L’Arche, ou la demeure de la paix
L’histoire de l’Arche est d’abord l’histoire d’un homme : Jean Vanier. Canadien, né en 1928, son père est diplomate. En 1942, en pleine Guerre mondiale, Jean demande à entrer au collège de la Royal Navy à Dartmouth. Malgré son jeune âge (il a treize ans), son père lui accorde sa confiance et Jean commence une carrière d’officier de marine.
En 1950, désireux de trouver un autre sens à sa vie, il démissionne et rejoint, en France, le centre d’enseignement théologique des laïcs L’Eau vive.
REPÈRES
L’Arche ce sont des lieux où vivent et travaillent ensemble des personnes adultes en situation de handicap mental et ceux qui les accompagnent, les « assistants », salariés et jeunes volontaires. C’est l’occasion donnée aux personnes avec un handicap de vivre une vie communautaire propice aux relations fraternelles et chaleureuses, d’avoir des amis, un travail, de mener une « vie normale », d’avoir une vraie place dans notre société.
L’histoire d’un homme et d’une rencontre
Sa rencontre avec le père Dominicain Thomas Philippe, qui dirige ce centre, marque un tournant dans sa vie.
Il commence une thèse de doctorat en philosophie sur l’Éthique d’Aristote, qu’il soutiendra en 1962. Cette même année, il prête main-forte au père Thomas qui devient aumônier du Val- Fleury, un établissement accueillant une trentaine d’hommes avec un handicap mental, situé à Trosly-Breuil, village au bord de la forêt de Compiègne.
“ La relation entre personne accueillie et accompagnant est au cœur du projet ”
Il visite l’asile psychiatrique de Saint-Jean-les- Deux-Jumeaux au sud de Paris, où il fait la connaissance de Raphaël Simi et Philippe Seux, deux personnes ayant un handicap mental. Profondément touché par leur détresse, Jean les invite à s’installer avec lui dans une petite maison du village de Trosly-Breuil.
Nous sommes en août 1964, le premier foyer de L’Arche est né. Ce n’est pas une institution qu’il crée, c’est lui qui s’engage auprès de ces deux hommes dont le cri l’a touché. Cette démarche d’engagement personnel va se révéler extraordinairement féconde, et elle caractérise toujours le projet de L’Arche.
« Vivre avec » plutôt que « Faire pour »
L’Arche est organisée, pour son fonctionnement, en établissements médicosociaux, mais elle n’est pas d’abord un établissement médicosocial, elle est un lieu où des personnes, avec et sans handicap, vivent ensemble.
Jean Vannier avec un résident de l’Arche
© ÉLODIE PERRIOT
C’est la relation entre la personne accueillie et l’accompagnant qui est au cœur du projet comme source d’accomplissement pour chacun des deux.
La spécificité de L’Arche réside dans ce mode de vie communautaire : des foyers de petite taille où 5 à 7 personnes avec un handicap et deux à trois « assistants » (salariés et volontaires) font le choix de partager leur vie quotidienne. Une communauté regroupe de deux à sept foyers, un centre d’activités de jour (CAJ), et parfois un établissement et service d’aide par le travail (ESAT).
Une communauté est un lieu ouvert sur son environnement et inséré dans sa ville. Chaque espace de vie donne la possibilité à la personne avec un handicap mental de déployer sa propre parole, de dire qui elle est et de développer son propre projet de vie, accompagné par les équipes de la communauté.
Dans le foyer, chacun participe, à la hauteur de ses capacités, à la vie partagée : tâches ménagères, règles de vie, choix des sorties ou des lieux de vacances, etc. Chacun y est convoqué avec ce qu’il est, comme il est.
Révéler les dons et les talents
L’engagement dans la vie quotidienne, très ordinaire par certains côtés, se révèle être pour ceux qui l’expérimentent un lieu de croissance et de maturité personnelle. Les profondes qualités relationnelles des personnes avec un handicap bousculent et transforment nos préjugés et nos représentations.
UNE JOIE QU’ON N’ATTENDAIT PAS
La personne avec un handicap mental se moque bien de mon CV. La question qu’elle pose, c’est : « Est-ce que tu veux être mon ami ? » Et, dans le fond, je découvre que j’ai la même question qu’elle. Nous partageons la même soif de fraternité et de communion. Cela n’empêche pas que le handicap soit et demeure un scandale, mais nous faisons, à L’Arche, l’expérience de ce paradoxe du sens à côté de l’insensé, et d’une joie qu’on n’attendait pas.
Les rapports qui s’instaurent dans le cadre de cette vie quotidienne, avec ses hauts et ses bas, témoignent d’une possibilité d’un monde plus juste et plus humain où les différences peuvent coexister sans se menacer.
L’Arche se donne ainsi pour mission première de révéler au monde la valeur de la personne fragile et rejetée. Elle contribue ainsi, avec beaucoup d’autres, à ce que le regard porté sur le handicap évolue de façon positive.
Mais nous ne sommes pas d’abord les militants d’une cause, nous sommes les témoins d’une expérience. Nous n’avons pas vocation à dire ceci est bien, ceci ne l’est pas, mais seulement à dire « venez et voyez », car c’est l’invitation que nous avons nous-mêmes reçue.
“ Nous ne sommes pas les militants d’une cause, nous sommes les témoins d’une expérience ”
C’est dans cet esprit que L’Arche a produit et diffusé deux films, réalisés par Nicolas Favreau, qui donnent la parole aux personnes avec un handicap.
Dans le premier L’Épreuve des mots, les personnes abordent des thèmes tels que l’argent, la politique, la mort.
Dans le second volet, L’Épreuve des mots, deuxième rencontre, elles explorent la palette des émotions à partir d’œuvres du musée du Louvre. Interrogées par Anne Chabert d’Hières, les personnes handicapées montrent un extraordinaire talent pour dire simplement des choses vraies et justes.
Des jeunes s’engagent pour être des bâtisseurs de paix
Un monde plus juste et plus humain où les différences peuvent coexister sans se menacer.
L’Arche propose à des jeunes volontaires (dans le cadre du service civique) de venir vivre quelques mois auprès de personnes avec un handicap. Ces jeunes, souvent en quête de sens, vivent ainsi une expérience sociale et culturelle unique, riche et porteuse de solidarité et de cohésion.
Pour dire avec quel bagage ils repartent je voudrais simplement raconter une anecdote. Au cours d’une rencontre avec un groupe de volontaires, Jean-Claude, un homme avec un handicap mental, les interroge : « Êtes-vous heureux à L’Arche ? » La réponse est « oui », mais Jean-Claude insiste : « Mais quand ? Où ? » L’un d’entre eux lui répond alors : « Après le dîner, autour de la table, quand on prend une tisane avec Jacques, avec Patrick, je suis heureux. »
Être heureux, à vingt ans, en buvant une tisane avec des personnes handicapées de quarante, cinquante, voire soixante ans : même la tisane était sauvée de son insignifiance.
Sans doute, à la lumière de la fragilité des personnes avec lesquelles ils étaient assis, découvraient-ils la beauté de ces instants ordinaires. Ce quotidien-là, c’est la demeure de la paix.
Ensemble, nous éprouvons que nous pouvons essayer d’être des bâtisseurs de paix.