qui intègre un bilan environnemental du secteur des communications électroniques, des terminaux et des centres de données… L’Arcep a également mis en place un comité d’experts sur le mobile, qui a publié une étude comparative de la consommation énergétique dans des communes de la 4G et la 5G. Nous avons mené une étude conjointe avec l’Ademe sur l’impact environnemental du numérique en France. Avec l’Arcom et l’Ademe, nous préparons une nouvelle étude sur l’impact environnemental des différents modes de diffusion des services de médias audiovisuels. On peut aussi citer des travaux européens avec le Groupe des régulateurs européens des télécoms, le BEREC, qui a rendu un premier rapport en juin 2022. Au niveau international, nous contribuons aux travaux de l’Union internationale des télécommunications, de l’OCDE…
Que faut-il retenir de votre enquête annuelle « Pour un numérique soutenable » publié en avril dernier ?
Dans cette deuxième édition, l’Arcep publie des indicateurs collectés auprès des quatre principaux opérateurs télécoms pour suivre l’évolution de leur empreinte environnementale. C’est un outil au service du débat public et de la réflexion pour une Stratégie Bas Carbone du Numérique qui permet, par ailleurs, d’identifier des leviers d’action.
Cette année, l’enquête s’est enrichie d’une nouvelle catégorie d’indicateurs : la part des box et des décodeurs télé reconditionnés ou recyclés. Ils s’ajoutent aux autres indicateurs relatifs aux émissions de gaz à effet de serre des opérateurs, à la consommation d’énergie des réseaux fixes et mobiles, au recyclage et reconditionnement des téléphones mobiles par les opérateurs. Nous préparons une nouvelle édition pour la fin de l’année 2023 qui présentera également les données collectées auprès des fabricants de terminaux et des opérateurs de centres de données.
Dans cette étude, nous notons que les émissions de gaz à effet de serre ont progressé en 2021 après trois années consécutives de baisse, même si elles restent à un niveau inférieur à celui de 2018. Sur la période, les émissions directes (voitures, locaux, chauffage…) ont en effet baissé, tandis que les émissions indirectes ont connu une croissance continue, en raison du déploiement des réseaux et de l’augmentation des usages. En matière d’énergie consommée, la fibre optique est la moins gourmande de toutes les technologies. Le remplacement du cuivre va ainsi permettre de faire des gains importants, alors qu’on estime que la fibre consomme sensiblement moins d’énergie. En parallèle, les ventes de téléphones neufs diminuent chez les opérateurs, même si leurs ventes de téléphones reconditionnés restent assez modestes. Enfin, sur le dernier indicateur relatif au reconditionnement et recyclage des box et décodeurs télé, leur valorisation en fin de vie par les opérateurs s’accélère. Les quatre principaux opérateurs ont reconditionné ou recyclé près de 8,5 millions de box en 2021, une progression de 25 % en un an.
Cette enquête a vocation à être progressivement enrichie de nouveaux indicateurs. Fin 2023, l’Arcep publiera la troisième édition, qui intègrera le suivi de l’évolution de l’empreinte environnementale de nouveaux acteurs (fabricants de terminaux et centres de données) et de nouveaux indicateurs (consommation électrique des box, décodeurs TV et répéteurs WiFi).